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>>nies de faire directement; que le gain de ce privilége >> exclusif a été pour la France, et que les colons ne doi>> vent qu'à eux seuls l'idée de l'affranchissement, de ce >> pacte heureux qui rétablit un esclave dans les droits » de l'humanité, qui donne au maître le moyen de satis>> faire sa justice ou un sentiment de générosité qui >> tourne au profit de l'esclave et qui ajoute à la force >> politique des colonies, etc. »

Si les colons français ont trouvé l'esclavage déjà établi par les Espagnols, ils ont trouvé aussi l'affranchissement en cours d'exécution, un siècle avant leur établissement à Saint-Domingue. Ce n'est donc pas à eux que l'on peut attribuer l'initiative de cette mesure réparatrice, qui rétablit un esclave dans les droits de l'humanité, mais aux Espagnols. Mais, n'est-il pas vrai aussi que le code noir disait : Octroyons aux affranchis les mêmes droits, priviléges » et immunités dont jouissent les personnes nées libres; >> voulons qu'ils méritent une liberté acquise, et qu'elle >> produise en eux, tant pour les personnes que pour » leurs biens, les mêmes effets que le bonheur de la liberté >> naturelle cause à nos autres sujets. Déclarons les affran>> chissemens faits dans nos îles leur tenir lieu de nais»sance dans nos îles; et les esclaves affranchis n'avoir >> besoin de lettres de naturalité pour jouir des avanta>> ges de nos autres sujets dans notre royaume, terres et >> pays de notre obéissance, encore qu'ils soient nés dans pays étrangers. >>

» les

Ces dispositions libérales n'étaient autre chose que l'adoption par le monarque français, des dispositions des lois espagnoles du 15 avril 1540, 31 mars 1563, 26 octobre 1641.

Que voulait donc le code noir, dans cette partie si favorable à l'affranchissement des esclaves? Evidemment, la fusion des deux races d'hommes qui habitaient les colonies françaises, par les avantages accordés à ceux qui parvenaient à la liberté. En cela, ce code développait les principes du christianisme qui enseigne aux hommes à se considérer comme des frères; plusieurs de ses articles témoignent de cette louable préoccupation du législateur, notamment celui qui est relatif à l'observation des dimanches et des fêtes, 'où le maître ne pouvait, ou plutôt ne devait exiger aucun travail de ses esclaves, et celui qui prescrivait le mariage entre l'homme libre et la femme esclave dont il aurait eu des enfans.

Mais, si les premiers administrateurs des colonies se montrèrent disposés à seconder les vues du gouvernement royal à cet égard, leurs successeurs ne furent que trop empressés à adopter les préjugés nés dans ces pays lointains, par l'effet de cette corruption morale que l'esclavage engendre. La plupart d'entre eux, partageant les idées matérialistes qui ont signalé le siècle de Louis XV, étant grevés de dettes ou officiers sans fortune, avaient un intérêt puissant à favoriser les injustices des colons. On peut même dire qu'à mesure que les sentimens religieux perdaient de leur empire dans la nation française, tous les vices qui résultent de l'égoïsme, de la cupidité, de l'avarice, gagnaient les cœurs des dominateurs des colonies. Pour s'en convaincre, il suffit de comparer les colonies françaises à celles de l'Espagne, où les hommes de la race africaine ont toujours été mieux traités, par l'influence de la religion '. Et de nos jours, n'est-ce pas à

1 « Il est bien constant que les Espagnols n'ont jamais connu les distinctions

» de couleur; car, dans les possessions espagnoles, les blancs, les hommes de

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l'esprit religieux que la Grande-Bretagne a dû l'honneur d'être entrée si franchement, si libéralement dans la voie de l'émancipation de cette race? La commission française, formée en 1840, a démontré cette vérité d'une manière incontestable, dans son lumineux rapport de 1843. Mais, si les prêtres catholiques eux-mêmes, à SaintDomingue, oublièrent leur mission sur la terre pour devenir possesseurs d'esclaves, pour pratiquer tous les vices qui régnaient dans cette colonie, il n'est pas étonnant que les gouverneurs, les intendans, les magistrats aient subi l'influence de l'atmosphère corruptrice où ils vivaient.

Lorsqu'on lit les réflexions judicieuses de Moreau de Saint-Méry, sur les actes qui honorent les hommes de la race noire, qu'il reconnaît susceptibles de sentimens élevés, en qui il démontre l'intelligence qu'on leur déniait', lorsqu'on lit les passages où cet esprit éclairé proclame l'utilité de ces hommes pour la prospérité matérielle des colonies, leur dévouement à la métropole et à Saint-Domingue même, on ne peut que déplorer l'aveuglement du préjugé de la couleur (qui dégrade encore plus ceux qui s'en font une sorte de religion politique que ceux qui en sont l'objet), en apprenant qu'il n'a pas montré dans sa conduite, en France,

» couleur et les noirs libres parviennent indistinctement aux emplois civils, » militaires, et même ecclésiastiques; car il y a des noirs revêtus de l'épiscopat » dans leurs possessions de l'Amérique du Sud.» (Paroles de Sonthonax aux Débats, t. 2, p. 112.)

1 « Des hommes, dit-il, tels que Lasneau (mulâtre) accusent de rigueur un » préjugé qui ne leur permet jamais, ni à leur descendance, l'espoir de se con>> fondre avec ceux dont une noble et généreuse hospitalité, et une conduite » que tout le monde estime, les rapproche sans cesse. » (Description de SaintDomingue, t. 2, p. 794.)

cette sensibilité dont il a fait preuve dans son ouvrage En effet, Moreau de Saint-Méry s'est réuni aux autres colons du club Massiac, à Paris, et aux membres de la députation coloniale, pour s'opposer aux démarches que faisaient, auprès de l'assemblée nationale constituante, les commissaires des affranchis, dans le but d'obtenir leur assimilation aux blancs, comme le voulait le code noir. Dans le bureau de la députation particulière de Saint-Domingue, en 1789, il a protesté contre l'imputation qui lui avait été faite, de s'être montré favorable à l'abolition de la traite et à l'affranchissement des esclaves, en faisant remarquer qu'il n'avait pas fait la motion, même pour améliorer leur sort. Il s'est fait ensuite un mérite d'avoir réfuté le plaidoyer de l'abbé Grégoire en faveur de l'admission des gens de couleur à l'assemblée nationale; il a encore publié des écrits contre la société des Amis des noirs, dans le même but.

Eh bien que prouve cette conduite indigne d'un homme éclairé?

C'est que les colons, créoles ou Européens, comme nous l'avons dit, ont toujours été les persécuteurs de la race noire, les provocateurs des actes de la métropole par lesquels la condition malheureuse de cette race s'est de plus en plus aggravée.

Moreau de Saint-Méry était créole et député de la Martinique, membre du conseil supérieur de SaintDomingue, propriétaire dans ces deux îles, par conséquent colon, d'un de ces privilégiés de la peau qui,

1 Dans l'avertissement mis en tête d'une adresse de la société des Amis des noirs à l'assemblée nationale, en date du 4 avril 1791, Clavière, membre de cette société, dit :

« Nous dévoilerons complétement ce colon (Moreau de Saint-Méry) dont les

malgré leurs lumières, subissaient l'influence du préjugé qu'il dénonçait lui-même à la raison, étant intéressé au maintien de la condition servile des opprimés: il n'admettait aucune transaction avec le siècle éclairé qui appelait tous les hommes à une complète régénération.

Moreau de Saint-Méry, enfin, était de la classe des Cocherel', des Boursel, des Hilliard d'Auberteuil, des Gouy d'Arcy, des Page, des Brulley, des Dillon, des Pons, etc., etc. Ce dernier disait, dans une brochure qu'il a publiée en 1790:

« Les efforts de la société des Amis des noirs, dont >> l'enthousiasme mal entendu trouvait dans les prin»cipes de l'assemblée nationale, les moyens de propager >> sa doctrine, ajoutaient encore aux dangers auxquels >> nous étions exposés. Les colonies ne peuvent exister » sans la traite; l'expérience a démontré que leur des>>truction totale serait la suite de l'affranchissement des >> noirs...

C'était le règne des principes que redoutaient les colons! Aussi ont-ils mis tout en œuvre pour faire comprendre à l'assemblée nationale constituante que la

» traits du visage et la couleur de la peau font soupçonner une double trahi» son celle des droits de l'homme et de ses frères proprement dits..... » Et en note: « Si le sang africain ne coule pas dans les veines de M. Moreau, ce » qui est problématique, etc. »

1 Brissot, adressant une lettre à Barnave, en novembre 1790, y dit :

« Il est tel député des îles à l'assemblée nationale (MM. Moreau de Saint>> Méry et Cocherel, par exemple), qu'il est impossible de distinguer des mu» lâtres. On m'assure que dans les assemblées coloniales, et dans les places les >> plus distinguées, il existe de vrais sang-mêlés, mais qui ont su déguiser » leur origine. Croirait-on que ces frères des mulâtres sont les plus ardens et >> les plus hautains de leurs ennemis?..... >>

Cela se conçoit fort bien, parce que, déguisant leur origine, ils se montraient plus acharnés, pour que l'on ne pût pas la soupçonner: calcul infâme, mais logique!

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