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pays où ils ont lieu; ils jouissent de toute espèce d'autorité en France et dans tous les pays du monde civilisé1.

Telle est la série des droits généraux et particuliers dont les étrangers jouissent personnellement en France, comme propriétaires d'intérêts ou d'actions industrielles.

Mais cela ne devait pas suffire : nous avons accordé aux étrangers la faculté de transmettre à leur mort les biens qu'ils possèdent, comme l'exercent les Français

eux-mêmes.

Tel fut l'objet de l'abolition du droit d'aubaine; ce fut l'assemblée constituante qui la première fit à cet égard un appel solennel à tous les peuples; elle le fit sans restriction, d'une manière complète et absolue'. Get appel ne fut pas entendu, et Bonaparte, le futur empereur, retoucha cette grande question dans l'intérêt de sa politique; sans rétablir positivement le droit d'aubaine, il posa le principe de la réciprocité, en subordonnant le droit des étrangers aux traités qu'il lui plairait de faire (voyez art. 11 et 726 du Code civil).

La loi du 14 juillet 1819 à rétabli dans toute son étendue le principe des lois de 1790 et de 1791; elle consacre ainsi dans l'ordre civil l'abolition de la confiscation, dont le germe est déposé dans le pacte constitutionnel de 1814 et de 1830.

Les étrangers ne peuvent évidemment désirer de garanties plus énergiques de la conservation de leurs droits.

Ils sont même, à proprement parler, comme dans leur pays quand il s'agit de disposer de biens mobiliers, de recevoir, de succéder par acte entre vifs, testamentaire

1 V. la Revue, 2o série, p. 342 et suiv.

2 V. lois du 16-18 avril 1790, 8-15 avril 1791.

ou ab intestat, et conséquemment de leurs droits d'actionnaire ou d'intéressé à un titre quelconque. Ce sont là encore les conséquences du statut personnel dont nous avons déjà exposé les règles, et la jurisprudence les a formellement consacrées '.

En résumé, tous les monuments de la législation dont nous venons de parcourir la série sur la première partie de notre question, nous montrent que les droits des sociétaires ou actionnaires étrangers sont à la fois basés sur les principes fondamentaux du droit des gens, sur les règles de l'ancienne jurisprudence française, sur nos lois modernes et sur les principes de notre nouveau droit public; qu'ils sont affranchis de toute dépendance avec la politique et placés dans le domaine des lois privées. C'est de ce point de vue que nous allons considérer notre seconde question : si l'état de guerre apporterait quelque changement aux droits des sociétaires ou actionnaires étrangers.

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La guerre suppose entre les peuples la rupture des conventions tacites ou exprimées; elle suppose aussi que les peuples sont dans un état d'indépendance qui n'admet aucun arbitre suprême de leurs différends. La guerre fait cesser toute relation régulière dans les rapports internationaux; alors commencent les luttes de la force matérielle jusqu'à ce que de nouveaux traités viennent rétablir les lois d'une politique régulière.

C'est donc entre les nations mêmes et de peuple à

1 V. arrêts de la Cour royale de Paris, du 1er février 1836 et du 3 février 1838. S., 1836, t. 2, p. 173; Gazette des tribunaux ḍu 4 février 1838; J. P. T. CIX, P. 250.

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peuple que l'état de guerre existe, et non d'individu à individu. Les citoyens de chaque pays ne doivent pas sans doute rester indifférents aux luttes de la patrie, quelquefois même ils sont appelés à y prendre part, mais c'est un service public qu'ils remplissent, et non un acte d'hostilité personnelle qu'ils font.

Leur volonté propre est entièrement subordonnée à celle du chef qui représente et personnifie l'état ; tel a été constamment le but vers lequel les nations ont marché depuis le moyen âge, époque à laquelle les hommes se livraient à des mouvements intérieurs et extérieurs, selon le caprice des volontés individuelles.

Il en fut ainsi jusqu'à ce que la puissance publique soit organisée et que les états modernes soient constitués.

La position des individus dans la société ne leur permet plus de faire maintenant ces actes de volonté personnelle soit contre une nation, soit contre des particuliers.

Les particuliers ont d'ailleurs, à la différence des états, des juges arbitres souverains de leurs différends, qui les ramènent à la franche et loyale exécution de leurs engagements; il n'y a pas entre eux de casus belli qui ne tombe en justice réglée; l'ancienne manière de vider les querelles d'intérêt personnel a partout disparu.

Notre législation est en parfaite harmonie avec cet ordre naturel et vrai des choses. La constitution donne au roi, comme chef suprême de l'état, le droit de déclarer la guerre, commander les forces de terre et de mer, faire les traités de paix, d'alliance offensive et défensive.

Mais là se borne sa puissance; il ne peut jamais se dispenser de l'exécution des lois ni même les suspendre. Telles sont les dispositions de l'art. 13 de la Charte ;

on les a renfermées dans un même texte pour qu'elles soient inséparables et mieux respectées en toute occasion.

Des traités ou des ordonnances royales ne peuvent plus, comme autrefois les décrets du consulat et de l'empire, changer les lois et porter atteinte à la con

stitution.

Or, nous l'avons démontré sur la première partie de notre question, les étrangers sociétaires ou actionnaires dans n s entreprises industrielles ont pour eux le droit des gens, le droit commun de la France, les lois spéciales en cette matière et les lois commerciales; ils ont notre constitution enfin, qui ne permet au législateur lui-même de ne jamais rétablir la confiscation.

Le respect de la propriété privée est la conséquence nécessaire de l'état de liberté des individus ; il était écrit dans la constitution de 1791, comme l'abolition des droits d'aubaine et de détraction le fut dans la loi à cette grande époque. Tout cela était et sera toujours parfaitement logique, tant que la position des personnes dans les sociétés modernes sera la même.

Les publicistes et les jurisconsultes du XVIII° siècle avaient le sentiment de ces vérités; ainsi Mably disait': Pourquoi deux nations qui se déclarent la guerre, > s'interdisent-elles d'abord tout commerce réciproque ? peut-être, ajoute-t-il, est-ce un reste de barbarie, ou plutôt de politique timide en ressources, qui a per› suadé qu'il était dangereux de recevoir chez soi les sujets de son ennemi. »

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Puis il ajoute

:

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En interdisant le commerce, on veut

› nuire à son ennemi, mais on se fait assurément un

a tort considérable. »

V. Droit public de l'Europe, chap. XII, p. 308.

L'utilité, d'accord avec les sentiments les plus élevés. prescrit en effet de favoriser les relations d'intérêt de toute espèce entre les citoyens des différents pays.

Émérigon, parmi les jurisconsultes, écrivait, dans son Traité des assurances, publié en 1783, que le commerce des assurances n'avait pas été interrompu entre les Français et les Anglais durant les dernières guerres, et qu'il continuait de subsister durant la guerre actuelle : puis il cite à l'appui de ces faits une déclaration royale du 19 septembre 1673.

« L'avantage et la sûreté du commerce, dit Vatel', ont » engagé tous les souverains de l'Europe à se relâcher » de la rigueur de la confiscation, et dès que cet usage » est généralement reçu, celui qui y donnerait atteinte » blesserait la foi publique ; car les étrangers n'ont confié à ses sujets que dans la ferme persuasion que »sage général serait observé. L'état ne touche pas même >> aux sommes qu'il doit à ses ennemis; partout les >> fonds confiés au public sont exempts de confiscation et >> de saisie en cas de guerre. »

n

l'u

Notre moderne jurisprudence française a consacré, même sous le consulat, l'inviolabilité de l'un des droits les plus importants des étrangers, en temps de guerre comme en temps de paix, du droit de succéder : « At» tendu, dit la cour de cassation, que la loi qui con» fère ce droit, en France, aux étrangers, n'a pas

1 V. Droit des gens, liv. III, chap. VI, § 77.

* M. Pinheiro-Ferreira, dans ses notes sur l'ouvrage de Vatel, ublié en 1838, a confirmé la même doctrine. Il affirme, dans ses notes sur la dernière édition de l'ouvrage du savant professeur Martens, publié en 1831, que cette doctrine est conforme aux rincipes du droit universellement admis.

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