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comme il aurait dû l'être pour une mesure aussi importante, désapprouva l'arrêté de la commission intermédiaire et défendit la perception de l'impôt dans l'Ouest et le Sud. Son improbation peu réfléchie paralysa la perception même dans le Nord. « Cette difficulté, dit Garran,

fut pour les deux commissaires civils l'objet d'une >> correspondance qui ne fut pas exempte d'aigreurs, et » où, malgré le dévouement de tous deux à la cause de » la liberté, la jalousie du pouvoir se montra plus d'une >> fois au milieu de l'ardeur de l'un pour le triomphe » de la révolution, et de l'attachement de l'autre aux principes du droit public. >>

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Ce dissentiment occasionna par la suite, de la part de Sonthonax, la désapprobation d'autres mesures prises par Polvérel, soit sur les choses, soit à l'égard des hommes : il en résulta en quelque sorte deux partis qui s'attachèrent à l'un ou à l'autre. Sonthonax, plus jeune, plus ardent que son collègue, étendit son mécontentement sur les individus attachés aux idées de Polvérel.

Toutefois, la convention nationale, essentiellement révolutionnaire, trouvant daus Sonthonax un agent qui agissait avec plus de vigueur que Polvérel, approuva l'impôt du quart de subvention et en ordonna la perception dans toute la colonie, par son décret du 6 mars 1793. Nous le ferons connaître.

CHAPITRE III.

Esprit

Polvérel et Ailhaud arrivent à Saint-Marc- Intrigues de Roi de la Grange. J. B. Decoigne, Savary aîné, Lapointe, etc. Tentative d'une nouvelle confédération contre-révolutionnaire. Les deux commissaires vont au Port-au-Prince. - Tactique des colons de cette ville et des paroisses voisines. — Départ d'Ailhaud pour le Sud et son retour en France. factieux de Jacmel, de Jérémie et d'autres communes du Sud. Polvérel se rend aux Cayes. Il remplace Montesquiou de Fesenzac par Harty. Il fait attaquer les nègres insurgés campés aux Platons. Mouvemens séditieux aux Cayes contre Polvérel. Il retourne dans l'Ouest.

Les commissaires Polvérel et Ailhaud étaient partis du Cap sur la frégate l'Astrée, le 29 octobre 1792: lè 2 novembre, ils arrivèrent à Saint-Marc.

Cette ville avait pour maire, Savary aîné, que Roume a osé comparer à Washington. C'était sans doute un homme de capacité parmi les mulâtres, mais n'ayant ni les lumières de Pinchinat, ni la bonne foi de Bauvais, ni le patriotisme ardent de Rigaud. Né à Saint-Marc, il exerçait beaucoup d'influence sur les hommes de couleur de tout le quartier de l'Artibonite, comme homme d'action, de même que Pinchinat par ses idées politiques. D'accord avec ce dernier, il avait dirigé sa classe pour faire accéder les blancs au concordat du 11 septembre 1791; il avait encore aidé Pinchinat à faire consentir les blancs, au traité de paix et d'union conclu

à Saint-Marc le 21 avril 1792, par lequel fut créé un conseil de guerre général chargé de diriger les affaires publiques des paroisses confédérées, comprenant SaintMarc, les Gonaïves, la Petite-Rivière et les Vérettes. On a vu, dans le dernier chapitre du livre I, que cette confédération, de même que celle de la Croix-des-Bouquets, avait eu lieu entre les hommes de couleur et les blancs partisans de l'ancien régime colonial, c'est-à-dire les vrais royalistes, visant à la contre-révolution à SaintDomingue. Parmi ces derniers, Jean-Baptiste Decoigne, écrivain de la marine, agent du gouvernement colonial, était un des plus influens. Le traité de paix et d'union fut signé par lui et par Pinchinat.

En prononçant, au Cap, la dissolution du conseil de Saint-Marc, en même temps que de celui de Jérémie, de l'assemblée coloniale et des autres corps administratifs, la commission nationale civile froissait les prétentions des hommes qui les composaient. En opérant l'arrestation et l'embarquement de Blanchelande et des autres agens de la contre-révolution, ceux de Saint-Marc et de tous autres lieux de la colonie devaient redouter le même sort. Plusieurs d'entre eux étaient venus à Saint-Marc, du Port-au-Prince et d'autres communes de l'Ouest : ils étaient donc nombreux dans cette ville, lorsque Polvérel et Ailhaud y arrivèrent. Ils savaient que la loi du 4 avril prescrivait à la commission civile d'arrêter et de renvoyer en France, les auteurs des troubles de Saint-Domingue; et par leur proclamation du 24 septembre, les trois commissaires avaient déclaré « qu'ils poursui>> vraient les méprisables conspirateurs qui avaient voulu >> faire des droits des citoyens, ci-devant qualifiés de >> couleur, une spéculation contre-révolutionnaire. » Or,

nous venons de dire que le fait avait suivi la menace, par la déportation de Blanchelande et des autres agens de l'ancien régime, désignés par l'assemblée coloniale et ses partisans comme les auteurs des troubles de la colonie.

Parmi ceux de Saint-Marc, Decoigne et Roi de la Grange étaient les plus actifs. Ce dernier, comme nous l'avons dit, avait été secrétaire de Peinier et de Blanchelande; ce fut lui qui assassina Praloto: ce crime était resté impuni jusqu'alors, par l'impuissance ou peut-être par la connivence des juges, anciens membres du gouvernement colonial. Le rôle infâme que Decoigne et Roi de la Grange avaient toujours joué dans les mouvemens populaires semblait les désigner à la sévérité des commissaires venus à Saint-Marc. Ils mirent tout en œuvre pour exciter les habitans contre leur autorité, en persuadant même aux hommes de couleur qu'ils pourraient aussi être arrêtés et expulsés de la colonie, pour s'être unis avec les contre-révolutionnaires. Plusieurs de ces hommes occupaient des fonctions publiques dans l'Artibonite Antoine Chanlatte était capitaine général de la garde nationale de Saint-Marc.

Certes, Savary, resté le plus influent parmi eux depuis l'absence de Pinchinat, pouvait déjouer ces intrigues, en faisant valoir à leurs yeux l'honneur fait à Pinchinat d'être le premier appelé à faire partie de la commission intermédiaire. Mais, loin d'user de son influence dans ce but qui eût été si louable de sa part, il seconda les intrigues des contre-révolutionnaires. Il est présumable, selon nous, que Savary y fut déterminé par la jalousie qu'il dut ressentir de cette distinction

même faite aux talens de Pinchinat et des autres hommes de couleur appelés comme lui à la commission intermédiaire. Nous aurons occasion, par la suite, de démontrer que cette misérable passion n'occasionna que trop de funestes résolutions de la part de certains mulâtres, envieux de la position supérieure accordée à quelques-uns de leurs frères, ou acquise par leurs talens et leur capacité. Nous attribuons à cette cause la conduite de Savary, et non à la crainte d'être déportés par les commissaires civils, ni aux projets qu'on leur prêtait de vouloir préparer l'affranchissement des esclaves.

La plupart des mulâtres et nègres libres, Bauvais, Rigaud, possédaient aussi des esclaves et n'agirent pas de même que Savary; et nous avons prouvé que, loin d'avoir les tendances, les projets qu'on leur prêtait, les commissaires civils, au contraire, n'avaient que trop parlé en faveur du maintien de l'esclavage dans la colonie. Leurs déclarations improvisées du 20 septembre, celles consignées ensuite dans leur proclamation du 24, donnaient le démenti le plus formel aux calomnies répandues contre eux; et aucun acte extérieur de leur part n'avait pu y donner lieu.

Sans doute, nous verrons Savary, de même que Lapointe, que Labuissonnière et d'autres mulâtres et nègres libres, dans leur honteux égoïsme, pour ne pas concourir à la liberté générale des noirs, se soustraire à l'autorité des commissaires civils et se jeter avec les colons dans les bras des Anglais; mais ce sera l'effet d'une autre situation que celle qui existait en novembre 1792.

Quoi qu'il en soit, aussitôt l'arrivée de Polvérel et

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