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Oui, mon pays doit toujours se ressouvenir des noms de Brissot, de Vergniaud, de Gensonné, de Pétion, de Ducos, de Guadet, de Condorcet, etc. A côté de ces noms, il doit placer ceux de Clavière, de Grégoire, de Mirabeau, de Garran; car eux tous plaidèrent notre cause. La reconnaissance des services rendus est le sentiment qui honore le plus une nation.

Et ne doit-il pas joindre aux noms de ces dignes Français, celui du grand écrivain qui a consacré des pages éloquentes à l'histoire des Girondins? Dans cet ouvrage si palpitant d'intérêt, dans ses travaux parlementaires, il a également plaidé la cause des noirs. Lui aussi, noble fils de la France, arrivé au pouvoir dans un moment de grande commotion politique, il s'est empressé de signer le décret qui a réhabilité trois cent mille hommes de notre race dans leurs droits civils et politiques : déclarés libres comme nous, mais moins heureux que nous, ces infortunés avaient subi un nouvel esclavage durant plus de quarante ans.

Que le nom de Lamartine reste donc à jamais honoré des Haïtiens '!

Ils ne peuvent, ils ne doivent pas être insensibles au triomphe de la cause de leurs frères, en quelque lieu que ce soit, ni oublier les hommes généreux qui s'y sont dévoués.

C'est au même titre que Granville Scharp, Wilberforce, Thomas Clarkson et leurs coopérateurs ont également droit à notre souvenir; car l'abolition de la traite des noirs, l'affranchissement de huit cent mille esclaves des colonies anglaises, provoqués par la persévérance de

1 Nous citons le nom de Lamartine, comme la plus haute individualité du gouvernement provisoire de 1848, qui a décrété la liberté générale des esclaves dans les colonies françaises.

leurs sentimens philanthropiques, a puissamment consolidé l'indépendance politique d'Haïti, et même contribué à sa reconnaissance par la France. La commune origine des Haïtiens et des autres noirs, l'identité d'intérêts qui existe entre nous tous, sont un motif pour nous de participer à la joie, au bonheur de ces hommes que la liberté a régénérés.

Le 10 du mois de mai, après la reddition du Port-auPrince, Polvérel et Sonthonax avaient adressé à la commission intermédiaire, une lettre où ils annonçaient leur intention de convoquer prochainement les assemblées primaires, afin de nommer les dix-huit députés que Saint-Domingue devait envoyer à la convention natio nale, selon les dispositions du décret du 22 août 1792: l'affaire de Galbaud avait ajourné cette convocation. Mais après sa proclamation du 29 août, Sonthonax convoqua les assemblées primaires des paroisses du Nord, qui envoyèrent au Cap les membres de l'assemblée électorale. Celle-ci élut, les 23 et 24 septembre, sous l'influence de ce commissaire, deux députés blancs, deux mulâtres et deux nègres pour la province du Nord. Ce furent Dufayet Garnot, parmi les premiers; Mills et Boisson Laforet, parmi les seconds; Jean-Baptiste Belley et Joseph Georges, parmi les derniers.

Dufay avait été, dans l'ancien régime, brigadier dans les gardes du corps du roi, avant de venir habiter SaintDomingue. Dans l'expédition de Savannah, il avait commandé une compagnie de mulâtres et nègres libres : ce qui peut expliquer ses opinions favorables à cette classe d'hommes et à celle des esclaves; il avait pu reconnaître leur bravoure et leur aptitude à défendre la colonie

contre les ennemis de la France. Garnot était un homme honorable, également partisan de la liberté et de l'égalité. Mills était d'origine anglaise et habitant du Cap depuis longtemps. J.-B. Belley fit aussi la campagne de Savannah. Nous avons dit avec quelle valeur il défendit les commissaires civils dans les journées de juin. Laforêt avait été officier municipal au Cap. Quant à Joseph Georges, nous ignorons ses antécédens.

Soit que Sonthonax ne convînt pas de ces nominations avec Polvérel, soit que ce dernier ne jugeât pas opportun d'en faire pour l'Ouest et pour le Sud, il n'y eut pas de députés nommés dans ces deux provinces, et ce fut une chose regrettable par rapport à ce qui eut lieu en 1796. Mais, quelque temps après, H. Vergniaud, Louis Boisrond, Castaing et François Raymond qui se trouvaient alors au Port-au-Prince avec Sonthonax, furent choisis pour aller informer la convention nationale de la situation de la colonie. Les trois derniers étaient membres de la commission intermédiaire.

Comme il l'avait écrit à ses collègues, Delpech se disposait à se rendre au Port-au-Prince pour conférer avec eux, lorsqu'il tomba malade. Il mourut aux Cayes le 27 septembre, très-regretté par Rigaud et les autres hommes de couleur qui avaient trouvé en lui un homme juste et loyal. Venu à Saint-Domingue en qualité de secrétaire de la commission civile, il avait reçu depuis peu de temps sa nomination de membre de cette commission. S'il hésita à reconnaître la nécessité urgente de proclamer la liberté générale, s'il douta de la légalité de cette mesure et des pouvoirs de la commission civile, ce n'est pas sans doute qu'il fût opposé à cette liberté. Il

avait été témoin de toutes les opérations antérieures de ses collègues, il avait assisté à toutes leurs délibérations concernant le maintien de l'esclavage, il avait écrit sous leur dictée la plupart de leurs résolutions dans ce but, et il les savait sincères. Delpech pouvait donc ne pas partager leurs convictions nouvelles sur l'opportunité de la mesure, et même sur sa légalité. N'avait-il pas une excuse pour ses opinions, dans le dissentiment qui existait à ce sujet entre Polvérel et Sonthonax? Sa lettre du 12 septembre leur expliquait suffisamment sa pensée.

C'est donc avec regret que nous lisons dans Garran, que Polvérel, après avoir rendu justice aux principes de Delpech, dans sa proclamation du 4 septembre, attribue ses doutes à la pusillanimité, à la vanité, à l'envie, et dit qu'il mourut un mois trop tard, tout en rappelant qu'il était honnête homme et bon citoyen. Pour être l'un et l'autre, il faut posséder bien des qualités! Et sa proclamation où il faisait aux esclaves de l'Ouest, une si pénible comparaison de son système d'affranchissement avec celui de Sonthonax, n'avait-elle pas pu fournir à ce dernier une occasion de l'accuser lui-même de vanité et d'envie? Qui sait si cette proclamation n'a pas influé sur la froideur qui se réveilla entre eux, et qui fut cause de tant de fautes de la part de Sonthonax?

Nous nous rangeons par ces motifs à l'avis de la commission des colonies, qui considéra la mort de Delpech comme un malheur pour Saint-Domingue, eu égard aux circonstances de cette époque, et nous nous associons aux regrets qu'elle occasionna.

CHAPITRE XI.

Propositions des colons de Saint-Domingue au gouvernement britannique, du

25 février 1793, pour livrer la colonie. duite de la Grande-Bretagne.

- Examen de cet acte et de la conLes Anglais prennent possession de Jérémie et du Môle Saint-Nicolas. - Proclamation de Sonthonax, du 19 septembre, contre les fonctionnaires du Môle. Polvérel se rend aux Cayes. Il y proclame la liberté générale. - Pinchinat, délégué de la commission civile dans l'Ouest. Autorités militaires dans cette province et dans le Sud. Proclamation de Whitelocke, officier anglais. Proclamation de Polvérel, du 31 octobre 1793, sur la police et la discipline des ateliers émancipés.

Dans le sixième chapitre de ce livre, nous avons parlé de la constitution du conseil de sûreté et d'exécution du quartier de la Grande-Anse, qui remplaça le conseil d'administration créé précédemment à Jérémie, par les colons de ces paroisses. Ce changement de nom eut lieu après l'affaire du camp Desrivaux, où Rigaud et sa troupe furent défaits. C'était à dessein que les colons substituaient ainsi une nouvelle dénomination à ce conseil. Il fut alors revêtu de tous les pouvoirs, tandis qu'auparavant il se bornait à administrer. En conséquence, le 18 août 1793, le conseil expédia le colon Pierre Venault de Charmilly 'à la Jamaïque, pour offrir la soumission du quartier de la

1 Plusieurs ouvrages lui donnent le nom de Venant. Th. Millet a rétabli son vrai nom de Venault. Voyez les Débats, t. 2, p. 172, et t. 6, p. 99.

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