Page images
PDF
EPUB

aux îles du vent; mais il autorisait aussi ces commissaires à passer à Saint-Domingue pour se réunir à Polvérel et Sonthonax, maintenus dans leurs fonctions par une exception honorable, fondée sur leur patriotisme reconnu. Or, si ceux des îles du vent avaient le pouvoir de destituer les chefs militaires, ceux de Saint-Domingue l'avaient aussi. Mais, en leur adressant le décret du & novembre, le conseil exécutif leur disait par une lettre : « Si vous » soupçonnez des fonctionnaires publics, civils ou militai» res, d'être dans des opinions contraires aux principes » de la France, destituez-les: la République ne fait grâce >> à aucun de ses ennemis. » Nous avons vu en outre que le décret du 6 mars 1793 les autorisait à prendre toutes les mesures qu'ils jugeraient nécessaires à la défense de la colonie contre ses ennemis intérieurs et extérieurs ; et que celui du 5 mars enjoignait aux gouverneurs généraux et autres agens militaires d'obéir à toutes leurs réquisitions.

En vertu de ces pouvoirs, Polvérel et Sonthonax prirent la résolution de destituer César Galbaud et d'ordonner sa déportation en France. Cependant, ils avaient voulu lui épargner l'humiliation de cette destitution, en le portant à donner sa démission: il s'y refusa. Cette destitution eut lieu le 12 juin.

En ce moment, les commissaires civils eurent connaissance d'une proclamation, du 7 juin, de Don Gaspard de Cassassola, colonel et commandant général des troupes espagnoles formant le cordon de la frontière du Nord, autorisé par le gouverneur Don J. Garcia. Cette proclamation était rédigée dans le sens de la dépêche ministérielle de Pedro Acuña, que nous avons rapportée plus avant; elle disait, entre autres choses, aux habitans de Saint-Domingue :

T. II.

11

« Je suis chargé de leur dire que leur félicité ou leur der>nière et irrémédiable ruine dépend d'eux-mêmes et de » leur gouverneur... M. le général Galbaud étant une per>> sonne caractérisée par ses connaissances militaires, sa prudence et sa politique..., M. Galbaud, faisant sans doute » usage de ses talens et de ses sublimes connaissances, réfléchira sur sa position critique et sur le parti le plus »sage et le plus convenable qu'il doit prendre.... »

[ocr errors]
[ocr errors]

Cet acte d'un ennemi voisin des frontières françaises éclaira les commissaires civils sur les manoeuvres qui se tramaient par le gouverneur, qui avait déjà envoyé son frère visiter les postes placés sur ces frontières. Ces commissaires, voyant Galbaud s'opposer au départ de la flotte qu'ils voulaient envoyer en France, reconnurent alors la nécessité d'avoir une explication avec lui, afin de s'assurer s'il était réellement décidé à ne pas obéir à leurs réquisitions. Sa réponse fut affirmative sur ce point, tant verbalement que par écrit; il leur déclara qu'il ne pouvait se regarder comme l'instrument passif des commissaires civils. Ceux-ci l'interpellèrent sur la question relative à sa qualité de propriétaire : il ne put leur fournir des preuves écrites que le conseil exécutif avait passé outre sur cet obstacle opposé par la loi du 4 avril; et il les pria alors de faire exécuter cette loi à son égard, et de l'autoriser à s'embarquer avec sa femme et ses enfans.

Sa lettre du 12 juin à ce sujet montre moins de soumission à la loi que de faiblesse dans le caractère. Après avoir dit aux commissaires civils que son frère obéira sans difficulté aux ordres qui lui seront donnés de retourner en France, il ajoute : « Quant à moi, citoyens, je vous sup » plie de nouveau de me permettre de repasser en France; »je ne puis être d'aucune utilité dans la colonie ; j'aime

[ocr errors]

» ma patrie par-dessus tout, parce qu'elle m'a élevé au >> niveau de tous mes semblables. Je vous déclare que je

ne puis me regarder l'instrument passif des commissaires » civils, parce que les commissaires civils sont des hom»mes, et que je risquerais de me rendre coupable, si je promettais d'obéir aveuglément à tous les ordres qu'ils pourraient me donner.... Je vous supplie donc de m'au»toriser à m'embarquer avec ma femme et mes enfans. La

[ocr errors]
[ocr errors]

loi vous y autorise, puisqu'elle défend de donner aucun >> commandement dans la colonie aux propriétaires. D'après >> vos doutes, je regarde comme nul ce que je vous ai >> dit hier sur la conversation et ma correspondance mi»nistérielle. Rien ne vous force à me croire; tout vous » oblige à faire exécuter la loi.... »

[ocr errors]

A cette lettre, les commissaires civils firent une réponse où ils rappelaient à Galbaud les dispositions des diverses lois qui les autorisaient à exiger la soumission de son pouvoir militaire à leur autorité civile: ils la terminaient ainsi : « Dans ces circonstances, vous ne pouvez plus rester à Saint-Domingue; vous retournerez en >> France rendre compte de votre conduite à la conven» tion. Elle jugera, dans sa sagesse, si vous avez bien ou » mal mérité de la République pendant votre court sé>>> jour dans la colonie. » Cette réponse est du 13 juin. Galbaud répliqua le même jour à cette lettre, annoncant de nouveau sa soumission à leur détermination.

[ocr errors]

En conséquence, Polvérel et Sontbonax émirent une proclamation, le 13 juin, par laquelle ils le destituèrent pour tous les motifs allégués ci-dessus, et en tant que de raison, pour cause d'incivisme : ils lui ordonnèrent de se rendre dans le jour à bord de la gabare la Normande, pour y être consigné et conduit en France, et aller à la barre

de la convention nationale rendre compte de sa conduite. En recevant cet arrêté, Galbaud écrivit un billet, le 13 juin, où il promettait aux commissaires civils de s'embarquer le même jour : ce qu'il fit en effet.

Un très-grand nombre de navires de guerre et du commerce se trouvaient dans le port du Cap à cette époque : deux contre-amiraux s'y trouvaient également, Cambis qui avait le commandement comme plus ancien, et Sercey. Le premier s'était toujours conduit avec impartialité dans les troubles de la colonie, tandis que l'autre, étant aux Cayes, avait pris parti avec les blancs contre les hommes de couleur du Sud et y avait entraîné les équipages sous ses ordres. Tous ces navires de l'Etat se trouvant dans la colonie depuis 1790 ou 1791, leurs équipages, en général, s'étaient plus ou moins mêlés aux agitations populaires des ports où ils se trouvaient accidentellement étant d'ailleurs dans la même position sociale que la classe des petits blancs, acharnée contre celle des mulâtres, c'eût été un phénomène qu'ils n'eussent pas partagé sa haine pour eux. A ces causes naturelles, susceptibles d'introduire l'indiscipline dans les rangs des équipages, se joignaient des privations auxquelles ils étaient en proie: plus de deux années de solde leur étaient dues; l'insubordination était à son comble, et les officiers ne pouvaient la comprimer.

C'est dans de telles dispositions de la part de ces marins, déjà activement travaillés à la révolte, par les colons déportés par les commissaires civils de divers lieux de la colonie, mais se trouvant tous réunis sur des navires dans la rade du Cap, que César Galbaud et son frère le général se présentèrent en quelque sorte comme des

proscrits. Les agitateurs profitèrent de ce moment pour exciter un soulèvement dans la flotte. Parmi eux se trouvaient le chirurgien Ferté, septuagénaire, furieux habitant du Port-au-Prince, et quatre femmes déportées comme lui de cette ville, sur la dénonciation de la municipalité, pour avoir toujours pris part à toutes les agitations qui eurent lieu depuis le commencement de la révolution. Ces femmes étaient les dames Pommiers, Magnan, Chavanne (connue sous le nom de comtesse de Chavanne), et Martin: cette dernière avait joué un rôle infâme dans l'assassinat de Mauduit, dont elle mutila le cadavre d'une manière obscène. D'après ces honteux précédens, on peut juger si ces furies ne durent pas saisir l'occasion afin d'exciter les marins à de nouveaux troubles. Quant aux deux Galbaud, leur amour-propre blessé et humilié devait naturellement les porter aussi à la vengeance contre les commissaires civils et les hommes qui, fidèles à leur autorité, soutenaient ces agens de la métropole ces hommes étaient les mulâtres du Cap et ceux de l'Ouest qui avaient accompagné ces commissaires.

Dès l'entrée de Polvérel et de Sonthonax, les agitateurs suscitèrent des querelles entre les marins et les mulâtres. Le contre-amiral Sercey qui avait été témoin, au Port-auPrince, des égards et de la considération des commissaires pour ceux de cette ville, et qui partageait les rancunes des déportés confiés à sa surveillance, loin de suivre les instructions qu'il avait reçues pour les contenir, favorisa leur mutinerie. De leur côté, les hommes de couleur n'avaient aucun motif pour se laisser vexer par ces misérables qui avaient toujours voulu leur extermination; et quoique moins nombreux au Cap que les marins de la

« PreviousContinue »