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la loi, dans les cas où il y a dispense d'inscription (V. art. 2134 et 2135). Si donc il s'agit de plusieurs hypothèques également assujetties à l'inscription, la première inscrite prime celle qui a été inscrite la seconde, et ainsi de suite.

mais

En est-il de même des priviléges sur les immeubles, quand il s'agit de les classer entre eux et avec les hypothèques? Non, sans aucun doute; on comprend sans peine que ce serait les transformer en simples hypothèques, c'est-à-dire les anéantir comme droit réel sui generis, que de leur appliquer purement et simplement la règle prior tempore, potior jure. Ce qui caractérise le privilége, c'est que son rang est déterminé, non par l'époque où il prend naissance, par la faveur de la créance dont il est l'accessoire. La règle en cette matière a toujours été en France l'ancienne règle du droit romain: privilegia non ex tempore, sed ex causá æstimantur (L. 32, Dig. 42.4, de reb. auct. jud.); c'est ce que répète l'article 2096 du Code civil, en disant qu'entre les créanciers privilégiés, la préférence se règle par les différentes qualités des priviléges; et dans notre droit français, le privilége, quel qu'il soit, l'emporte toujours sur une simple hypothèque (Code civil, art. 2095).

En quel sens est-il donc possible de dire avec l'article 2106, que les priviléges sur les immeubles n'ont d'effet qu'à la date de l'inscription? Et comment concilier cette proposition avec les dispositions des articles 2095 et 2096?

Pour résoudre cette difficulté, on a imaginé d'interpréter l'art. 2106 en ce sens que l'inscription est nécessaire sans doute pour que le privilége puisse être exercé, mais que d'ailleurs cette inscription peut être

utilement prise tant que l'immeuble n'a pas été aliéné le débiteur 1.

par

On voit qu'avec cette manière d'entendre l'art. 2106, l'inscription nécessaire à l'exercice du privilége n'est plus qu'une formalité arbitraire, et ne se rattache plus à un système de publicité : elle ne sert plus à avertir les créanciers qui viendraient traiter avec le propriétaire de l'immeuble, puisque ses effets sont rétroactifs, et qu'elle fait passer le privilége avant toutes les hypothèques inscrites antérieurement. Où est dès lors l'intérêt de cette inscription, si ce n'est un intérêt fiscal?

Du reste il est remarquable qu'on n'a pas osé étendre cette théorie singulière au droit de suite inhérent au privilége; et vraiment je ne sais pourquoi. Si le privilége peut être valablement opposé aux créanciers qui n'ont pu le connaître, pourquoi ne serait-il pas également opposable aux tiers acquéreurs, auxquels il ne se révèle qu'après l'acquisition? Aucun texte du Code civil ne motive cette distinction entre le droit de préférence et le droit de suite; bien au contraire, la rédaction de l'article 2166 aplanissait les voies à ceux qui auraient voulu être conséquents dans leur système de clandestinité".

1 V. Tarrible, Rép., o privilège, sect. 5, no 1. — Persil, sur l'art. 2108, n° 22. -Duranton, t. XIX, nos 209 et 210.-Troplong, sur l'art. 2108, no 266, et les auteurs par lui cités, tels que Grenier et Dalloz; enfin Zachariæ, traduit par Aubry et Rau, t. 11, p. 219, note 7.

2 Cet art. 2166 dit: les créanciers ayant privilége et hypothèque inscrite (et non inscrits) sur un immeuble, le suivent en quelques mains qu'il passe, etc. Nous ne parlons pas ici de l'article 834 du Code de procédure, qui introduit sur le droit de suite des règles toutes nouvelles.

Est-il donc bien vrai qu'en principe l'inscription des priviléges sur les immeubles ne soit qu'une affaire de forme, et n'ait pas trait à la publicité? est-il vrai que le créancier soit toujours à temps de prendre inscription pour exercer son droit de préférence, à moins

que

la loi n'ait spécialement fixé un délai, à l'expiration duquel le privilége s'évanouit faute d'inscription'?

Je ne le crois pas; je regarde ce système si généralement admis comme erroné, et s'écartant aussi bien de l'esprit que de la lettre du Code civil. C'est ce qu'il faut tâcher de démontrer en donnant le véritable sens de l'article 2106. A cet effet, il est nécessaire de remonter à la loi du 11 brumaire an vii, parce que le Code civil, au moins dans sa rédaction primitive, n'en est, sur le point dont il s'agit, qu'une presque complète reproduction.

Nous diviserons notre dissertation en deux parties. Dans la première, qui formera la matière de ce premier article, nous examinerons les règles établies par la loi de brumaire sur l'inscription des priviléges, et dans la seconde nous étudierons les dispositions correspondan tes du Code civil. (Chap. 2, Sect. 4.)

Première partie.

De la publicité des priviléges spéciaux sur les immeubles, suivant la loi du 11 brumaire an vii.

La loi du 11 brumaire an vii pose, relativement aux priviléges sur les immeubles, une règle générale de publicité. Voici comment elle s'exprime, art. 2: « L'hy

1

V. Code civil, art. 2109, 2111; Code de commerce, nouvel art. 448; 1e loi du 5 septembre 1807, art. 3, et 2o loi du même jour, art. 5.

pothèque ne prend rang, et les priviléges sur les im» meubles n'ont d'effet que par leur inscription dans les » registres à ce destinés, sauf les exceptions autorisées » par l'article XI. » Il s'agit dans cet article XI, de certains priviléges généraux qui ne sont point assujettis à l'inscription.

Les dispositions subséquentes de la même loi expliquent très-clairement le sens de ces mots : « les privilėges sur les immeubles n'ont d'effet que par leur inscription ».... et, à cet égard, il faut distinguer avec soin deux classes de priviléges.

Priviléges de la première classe.

La première classe est celle des priviléges retenus lors de l'aliénation d'un immeuble, par exemple, lors d'une vente. Celui qui vend, sans recevoir immédiatement le prix de la vente, ne se démet pas de l'intégralité de son droit de propriété, mais il en conserve une sorte de fraction ou de démembrement, c'est-à-dire un droit réel, qui est d'être payé sur le prix de l'immeuble avant tout autre créancier de l'acheteur.

Rien de plus simple et de plus raisonnable que la manière dont la loi de brumaire donne à ces priviléges retenus sur l'immeuble aliéné, la publicité la plus entière et la plus absolue. Il faut, pour bien comprendre ce système, se rappeler que la loi de brumaire ne considérait la propriété de l'immeuble comme transférée à l'égard des tiers, que par la transcription des actes de mutation sur les registres de la conservation des hypothèques (V. cette loi, art. 26). Jusque-là, ces actes ne pouvaient être opposés aux tiers qui avaient contracté avec le vendeur, c'est-à-dire avec l'ancien propriétaire; car le mot vente avait ici, de l'aveu de tout

le monde, une signification générique, embrassant toutes les aliénations faites entre-vifs.

Si donc l'acte de vente constatait que le prix était encore dû au vendeur, la transcription de cet acte, en même temps qu'elle faisait connaître au public la mutation de propriété, lui apprenait aussi l'existence du privilége retenu sur l'immeuble par le vendeur; la rétention était aussi notoire que la translation même. Il y avait là deux clauses simultanées et indivisibles. Dès lors personne ne pouvait raisonnablement se plaindre de l'existence du privilége; car nul ayant cause de l'acheteur (créancier ou sous-acquéreur), n'avait dû compter sur la valeur de l'immeuble acheté, si ce n'est déduction faite de la portion de valeur afférente à la créance du vendeur. Les termes de la loi expriment énergiquement cette idée; l'article 14 dit que les droits des précédents propriétaires sont MAINTENUS selon les formes indiquées; et l'article 29 déclare que la transcription conserve at précédent propriétaire ou à ses ayants cause le droit de préférence. Ainsi, en supposant même que la loi de brumaire an vi eût reconnu (ce qu'elle ne faisait pas), des inscriptions donnant rang d'hypothèque à leur date, non-seulement sur les immeubles présents, mais même encore sur les immeubles à venir du débiteur, au fur et à mesure de leur acquisition; de telles hypothèques, malgré leur priorité de date, n'auraient pas moins été primées par le privilége du vendeur, qui n'a aliéné que moins le droit de prélever sur la valeur de l'immeuble une somme égale au prix de vente. Le bon sens dit que les créanciers de l'acquéreur, quelque favorable que puisse être leur rang hypothécaire, ne peuvent entamer la portion de droit que l'auteur de la mutation s'est réservée. Ces hypothèques frappant, à leur date d'inscrip

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