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d'autre tellement balancées, qu'il fût difficile de voir clairement lesquelles doivent l'emporter, ce n'est pas un motif pour autoriser les juges à prononcer arbitrairement; les lois romaines leur tracent, en ce cas, des règles sages et fondées sur la raison.

La première, est qu'il faut prononcer contre le demandeur chargé du fardeau de la preuve. Actore non probante, is qui convenitur, licet ipse nihil præstet, obtinebit. L. 4, Cod. de Edend. 4, 1. Pourquoi cela? Parce que nul homme n'est obligé envers un autre qu'en vertu de son consentement et d'une loi précise. Si ce consentement n'est pas prouvé, si les preuves en sont douteuses, il reste dans l'état où l'avait placé la nature, libre de toute obligation. Telle est la véritable raison, la raison première de la loi 47, ff. de Oblig. et act., qui porte: Arrianus ait, multum interesse quæreas, utrum aliquis obligetur, an aliquis liberetur? Ubi de obligando quæritur propensiores esse debere nos, si habeamus occasionem, ad negandum. Cette occasion, c'est le cas où les preuves sont douteuses. Voyez Cujas et Brunnemann sur cette loi.

La seconde règle, qui n'est qu'une conséquence ou un développement de la première, est que, dans le doute, on doit prononcer en faveur de la libération. Ubi de liberando (agitur) ex contrario, ut facilior sit ad liberationem. Remarquez toujours que cette facilité n'est autorisée que dans les cas où les preuves laissent du doute. Mais supposons que l'obligation soit clairement

prouvée, par acte authentique, si l'on veut, le débiteur la reconnaît: il prétend seulement qu'il est libéré, mais les preuves qu'il en donne ne sont pas concluantes; elles laissent du doute dans l'esprit du juge, quoiqu'elles soient de nature à ébranler la croyance d'un homme raisonnable. Que fera le juge? Le défendeur n'a point prouvé son exception; c'était à lui de la prouver, partibus actoris fungebatur. La preuve de l'obligation continue donc d'être existante; elle n'est pas détruite. Faut-il donc prononcer de suite en faveur du demandeur? Non. Il faut considérer que le doute qui s'élève sur la libération, se répand nécessairement sur l'obligation; car s'il reste douteux que le défendeur soit libéré, il reste douteux qu'il soit obligé. Il faut donc prononcer en faveur de la libération (1).

41. Les jurisconsultes romains étendaient l'application de ces règles aux cas mêmes où les juges se trouvaient partagés d'opinion; il en résultait que la question était douteuse : le partage était alors en faveur du défendeur. Inter pares numero judices, si dissonæ sententiæ proferantur, in liberalibus causis..... pro libertate statutum obtinet; in aliis causis pro reo, L. 38, ff. de Re judic. 42, 1. Dans notre droit français, et en matière civile, lorsqu'il y a partage d'opinions entre les juges, on appelle un ou plusieurs autres juges ou jurisconsultes en nombre impair, et

(1) Ou plutôt c'est le cas d'ordonner le serment supplétoire, suivant l'art. 1367. Vid. le no. 42.

l'affaire est plaidée ou rapportée de nouveau. Voyez articles 108 et 468, Code de procéd. Ainsi notre législation est moins favorable que la Romaine, au principe que, dans le doute, il faut prononcer en faveur du défendeur.

42. Nous verrons dans la section V ci-après, que l'insuffisance des preuves autorise les juges à déférer le serment supplétoire, même au demandeur, et nous examinerons ce qu'on doit penser de cette doctrine si avantageusement combattue par des jurisconsultes d'une grande autorité (1).

43. La règle que, dans le doute, il faut absoudre le défendeur, et rejeter la demande qui n'est pas suffisamment vérifiée, doit, si l'on en croit certains interprètes du droit canonique et même du droit civil, fléchir, dans certaines causes, en faveur de certaines personnes. Telles sont les causes appelées pieuses, causæ piæ, celles des églises, des hôpitaux, des personnes misérables, des pauvres, les causes d'aliments, etc. etc., car le nombre de ces causes n'était pas déterminé. Des auteurs prétendent que, dans le doute que les preuves peuvent laisser, il faut prononcer en faveur du demandeur qui soutient une cause de cette nature. Voyez Boehmer, exercit. de Collisione probationum, cap. 1, §. 17.

C'est une fausse doctrine, une doctrine que tout homme juste doit détester. C'est arracher le bandeau de la justice, pour déterminer ses arrêts

(1) Voyez Boehmer, in titulum & de Probat.; Heineccius, Dissertatio de Lubricitate jusjurandi suppletorii.

par des considérations qu'elle ne doit pas voir. C'est lui donner deux poids et deux balances, pour lui faire juger la même cause différemment, suivant la qualité des personnes. Il est sans doute bien odieux et bien haïssable, ce riche avare et dur, qui dispute à un malheureux des aliments que la religion et la charité devraient s'empresser d'accorder; mais s'ils sont réclamés à titre de justice, la justice seule doit être écoutée. Son bandeau cache à ses yeux les richesses et la dureté du défendeur ; et si la demande n'est pas prouvée, reus obtinebit..

Cette fausse doctrine que, dans les cas douteux, on doit faire fléchir la règle en faveur de certaines personnes ou de certaines causes, a égaré quelques auteurs au point d'admettre qu'il existe des cas où l'amitié peut faire pencher la balance, casus pro amico (1). Le magistrat intègre, dont l'esprit formé par de profondes études est mûri par l'àge, par la connaissance des hommes et l'habitude des affaires, ne rencontre point de cas où sa sagacité n'aperçoive, dans les faits, dans les preuves, dans les circonstances de sa cause, in visceribus causæ, des raisons légitimes de décider, sans écouter ses affections particulières, sans s'abandonner à l'arbitraire: il sait découvrir la verité, malgré les ténèbres dont on l'enveloppe (2). Mais enfin si, après un examen appro

(1) Vid. Voet, de Judic., no. 52; Prost de Royer, vo. Ami. Amitié.

(2) Voyez d'Aguessean, Discours sur la science du magistrat.

fondi, les preuves lui paraissaient insuffisantes de part et d'autre, il sait que son devoir l'oblige à rejeter une demande qui n'est pas prouvée.

SECTION Ire.

De la preuve littérale.

SOMMAIRE.

44. La preuve littérale se réduit, en dernière analyse, à la preuve testimoniale, ou à l'aveu de la partie intéressée.

45. C'est l'acte authentique qui donne à la preuve littérale son plus grand degré de force.

46. Signification propre et primitive du mot acte, id quod

actum est.

47. On emploie ce mot par métonymie, pour signifier ce que

les Latins appelaient instrumentum, l'écrit destiné à conserver la mémoire des faits ou de la convention, qui y sont consignés.

48. Inconvéniens de l'équivoque que fait naître la double signi– fication du mot acte. Exemple à la note.

49. Le mot contrat pris quelquefois pour l'acte ou l'écrit destiné à servir de preuve au contrat.

50. Différence entre la signification du mot titre et du mot

acte, employés indifféremment dans la section suivante. 51. La diversité des faits et des conventions consignés parécrit, a fait donner différents noms aux actes. Leur division en judiciaires et extrajudiciaires.

52. Il ne s'agit point dans ce chapitre des conditions intrinsèques requises pour la validité des conventions, mais des formalités extrinsèques requises pour donner la forme pr bante aux actes ou écrits dans lesquels les conventions sont consignées.

44. Ce n'est que par le témoignage d'autrui que nous pouvons connaître les faits dont nous

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