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laissa le reste à l'État '. De là, l'ager privatus, la propriété du citoyen romain, et l'ager publicus, la propriété de l'état, distinction qui subsiste pendant des siècles dans l'histoire romaine, et qui est en même temps! la clef de plusieurs institutions importantes.

La fondation de nouvelles colonies n'était souvent qu'une distribution entre les particuliers de l'ager publicus, et le but des lois agraires, qui jouent un rôle si important dans l'histoire de la république, n'était autre qu'une distribution semblable de l'ager publicus, et non une mesure qui bouleversait la propriété privée. L'auteur n'a fait ici qu'adopter la nouvelle doctrine de Niebuhr sur ce point.

Le droit de possession s'explique encore par cette distinction en ager privatus et ager publicus. C'était le droit qu'avaient les détenteurs de l'ager publicus sur ce domaine, droit qui n'était pas une propriété parce que le domaine de l'État ne pouvait être aliéné que par une loi agraire ou une vente publique faite par les questeurs; mais tandis que le possesseur n'était qu'un simple détenteur vis-à-vis de l'Etat, il était propriétaire vis-à-vis des tiers, c'est-à-dire que son droit était garanti par le préteur, comme le dominium l'était par le droit civil. Les patriciens s'étaient attribué la jouissance de l'ager publicus; mais après deux siècles de lutte la plèbe fut admise en partage, et vingt-huit ans plus tard la démocratie était maîtresse à Rome.

M. Laboulaye nous retrace ensuite, comme les terres conquises furent attribuées aux classes riches, la misère du peuple, les efforts généreux des tribuns pour y remédier, et enfin,, dans les dernières années de la répu

1 Denis d'Halicarnasse, Antiq., III, 1.

blique, la disparition de l'ager publicus en Italie, par les nombreux partages de terres, que Sylla, César et Octave firent à leurs légionnaires.

Après la guerre sociale et la communication du just quiritium à toute l'Italie, il n'existait dans l'État romain que deux espèces de propriété, la propriété italienne (dominium), et la propriété provinciale (possessio); la différence importante entre ces deux espèces de propriété était que l'une ne payait aucun impôt, tandis que l'autre était soumise au vectigal, comme une espèce de loyer de jouissance; cet impôt foncier se payait ordina1rement en nature. Auguste fut le premier qui attaqua la franchise de la propriété romaine ou italienne, en la grevant d'un impôt du vingtième de la succession et du centième des adjudications; et c'est pour étendre ces impôts indirects à la propriété provinciale dans un but de fiscalité, et non par un esprit d'égalité, que Caracalla donna le droit de cité à toutes les provinces de l'empire. Ce fut sous Maximien que l'impôt foncier fut imposé à l'Italie; les contributions devinrent écrasantes; partout la petite propriété impossible. Cet état de choses donna naissance au colonat et à l'emphytéose, institutions dont la ressemblance avec le servage et la censive du moyen âge est frappante.

Le livre III de l'ouvrage de M. Laboulaye s'occupe de la propriété romaine dans ses rapports avec le droit privé, et contient l'histoire succincte de la propriété depuis les premiers temps jusqu'à Justinien, ainsi que quelques chapitres sur les droits réels et la procédure des actions réelles. A côté du jus quiritarium, qui est très-bien caractérisé, nous sommes étonnés de ne pas trouver la distinction si importante des res mancipi et nec mancipi.

A propos des mutations de la propriété, l'auteur in

siste sur la nécessité de rattacher les transmissions à quelque acte positif, solennel, et en quelque sorte palpable pour les tiers, ainsi que la mancipation et plus tard la tradition chez les Romains, la tradition in mallo chez les Francs, l'investiture, le vest et devest, l'ensaisinement à l'époque féodale, et plus tard l'insinuation. Le Code civil n'a pas distingué entre l'obligation et le droit réel, entre le jus ad rem et le jus in re, et de là de nombreux embarras pour le système des droits réels en général, et les hypothèques en particulier. La pensée de l'auteur qu'on reviendra forcément à la doctrine romaine sur ce point,» a déjà été réalisée par les auteurs du Code civil néerlandais, qui ont exigé la tradition ou délivrance comme condition essentielle de la transmission de la propriété d'une chose. La tradition des immeubles s'opère d'après cette législation par la transcription sur des registres publics destinés à cet effet 1.

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Le livre suivant expose avec beaucoup d'exactitude la propriété romaine dans ses rapports avec la famille; le seul reproche que nous puissions faire à cette partie, c'est de traiter, jusque dans leurs plus minutieuses parties, certains détails qui n'intéressaient point directement le sujet.

En parlant de la tutelle des femmes, l'auteur avancela doctrine erronée que la femme était toujours en pouvoir d'autrui, et que, pour ce motif, la femme n'avait point la actio tutelæ directa contre ses tuteurs. Certainement il y avait des femmes qui étaient en puissance d'autrui: la fille était constituée en celle de son père, la femme en

1 V. dans la Revue, T. VI, p. 370 et 376, notre notice sur le nouveau Code civil néerlandais.

celle de son mari; mais la femme sous tutelle de ses agnats était sui juris. Dans l'endroit de Boëthius 1, que l'auteur cite à l'appui de sa doctrine, il ne s'agit que d'un cas spécial, où la femme était effectivement in manu; quant à la véritable cause pourquoi la femme n'avait point d'action contre son tuteur, c'était parce que le tuteur n'avait pas l'administration des biens de la femme, celle-ci administrait elle-même, sauf l'assistance que le tuteur devait prêter pour certains actes*.

Cette erreur de l'auteur vient d'être relevée de même par notre savant collaborateur M. le professeur Warnkænig, dans la Kritische Zeitschrift de Mittermaier et Zachariæ; mais si M. Laboulaye s'est mépris sur le sens d'un endroit de Boëthius, M. Warnkoenig de son côté a fait erreur sur le sens de la phrase de M. Laboulaye. Celui-ci, en parlant des tuteurs légitimes de la femme, dit (p. 172): « Leur pupille n'avait point d'ailleurs d'action contre eux, car elle n'était pas suí juris comme l'enfant, comme l'esclave, elle était en pouvoir d'autrui.» M.Warnkœnig, critiquant à bon droit l'auteur en ce qu'il avance qu'une femme en tutelle n'est pas suí juris, lui reproche en outre de dire que l'enfant et l'esclave étaient au contraire sui juris. M. Warnkoenig pas remarqué que la ponctuation de la phrase de M. Laboulaye fait ressortir positivement que la femme en tutelle, quoique suî juris, était en puissance d'autrui, de même l'enfant et l'esclave.

n'a

1 Ad Cicer. Topic., II, p. 302, Ed. Orelli.

* Ulpian fragm., XI, 27.

3 Kritische Zeitschrift, XII, 2, p. 310.

Époque germaine ou barbare.

Cette seconde partie est traitée avec une grande dis- 1 tinction. L'auteur y a déployé une érudition vaste et d'autant plus méritoire, que le sujet est moins connu et moins étudié en France.

Selon lui, la conquête de l'empire d'Occident par les peuplades germaines s'est accomplie par l'effet de transformations intérieures, plutôt que par le fer et la flamme; il n'excepte de sa théorie que la grande invasion sous Attila; et lorsque Odoacre fonda son royaume, il n'y eut de changé que la personne du prince. Nous croyons que M. Laboulaye a rencontré juste, en disant que les établissements nombreux des peuplades barbares sur les frontières et au sein même de l'empire, avaient prodigieusement facilité cette grande révolution; mais d'un autre côté les ténèbres qui suivirent cette catastrophe nous montrent jusqu'à l'évidence que de grands désastres avaient eu lieu dans cette belle Italie; entre autres, les sciences et les arts semblent s'éclipser tout à coup pour ne reparaître que bien des siècles plus tard. D'ailleurs l'esprit conquérant et le caractère guerrier des peuples barbares ne concordent guère avec la théorie d'un établissement pacifique que l'auteur préfère exclusivement. Ce que nous considérons comme bien plus vrai, c'est la prépondérance attribuée au clergé, et l'opinion que les chefs des Barbares, et notamment Clovis, n'ont été que des instruments des évêques.

La question ardue du partage des terres n'est traitée qu'en quelques mots : Les Bourguignons, les Visigoths, les Hérules, les Ostrogoths, les Lombards, prirent tous une part du sol; quant aux Francs, l'auteur pense qu'ils n'ont pas dépouillé les anciens possesseurs, parce

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