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pendant leur occupation de cinq années. Il y devint un fléau pour les noirs qu'il rétablit dans l'esclavage, pour les hommes de couleur, ses complices, qui tentèrent ensuite de revenir à la République française, et pour les colons et les émigrés qu'il maltraita avec non moins de rigueur. Lapointe avait un cœur de bronze dans la poitrine d'un homme il nous offrira l'occasion de parler encore de lui.

On voit dans son discours comment il parla du système, des projets qu'il prêtait aux commissaires civils. Il venait cependant de donner à Sonthonax une preuve apparente de son dévouement, en accourant à SaintMarc pour le protéger contre le complot imaginaire que Savary prétendait y exister. Le fait est qu'il s'entendait déjà avec Savary, pour faire sortir Sonthonax de cette ville où il gênait leur plan de trahison. Le désarmement général, ordonné imprudemment peut-être par ce commissaire, devint un prétexte pour déterminer les timides et les peureux à cette trahison. Lapointe s'en servit pour entraîner d'autres communes dans la coalition de SaintMarc.

En effet, par ses conseils, dit-on, Labuissonnière, qui avait été maire de Léogane, mais qui fut destitué de ses fonctions quelque temps auparavant, par Polvérel, à cause de ses principes contre-révolutionnaires, Labuissonnière gagna les hommes de couleur de cette ville, d'accord avec le blanc Tiby, et ils envoyèrent chercher les Anglais à Jérémie. Le capitaine Smith y vint avec une compagnie. Léogane arbora le pavillon britannique. Suivant l'assertion de Sonthonax aux Débats, Campan, blanc, ancien chevalier de Saint-Louis, contribua à cette défection, et Greffin, homme de couleur que Polverel y

avait placé comme commandant militaire, était alors au Port-au-Prince.

A ce moment, Labuissonnière, qui avait été aussi, en 1791, capitaine général des hommes de couleur de Léogane, qui était beau-frère de J. Raymond, avec qui il avait entretenu une correspondance suivie, oubliait le conseil que ce dernier donnait constamment aux hommes de sa classe, de tout souffrir de la part des blancs, hors le cas où ils voudraient livrer la colonie à une puissance étrangère. Il est vrai que, dans ce lâche système de J. Raymond, il ne s'agissait que d'obtenir leur égalité politique avec les blancs, et que, suivant lui, on devait se borner à améliorer seulement la condition des esclaves. Pour empêcher cette trahison en faveur d'une puissance étrangère, Raymond ajoutait à ses conseils, en disant aux hommes de couleur qu'ils devaient sacrifier leur vie et leur fortune. Mais on voit dès lors, dans toutes les lettres de Labuissonnière, que cet homme timide et égoïste redoutait surtout l'insurrection des esclaves. Dans un écrit adressé à l'assemblée nationale constituante, par les hommes de couleur de Léogane, il leur faisait dire:

... Si malheureusement il arrivait le mal que nous » appréhendons, par l'opprobre dont on veut à jamais nous >> couvrir, et où l'anarchie qui règne ici pourrait entraîner » l'insurrection des esclaves, vous nous verriez tous nous >> ranger autour des blancs pour les défendre jusqu'à la der»nière goutte de notre sang '. » A la fin de 1793, Labuissonnière restait fidèle à ces sentimens de làche égoïsme ; il consentit à se ranger autour des blancs pour rétablir les noirs dans l'esclavage, pour profiter lui-même de

1 Rapport de Garran, t. Raymond, pages 17 et 19.

er

p. 122, t. 2, p. 12. Rapport du même sur J.

ce régime odieux. Nous parlerons de sa fin tragique.

L'énergie des commissaires civils, le dévouement de Rigaud et des chefs secondaires empêchèrent la trahison de s'étendre plus loin.

Ainsi, dans l'Ouest, les paroisses de Saint-Marc, de l'Arcahaie et de Léogane passèrent sous la domination britannique. Les Gonaïves, les Vérettes, la Petite-Rivière et le Mirebalais furent occupés par les Espagnols.

La ville des Gonaïves reçut Toussaint Louverture le 6 décembre. La veille, il venait. de s'emparer du GrosMorne; il eût pu entrer à Saint-Marc où Savary et les autres hommes de couleur penchaient en faveur des Espagnols; mais il hésita et s'arrêta aux Gonaïves. Ce fut le 16 décembre que les Anglais arrivèrent à SaintMarc.

G. Bleck, malade, n'avait pu diriger les troupes. Après la trahison, il fut arrêté et conduit à Saint-Marc et de là à l'Arcahaie. Dans ces deux endroits, il refusa constamment de prendre parti avec les Anglais, qui finirent par l'embarquer pour la Jamaïque et les Etats-Unis, d'où, quelque temps après, il arriva à Jacmel où se trouvait Bauvais. Masseron conduisit sa troupe à Saint-Marc, avant l'arrivée des Anglais. Ces militaires européens honorèrent également leurs drapeaux, en refusant énergiquement de prendre part à la trahison: ils furent envoyés aux Etats-Unis.

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Dans le Nord, outre le Gros-Morne, les paroisses de Plaisance, de l'Acul, du Limbé, du Port-Margot, du Borgne, du Petit-Saint-Louis, de Terre-Neuve, se livrèrent aux Espagnols, représentés par Toussaint Louverture,

Biassou et Jean François, tandis que Jean-Rabel, voisin du Môle, se livrait aux Anglais, par la trahison de Delaire, homme de couleur, qui, cependant, avait voulu des Espagnols.

Il ne restait plus au pouvoir de la commission civile, dans le Nord, que les villes du Fort-Dauphin où était Candy; du Port-de-Paix où se tenait le général Laveaux, gouverneur général, et du Cap, où commandait Villatte. La petite bourgade de la Petite-Anse et celle du Hautdu-Cap, obéissaient à ce dernier, sous l'autorité de La

veaux.

Ainsi, la province qu'administrait Sonthonax depuis son arrivée dans la colonie, avait passé presque tout entière sous les lois des ennemis de la France. Son passage dans une partie de la province de l'Ouest pour venir au Port-au-Prince, avait, pour ainsi dire, déterminé la défection de toutes les paroisses qui tenaient au Nord par leur proximité. Faut-il attribuer à ses torts, à ses fautes, cette défection générale? Nous hésitons à le croire, car trop de causes s'accumulaient pour y porter les esprits; nous les avons déjà énumérées. Cet état de choses était dans la fatalité de la situation.

Dans le Sud, au contraire, qu'administra presque toujours Polvérel, si l'on en excepte le quartier de la Grande-Anse qui ne fut jamais soumis à aucune autorité nationale, toutes les paroisses restèrent soumises à cette autorité, de même que le Port-au-Prince, Jacmel, le Grand-Goave et le Petit-Goave, où se trouvaient des hommes placés par ce commissaire. Faut-il attribuer ce bon esprit uniquement à sa capacité, à son caractère modéré, aux sentimens de droiture dont il avait toujours fait preuve, à cette estime universelle qui l'entourait? Ne

faut-il pas y voir aussi le résultat de la haute intelligence, du zèle sincère, du dévouement profond à la France, des Pinchinat, des Bauvais, des Rigaud, des Montbrun et d'autres inférieurs qui le secondaient? Car, dans les autres communes de l'Ouest, les hommes de couleur qui trahirent avaient été placés également par Polverel; mais nous avons dit notre opinion sur les sentimens qui animaient ces individus.

Quelle que soit l'opinion qu'on puisse avoir à cet égard, il est facile de concevoir que Sonthonax dut lui-mème faire cette comparaison, dans la position où il se trouvait. Elle était de nature à blesser son amour-propre et à augmenter son irritation, son emportement. Nous avons vu quels ordres il donna à Laveaux et qui excitèrent, dit Garran, les justes réclamations de ce général, auquel il avoua plus tard avoir pleuré de rage en les signant. Mais Laveaux ne fut pas le seul qui réclama contre ces ordres barbares. A ce sujet, Polvérel lui adressa la lettre suivante que nous transcrivons pour honorer la mémoire de cet homme éminent.

Il me tarde autant qu'à vous, lui-dit-il, que les révoltés soient punis, et que la liberté générale triomphe; mais quelles armes employezvous? les flammes ! Vous vouez donc à l'incendie tous les édifices, toutes les plantations des quartiers où la révolte s'est manifestée! Vous voulez donc que la république perde toutes les habitations séquestrées et confiscables à son profit! Vous voulez donc que les guerriers et les cultivateurs perdent toutes les propriétés qui leur étaient destinées par l'émigration, la révolte ou la trahison des anciens propriétaires! Et quand les flammes auront dévoré toutes nos ressources et toutes nos espérances en denrées, quels moyens vous restera-t-il pour les dépenses publiques? Et comment ramènerez-vous les cultivateurs au travail, lorsque vous ne pourrez leur offrir que des monceaux de cendres, et trois ou quatre années de fatigues et de dépenses sans revenus? Et si vous ne les ramenez pas au travail, comment les empêcherez-vous de se

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