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Si au contraire, pour montrer que l'ouvrage de Dieu est infiniment parfait, il persiste à dire qu'il est essentiellement inséparable du Verbe, voici la conséquence que j'en tire si le monde est essentiellement inséparable du Verbe, l'ouvrage de Dieu a toujours été par son essence infiniment parfait ; s'il a toujours été infiniment parfait par son essence, jamais sa perfection n'a pù diminuer ni augmenter, et par conséquent il n'y a jamais eu ni de corruption, ni de réparation réelle de l'ouvrage de Dieu.

jours avec Jésus-Christ: Dieu a tant aimé le mon- | plus grande perfection, il est contraire à l'ordre. de, qu'il lui a donné son Fils unique. Nous lui dirons que si un médecin n'aimoit son malade pour l'amour de lui-même, il ne lui donneroit pas les remèdes qui peuvent le guérir; que plus les remèdes qu'il lui donne sont précieux, plus il témoigne que le malade lui est cher. Si les hérétiques qui nient l'incarnation, et les impies qui s'en moquent, nous disent : Quelle apparence que le Fils de Dieu égal à son Père se soit fait homme pour des hommes vils et indignes de lui? l'auteur leur répondra, selon ses principes: Vous vous trompez; Dieu n'a point fait incarner son Fils pour les hommes, mais il n'a créé les hommes et tout l'univers qu'à cause de son Fils, qu'il vouloit incarner. Pour nous, nous répondrons avec saint Jean: Et nous, nous avons connu et cru l'amour que Dieu a pour nous. Dieu est amour lui-même'.

L'auteur convient, me dira-t-on, que Dieu aime les hommes en Jésus-Christ, et qu'il a voulu les sauver par lui.

Il est vrai; mais il ne convient pas que JésusChrist lui-même soit dans son incarnation la preuve et l'effet de l'amour immense de Dieu pour son ouvrage. Il y a une extrême différence entre avouer que Dieu aime le monde en Jésus-Christ, et dire que Dieu a tant aimé le monde, que cet amour lui a fait donner son Fils unique par l'incarnation. Ainsi, quiconque persisteroit à dire ce que dit l'auteur ne connoîtroit ni ne croiroit cet excès de l'amour divin pour nous, qui a formé JésusChrist. Et il faut, selon lui, que saint Augustin, qui a cru en cet amour, se fût bien trompé, quand il a dit : « Il n'y a point eu d'autre cause de la >> venue du Seigneur Jésus-Christ que le salut des » pécheurs. Otez les maladies, ôtez les blessures, » il ne faut plus de médecin. »

2

CHAPITRE XXV.

Si le monde étoit essentiellement inséparable du Verbe incarné, l'ouvrage de Dieu n'auroit jamais pu diminuer en perfection par le péché, ni ètre véritablement réparé par

Jésus-Christ.

Si l'auteur avoue que le monde n'est point essentiellement inséparable du Verbe incarné, il faut qu'il reconnoisse, selon ses principes, que cet ouvrage, pris en soi-même, est indigne de Dieu et mauvais, puisqu'il pourroit être d'une perfection plus grande qu'il n'est, et qu'étant au-dessous de la

› I Joan., IV., 16.

* Serm. CLXXV, al. tx de l'erb. Apost., n. 1, t. v. *Autre chapitre fort abstrait; les conséquences ne sont pas claires. (Bossuet.)

Le total de l'ouvrage de Dieu, me répondrat-on, a toujours été infiniment parfait. Il y a eu seulement une partie de cet ouvrage, savoir le genre humain, qui, par son péché, a diminué sa perfection particulière, et qui en a trouvé en Jésus-Christ la réparation.

A cela je réponds que la diminution d'une partie fait nécessairement la diminution du tout, à moins que ce qui est perdu par la diminution d'une partie ne soit remplacé par l'augmentation d'une autre partie. Si donc le genre humain a souffert par le péché une véritable et réelle diminution de sa perfection originelle, il faut, ou qu'une autre partie de l'ouvrage de Dieu ait en même temps augmenté en perfection, pour remplacer cette perte et pour empêcher la diminution du total, ou que le total ait été réellement diminué. On ne peut dire qu'une autre partie de l'ouvrage de Dieu ait augmenté en perfection à mesure que le genre humain s'est diminué par son péché : donc il est manifeste que si une partie de l'ouvrage de Dieu, savoir le genre humain, a souffert par le péché une véritable et réelle diminution de perfection, il faut que le total ait été réellement diminué. Le total n'est que l'assemblage de toutes les parties: donc la perfection du total n'est que l'assemblage de la perfection de toutes les parties. Si donc une partie diminue en perfection sans qu'une autre augmente, cette diminution de la perfection d'une partie fait nécessairement la diminution de la perfection du tout. Par exemple, on ne pourroit estropier cent soldats sur toute une armée, qu'on ne diminuât les forces du total de l'armée, à moins qu'on ne la renforçât d'ailleurs à proportion de ce qu'on l'auroit affoiblie par ces soldats estropiés. De même encore, si dans un bâtiment superbe on changeoit deux colonnes de marbre en deux colonnes de pierre commune, tout le reste de l'édifice demeurant dans sa magnificence naturelle, il est certain que ce changement des colonnes seroit la diminution du total de l'édifice : il est donc clair

qu'on ne peut concevoir une réelle diminution de la perfection du genre humain par le péché, ni une réelle augmentation de cette perfection par la rédemption, à moins qu'on ne suppose que le total de l'ouvrage de Dieu a eu une diminution et une augmentation réelle de perfection dans ces deux cas. Mais comment peut-on concevoir cette diminution et cette augmentation réelle, si le monde a toujours été essentiellement et infiniment parfait? En tant que séparé de Jésus-Christ, il est mauvais et contraire à l'ordre donc, en cet état, il ne peut avoir aucun degré de perfection, et par conséquent il est absolument incapable de toute diminution et de toute augmentation. En tant qu'inséparable du Verbe, il est toujours infiniment parfait or une perfection demeurant toujours infinie n'augmente ni ne diminue.

Que répondra l'auteur? Dira-t-il que le péché n'est pas une diminution de perfection dans le genre humain? C'est contredire saint Augustin; c'est condamner toute l'Église catholique, et se déclarer pour les manichéens, qui soutenoient que le péché et les autres maux étoient quelque chose de réel, et non une simple diminution du bien, comme saint Augustin le prétendoit.

dre, elle est toujours incapable de toute augmentation et de toute diminution; car ce qui est absolument mauvais, ce qui n'a aucun degré de bien, ne peut en cet état ni augmenter, ni diminuer en perfection; comme un aveugle ne peut ni augmenter ni diminuer en facilité pour voir les objets qui l'environnent, tant qu'il demeure aveugle.

L'unique ressource qui reste à l'auteur, c'est de dire que l'ouvrage de Dieu étant inséparable du Verbe, il a toujours été infiniment parfait; mais que cette perfection, quoique infinie, a été capable d'accroissement et de diminution; qu'elle s'est diminuée par le péché d'Adam, et qu'elle s'est rétablie par la rédemption; mais qu'enfin, dans ces inégalités, elle a toujours été infinie, parce qu'il peut y avoir des infinis les uns plus grands que les autres. Qu'on ne s'étonne pas de me voir entrer dans l'examen d'une telle réponse; elle peut convenir à l'auteur, puisqu'il a dit qu'il y a des infinis inégaux, et que, par exemple, un infini de dizaines est plus grand qu'un infini d'unités '. Mais j'ai deux choses décisives à dire contre cette réponse.

Premièrement, supposé qu'il y ait des infinis plus grands les uns que les autres, je soutiens que Dira-t-il que l'ouvrage de Dieu, en diminuant l'ordre, qui tend toujours essentiellement au plus du côté du genre humain par le péché, a aug-parfait, doit avoir fait choisir à Dieu immuablementé en même temps par quelque autre de ses parties? Mais où est-elle cette partie? Qu'on me la

ment, pour son ouvrage, la plus grande de toutes les perfections infinies qui sont possibles. Quand je raisonne ainsi, c'est sur le principe fondamen

montre; qu'on me donne là-dessus une ombre de preuve. De plus, si le total de l'ouvrage de Dieu tal de l'auteur. Si donc l'ordre a toujours déterest inséparable du Verbe, les parties en sont in-miné Dicu au plus parfait de tous les infiuis, séparables par la même raison. Done, le même l'ouvrage n'a pu descendre du plus parfait infini principe qui rend le tout infiniment parfait rend au moins parfait, sans blesser l'ordre donc il aussi chaque partie infiniment parfaite; elle est aus- n'a jamais pu diminuer, et par conséquent il si incapable que le tout de diminuer en perfec- n'y a jamais eu de réparation réclle du genre tion. Il ne faut donc plus parler des deux parties dont l'une augmente à mesure que l'autre diminue, pour faire une espèce de compensation, et pour rendre le tout toujours égal à lui-même.

Dira-t-il que quand il reconnoît une diminution et une réparation du genre humain, il n'entend parler que d'une diminution et d'une réparation par rapport à la perfection bornée de la créature considérée en elle-même, sans le Verbe? Mais ce refuge lui est déja ôté. Nous avons vu qu'il doit supposer que toute créature est essentiellement in

séparable du Verbe, et par conséquent d'un prix
infini, qui ne peut ni diminuer, ni augmenter.
Que s'il veut la considérer séparée du Verbe,
ce moment il la rend contraire à l'ordre, indigne
de Dieu, et mauvaise. En tant que contraire à l'or-

dès

* L'auteur ne semble pas obligé à dire que le monde, sans l'in

humain.

Secondement, quel est cet étrange renversement de toute philosophie, que de supposer une réelle inégalité entre deux infinis; un infini de dizaines, dit l'auteur, est plus grand qu'un infini d'unités. Je n'empêche pas les gens appliqués à l'algèbre de remarquer, par rapport à leurs supputations, les différentes propriétés de ces nombres, quand on les pousse à l'infini; mais enfin, toutes ces connois

sances doivent être soumises à la métaphysique, choses: On ne doit juger que par-là, comme dit qui consulte immédiatement les pures idées des

carnation, est sans aucun bien : il suffit qu'il dise qu'il n'a pas le degré de perfection qui le rend absolument digne de Dieu, nou qu'il soit mauvais en soi, mais parce qu'il n'est pas assez bon. (Bossuet.)

Médil., IV, n. 41.

l'auteur même '. Sur ce principe inébranlable, je n'ai qu'à lui demander si l'infini d'unité est infini en dizaines ou non? S'il est infini en dizaines, voilà, contre le raisonnement de l'auteur, les deux infinis égaux; si au contraire il n'est pas infini en dizaines, n'ayant qu'un nombre borné de dizaines, il ne peut être infini en aucun sens; car partout où l'on ne peut trouver qu'un nombre fini de dizaines, on ne peut trouver aussi qu'un nombre fini d'unités. Multipliez tant qu'il vous plaira, par dix et par cent, ou par mille, un nombre fini, vous n'en ferez jamais qu'un nombre fini, quoique plus grand. Je ne crois pas que l'auteur nous veuille donner pour règle d'arithmétique que l'infini ne monte qu'à dix fois autant qu'un nombre

fini.

D'ailleurs, qu'y a-t-il de plus affreux que de dire qu'on peut ajouter et diminuer quelque degré de perfection à celle d'un tout où le Verbe divin est essentiellement compris, et par conséquent qu'on peut concevoir quelque chose de plus parfait que ce qui a toute la perfection divine?

N'est-ce donc que pour tomber dans de tels excès, que l'auteur s'écarte si hardiment de toutes les notions communes et du langage même de l'Église? N'est-il pas étonnant que l'auteur, non-seulement pense et dise des choses qui sont si indignes du Verbe, mais encore les fasse dire au Verbe même, comme s'il parloit aux hommes du haut du ciel ?

CHAPITRE XXVI.

Quand même on laisseroit confondre le Verbe divin avec l'ouvrage de Dieu, on n'auroit rien prouvé en faveur de ce système.

Mais laissons encore l'auteur confondre tant qu'il lui plaira la personne divine de Jésus-Christ, qui est infiniment parfaite, avec l'ouvrage de Dieu, qui, pris en soi, est d'une perfection bornée; voyons s'il pourra prouver par-là que Dieu ne pouvoit produire rien de plus parfait que ce qu'il a produit.

Dieu ne pouvoit-il pas, lui dirai-je, unir le Verbe à une ame qu'il auroit créée d'une intelligence naturelle et surnaturelle plus étendue et plus parfaite que celle de Jésus-Christ? Ne pouvoit-il pas aussi unir le Verbe à une ame d'une intelligence naturelle et surnaturelle, moins étendue et moins parfaite que celle de Jésus-Christ: et de même des autres dons de la nature et de la grace " ? Si l'auteur dit que Dieu ne le pouvoit pas, c'est

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à lui à nous en montrer l'impossibilité. S'il dit que l'ordre a dû choisir, pour l'union hypostatique, l'ame la plus parfaite de toutes celles qui étoient possibles, je conclus que l'auteur reconnoît done 'qu'outre la perfection infinie du Verbe, Dieu devoit encore, selon l'ordre, choisir entre tous les ouvrages possibles celui qui avoit en soi le plus de perfection naturelle et bornée. Cela étant, il me restera à lui demander comment est-ce que l'ame de Jésus-Christ, qui est une intelligence bornée, est la plus parfaite de toutes les ames que Dieu pouvoit produire. Quoi ! la puissance de Dieu, que tous les chrétiens ont toujours crue infinie, sera bornée à un degré précis de perfection finie, au-delà duquel elle ne pourra rien produire? 11 est visible que c'est détruire l'idée de l'être infiniment parfait; car l'infinie perfection ne peut se trouver dans une puissance finie.

S'il dit que Dieu pouvoit unir le Verbe à une ame plus ou moins parfaite que celle de Jésus-Christ, l'ouvrage de Dieu, lui dirai-je, seroit-il moins parfait si le Verbe étoit uni à une créature moins parfaite? Seroit-il plus parfait si le Verbe étoit uni à une créature plus parfaite? Répondez précisément. Si yous dites que l'ouvrage eût été plus on moins parfait, selon que le Verbe se seroit uni à une créature plus ou moins parfaite premièrement, en parlant ainsi, vous supposez des infinis plus grands les uns que les autres, ce qui est une erreur grossière et déja réfutée; secondement, vous avouez, par cette réponse, que Dieu pouvoit faire son ouvrage plus parfait qu'il n'est, puisqu'il pouvoit unir son Verbe à une créature plus parfaite que l'ame de Jésus-Christ, et qu'ainsi il a violé l'ordre.

Dès ce moment vous ne pouvez plus espérer de nous persuader que Dieu a fait l'ouvrage le plus parfait, en faisant un ouvrage infiniment parfait par son union avec le Verbe; car nous répondrons : Il est vrai que l'ouvrage est par-là d'une perfection infinie; mais il pourroit néanmoins être encore plus parfait, s'il avoit uni le Verbe à une ame d'une intelligence plus étendue et plus parfaite que celle de Jésus-Christ, et s'il avoit ajouté au monde que nous voyons beaucoup de perfections possibles au-dessus de celles qu'il y a mises.

Si au contraire vous soutenez que l'ouvrage de Dieu seroit toujours également infini en perfection par son union avec le Verbe, soit qu'il se fût uni à une créature plus parfaite, soit qu'il se fût uni à une créature moins parfaite que l'ame de JésusChrist, je conclus que l'ouvrage de Dieu seroit aussi parfait qu'il l'est, quand même Dieu auroit uni au Verbe la moindre de toutes les créatures,

quand même il n'y auroit uni, si vous le voulez, qu'un atome, et que cet atome seroit son unique

ouvrage.

Cette ame, la moindre de toutes les possibles; ou, si vous le voulez, cet atome, seroit un ouvrage aussi infiniment parfait, par son union avec le Verbe, que l'univers l'est maintenant. Il ne falloit donc, pour former le plus parfait de tous les ouvrages, qu'une seule ame ou qu'une autre créature telle qu'il vous plaira, pourvu qu'elle fût unie au Verbe. Il ne falloit tout au plus que JésusChrist tel que Dieu l'a formé. Pourquoi y ajouter un monde qui a coûté à Dieu tant de lois générales et de volontés particulières, sans augmenter en rien l'infinie perfection qui se trouve tout entière dans la personne seule de Jésus-Christ? Pourquoi l'ordre a-t-il permis à Dieu tant d'ouvrages si superflus, et si contraires à la simplicité de ses voies? Sans doute tout ce que Dieu a fait, excepté JésusChrist, n'ajoutant rien à l'infinie perfection de l'ouvrage que nous appelons l'homme-Dieu, il s'ensuit que tout cela a été fait sans aucune raison, et n'a servi qu'à violer l'ordre. Mais de telles absurdités nous contraignent de dire que le reste de l'univers a ajouté quelque perfection à celle qui est en Jésus-Christ. Cette perfection surajoutée n'étant pas infinie, il faut reconnoître que Dieu ne l'a pas faite aussi grande qu'il pouvoit la faire; par conséquent, l'infinie perfection du Verbe uni à l'ouvrage de Dieu ne peut jamais sauver votre système, qui est fondé sur ce que l'ordre détermine toujours Dieu à l'ouvrage le plus parfait.

CHAPITRE XXVII.

Il faut renverser le dogme catholique sur l'incarnation, ou avouer que Jésus-Christ, comme cause occasionelle, n'épargne à Dieu aucune volonté particulière.

L'ame de Jésus-Christ ayant toujours été bienheureuse, la charité consommée a toujours été la règle de toutes ses volontés. Ici-bas la charité étant imparfaite, nous ne voulons pas toujours ce que Dieu veut ; et lors même que nous le voulons, c'est par une volonté imparfaitement conforme à la sienne. Mais dans le ciel, nous ne voudrons plus que ce que Dieu nous fera vouloir, et nous le voudrons d'une volonté pleine. Cette parfaite conformité à la volonté de Dieu, qui sera toute en tous, est la charité consommée des bienheureux. Jésus

* Deux raisons, la charité consommée par la claire vision, la direction et l'assistance continuelle du Verbe qui conduisoit, animoit et produisoit toutes les opérations de l'ame de Jésus-Christ, que le Verbe s'approprioit pour plus grande netteté, et ceci en peu de mots comme connu, et avoué en d'autres endroits de même. (Bossuet.)

| Christ a toujours été dans cette charité consommée; ainsi il n'a jamais été un seul moment où il n'ait été vrai de dire qu'il n'a voulu que ce que Dieu lui a fait vouloir, et qu'il l'a voulu d'une volonté pleine. La volonté de Jésus-Christ n'étant donc bienheureuse qu'en ce qu'elle est toujours parfaitement conforme à celle de Dieu, il faut remonter à la source, et attribuer à la volonté de Dieu tout ce que Jésus-Christ a voulu pour les élus, par conformité à celle de son Père. Il n'en faudroit pas davantage pour détruire tout le système de l'auteur sur la grace. De plus, je lui demande qu'est-ce que l'union hypostatique? N'est-il pas vrai que, selon saint Cyrille d'Alexandrie, principal défenseur du mystère de l'incarnation, le Verbe s'est tellement approprié l'humanité sainte, qu'il en a pleinement dirigé toutes les volontés et toutes les pensées? Saint Augustin, qui a parlé avant le concile d'Ephèse avec la même exactitude avec laquelle on a parlé depuis, n'a-t-il pas dit que le Verbe « a daigné prendre la nature de l'homme et l'unir » à soi, en sorte que tout l'homme lui fût appro» prié comme le corps l'est à l'ame, excepté la » composition sujette à changement, que nous » voyons dans le corps et dans l'ame, et dont Dieu >> est incapable : Ut ei sic coaptaretur homo totus, » quemadmodum animo corpus 1?» Vous voyez, par ces paroles, que le Verbe a pris l'humanité, pour être à cette humanité ce que l'ame est au corps, pour l'animer, pour la mouvoir, pour être le principe de ses opérations, en un mot pour être en quelque façon l'ame de cette ame qu'il s'approprie. Le même Père dit à la fin du livre du Don de la Persévérance, que le Verbe a pris cette humanité, et en a fait de telle sorte un homme juste, qu'il sera toujours juste 2. Remarquez que l'effet de l'union de l'ame de Jésus-Christ avec le Verbe est de tourner toujours la volonté de cette ame à la justice, qui est la volonté de Dieu; et que c'est cette direction de la volonté humaine par le Verbe qui fait son impeccabilité. Ajoutez encore que ces termes si fréquents dans saint Augustin et dans saint Léon, suscepit, assumpsit, marquent, selon leur doctrine, que le Verbe a tiré et a élevé à lui l'ame de Jésus-Christ pour la diriger dans toutes ses affections, le plus parfait élevant toujours à soi le moins parfait dans cette société des deux natures. Il a même fallu que toutes les pensées et toutes les volontés de l'ame de Jésus-Christ fussent

' Epist. cxxxvu, ad Volus. cap. ш., n. 42, tom. u. De dono Persever., cap. XXIV, n. 67. tom. x.

3 S. LEON. Epist. ad Flavian, concil. Thalced., act. II, tom. IV, pág. 344 et seq.

sans cesse dirigées par le Verbe, pour être vérita- | pliquer ici philosophiquement comment cela s'est blement des actions de la personne divine car on fait; c'est à l'auteur à croire fermement avec moi ne peut rien attribuer à la personne divine que les ce fait révélé. actions dont elle est le principe.

Il faut donc dire que tout ce que la nature humaine a fait en Jésus-Christ, selon ses propriétés naturelles, n'a été divin qu'autant que le Verbe a bien voulu le faire sien; et que, pour les actions libres de cette même nature, elles n'ont été d'un mérite infini qu'autant qu'elles ont été faites par la direction actuelle et immédiate du Verbe. Toutes les actions de Jésus-Christ ne sont d'un prix infini qu'autant qu'elles sont de la personne divine, et elles ne sont de la personne divine qu'autant qu'elle en est le principe et qu'elle les dirige.

Mais ne suffit-il pas, dira l'auteur, que le Verbe se soit accommodé aux volontés de l'ame de JésusChrist, et que ces volontés soient divines par la complaisance du Verbe qui les fait siennes?

Non, sans doute; car nous avons vu que, selon l'auteur, Dieu ne sauroit jamais connoître une chose s'il ne l'a faite, parce que nul objet ne peut l'éclairer; ainsi, selon ce principe, Dieu ne pourroit jamais connoître cette détermination de l'ame de Jésus-Christ qu'il n'auroit pas faite d'où il s'ensuivroit que Dieu unissant son Verbe à cette humanité, il se seroit engagé à vouloir ce qu'elle voudroit, sans savoir ni ce qu'il lui plairoit de vouloir, ni si ce qu'elle voudroit pourroit convenir à l'ordre pour l'accomplissement du plus parfait ouvrage.

D'ailleurs, si l'auteur dit que Dieu ne laisse pas à Jésus-Christ le choix du moins parfait, voilà Jésus-Christ en tout déterminé par l'ordre. Ainsi la cause occasionelle est superflue, puisqu'elle ne fait que ce que la cause réelle lui fait faire. S'il dit que Dieu laisse à l'ame de Jésus-Christ le choix du moins parfait, je conclus que Dieu, selon l'auteur, a pris un étrange moyen pour rendre son ouvrage plus parfait qu'il ne pouvoit le rendre lui seul, qui est de se servir, pour cette plus grande perfection, d'une cause occasionelle, à qui il laisse pour cette fin le pouvoir de choisir ce qui est moins parfait. Plus on observera cette conséquence, plus elle paroîtra inévitable et étonnante. Il faut donc qu'il confesse, avec toute l'Église catholique, que le Verbe meut, domine, attire à lui et dirige en tout l'ame de Jésus-Christ, qu'il s'est rendue propre. Il n'est point question ici de savoir comment est-ce que cette direction, toujours actuelle et toujours inviolable du Verbe, s'est accordée avec la parfaite liberté de JésusChrist pour le mérite. Ce n'est pas à moi à ex

2.

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Cette direction de l'humanité par le Verbe nous fait entendre à la lettre ce que Jésus-Christ dit si souvent, et en termes si forts, dans l'Évangile, sur son obéissance à son Père. Remarquez que le Père et le Fils n'ont qu'une seule volonté; il ne faut donc pas s'étonner si l'ame de Jésus-Christ, conduite par le Verbe, obéit au Père en toutes choses. Je ne fais, dit Jésus-Christ, que ce que je vois faire à mon Père. Les choses qui lui plaisent, je les fais toujours. Je ne dis que ce que je reçois de lui: ma doctrine n'est pas ma doctrine, mais celle de mon Père qui m'a envoyé : ma nourriture est de faire sa volonté. Est-ce ainsi qu'on parle quand on fait sa volonté propre, et qu'on est la règle de celle d'autrui.?

au

Il ne s'agit pas de savoir si l'ame de JésusChrista pu choisir certaines circonstances, lieu de quelques autres qui revenoient toujours au même dessein: je sais ce qu'on dit d'ordinaire sur ce sujet, et je ne prétends pas y toucher. Mais je dis que si l'ame de Jésus-Christ, en qualité de cause occasionelle dans l'ordre de la grace, détermine la volonté de Dieu sans être déterminée auparavant par celle de Dieu même, il s'ensuit que dans toutes les choses qui regardent l'ordre de la grace et le salut des hommes, où il est cause occasionelle, qu'en un mot dans tout ce qui est de sa mission, il fait sa propre volonté; et, bien loin qu'il fasse celle de Dieu, c'est Dieu qui fait la sienne.

Mais Dieu, répondra l'auteur, ne fait la volonté de Jésus-Christ qu'à cause qu'il lui a plu de la faire; ainsi la volonté de Jésus-Christ en ce sens est toujours celle de son père.

Mais voici un exemple sensible qui va confondre cette réponse. Un supérieur de monastère entre les mains de qui un religieux a déposé sa volonté, comme l'auteur prétend que Dieu a déposé la sienne entre les mains de Jésus-Christ, pourroit-il dire sérieusement à ce religieux qu'il auroit suivi ses décisions pendant toute la journée : J'ai achevé l'œuvre que vous m'avez donné à faire 2 aujourd'hui? oseroit-il dire: Je fais toujours tout ce qu'il vous plaît; ma nourriture est de faire votre volonté ? Le religieux n'auroit-il pas raison de lui répondre: C'est moi qui vous ai obéi, selon mon vou, pendant toute la journée? Selon l'auteur, Jésus-Christ est, à l'égard du Père éternel pour la dispensation des graces et pour le salut des hommes,

'Joan., v, 19; vп, 28, 29; VI, 46; IV, 34. Joan, XVII, 4.

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