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cond: encore une fois, n'est-il point essentiel? S'il ne l'est pas, on peut donc aimer Dieu indépendamment de la béatitude, en prenant à la lettre les suppositions impossibles. Ainsi la raison d'aimer qui ne s'explique pas d'une autre sorte, et qui est la fin dernière, ne sera plus qu'un motif partiel et accidentel à la charité. Si au contraire il est essentiel, il fait donc partie du motif spécifique, et vous vous jouez de toute l'école en disant que la charité dans son motif primitif et spécifique est indépendante de ce motif, puisque ce motif est une partie essentielle du motif spécifique même. Ainsi vous êtes réduit à condamner d'illu

croiroit que vous changez de sentiment, et que ce motif n'est plus, selon vous, qu'accidentel dans l'acte de charité. C'est ce que M. l'évêque de Chartres vous passeroit. Mais voici ce qui découvre tout votre mystère. Vous dites que, pour être le motif second et moins principal, il ne s'ensuit pas qu'il soit séparable. Voilà les unanimes bien désunis. M. de Chartres assure, au contraire, qu'on peut faire des actes sans ce motif, et qu'on ne peut nier cette doctrine. Vous voulez donc que pour déraciner à fond l'illusion si absurde et si dangereuse du quiétisme, il faille absolument déterminer le contraire d'une doctrine que M. de Chartres assure qu'on ne peut nier. Lesion M. de Chartres, à contredire vos propres pavoilà, selon vous, dans cette illusion si absurde et si dangereuse. Le voilà quiétiste aussi bien que moi, et c'est de son cœur comme du mien qu'il faut absolument déraciner à fond le quiétisme. Vous dites qu'il faut absolument déterminer, etc. C'est ainsi que vous faites la loi au juge, et que vous lui enseignez ce qu'il doit faire: il le faut absolument. Que deviendra M. de Chartres ? Pour moi, je demeure avec lui, et je suis content que

vos traits portent sur nous deux. On voit par-là combien vous prétendez que la condamnation de mon livre doive être une détermination absolue

contre la notion commune de la charité.

Il est vrai que vous n'osez dire que le motif de la béatitude est essentiel. La béatitude ne se montre, dans vos adoucissements, que sous le nom de Dieu communiqué. Son motif n'est pas même nommé essentiel; mais il n'est point séparable. Que l'innocent théologien parle ici, s'il le peut, avec simplicité. Non séparable veut-il dire essentiel, ou non? Quand on est si simple, et qu'on veut corriger par le bon exemple un homme si souple, on n'a pas de peine à répondre par oui ou par non, et sans hésiter.

Mais voici de nouveaux détours. « La charité, » dites-vous', dans son motif primitif et spécifique, » est indépendante de ce motif, et on le peut croire » sans péril. » Sans doute, elle est indépendante d'un motif dans l'autre ; encore même ne pouvezvous pas dire, selon votre principe, que la charité, dans le motif de glorifier Dieu, soit indépendante de l'autre motif, qui est celui de la béatitude; car, selon vous, Dicu ne seroit pas la raison d'aimer, pour l'homme, s'il ne vouloit pas être béatifiant. Mais je vous passe cette contradiction. Je reviens toujours à vous demander si cette vertu est en ellemême véritablement indépendante de ce motif se

■ Remarq, conclus., § ш, n. 41, p. 212.

roles, et à vous jouer manifestement du lecteur, en voulant me confondre avec madame Guyon, avec Malaval, et avec Molinos. Faut-il qu'un évêque donne des armes à l'illusion, en la combattant par une nouveauté qui renverse et la tradition, et la notion commune des écoles catholiques?

CONCLUSION.

Quoique je n'aie rien à prouver, et que le défaut de preuve de votre part soit la pleine dé

monstration de mon innocence, il est bon néanmoins de rassembler ici dans une espèce d'abrégé tous les faits qui sont ou avoués, ou non contredits, ou établis par preuves littérales. D'abord vous eûtes des ombrages contre moi sur le quiétisme; Vous me fites des questions pour me pénétrer. Loin de chercher à sauver artificieusement madame Guyon, en vous cachant ce qu'on ne pouvoit excuser; loin d'éviter d'approfondir, je vous fis donner tous les manuscrits, où vous assurez avoir lu tant de folles visions. Telles étoient alors ma confiance en vous, ma bonne foi pour approfondir sans vouloir flatter cette personne, et mon ignorance sur les visions, dont vous voudriez me rendre responsable. Puis vous me demandâtes des Mémoires. Je vous les donnai. Ils ne contenoient aucune défense directe de madame Guyon ni de ses écrits. Vous croyez seulement y avoir découvert une manière indirecte de l'excuser. Ces Mémoires contenoient des expressions trop fortes tirées des saints. Mais vous avouez que j'ajoutai qu'il en falloit beaucoup rabattre. Enfin vous levez toute la difficulté en disant qu'ils ne faisoient qu'établir les mêmes principes que mon livre. J'ai dit deux choses sur ces Mémoires dans ma Réponse latine à M. l'archevêque de Paris.

La première, que je les avois dictés à la hâte, sans arrangement et sans précaution, parce qu'ils ne devoient être vus que par trois personnes discrètes, et qui devoient savoir ce que je voulois

avec moi aucune conversation de vive voix sur les matières de spiritualité, quoique mes manuscrits et ma signature des Articles par obéissance, contre ma persuasion, dussent vous persuader que je joignois la dissimulation au fanatisme.

dire. Excerpta indigesta, incomposita, præpro- | cette cérémonie. Avant de la faire, vous n'eûtes pere, incaute dictata, ut vobis solis arbitris crederentur. C'est ici, monseigneur, où vous triomphez. Dieu est juste, dites-vous. Vous ajoutez Sa conscience le trahit. Mais qui est-ce qui me trahit, ou ma conscience, ou votre citation infidèle? Vous mettez præpostere en la place de præpropere, quoique ces deux termes aient des significations très différentes. Vous ajoutez ces termes imprudemment et mal à propos, quoique mon texte ne vous les fournisse point. Ainsi vous me faites dire, malgré moi, que mes Mémoires ont été imprudemment, mal à propos et précipitamment dictés. Corrigez votre traduction, avant que d'entreprendre de corriger mon livre. Dites que ces Mémoires étoient sans ordre, dictés à la hâte, et sans précaution. Dieu est juste, monseigneur; y pensez-vous sérieusement? Il est juste contre les traducteurs infidèles.

2

Quoique le monde sût que j'avois vu et estimé madame Guyon, personne que vous connussiez ne croyoit alors que je soutinsse sa doctrine. Cependant vous crûtes qu'il étoit nécessaire de me faire condamner, par une approbation du livre que vous prépariez, le sens propre, naturel et unique des livres de madame Guyon, sans restriction des intentions personnelles. Je ne crus pas devoir souscrire à cette espèce de formulaire; je crus pouvoir juger des intentions de cette personne, comme vous en aviez jugé vous-même en acceptant son acte de soumission, où elle assuroit, non pour se chercher une excuse, mais pour se rendre le témoignage qu'elle se devoit en simplicité, qu'elle n'avoit eu intention de rien avancer de contraire à l'esprit de l'Église. Il me parut que la plus grossière villageoise n'auroit pu avoir l'intention d'enseigner les impiétés évidentes et monstrueuses que vous imputiez à madame Guyon, sans vouloir manifestement combattre l'esprit de l'Église. Vous jugeâtes que le refus de mon approbation étoit une rupture de toute union dans l'épiscopat. Comme

La seconde chose que je disois est qu'il y avoit dans ces Mémoires quelques expressions des saints qu'il falloit tempérer, pour les réduire au dogme théologique. Mais ces expressions n'étoient pas les miennes. Loin de me les rendre propres, je disois qu'il en falloit rabattre beaucoup. Vous êtes contraint de le reconnoître en disant que « j'avouois » qu'il y a de certains endroits d'exagération, prin»cipalement sur saint Clément d'Alexandrie. » Qui vous croira donc, vous qui altérez si manifes-vous aviez dit que vous m'aviez demandé mon aptement mon texte? qui vous croira, vous qui voulez être cru sur votre parole? « Nous savons, dites» vous 3, positivement que sa gnose, comme il >> l'appeloit en traduisant le grec de saint Clément d'Alexandrie, quoique pleine des sentiments les >> plus outrés, est encore aujourd'hui la règle » secrète du parti. » Comment savez-vous cette fable? comment sait-on ce qui ne peut être su, puisqu'il ne fut jamais? Ce que vous savez positivement est aussi vrai que votre traduction est fidèle. Mais revenons à la narration des faits.

3

Je n'aurois signé les xxxiv Articles que contre ma persuasion, si on n'y eût pas fait les additions qu'on y fit. Mais après les additions je signai sans hésiter, et sans dire un seul mot. En ce temps-là vous jugiez très important que l'instruction des princes demeurât en de si bonnes maius. Vous applaudites à ma nomination pour l'archevêché de Cambrai; vous vous offrîtes pour me sacrer; et vous écrivîtes même des raisons pour vaincre des difficultés, et pour prouver que vous pouviez faire

Resp. ad. ep. D. Paris, art. 4.
Remarq., art. III, n. 12. tom. xxx, p. 65.
Ibid., art. u, n 12, p. 63.

probation, et qu'ensuite elle ne parut pas, vous fites assez entendre par-là que je vous l'avois refusée. Ainsi ceux qui n'avoient pas cru jusqu'alors que je défendisse madame Guyon commencèrent à en être persuadés par ces circonstances, et par les discours de vos amis. Mon livre ne fut fait ni contre vous ni pour madame Guyon, puisque je l'ai fait en consultant vos amis unanimes, qui crurent que vous m'aviez mis dans cette nécessité, et qui étoient aussi opposés que vous à madame Guyon. M. l'archevêque de Paris et M. Tronson jugèrent mon livre correct et utile. M. Pirot le trouva tout d'or, et refusa de l'examiner plus long-temps. Le livre fut imprimé en mon absence, et publié sans ma participation.

Quand mon livre parut, vous promîtes à diverses personnes considérables que si vous y trouviez des choses répréhensibles, vous me donneriez vos remarques en secret et de bonne amitié. (Il est vrai que, peu de jours après, vous dites aux mêmes personnes que vous les montreriez à M. l'archevêque de Paris; mais vous ne dites point que vous ne vouliez me les donner que comme des objections communes entre vous et lui.) Presque en

même temps, et au préjudice de ces engagements accompagnés de tant de démonstrations d'un renouvellement d'amitié, vous demandâtes pardon au roi de lui avoir caché depuis plusieurs années que j'étois quiétiste.

Quand vous crûtes être bien assuré des deux autres prélats, vous demandâtes que nous cussions vous et moi quelque conférence en leur présence, mais vous n'offrîtes jamais d'y admettre des évêques et des docteurs. De mon côté, je demandai des réponses par écrit à des questions. Vous m'en promîtes. Je vous en donnai; vous refusâtes celles que vous veniez de me promettre par un écrit envoyé à Rome, et vous revîntes à demander des conférences, disant qu'on y écriroit les propositions qu'on auroit avancées.

Enfin j'acceptai les conférences, à condition qu'on écriroit tout, qu'on y admettroit des évêques et des docteurs, et qu'on y traiteroit tous les points de doctrine; mais j'ajoutai que pour le texte de mon livre je me réservois d'en faire la discussion avec M. l'archevêque de Paris, MM. Tronson et Pirot, suivant un projet écrit que M. l'archevêque de Paris avoit accepté. Sur cette dernière condition, on me répondit que les conférences ne serviroient de rien. Je revins à Cambrai, et j'envoyai à Rome. M. de Chatres me fit proposer de faire une instruction pastorale, et d'y promettre une nouvelle édition de mon livre. Je répondis que l'instruction pastorale étoit toute prête; que pour la nouvelle édition du livre, je la laisserois régler par les théologiens du pape, et qu'en attendant je serois ravi de demeurer en paix, en silence, et uni de cœur avec mes confrères. Au lieu d'accepter une offre si pacifique, on publia contre moi votre Déclaration. Tout le reste a été public.

Après avoir rapporté l'abrégé des faits qui résultent de vos écrits mêmes, ou qui ne sont pas contredits, ou dont je donne la preuve décisive, je répète ce que je ne puis assez inculquer. Je n'ai jamais ni soutenu ni excusé en aucun sens les livres de madame Guyon; j'ai seulement excusé, dans un Mémoire destiné à n'être lu que de trois ou quatre personnes, les intentions de madame Guyon, comme vous les lui avez fait excuser vous-même dans l'acte de ses soumissions que vous reconnoissez pour vrai ce qui ne justifie en rien aucun sens de ses livres. Je l'ai toujours laissée, même pour tout ce qui est personnel, au jugement de ses supérieurs, sans y prendre aucune part.

C'est vous qui m'avez forcé à me justifier sur l'estime que j'ai eue pour elle; et puis vous ne cherchez que des sophismes, pour confondre des

choses si différentes, et pour me rendre odieux par cette estime si innocente. C'est l'estime que j'ai eue pour la personne, et non la personne même, que je travaille à justifier. C'est vous qui m'avez réduit à faire cette justification. Si on vérifie qu'elle m'a tronipé, je détesterai d'autant plus ses intentions, qu'elles auront été déguisées par une plus profonde hypocrisie.

Pour les faits sur lesquels vous citez M. Tronson, je ne crains point son témoignage, et je me confie tellement en sa piété, que je ne puis attendre de lui que la vérité toute pure, quand on la lui demandera.

Ma conclusion est toute naturelle. Vous conclúez que je suis l'auteur du scandale, et que mon livre doit être flétri d'une censure, parce que je n'ai écrit que pour rompre l'union de l'épiscopat et pour défendre madame Guyon. Je soutiens au contraire que cette accusation sans preuve fait retomber le scandale sur vous. Je n'ai excusé les intentions de la personne que comme vous les lui aviez fait excuser dans son acte de soumission. Quoique je les aie excusées dans un Mémoire secret, je ne l'ai point fait dans mon livre. Pour les ouvrages de cette personne, je ne les ai excusés en rien; d'où je conclus que mon livre doit être déclaré très pur par deux raisons claires. 4o Un livre qui se trouve correct par sa simple version latine, où vous ne pouvez critiquer qu'une infidélité imaginaire, n'a aucun besoin d'explication. 2° Quand même il auroit besoin d'explication, la présomption, selon votre règle, seroit pour moi. Reconnoissez vos propres paroles : « Nous ap» prouvons les explications dans les expressions >> ambiguës..... Nous convenons que dans celles de » cette nature la présomption est pour l'auteur, » surtout quand cet auteur est un évêque dont >> nous honorons la piété. »

Je laisse beaucoup de choses sans réponse particulière, parce que les faits éclaircis décident de tous les autres, et que ceux dont j'épargne la discussion au lecteur ne devroient être appelés, dans votre langage, que des minuties. Mais si vous jugez à propos de vous en plaindre, je répondrai exactement à tout. Il ne me reste qu'à conjurer le lecteur de relire patiemment votre Relation avec ma Réponse, et vos Remarques avec cette Lettre. J'espère qu'il ne reconnoîtra point en moi le Montan d'une nouvelle Priscille, dont vous avez voulu effrayer l'Église. Cette comparaison vous paroit juste et modérée ; vous la justifiez en disant qu'il ne s'agissoit entre Montan et Priscille que d'un

14 Ecrit, n. 5, tom. xxvIII, p. 397.

CONDAMNATION ET DÉFENSE

FAITE PAR NOTRE TRÈS-SAINT PÈRE INNOCENT,
PAR LA PROVIDENCE DIVINE PAPE XII,

Du livre imprimé à Paris en 1697, sous ce titre :
Explication des Maximes des Saints sur la vie
intérieure, etc.

INNOCENT PAPE XII,

Pour perpétuelle mémoire.

commerce d'illusion'. Mais vos comparaisons tirées de l'histoire réussissent mal. Comme la docilité de Synésius ne ressembloit point à la mienne, ma prétendue illusion ne ressemble point aussi à celle de Montan. Ce fanatique avoit détaché de leurs maris deux femmes qui le suivoient. Il les livra à une fausse inspiration qui étoit une véritable possession de l'esprit malin, et qu'il appeloit l'esprit de prophétie. Il étoit possédé lui-même aussi bien que ces femmes; et ce fut dans un transport de la fureur diabolique, qui l'avoit saisi avec Maximille, qu'ils s'étranglèrent tous deux 2. Tel est cet homme, l'horreur de tous les siècles, avec lequel vous comparez votre confrère, ce cher ami de toute la vie que vous portez dans vos entrailles, et vous trouvez mauvais qu'il se plaigne d'une telle comparaison. Non, monseigneur, je ne m'en plaindrai plus; je n'en serai affligé que pour vous. Et qui est-ce qui est à plaindre, sinon celui qui se fait tant de mal à soi-même, en accusant son confrère sans preuve? Dites que vous n'êtes point mon accusateur, en me comparant à Montan. Qui vous croira, et qu'ai-je besoin de répondre ? Pouviez-rables frères les cardinaux de la sainte Église romaine, et vous jamais rien faire de plus fort pour me justifier, que de tomber dans ces excès et dans ces contradictions palpables en m'accusant? Vous faites plus pour moi que je ne saurois faire moi-même. Mais quelle triste consolation, quand on voit le scandale qui trouble la maison de Dieu, et qui fait triompher tant d'hérétiques et de libertins!

Quelque fin qu'un saint pontife puisse donner à cette affaire, je l'attends avec impatience, ne voulant qu'obéir, ne craignant que de me tromper, et ne cherchant que la paix. J'espère qu'on verra dans mon silence, dans ma soumission sans réserve, dans mon horreur constante pour l'illusion, dans mon éloignement de tout livre et de toute personne suspecte, que le mal que vous avez voulu faire craindre est aussi chimérique que le scandale a été réel, et que les remèdes violents contre des maux imaginaires se tournent en poison. Je suis, etc.

Remarq., art. x1, n. 9. tom. xxx, p. 183.

NICEPH. CALL., Hist., lib. IV, cap. XXII, xxii et xxiv, p. 319 et seq.

3 Remarq., art. xi, D. 8, tom. xxx, p. 485.

Comme il est venu à la connoissance de notre Siégeapostolique qu'un certain livre françois avoit été mis au jour sous ce titre : EXPLICATION DES MAXIMES DES SAINTS SUR LA VIE INTÉRIEURE, PAR MESSIRE FRANÇOIS DE SALIGNAC FENELON, archevêque duc de Cambrai, precepteur de messeigneurs les ducs de Bourgogne, d'Anjou et de Berry; à Paris, chez Pierre Aubouin, Pierre Émery, Charles Clousier, 1697; et que le bruit extraordinaire que ce livre avoit d'abord excité en France, à l'occasion de la doctrine qu'il contient, comme n'étant pas saine, s'étoit depuis tellement répandu, qu'il étoit nécessaire d'appliquer notre vigilance pastorale à y remédier; nous avons mis ce livre entre les mains de quelques uns de nos véné

d'autres docteurs en théologie, pour être par eux examiné avec la maturité que l'importance de la matière sembloit demander. En exécution de nos ordres, ils ont sérieusement et pendant un long temps examiné dans plusieurs congrégations diverses propositions extraites de ce même livre, sur lesquelles ils nous ont rapporté de vive voix et par écrit ce qu'ils ont jugé de chacune. Nous donc, après avoir pris les avis de ces mêmes cardinaux et docteurs en théologie, dans plusieurs congrégations tenues à cet effet en notre présence; desirant, autant qu'il nous est donné d'en haut, prévenir les périls qui pourroient menacer le troupeau du Seigneur, qui nous a été confié par ce pasteur éternel; de notre propre mouvement et de notre certaine science, après une mère délibération, et par la plénitude de l'autorité apostolique, CONDAMNONS ET RÉPROUVONS, par la teneur des présentes, LE LIVRE SUSDIT en quelque lieu et en quelque autre langue qu'il ait été imprimé, de quelque édition et de quelque version qui s'en soit faite ou qui s'en puisse faire daus la suite, d'autant que par la lecture et par l'usage de ce livre les fidèles pourroient ètre insensiblement induits dans des erreurs déja condamnées par l'Église catholique : et outre cela, comme conte nant des propositions qui, soit dans le sens des paroles tel qu'il se présente d'abord, soit eu égard à la liaison des principes, SONT TÉMÉRAIRES, Scandaleuses, malsonnantes, offensent les oreilles pieuses, sont pernicieuses dans la pratique, et même erronées respectivement. Faisons défense à tous et un chacun des fidèles, même à ceux qui devroient être ici nommément exprimés, de l'imprimer, le décrire, le lire, le garder et s'en servir, sous peine d'excommunication que les contrevenants encourront par le fait même et sans autre déclaration. Voulons et commandons, par l'autorité apostolique, que quiconque aura ce livre chez soi, aussitôt qu'il aura connoissance des présentes lettres, le mette sans aucun délai entre les mains des ordinaires des lieux, ou des inquisiteurs d'hérésie : nonobstant toutes choses à ce contraires. Voici quelles sont

les propositions contenues au livre susdit, que nous avons condamnées, comme nous venons de marquer, par notre jugement et censure apostolique, traduites du françois en latin.

I. Il y a un état habituel d'amour de Dieu, qui est une charité pure et sans aucun mélange du motif de l'intérêt propre.... Ni la crainte des châtiments, ni le desir des récompenses. n'ont plus de part à cet amour. On n'aime plus Dieu ni pour le mérite, ni pour la perfection, ni pour le bonheur qu'on doit trouver en l'aimant '.

VII. L'abandon n'est que l'abnégation ou renoncement de soi-même, que Jésus-Christ nous demande dans l'Évangile, après que nous aurons tout quitté au dehors. Cette abnégation de nous-mêmes n'est que pour l'intérêt propre... Les épreuves extrêmes où cet abandon doit être exercé sont les tentations, par lesquelles Dieu jaloux veut purifier l'amour, en ne lui faisant voir aucune ressource ni aucune espérance pour son intérêt propre, même éternel.

VIII. Tous les sacrifices que les ames les plus désintéressées font d'ordinaire sur leur béatitude éternelle sont

II. Dans l'état de la vie contemplative ou unitive, on conditionnels..... Mais ce sacrifice ne peut être absolu dans perd tout motif intéressé de crainte et d'espérance.

III. Ce qui est essentiel dans la direction est de ne faire que suivre pas à pas la grace avec une patience, une précaution et une délicatesse infinie. Il faut se borner à laisser faire Dieu, et ne porter jamais au pur amour que quand | Dieu, par l'onction intérieure, commence à ouvrir le cœur à cette parole, qui est si dure aux ames encore attachées à elles-mêmes, et si capables ou de les scandaliser ou de les jeter dans le trouble.

IV. Dans l'état de la sainte indifférence, l'ame n'a plus de desirs volontaires et délibérés pour son intérêt, excepté dans les occasions où elle ne coopère pas fidèlement à toute sa grace.

V. Dans cet état de la sainte indifférence, on ne veut rien pour soi; mais on veut tout pour Dieu : on ne veut rien pour être parfait ni bienheureux pour son propre intérêt ; mais on veut toute perfection et toute beatitude, autant qu'il plaît à Dieu de nous faire vouloir ces choses par l'impression de sa grace.

VI. En cet état on ne veut plus le salut comme salut propre, comme délivrance éternelle, comme récompense de nos mérites, comme le plus grand de tous nos intérêts; mais on le veut d'une bonne volonté pleine, comme la gloire et le bon plaisir de Dieu, comme une chose qu'il veut, et qu'il veut que nous voulions pour lui.

Nous avons cru qu'on verroit ici avec plaisir le résumé de ces motifs, tirés des écrits mêmes de Bossuet.

La Ire proposition, en disant que la crainte des châtiments et le desir des récompenses n'ont plus de part dans l'état habituel du pur amour, exclut de l'état de perfection le desir des récompenses éternelles, contre le précepte qui oblige tout fidèle à espérer, desirer et demander son salut éternel en tout état, quoique non à tout moment. (Déclaration des trois Prélats, tome xxvIII des Euvres de Bossuet, page 250, etc. Summa doctrinæ, §6.)

La II proposition exclut de l'état de perfection les actes d'espérance, car elle enseigne que dans cet état on perd tout motif intéressé de crainte ou d'espérance; or ce terme de motif intéressé, après la notion de l'intérêt propre donnée dans la proposition précédente, signifie à la rigueur l'attachement même surnaturel aux récompenses éternelles. (Déclaration, ibid. Summa doctrinæ, ibid.)

La III insinue que tous ne doivent pas être excités à la perfection de la charité, que tous ne sont pas appelés à la perfection, et n'ont pas la grace nécessaire pour y arriver. (Declaration, page 272. Summa doctrinæ, § 2, vers la fin : § 5.)

La IV représente le desir de notre intérêt propre, c'est-àdire le desir même des biens surnaturels, comme contraire à la sainte indifférence, et par conséquent comme contraire à la perfection. (Déclaration, p. 256)

La Ve et la VI enseignent ou supposent la même chose. (Déclaration, ibid.)

La VII suppose que, dans le temps des épreuves. Dieu ôte à une ame toute espérance pour son salut éternel. (Summa Doctrine, $ 12.)

La VIII, prise à la rigueur, autorise le sacrifice absolu de

l'état ordinaire; il n'y a que le cas de ces dernières épreuves où ce sacrifice devient en quelque manière absolu.

IX. Dans les dernières épreuves une ame peut être invinciblement persuadée d'une persuasion réfléchie, et qui n'est pas le fond intime de la conscience, qu'elle est justement réprouvée de Dieu.

X. Alors l'ame divisée d'avec elle-même expire sur la croix avec Jésus-Christ, en disant : O Dieu, mon Dien ! pourquoi m'avez-vous abandonné? Dans cette impression involontaire de désespoir, elle fait le sacrifice absolu de son intérêt propre pour l'éternité.

XI. En cet état une ame perd toute espérance pour son propre intérêt ; mais elle ne perd jamais, dans la partie supérieure, c'est-à-dire dans ses acles directs et intimes, l'espérance parfaite, qui est le desir désintéressé des pro

messes.

XII. Un directeur peut alors laisser faire à cette ame un acquiescement simple à la perie de son intérêt propre, et à la condamnation juste où elle croit être de la part de Dieu.

XIII. La partie inférieure de Jésus-Christ sur la croix ne communiquoit pas à la supérieure son trouble involon taire.

XIV. Il se fait, dans les dernières épreuves, pour la purification de l'amour, une séparation de la partie supé rieure de l'ame d'avec l'inférieure... Les actes de la partie inférieure dans cette séparation sont d'un trouble entièrement aveugle et involontaire, parce que tout ce qui est intellectuel et volontaire est de la partie supérieure.

XV. La méditation consiste dans des actes discursifs qui sont faciles à distinguer les uns des autres... Cette composition d'actes discursifs et réfléchis est propre à l'exercice de l'amour intéressé.

XVI. Il y a un état de contemplation si haute et si parfaite, qu'il devient habituel; en sorte que toutes les fois qu'une ame se met en actuelle oraison, son oraison est contemplative et non discursive. Alors elle n'a plus besoin de revenir à la méditation, ni à ses actes méthodiques.

la béatitude éternelle, dans les grandes épreuves de la vie intérieure. (Déclaration, page 260, etc., 277, etc. Summa Doctrinæ. $4.)

La IX autorise le désespoir, en supposant qu'il est permis à une ame d'ètre persuadée d'une persuasion réfléchie qu'elle est justement réprouvée de Dieu. (Déclaration et Summa Doctrinæ, ibid.)

La X, la XIe et la XII expriment la même erreur que les deux précédentes. ( Déclaration et Summa Doctrinæ, ibid.) La XIII suppose que l'ame de Jésus-Christ a éprouvé pendant sa passion un trouble involontaire. (Déclaration, p. 279.) La XIV paroit avoir été condamnée relativement à la IX, qui suppose que les réflexions appartiennent à la partie inférieure de l'ame, c'est-à-dire à l'imagination; d'où il suivroit que le désespoir, même réfléchi, est involontaire. (Déclaration. . p. 277. Summa, § 3.)

La XVe et la XVI supposent que l'oraison ordinaire n'est

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