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civile alléguerait-il qu'on ne peut lui opposer un jugement dans lequel il n'était point partie, are ticle 1351, le prévenu jugé innocent lui répondrait; Le jugement qui proclame mon innocence a, en ma faveur, l'autorité de la chose jugée envers et contre tous. Il est contradictoire avec le magistrat seul chargé par la loi de poursuivre les crimes et les délits au nom de la société. Il les poursuit aux risques et fortune de tous ceux qui sont intéressés, et qui sont censés s'en rapporter à lui, lorsqu'ils ne se rendent pas parties civiles, comme la loi leur en donne la faculté. Le jugement qui intervient avec lui ne peut jamais être attaqué par les parties privées; il est pour moi un titre irréfragable. Je ne puis plus être recherché ni poursuivi à raison de ce prétendu délit ; la loi me couvre de son égide : Non bis in idem (1).

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Ces principes avoués par la raison ont été consacrés par plusieurs arrêts sur les conclusions de M. Merlin, notamment par l'arrêt rendu le

(1) Mais il faut bien remarquer qu'un pareil jugement n'empêchę point les juges civils d'accorder à la partie lésée des dommages et intérêts à raison des mêmes faits considérés comme quasi-délits. Vid. sup. n°. 34 bis. Car dire qu'il n'y a point de délit, que l'accusé n'est pas coupable du délit qu'on lui imputait, ce n'est pas dire qu'il n'est pas coupable d'imprudence, ou de quasi-délit. Ainsi pour que le jugement d'absolution ait une influence nécessaire sur l'action civile, il faut qu'il porte qu'il n'y a point de corps de dělit, que le fait n'a point existé, et non que le fait n'est pas constant, ou qu'il n'est pas un délit. C'est dans le cas où il est jugé qu'il n'y a point de corps de délit que le jugement préjuge nécessairement l'action en dommages et intérêts.

17 mars 1813, dans l'affaire portée à la Cour de cassation, par Tourangin, contre Charret (1); affaire dans laquelle la chambre correctionnelle de Bourges avait jugé in terminis que non seulement Charret n'avait commis ni vols ni escroquerie chez Tourangin, mais qu'il n'existait pas de corps de délit.

(1) Cet arrêt est rapporté, avec les conclusions de M. Merlin, dans le XVe, vol. de sa 4o, édition du Répertoire de jurisprudence, pag. 499. Voici les considérans relatifs à la question qui nous occupe. « Sur le second moyen, que le demandeur fait résulter de 2 ce qu'il n'a pas été partie dans l'arrêt de la chambre correction> nelle, qui a renvoyé le sieur Charret de la plainte en vols, et que ▷ dès-lors cet arrêt ne pouvait lui être opposé; considérant que le > ministère public est seul partie capable pour poursuivre les crimes » et délits; qu'il les poursuit aux périls, risques et fortune de tous ceux qui y sont intéressés, lorsqu'ils ne se rendent pas par> ties civiles, et que le jugement qui intervient avec lui ne peut » jamais être attaqué par les parties privées; que cela résulte nécessairement de l'art. 3 du Code d'instruction criminelle, por> tant que l'exercice de l'action civile.... est suspendu, jusqu'à ce que l'action publique ait été définitivement jugée; que, d'après ▷ cette disposition, l'action publique est évidemment préjudicielle » à l'action publique, et que dès-lors le jugement qui intervient > sur l'une, même en l'absence de la partie privée, ne peut ne pas avoir l'autorité de la chose jugée sur l'autre ; qu'ainsi, dans » l'espèce, un arrêt de la chambre correctionnelle de le Cour de » Bourges, ayant jugé, sur la poursuite du ministère public, que > le sieur Charret n'avait commis ni vol ni escroquerie chez le sieur Tourangin, cet arrêt a acquis, vis-à-vis de ce dernier, l'au»torité de la chose jugée Sur le troisième moyen résultant de > ce que l'obligation du 9 juillet avait une cause bien connue » puisqu'elle avait été souscrite pour réparations de vols .commis par le sieur Charret,...; considérant que la chambre correction» nelle ayant jugé in terminis que non seulement le sieur Charret » n'avait commis ni vols ni escroquerie, mais même qu'il n'existait pas de corps de délit, etc. v

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Voyez encore les conclusions de M. Merlin, et l'arrêt intervenu deus l'affaire du sieur Caperan, ubi sup., pag. 500 et suiv.

Il nous reste à examiner la troisième manière de prononcer, c'est-à-dire, quand il a été décidé que le prévenu est coupable. Le jugement qui condamne à la peine prononcée pour la vindicte publique, a-t-il, sur l'action civile portée dans un tribunal civil, une influence telle que le condamné ne puisse plus se défendre en soutenant son innocence et en demandant à prouver? Les juges civils sont-ils forcés de repousser une demande si favorable, quelques preuves qu'il donne ou qu'il offre de donner de son innocence? Voilà ce qui nous paraît aussi contraire à la raison qu'aux principes de droit et à ceux de l'humanité.

Tâchons donc de peser les motifs de l'opinion contraire, professée par M. Merlin (1). Supposons qu'un meurtre a été commis ; c'est l'exemple qu'il donne. Si le meurtrier est déclaré coupable, la veuve et les enfants de l'homicide pourront, dit-il, même sans avoir paru dans le procès criminel, s'emparer du jugement qui aura con.. damné le prévenu aux peines portées par la loi, et faire valoir ce jugement devant le tribunal civil, pour obtenir des dommages-intérêts ; c'est la disposition expresse de l'art. 359 du Code d'instruction criminelle. Jusques-là nous sommes d'accord. Oui, sans doute, la partie lèsée peut, pour obtenir des dommages-intérêts, faire valoir devant le tribunal civil le jugement qui condamne le prévenu, sauf les défenses de celui-c.

(1) Dans le XVe, vol. de la 4o, édition du Répertoire; v. Non bis in idem, §. 15, pag. 493.

pu de ses héritiers, si c'est contre eux que l'action civile est formée.

Mais M. Merlin va plus loin, et prétend que le condamné n'est pas recevable à soutenir pour sa défense, et à prouver qu'il n'est pas coupable, et qu'il a été injustement condamné. C'est cette opinion que nous ne saurions partager, et qui nous paraît une erreur, Voici comme M. Merlin essaie de la prouver.

L'art. 3 du Code d'instruction criminelle dit que l'exercice de l'action civile, quand elle est poursuivie séparément, est suspendu tant qu'il n'a pas été prononcé définitivement sur l'action publique.

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Pourquoi cela, dit M. Merlin? C'est que » l'action publique est préjudicielle à l'action » civile. >> Nous sommes encore d'accord sur ce point: l'action publique est préjudicielle. Mais il tire de là une conséquence trop étendue, et qui nous paraît fausse parce qu'elle est générale. « C'est, par conséquent, poursuit-il, que l'action » civile doit réussir, si l'action publique réussit, » et échouer, si l'action publique échoue; c'est, » par conséquent, que le jugement à rendre sur. » l'action publique recevra à l'action civile une » application nécessaire et forcée,

>> Il n'importe que, sur l'action publique, le » prévenu soit condamné ou absous. S'il est con» damné, il ne sera plus recevable à soutenir » devant le tribunal civil, lorsqu'il y sera tra» duit par la partie privée, qu'il n'est pas cou»pable du délit dont elle lui demande la réparą

>>tion; nous avons déjà vu que l'article 359 le « décide ainsi textuellement. »

Nous avons déjà démontré que l'influence attribuée par M. Merlin au jugement de l'action préjudicielle sur l'action qu'elle suspend, est évidemment trop étendue. Le jugement de l'action préjudicielle peut, en effet, entrainer quelquefois le jugement de la seconde action, ou plutôt ánéantir cette action même ; c'est pour cela que le jugement est suspendu,

Mais le jugement de l'action préjudicielle n'a souvent sur l'action suspendue d'autre effet que de la rendre au cours ordinaire des choses. Nous l'avons prouvé en examinant le cas du prévenu d'un délit forestier, qui allègue pour sa défense que la forêt lui appartient; c'est l'exemple d'ac¬ tion préjudicielle choisi par M. Merlin. Si la question de propriété est jugée en faveur du prévenu, l'action correctionnelle n'est pas seulement préjugée; elle est anéantie, parce qu'il n'y a pas de délit.

Mais si la prétention de propriété, formée par le prévenu, est rejetée, l'action correctionnelle n'est nullement préjugée; elle cesse seulement d'être suspendue ; elle est rendue à son cours ordinaire, sauf les moyens respectifs de part et d'autre. Le fait qualifié délit est-il constant, forme-t-il réellement un délit, le prévenu en est il l'auteur, a-t-il des moyens d'excuse, etc. ? Aucune de ces questions n'est préjugée; le jugement de l'action préjudicielle n'influe en rien sur ces questions.

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