Page images
PDF
EPUB

les revenus en seront versés dans la caisse de l'administration; le trésorier comptable en rendra compte chaque année et distribuera à chacun sa part, suivant les proportions indiquées par l'article précédent et celles qui le seront ci-après.

12. Tout créancier présent ou absent qui ne réclamerait pas, dans une année pour tout délai, est déclaré déchu.

24. Il ne pourra être procédé au partage des habitations déclarées vacantes, entre les nouveaux propriétaires, qu'après l'estimation totale des dettes en capitaux et intérêts.

37. Seront admis à ce partage, comme guerriers, tous les nègres armés qui sont actuellement en état d'insurrection, qui remettront la république ou qui l'aideront à se remettre en possession desdits territoires avant d'y avoir été contraints par la force des armes, qui prêteront serment de fidélité à la république, et qui combattront pour elle jusqu'à la fin de la guerre extérieure et des troubles intérieurs.

38. La liberté leur sera irrévocablement acquise par le fait seul de la remise du territoire et de la prestation du serment de fidélité à la république; l'obligation de porter à l'avenir les armes au service de la république ne leur étant imposée que comme condition nécessaire pour être admis au partage des terres comme guerriers, ils pourront y être admis comme cultivateurs, quand même ils renonceraient au métier des armes, pourvu qu'ils remplissent d'ailleurs les conditions cidessus prescrites aux cultivateurs.

39. Toutes les possessions immobilières appartenantes à la couronne d'Espagne, aux nobles, aux moines et aux prêtres, dont la république fera la conquête, seront partagées de même entre les guerriers étant au service de la république à Saint-Domingue, et les ouvriers ou cultivateurs qui s'attacheront à leur exploitation.

40. Seront considérés et admis au partage, comme guerriers français, tous les Espagnols, tous les Africains insurgés, marrons ou indépendans, et tous autres individus, de quelque nation qu'ils puissent être, qui auront secondé les armes de la république, et qui auront contribué à lui faciliter la conquête de la partie espagnole.

41. Seront de même admis au partage, comme guerriers, tous citoyens armés de la province de l'Ouest, qui resteront pour défendre leurs foyers, tandis que leurs frères d'armes iront conquérir la partie orientale de l'île.

42. Seront déclarés libres, citoyens français, et admis au partage desdites terres, comme cultivateurs, tous les Africains marrons, insurgés ou indépendans, ainsi que tous les esclaves de la couronne d'Espagne,

des nobles, des moines et des prêtres espagnols, qui voudront s'attacher à la culture et à l'exploitation desdites terres.

43. Seront au surplus observées, dans le partage des terres de la couronne, des nobles, des moines et des prêtres, toutes les dispositions de ma précédente proclamation, relatives au partage des terres déclarées vacantes dans la province de l'Ouest.

44. Dans le cas où la commission civile jugera à propos de rendre ladite proclamation commune aux provinces du Nord et du Sud, il sera fait une seule masse de toutes les propriétés déclarées vacantes dans les trois provinces, et les guerriers et cultivateurs de la partie française, seront admis, sans distinction de provinces, à partager entre eux la totalité desdites propriétés déclarées vacantes, et des revenus en provenant, suivant l'ordre et aux conditions qui ont été prescrites depuis pour la province de l'Ouest.

On sent l'embarras qu'éprouvait Polvérel, en présence des intrigues ourdies contre la commission civile, par les ennemis intérieurs et extérieurs; car, à travers toutes les dispositions de sa proclamation du 27 août, on reconnaît les pénibles efforts qu'il fait pour trouver une solution à la crise dont la colonie est menacée. Esprit par trop systématique, il a conçu un plan de libération graduelle pour appeler successivement les esclaves à la liberté, en leur faisant mériter de l'obtenir; il voit ce plan contrarié par les événemens et par la perfidie des ennemis de sa patrie, et il s'y rattache encore; il semble ne pas concevoir que les esclaves qui se soulèvent de toutes parts sont aussi impatiens d'obtenir leur liberté, que les affranchis l'avaient été d'obtenir leur égalité avec les blancs. Alors qu'il dispose de beaucoup de propriétés des colons en faveur des diverses catégories d'esclaves qu'il déclare libres, il s'arrête devant la mesure de la liberté générale, comme si elle eût été plus condamnable que cette expropriation.

Une autre observation ressort de sa proclamation du

27 août : c'est cette espèce de décousu qui existe dans les opérations de la commission civile. Dans le Nord, Polverel et Sonthonax, après l'affaire de Galbaud, ont donné la liberté à un certain nombre d'esclaves, en suspendant la mesure dans l'Ouest et dans le Sud. Peu après ils l'étendent pour le Sud, en exceptant encore la province de l'Ouest; maintenant, Polvérel prend d'autres mesures pour cette province seule, en doutant si ses collègues voudront les appliquer dans les deux autres. L'unité d'action manque dans toutes ces opérations et prépare infailliblement les esprits au doute sur les pouvoirs des trois commissaires, à l'hésitation sur le parti qu'il faut prendre dans les conjonctures où se trouve la colonie, et enfin aux défections, aux trahisons en faveur des ennemis extérieurs. Que sera-ce bientôt, quand on verra ces commissaires se désapprouver mutuellement, à propos de la liberté générale devenue la seule mesure compatible avec l'état des choses, le seul moyen de se concilier et de s'attacher les masses pour défendre Saint-Domingue contre ses ennemis?

Dans le Nord, en effet, les événemens entrainaient Sonthonax à cette grande réparation aux injustices séculaires qui avaient pesé sur les noirs infortunés. Ceux qui habitaient la ville du Cap avaient été les premiers à se joindre aux hommes de couleur pour les défendre, ainsi que les commissaires civils, contre Galbaud et les blancs réunis; d'autres y étaient accourus dans le même but ils avaient plaidé en quelque sorte la cause de l'universalité de leurs compagnons d'infortune. Dans l'état fiévreux des esprits de la province du Nord, un blanc au noble cœur, Guillaume-Henri Vergniaud, pa

:

rent, dit-on, de l'illustre girondin, Vergniaud, que les commissaires civils avaient nommé sénéchal du Cap, voyant l'hésitation de ces commissaires à adopter la mesure de la liberté générale, conçoit le projet de la demander en se mettant à la tête de tous les noirs du Cap, sans armes, pour présenter une pétition à cet effet. Le 13 et le 15 août il adressa des lettres à Sonthonax, pour l'avertir de son projet et obtenir son assentiment.

[ocr errors]

«L'arbre de la liberté, dit-il, fut planté à Paris le » 14 juillet 1789, et tous les Français furent libres. Il fut planté au Cap le 14 juillet dernier, et nous sommes >> encore dans l'esclavage!... Ne sommes-nous pas des hom» mes? Au nom de l'humanité, cessez de lutter contre >> vos principes; ne vous laissez pas aller aux insinuations > perfides de quelques officiers de l'ancien régime, liber>>ticides par habitude, et par là même vos ennemis 1... >> Dites un mot, Saint-Domingue est heureux et libre... >> Quelques jours après, la commune du Cap, suivant les inspirations de son sénéchal et autorisée par la municipalité, s'assemble et rédige une pétition que signent 842 citoyens :

[ocr errors]

1

« Nous réclamons des droits, disent-ils, que toutes les puissances divines et humaines ne peuvent nous refu» ser, des droits que la nature elle-mème nous a concédés, les droits de l'homme, liberté, sûreté, propriété, >> résistance à l'oppression. La France les a garantis à >> tous les hommes. Ne sommes-nous pas des hommes ? Eh! quelle loi barbare a donné à des Européens le droit de

1 Vergniaud faisait allusion à Laveaux qui s'était brouillé avec lui et qui lui a gardé une rancune indigne de son courage militaire : nous en trouvons la preuve dans le compte-rendn de Laveaux. Ce sentiment de haine qu'il y manifeste contre Verguiaud, explique la haine qu'il porta aussi aux hommes de couleur en général.

» nous porter sur un sol étranger et de nous y consacrer à des » tortures éternelles? Vous nous avez expatriés, eh bien ! » que votre patrie devienne la nôtre; mais nous voulons >> être reconnus libres et Français! Nos maux vous sont » connus, citoyen.... faites-les donc cesser. Vous en >> avez le pouvoir, nous le savons. La convention natio>>nale vous a laissé l'arbitre de notre sort, par le décret » du 5 mars dernier.... »

La population du Cap, hommes, femmes et enfans, précédée du bonnet de la liberté, porta cette pétition à Sonthonax, le 25 août. Les femmes se jetèrent à ses pieds.

» Les citoyens du 4 avril, dit Dufay à la convention na>>tionale, dans son compte-rendu, le 16 pluviôse an II, en >> reconnaissance des services que leur avaient rendus les » noirs dans les journées des 20, 21 et 22 juin, où on » voulait les assassiner, et où les noirs les avaient si coura» geusement secourus, eurent la générosité (il aurait dû >> dire qu'ils furent assez justes) de se joindre eux-mêmes » aux noirs pour implorer le commissaire civil en faveur » de leurs défenseurs, et furent les premiers à offrir le >> sacrifice de leurs esclaves, à qui ils donnèrent la liberté. >> Mes frères, mes collègues, ont donné des premiers >> l'exemple.

[ocr errors]

Nous sommes heureux de pouvoir constater, par le témoignage de Dufay, témoin oculaire des faits, que les mulâtres et nègres libres du Cap reconnurent comme des blancs, la justice de cette sainte réclamation des droits de la nature en faveur des nègres esclaves. Dans l'Ouest, dans le Sud, il en fut de même. Les droits des uns et des autres étaient semblables, comme la couleur de leur peau. Sortis tous de l'esclavage imposé par les Européens à la race

« PreviousContinue »