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ordonna qu'il serait sursis à l'expédition des deux précédens qui furent renvoyés à l'examen des comités de marine et des colonies.

Cependant, déjà le ministre Monge les avait expédiés. Polvérel les reçut par une dépêche qui lui fut adressée particulièrement, à la date du 18 mars '.

Mais, il ne suffisait pas aux colons d'avoir obtenu le sursis dont nous parlons. Page et Brulley continuèrent d'assiéger le comité de marine et des colonies et le comité de salut public, et chacun de leurs membres en particulier, afin d'entraver les mesures du gouvernement et de le porter à des résolutions qui eussent été funestes à la colonie, s'ils avaient été écoutés. Dans une des nombreuses notes qu'ils remirent aux comités, Page proposait ce qu'on va lire.

Observations préliminaires.

Les mesures politiques valent mieux que les mesures coactives. Un bon décret vaut à lui seul une armée.

Aperçu d'un projet de décret convenable.

1° Chaque colonie fera sa législation et règlera son administration intérieure.

2o Les rapports extérieurs de chaque colonie seront réglés par la convention nationale.

3o Le commerce entre la France et les colonies sera franc, libre et exempt de tous droits.

4° Tous décrets antérieurs sont révoqués, excepté celui du 28 mars 1792, quant aux dispositions qui établissent l'égalité politique entre les hommes de couleur et les blancs.

5o Sonthonax, Polvérel et Delpech sont mis hors la loi.

6o Le comité de salut public prendra les mesures convenables pour

1 Débats, t. 6, p. 182, 183 et 205.

Ces décrets lui parvinrent au commencement de mai 1793, d'après Sonthonax. De cette époque jusqu'au mois de juin 1794, les commissaires ne recurent aucune communication officielle du gouvernement français.

faire exécuter le présent décret et pour porter secours et protection à Saint-Domingue.

Il proposait ensuite les mesures qu'il jugeait convenables. Parmi elles, six mille hommes de troupes, surtout le 9° régiment dit de Normandie, que Blanchelande avait renvoyé en France; la mise en réquisition des colons qui étaient en France, dont le civisme serait connu; la séquestration, au profit des défenseurs de la colonie, du revenu de ceux des colons suspects; des canonniers, de l'artillerie, des armes, des munitions, deux mille chevaux de selle et de trait à prendre aux Etats-Unis, etc. Enfin, organiser à Saint-Domingue un directoire de douze membres, dont six à la nomination du comité de salut public et les six autres à celle des colons. Et les instructions à donner à ce directoire seraient :

1° De traiter avec une égalité parfaite les citoyens, sans distinction de couleur.

2o De tenir les troupes en haleine et de ne jamais les fatiguer.

3o D'entretenir des espions parmi les révoltés (les noirs), de connaî tre les blancs qui dirigent leurs mouvemens, et mettre leurs têtes à prix. De corrompre, égorger ou empoisonner les chefs de la révolte. De traiter avec les récoltés et leur proposer l'invasion de la Jamaïque.

Telles étaient les propositions et les maximes immorales professées par ces hommes altérés du sang de leurs semblables. Robespierre lui-même recula devant leur application.

On peut fort bien croire que, si Page proposait de mettre à prix les têtes des blancs comme lui, de corrompre, égorger ou empoisonner les chefs noirs des

révoltés, il ne réservait pas sans doute un meilleur sort aux mulâtres et nègres libres.

Toutefois, si ces propositions ne furent pas acceptées, c'est à l'une d'elles qu'on doit attribuer la résolution prise par la convention, de décréter d'accusation Polvérel, Sonthonax et Delpech '.

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En possession des instructions ministérielles qui leur parvinrent avant les décrets, Polvérel et Sonthonax rendirent leur proclamation du 5 mai 1793, datée du Port-au-Prince, qu'ils firent publier en français et en langage créole, pour être plus à la portée de ceux qui en étaient l'objet. Lisons les motifs et le dispositif de cet acte, pour pouvoir apprécier la conduite de ces deux commissaires en cette circonstance.

<< Ce n'est pas chez les esclaves qu'il faut chercher

1 Lorsqu'aux Débats, Sonthonax produisit cette pièce émanée de Page personnellement, ce colon ne rougit pas de défendre ses horribles propositions, en prétendant qu'il était d'usage, à la guerre, d'entretenir des espions parmi ses ennemis. « Je recommandais, dit-il, de corrompre, d'égorger ou d'empoi » sonner les chefs de la révolte. Eh bien! si les gouvernemens ne publient pas >> ces maximes, ils les pratiquent.... >>

« A l'ordre! A l'ordre ! » repartit vivement Garran de Coulon, président de la commission des colonies. « Les mauvaises maximes sont pires que les crimes » eux-mêmes; elles sont capables de pervertir la morale publique; il n'est pas >> permis de s'en servir, même pour sa justification. »

Après Page, Brulley, qui fit observer qu'il ne signa pas cette pièce, voulant cependant justifier les maximes professées par son collègue, eut l'infamie de dire : « J'étais malade ou absent quand cet écrit fut présenté. « Je l'au» rais signé sans cela, ou j'y aurais fait quelques modifications. Mais si je >> vous disais, citoyens, que l'on n'aurait alors usé que de représailles......... »

«Je te rappelle à l'ordre, répondit Garran : on ne peut pas empoisonner, » même par représailles...... Tu ne peux pas justifier de pareilles représailles : >> c'est corrompre la morale publique... On ne peut pas enseigner la théorie » de l'empoisonnement (a). »

Qu'on est heureux de pouvoir citer des paroles aussi mémorables, de la part d'un défenseur des droits de toute l'espèce humaine, à côté des maximes perverses des colons qui n'avaient de respect pour les droits d'aucun homme, pas même pour ceux des blancs comme eux !

(a) Débats. t. 5, p. 139 à 151.

» les causes de leur insurrection; ce n'est ni pour eux ni » d'eux-mêmes qu'ils se révoltent ils ne font que céder » à des impulsions étrangères. Leurs agitateurs, leurs » meneurs n'ont rien de commun avec le sang africain : » ce sont des Français, fils de Français, citoyens de Saint>> Domingue, qui ont voulu que la colonie fût détruite, >> ou que du moins elle cessât d'exister pour la France; » ce sont eux qui, après avoir excité la guerre des gens » de couleur, pour faire égorger les hommes libres les » uns par les autres, ont armé les esclaves contre les » hommes libres pour achever d'exterminer à Saint-Do» mingue toutes les ramifications, toutes les nuances de la » race européenne. Veut-on encore des preuves de » cette vérité depuis longtemps reconnue? Il n'a fallu » que la fuite de Borel et de sa horde pour ramener >> au devoir les esclaves insurgés de la Croix-des-Bou>>quets. C'est donc sur des têtes libres qu'il faut frapper, » si l'on veut faire cesser les insurrections des esclaves. >> Mais comment est-il si facile aujourd'hui de faire > circuler et adopter des projets de révolte dans les > ateliers? C'est que les ateliers sont mal surveillés, mal » contenus; c'est que les esclaves sont traités avec inhuma»nité; c'est qu'on n'exécute ni les lois qui obligent » les propriétaires à tenir sur leurs ateliers un nombre » de surveillans proportionné à celui des esclaves, ni > celles qui ont pourvu au bon traitement des esclaves.

» Pour remédier à ces abus, nous n'avons pas besoin » de faire de nouvelles lois sur le sort des esclaves, >> mais seulement de rappeler et de faire exécuter sévère» ment les lois qui existent sur cette matière. »

1 Hélas ! que fera-t-on encore en 1799 et 1800?

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Tels sont les motifs de cet acte où les commissaires civils établissent clairement que le fait de la révolte des esclaves ne peut être imputé à ces malheureux, mais bien aux hommes libres, à des Français, les Européens, à des fils de Français, les colons. C'est sur leurs têtes qu'il faut frapper, disent-ils, si l'on veut faire cesser les insurrections des esclaves ils constatent de plus que les esclaves sont traités avec inhumanité, qu'on n'exécute pas les lois qui ont pourvu à leur bon traite

ment.

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Voilà donc les commissaires civils qui se présentent comme les protecteurs des infortunés qui gémissent depuis près de deux siècles sous les dures lois de l'esclavage. Que vont-ils ordonner en leur faveur? Passons au dispositif de cette proclamation.

Le 1" article remet en vigueur les ordonnances de Louis XIV, du mois de mars 1685 (code noir), de Louis XV, en 1724, et de Louis XVI, du 3 décembre 1784.

Ces différentes lois réglaient la police et la discipline des ateliers, qui sont maintenues par la proclamation du 5 mai, sauf quelques modifications dont le but est d'assurer aux esclaves l'exécution des dispositions favorables qu'elles contenaient et qui n'étaient pas toujours suivies par les maîtres. Ainsi, l'empêchement mis aux travaux des dimanches et fètes; l'assignation d'un petit terrain sur chaque habitation à chacun des esclaves, pour la plantation de vivres et de légumes à son profit personnel; l'obligation imposée aux propriétaires de faire des plantations de vivres spéciales pour garantir les esclaves de la disette; de délivrer tous les ans à chacun d'eux deux habillemens, appelés rechanges

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