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gueil de Desfourneaux, en exigeant qu'il fût embarque? Est-ce que les blancs n'ont point d'orgueil? Suffit-il d'avoir une peau jaune pour en être saturé? Si la caste des mulâtres a ce vice, elle ne peut l'avoir reçu que de la race des blancs '.

Misérables préjugés, nés de toutes les injustices des Européens contre la race noire, à quelles aberrations n'exposez-vous pas les esprits les plus judicieux !...

Nous défendrons encore la mémoire de Pinchinat, et c'est maintenant contre un autre mulâtre, contre l'astuce du perfide Savary qui, en écrivant sa lettre du 24 novembre 1793 à Bauvais, pour l'engager à se joindre à la coalition de Saint-Marc, jeta dans l'esprit prévenu de Sonthonax des doutes sur les sentimens de ce révolutionnaire, au point << de le persuader que Pinchinat avait été l'un >> des auteurs de cette coalition et qu'il avait trempé dans » le complot de son assassinat 2. >>

Mécontent de Pinchinat qui, dans l'un des écrits dont nous avons parlé, adressé aux hommes de couleur de Saint-Marc, condamnait leur infàme trahison, Savary dit

«Les descendans des premiers habitans de l'île joignaient à beaucoup de richesses, l'orgueil de l'ancienneté de leur origine. » (Rap. de Garran, t. 1or, p. 20.) Et cette origine remontait aux flibustiers, aux boucaniers, gens de la plus basse extraction, auxquels on envoya bien des filles de joie pour épouses, suivant Sir J. Barskett.

« Vous avez sans doute vu, et vous avez bien remarqué que les factieux » de Saint-Domingue et les meneurs des assemblées coloniales et des corps >> populaires, ont toujours été les agresseurs dans cette guerre (celle entre >> les blancs et les mulâtres), qu'ils ont été les violateurs audacieux des trai»tés les plus sacrés, enfin qu'ils ont été victimes de leur propre orgueil et de >> leur propre injustice. » (Paroles de Sonthonax aux Débats, t. 5, p. 30.)

Ainsi il en a été de Desfourneaux, par la faiblesse et l'injustice de Sonthonax lui-même. Quand nous arriverons aux événemens de 1797, nous examinerons si Sonthonax ne punit pas l'orgueil de Desfourneaux, en le faisant arrêter et détenir dans un fort.

2 Rap. de Garran, t. 4, p. 229.

à Bauvais « que l'état de gêne où se trouvait Pinchinat, >> le portait à croire que son cœur n'avait aucune part » dans cet écrit... » De là, les soupçons injustes de Sonthonax, à cette époque et quelque temps après. Mais, disons avec Garran que « rien n'annonce d'ailleurs que >> Pinchinat ait mérité ces soupçons. >>

En effet, si Pinchinat resta pauvre dans tout le cours de la révolution de Saint-Domingue à laquelle il prit une si grande part, était-ce une raison pour Savary de supposer que la gêne où il se trouvait, influençait ses opinions politiques, et d'insinuer contre lui cette accusation calomnieuse? Dans son écrit que nous avons déjà cité, publié à Paris le 20 avril 1798, en réponse à Sonthonax, Pinchinat nous donne le bilan de sa fortune. « Je » déclare, dit-il, que je ne possède ni sucreries, ni café>>teries, ni habitations en plaine ou en mornes, ni mai>> sons en ville, ni contrats, ni meubles, ni fortune pécu»niaire. Ma solide fortune, celle que je ne puis jamais perdre, celle qui est au-dessus des atteintes de mes » persécuteurs, c'est l'estime de tous les amis de l'huma» nité. >>

etc.,

>>

Combien, parmi tous les hommes qui ont figuré avec quelque éclat à Saint-Domingue, en ont pu dire autant ? Cependant, Pinchinat a exercé une grande influence dans les affaires de ce pays; il aurait pu la faire servir à se créer une fortune comme tant d'autres, et il n'en a rien fait.

Il aimait le jeu avec passion, il était de mœurs peu sévères, dit un auteur moderne que nous regrettons de contredire

en ce moment1.

1 M. Madiou, Histoire d'Haiti, t. 1er, p. 107.

S'il aimait le jeu avec passion, c'était une habitude dans le régime colonial et chez tous les hommes de cette époque; et s'il était vrai qu'il fût de mœurs peu sévères, ce relâchement dans ses mœurs et sa passion pour le jeu en eussent fait un homme insatiable sous le rapport des richesses; il les eût extorquées par les moyens les plus coupables et les plus vils; et ses nombreux ennemis, n'ignorant pas ses méfaits, n'eussent pas manqué de les dévoiler dans leurs libelles. Nous avons sous les yeux presque tous ces libelles, et nous ne trouvons pas un seul fait qui lui soit imputé à cet égard. Tout ce qu'on lui reproche n'est relatif qu'à sa conduite politique, à ses opinions qu'on essaya de dénigrer, parce que sous ce rapport il était un adversaire redoutable, par la vigueur de son esprit, par sa dextérité à manier les affaires.

Ce n'est pas la seule tâche que nous ayons à remplir pour défendre la mémoire de Pinchinat. Nous trouverons d'autres occasions de parler de lui.

En attendant, passons dans le Nord pour louer la belle défense militaire de Laveaux et de Villatte, pour féliciter Toussaint Louverture de sa soumission à la République française, tout en faisant nos réserves quant à la conduite politique de ces trois hommes.

CHAPITRE XIV.

Dispositions prises par Laveaux au Port-de-Paix.

veaux.

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teur des finances. Propositions de Whitelocke et de James Grant à LaSes réponses. Belle défense du Port-de-Paix par Laveaux. Factions au Cap. Origine des divisions entre Laveaux et Villatte. Belle défense du Cap par Villatte. Capitulation du Fort-Dauphin par Candy et Knappe. Sort de Candy et de Knappe. - Préventions de Laveaux contre les mulâtres. Soumission de Delair à Jean-Rabel. · Soumission de Bombarde. Soumission de Chevalier et de Toussaint Louverture. Examen des causes de cette soumission. Caractère de Toussaint Louverture. Examen de plusieurs brochures concernant sa Réfutation d'un propos attribué à Villatte.

soumission.

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Nous avions laissé Laveaux au Port-de-Paix, à la mioctobre 1793, et nous avons dit alors quel était l'embarras de sa position dans ce lieu, situé assez près du Môle déjà en la possession des Anglais, en présence de toutes les défections que la coalition de Saint-Marc entraîna dans le Nord, en faveur des Espagnols. Laveaux avait sous ses ordres le général Pageot, devenu commandant de la province du Nord, après que son chef fut devenu luimème gouverneur général de Saint-Domingue par inté rim, à la suite du départ de Lasalle.

Secondé avec dévouement par Pageot, le nouveau gouverneur dut néanmoins mettre en œuvre tout son patriotisme pour résister au torrent qui menaçait de le déborder.

Sa correspondance avec les divers officiers qui commandaient quelques troupes dans différentes communes du Nord, avant la défection de ces communes, est un modèle de constance et de fidélité à son drapeau. A l'un d'eux il écrivait :

« Je ne puis vous envoyer ni hommes, ni munitions, >> ma garnison étant toute malade..... Il serait déshono>> rant de quitter votre poste sans tirer un coup de fusil. » Si, néanmoins, vous êtes forcés à la retraite, ne le fai» tes qu'après la plus vigoureuse défense... Dût toute la >> colonie se rendre aux Anglais ou aux Espagnols, tenons >> bon; conservons à la république un endroit où les >> forces qu'elle enverra sûrement pourront débarquer et >> trouver à la minute un lieu qui les reçoive. Pour moi,

je ne me rendrai jamais. Les troupes que j'ai le bonheur » de commander sont dans les mêmes sentimens. Vaine>>ment les ennemis croient-ils nous intimider, en mena>> cant de déployer contre nous des forces formidables : >> nous opposerons à ces forces notre courage, nos ser» mens, et, s'il est nécessaire, nous périrons tous, les ar» mes à la main. Par ce moyen, nous remplirons nos >> sermens, nous emporterons les regrets de nos conci» toyens, de tout ce qui compose notre patrie, et nous >> aurons l'estime de tous nos ennemis, qui diront: Ils » ont préféré la mort à la trahison. Avec de tels principes, » l'on meurt sans jamais avoir été vaincu. >>

Quelle différence entre Laveaux et Lasalle! Lorsqu'un chef montre de tels principes et de tels sentimens à ses subordonnés, s'il ne réussit pas à vaincre ses ennemis, s'il succombe, c'est du moins avec gloirė.

Dans ce moment-là, Laveaux n'avait qu'environ deux milliers de poudre les soldats européens, au nombre de

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