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SERMONS ET ENTRETIENS

SUR DIVERS SUJETS.

NOTICE

SUR L'ÉLECTEUR DE COLOGNE.

JOSEPH-CLÉMENT DE BAVIÈRE, électeur de Cologne, fils de Ferdinand Wolfang, duc de Bavière, et de Henriette-Adélaïde de Savoie, naquit le 5 décembre 1671. Dès l'âge de quinze ans, il fut élu évêque de Ratisbonne et de Frisingue. Deux ans après, il obtint du pape Innocent XI un bref d'éligibilité pour l'archevêché de Cologne et pour les évêchés de Liége et de Hildesheim, à condition que lorsqu'il seroit promu à ces trois siéges, ou seulement à l'un d'eux, il renonceroit aux évéchés de Ratisbonne et de Frisingue. Il fut effectivement élu archevêque et électeur de Cologne le 10 juillet 1688, sept jours après la mort de Maximilien-Henri de Bavière, son cousin, et confirmé par un bref du 20 septembre 1688, qui lui accordoit en même temps la permission de conserver les évéchés de Ratisbonne et de Frisingue, jusqu'à ce qu'il pût entrer en possession des biens de l'église de Cologne. Ce premier bref fut suivi, en 4689, d'un autre qui autorisoit l'électeur à accepter les évêchés de Liége et de Hildesheim. En conséquence de ce bref, il fut élu, le 28 janvier 1694, coadjuteur de ce dernier siége, dont il deviot titulaire le 13 août 1702, par la mort de Joseph-Edmond, baron de Brabeck : et le 20 avril de la mème année 1694, il fut élu évèque et prince de Liége, à la place de Jean-Louis d'Elderen, mort le 1er février précédent. L'électeur de Cologne parvint ainsi à réunir sur sa tète cinq évèchés différents, quoiqu'il ne fût pas même dans les ordres sacrés : cet abus avoit alors prévalu en Allemagne, et l'histoire de cette époque en offre plusieurs exemples. Une concession de cette nature, 4 comme l'a judicieu>> sement observé un écrivain récent, faite par un pape » aussi régulier et même aussi sévère qu'Innocent XI, ne >> peut s'expliquer que par les instances importunes de >> grandes puissances, qui se croyoient en droit d'obtenir > tout ce qu'elles desiroient. La maison de Bavière, la fa» mille catholique d'Allemagne la plus puissante après la » maison d'Autriche, avoit sollicité avec chaleur des dis» penses qui n'étoient malheureusement pas sans exemple. » Les avoir arrachées une fois paroissoit un litre pour les » extorquer encore. La maison d'Autriche, liée alors avec » l'électeur de Bavière, avoit appuyé ses demandes, et on » n'avoit pas cru apparemment qu'il fût possible de résis» ter à de si puissantes interventions'. »

Depuis 1688 jusqu'en 1707, l'électeur se contenta de jouir de ses revenus ecclésiastiques, sans se mettre en de

· Mémoires pour servir à l'Hist. Eccl. pendant le xv siècle introduct. 11 partie, art. Allemagne, pag. 94.

voir de recevoir la consécration épiscopale, ni même les ordres sacrés. Mais s'étant déclaré pour la France, aussi bien que l'électeur de Bavière, son frère, dans la guerre de la succession d'Espagne, tous deux furent dépouillés, par l'empereur, de leurs états d'Allemague, et obligés de chercher un asile en France. Pendant son séjour en ce royaume, l'électeur de Cologne ayant eu occasion de voir Fénelon à Cambrai, conçut aussitôt pour l'illustre prélat les sentiments d'estime et de vénération qu'il avoit coutume d'inspirer à tous ceux qui l'approchoient. Fénelon profita de ces heureuses conjonctures pour lui inspirer des sentiments et une conduite plus conformes à l'esprit de la religion et aux règles de l'Église. Il lui fit sentir que les dispenses qu'il avoit obtenues du Saint-Siége pour éloigner sa promotion aux ordres sacrés ne dégageoient sa conscience ni devant Dieu ni devant les hommes. L'électeur entendit avec docilité la voix de la religion, à laquelle sa profonde vénération pour l'archevêque de Cambrai ajoutoit une nouvelle force. La seule crainte du redoutable fardeau de

l'episcopat lui fit différer son sacre de quelques années, pour s'y mieux préparer par les pratiques de piété que Fénelon lui conseilla '. 11 reçut enfin les ordres sacrés vers la fin de l'année 1706, dans la chapelle des jésuites de Lille, où il célebra sa première messe avec une grande pompe, le premier jour de l'année 1707. Le 1er mai suivant, il reçut, dans l'église collégiale de Saint-Pierre de la mème ville, la consécration épiscopale des mains de Fénelon, assisté des évêques d'Ypres et de Namur.

Ce fut à l'occasion de cette dernière cérémonie que l'archevêque de Cambrai prononça le discours suivant, regardé avec raison comme une des plus belles productions de l'éloquence chrétienne, par l'heureux accord des pensées les plus sublimes et des exhortations les plus pathétiques.

L'électeur n'oublia jamais les avis pleins de sagesse que Fénelon lui avoit donnés dans une occasion si importante. Il lui en témoigna constamment sa reconnoissance par une conduite pleine d'égards et de respects, et par la confiance avec laquelle il le consulta dans les difficultés de son administration, soit ecclésiastique, soit temporelle. Ayant été rétabli dans ses états par le traité de Rastadt en 1714, il résigna son évêché de Ratisbonne, le 26 mars 1716. à Clé ment-Auguste de Bavière, son neveu, et reçut de l'empereur, par ses plénipotentiaires, le 20 avril 1717, l'investiture du temporel de l'archevêché de Cologne, ainsi que des évêchés de Liége et de Hildesheim. Il mourut le 12 novembre 1723, à Bonn, petite ville des environs de Cologne, et ancienne résidence de l'électeur.

Voyez les lettres de Fénelon à l'électeur de Cologne, du 30 décembre 1704 et du 45 juillet 1706, parmi les Lettres spirituelles.

DISCOURS

PRONONCÉ

AU SACRE DE L'ÉLECTEUR DE COLOGNE,

Dans l'église collégiale de Saint-Pierre, à Lille,
le 1er mai 1707.

Depuis que je suis destiné à être votre consécrateur, prince que l'Église voit aujourd'hui avec tant de joie prosterné au pied des autels, je ne lis plus aucun endroit de l'Écriture qui ne me fasse quelque impression par rapport à votre personne. Mais voici les paroles qui m'ont le plus touché « Étant libre à l'égard de tous, dit l'Apôtre 1, je » me suis fait esclave de tous, pour en gagner un >> plus grand nombre. Cum liber essem ex omni» bus, omnium me servum feci, ut plures lucrifa» cerem. » Quelle grandeur se présente ici de tous côtés ! Je vois une maison qui remplissoit déja le trône impérial il y a près de quatre cents ans. Elle a donné à l'Allemagne deux empereurs, et deux branches qui jouissent de la dignité électorale. Elle règne dans la Suède, où un prince, au sortir de l'enfance, est devenu tout-à-coup la terreur du Nord. Je n'aperçois que les plus hautes alliances des maisons de France et d'Autriche: d'un côté, vous êtes petit-fils de Henri-le-Grand, dont la mémoire ne cessera jamais d'être chère à la France; de l'autre côté, votre sang coule dans les veines de nos princes, précieuse espérance de la nation. Hélas! nous ne pouvons nous souvenir qu'avec douleur de la princesse à qui nous les devons, et qui fut trop tôt enlevée au monde !

autels. J'avoue que le respect devroit m'engager à me taire; mais l'amour, comme saint Bernard >> le disoit au pape Eugène ', n'est point retenu » par le respect... Je vous parlerai, non pour >> vous instruire, mais pour vous conjurer comme » une mère tendre. Je veux bien paroître indiscret » à ceux qui n'aiment point, et qui ne sentent » pas tout ce qu'un véritable amour fait sentir. » Pour vous, je sais que vous avez le goût de la vérité, et même de la vérité la plus forte. Je ne crains point de vous déplaire en la disant : daignez donc écouter ce que je ne crains point de dire. D'un côté, l'Église n'a aucun besoin du secours des princes de la terre, parce que les promesses de son Époux tout puissant lui suffisent; d'un autre côté, les princes qui deviennent pasteurs peuvent être très utiles à l'Église, pourvu qu'ils s'humilient, qu'ils se dévouent au travail, et qu'on voie reluire en eux toutes les vertus pastorales. Voilà les deux points que je me propose d'expliquer dans ce discours.

PREMIER POINT.

Les enfants du siècle, prévenus des maximes d'une politique profane, prétendent que l'Église ne sauroit se passer du secours des princes et de la protection de leurs armes, surtout dans les pays où les hérétiques peuvent l'attaquer. Aveugles, qui veulent mesurer l'ouvrage de Dieu par celui des hommes ! C'est s'appuyer sur un bras de chair2; c'est anéantir la croix de Jésus-Christ 3. Croit-on que l'Époux tout puissant et fidèle dans ses promesses ne suffise pas à l'épouse? Le ciel et la terre passeront, mais aucune de ses paroles ne passera jamais. O hommes foibles et impuissants qu'on nomme les rois et les princes du monde, vous n'avez qu'une force empruntée pour un peu de temps: l'Époux, qui vous la prête, ne vous la confie qu'afin que vous serviez l'épouse. Si vous manquiez à l'Épouse, vous manqueriez à l'Époux même; il sauroit transporter son glaive en d'autres mains. Souvenez-vous que c'est lui qui est le Prince des rois de la terre 3, le Roi invisible et immortel des siècles 6.

Oserai-je ajouter, en présence d'Emmanuel 2, que les Infidèles ont senti et que les chrétiens ont admiré sa valeur ? Toutes les nations s'attendrissent en éprouvant sa douceur, sa bonté, sa magnificence, son aimable sincérité, sa constance à toute épreuve dans ses engagements, sa fidélité, qui égale dans ses alliances la probité et la délicatesse des plus vertueux amis dans leur société privée. Avec un cœur semblable à celui d'un tel frère, prince, il ne tenoit qu'à vous de marcher Il est vrai qu'il est écrit que l'Église sucera le sur ses traces. Vous étiez libre de le suivre ; vous lait des nations, qu'elle sera allaitée de la mapouviez vous promettre tout ce que le siècle a demelle des rois, qu'ils seront ses nourriciers, qu'ils plus flatteur: mais vous venez sacrifier à Dieu cette liberté et ces espérances mondaines. C'est de ce sacrifice que je veux vous parler à la face des saints

I Cor., IX, 19.

• Maximilien-Emmanuei, électeur de Bavière, frère de l'électeur de Cologne, présent à son sacre. (Edit. l ́ers.)

marcheront à la splendeur de sa lumière naissante, que ses portes ne se fermeront ni jour ni nuit, afin qu'on lui apporte la force des peuples,

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et que

les rois y soient amenés: mais il est dit aussi que les rois viendront, les yeux baissés vers la terre, se prosterner devant l'Église; qu'ils baiseront la poussière de ses pieds'; que, n'osant parler, ils fermeront leur bouche devant son Époux; que toute nation et tout royaume qui ne sera point dans la servitude de cette nouvelle Jérusalem périra. Trop heureux donc les princes que Dieu daigne employer à la servir ! trop honorés ceux qu'il choisit pour une si glorieuse confiance!

elle donne des torrents: tout est miracle pendant quarante années pour délivrer l'Église captive.

Hâtons-nous; passons aux Machabées : les rois de Syrie persécutent l'Église; elle ne peut se résoudre à renouveler une alliance avec Rome et avec Sparte, sans déclarer en esprit de foi qu'elle ne s'appuie que sur les promesses de son Époux. Nous n'avons, disoit Jonathas ', aucun besoin de tous ces secours, ayant pour consolation les saints livres qui sont dans nos mains. Et en effet, de quoi l'Église a-t-elle besoin ici-bas? Il ne lui faut que Et maintenant, ô rois! comprenez, instruisez-la grace de son Époux pour lui enfanter des élus; leur sang même est une semence qui les multiplie. vous, ô juges de la terre! servez le Seigneur avec cramte, et réjouissez-vous en lui avec tremble- Pourquoi mendieroit-elle un secours humain, de moument, de peur que sa colère ne s'enflamme, et elle qui se contente d'obéir, de souffrir, que vous ne périssiez en vous égarant de la voie | rir; son règne, qui est celui de son Époux, n'éde la justice 2. Dieu jaloux renverse les trônes des tant point de ce monde, et tous ces biens étant princes hautains, et il fait asseoir en leurs au-delà de cette vie? places des hommes doux et modérés ; il fait sécher jusqu'aux racines des nations superbes, et il plante les humbles pour les faire fleurir; il détruit jusque dans ses fondements toute puissance orgueilleuse; il en efface même la mémoire de dessus la terre. Toute chair est comme l'herbe, et sa gloire est comme une fleur des champs: dès que l'esprit du Seigneur souffle, cette herbe est desséchée, et cette fleur tombe Que les princes qui se vantent de protéger l'Église ne se flattent donc pas jusqu'à croire qu'elle tomberoit s'ils ne la portoient pas dans leurs mains. S'ils cessoient de la soutenir, le Tout-Puissant la porteroit lui-même. Pour eux, faute de la servir, ils périroient, selon les saints oracles.

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Jetons les yeux sur l'Église, c'est-à-dire sur cette société visible des enfants de Dieu qui a été conservée dans tous les temps: c'est le royaume qui n'aura point de fin. Toutes les autres puissances s'élèvent et tombent ; après avoir étonné le monde, elles disparoissent. L'Église seule, malgré les tempêtes du dehors et les scandales du dedans, demeure immortelle. Pour vaincre, elle ne fait que souffrir; et elle n'a pas d'autres armes que la croix de son Époux.

Considérons cette société sous Moïse: Pharaon

la veut opprimer; les ténèbres deviennent palpables en Égypte; la terre s'y couvre d'insectes; la mer s'entr'ouvre, ses eaux suspendues s'élèvent comme deux murs; tout un peuple traverse l'abîme à pied sec, un pain descendu du ciel le nourrit au désert; l'homme parle à la pierre, et

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Mais tournons nos regards vers l'Église, que Rome païenne, cette Babylone enivrée du sang des martyrs, s'efforce de détruire. L'Église demeure libre dans les chaînes, et invincible au milieu des tourments. Dieu laisse ruisseler, pendant trois cents ans, le sang de ses enfants bien aimés. Pourquoi croyez-vous qu'il le fasse? C'est pour convaincre le monde entier, par une si longue et si terrible expérience, que l'Eglise, comme suspendue entre le ciel et la terre, n'a besoin que de la

main invisible dont elle est soutenue. Jamais elle ne fut si libre, si forte, si florissante, si féconde.

Que sont devenus ces Romains qui la persécutoient? Ce peuple, qui se vantoit d'être le peuple roi, a été livré aux nations barbares; l'empire éternel est tombé; Rome est ensevelie dans ses ruines avec les faux dieux, il n'en reste plus de mémoire que par une autre Rome sortie de ses cendres, qui, étant pure et sainte, est devenue à jamais le centre du royaume de Jésus-Christ.

de

sages

Mais comment est-ce que l'Église a vaincu cette Rome victorieuse de l'univers ? Écoutons l'Apôtre2: Ce qui est folie en Dieu est plus sage que tous les hommes: ce qui est foible en Dieu est plus fort qu'eux. Voyez, mes frères, votre vocation; car il n'y a point parmi vous beaucoup selon la chair, ni beaucoup d'hommes puissants, ni beaucoup de nobles. Mais Dieu a choisi ce qui est insensé selon le monde, pour confondre les sages; et il a choisi ce qui est foible dans le monde, pour confondre ce qui est fort: il a choisi ce qui est bas et méprisable, et même ce qui n'est pas, pour détruire ce qui est, afin que nulle chair ne se glorifie devant lui. Qu'on ne nous vante donc

1 I Mac., xu, 9. 21 Cor., 1, 25, 28.

plus ni une sagesse convaincue de folie, ni une | servir, et non la dominer, baiser la poussière de

puissance fragile et empruntée : qu'on ne nous parle plus que d'une foiblesse simple et humble, qui peut tout en Dieu seul; qu'on ne nous parle plus que de la folie de la croix. La jalousie de Dieu alloit jusqu'à sembler exclure de l'Église, pendant ces siècles d'épreuve, tout ce qui auroit paru un secours humain : Dicu, impénétrable dans ses conseils, vouloit renverser tout ordre naturel. De là vient que Tertullien a paru douter si les Césars pouvoient devenir chrétiens'. Combien coûta-t-il de sang et de tourments aux fidèles, pour montrer que l'Église ne tient à rien ici-bas ! « Elle » ne possède pour elle-même, dit saint Ambroise 2, » que sa seule foi. » C'est cette foi qui vainquit le monde.

Après ce spectacle de trois cents ans, Dieu se souvint enfin de ses anciennes promesses; il daigna faire aux maîtres du monde la grace de les admettre aux pieds de son épouse. Ils en devinrent les nourriciers, et il leur fut donné de baiser la poussière de ses pieds 3. Fut-ce un secours qui vint à propos pour soutenir l'Église ébranlée ? Non, celui qui l'avoit soutenue pendant trois siècles, malgré les hommes, n'avoit pas besoin de la foiblesse des hommes, déja vaincus par elle, pour la soutenir. Mais ce fut un triomphe que l'Époux voulut donner à l'épouse après tant de victoires; ce fut, non une ressource pour l'Église, mais une grace et une miséricorde pour les empereurs. « Qu'y a-t-il, disoit saint Ambroise, de plus >> glorieux pour l'empereur, que d'être nommé le » fils de l'Église? »

En vain quelqu'un dira que l'Église est dans l'état. L'Église, il est vrai, est dans l'état pour obéir au prince dans tout ce qui est temporel; mais, quoiqu'elle se trouve dans l'état, elle n'en dépend jamais pour aucune fonction spirituelle. Elle est en ce monde, mais c'est pour le convertir; elle est en ce monde, mais c'est pour le gouverner par rapport au salut. Elle use de ce monde en passant, comme n'en usant pas; elle y est comme Israël fut étranger et voyageur au milieu du désert; elle est déja d'un autre monde, qui est audessus de celui-ci. Le monde, en se soumettant à l'Église, n'a point acquis le droit de l'assujettir : les princes, en devenant les enfants de l'Église, ne sont point devenus ses maîtres; ils doivent la

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ses pieds, et non lui imposer le joug. L'empereur, disoit saint Ambroise', « est au-dedans de l'Église, » mais il n'est pas au-dessus d'elle. Le bon empe» reur cherche le secours de l'Église, et ne le re» jette point. » L'Église demeura sous les empereurs convertis aussi libre qu'elle l'avoit été sous les empereurs idolâtres et persécuteurs. Elle continua de dire, au milieu de la plus profonde paix, ce que Tertullien disoit pour elle pendant les persécutions: « Non te terremus, qui nec timemus 2. » Nous ne sommes point à craindre pour vous, et >> nous ne vous craignons point. Mais prenez garde, » ajoute-t-il, de ne combattre pas contre Dieu. » En effet, qu'y a-t-il de plus funeste à une puissance bumaine, qui n'est que foiblesse, que d'attaquer le Tout-Puissant? Celui sur qui cette pierre tombe sera écrasé ; et celui qui tombe sur elle se brisera3.

S'agit-il de l'ordre civil et politique, l'Église n'a garde d'ébranler les royaumes de la terre, elle qui tient dans ses mains les clefs du royaume du ciel. Elle ne desire rien de tout ce qui peut être vu; elle n'aspire qu'au royaume de son Époux, qui est le sien. Elle est pauvre, et jalouse du trésor de sa pauvreté; elle est paisible, et c'est elle qui donne, au nom de l'Époux, une paix que le monde ne peut ni donner ni ôter; elle est patiente, et c'est par sa patience jusques à la mort de la croix qu'elle est invincible. Elle n'oublie jamais que son Époux s'enfuit sur la montagne dès qu'on voulut le faire roi; elle se ressouvient qu'elle doit avoir en commun avec son Époux la nudité de la croix, puisqu'il est l'homme des douleurs, l'homme écrasé dans l'infirmité, l'homme rassasié d'opprobres 3. Elle ne veut qu'obéir; elle donne sans cesse l'exemple de la soumission et du zèle pour l'autorité légitime, elle verseroit tout son sang pour la soutenir. Ce seroit pour elle un second martyre, après celui qu'elle a enduré pour la foi. Princes, elle vous aime; elle prie nuit et jour pour vous; vous n'avez point de ressource plus assurée que sa fidélité. Outre qu'elle attire sur vos personnes et sur vos peuples les célestes bénédictions, elle inspire à vos peuples une affection à toute épreuve pour vos personnes, qui sont les images de Dieu icibas.

Si l'Église accepte les dons précieux et magnifiques que les princes lui font, ce n'est pas qu'elle veuille renoncer à la croix de son Époux, et jouir des richesses trompeuses: elle veut seulement

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procurer aux princes le mérite de s'en dépouiller; elle ne veut s'en servir que pour orner la maison de Dieu, que pour faire subsister modestement les ministres sacrés, que pour nourrir les pauvres, qui sont les sujets des princes. Elle cherche, non les richesses des hommes, mais leur salut; non ce qui est à cux, mais eux-mêmes. Elle n'accepte leurs offrandes périssables que pour leur donner les biens éternels.

Plutôt que de subir le joug des puissances du siècle, et de perdre la liberté évangélique, elle rendroit tous les biens temporels qu'elle a reçus des princes. Les terres de l'Église, disoit saint » Ambroise, paient le tribut; et si l'empereur » veut ces terres, il a la puissance pour les >> prendre aucun de nous ne s'y oppose. Les » aumônes des peuples suffiront encore à nourrir » les pauvres. Qu'on ne nous rende point odieux » par la possession où nous sommes de ces terres; qu'ils les prennent, si l'empereur les veut. Je » ne les donne point; mais je ne les refuse pas. » Mais s'agit-il du ministère spirituel donné à l'épouse immédiatement par le seul Époux, l'Église l'exerce avec une entière indépendance des hommes. Jésus-Christ dit 2: Toute puissance m'a été donnée dans le ciel et sur la terre. Allez donc; enseignez toutes les nations, les baptisant, etc. C'est cette toute-puissance de l'Époux qui passe à l'épouse, et n'a aucune borne toute créature sans exception y est soumise. Comme les pasteurs doivent donner aux peuples l'exemple de la plus parfaite soumission et de la plus inviolable fidélité aux princes pour le temporel, il faut aussi que les princes, s'ils veulent être chrétiens, donnent aux peuples, à leur tour, l'exemple de la plus humble docilité et de la plus exacte obéissance aux pas teurs pour toutes les choses spirituelles. Tout ce que l'Église lie ici-bas est lié; tout ce qu'elle remet est remis; tout ce qu'elle décide est confirmé au ciel. Voilà la puissance décrite par le prophète Daniel.

L'Ancien des jours, dit-il3, a donné le jugement aux saints du Très-Haut, et le temps en est venu, et les saints ont possédé la royauté. Ensuite le prophète dépeint un roi puissant et impie, qui proférera ds blasphèmes, et qui écrasera les saints du Très-Haut. il croira pouvoir changer les temps et les lois, et ils seront livrés dans sa main jusqu'à un temps, et à des temps, et à la

Ep., xx1. Serm. cont. uxent., n. 33: tom. II, pag. 872.
Matth., XXVIII, 48.

• Dan., VII, 22, 25, 26,27.

moitié d'un temps: et alors le juge sera assis, afin que la puissance lui soit enlevée, qu'il soit écrasé, et qu'il périsse pour toujours; en sorte que la royauté, la puissance et la grandeur de la puissance sur tout ce qui est sous le ciel soit donnée au peuple des saints du Très-Haut, dont le règne sera éternel, et tous les rois lui serviront et lui obéiront.

O hommes qui n'êtes qu'hommes, quoique la de flatterie vous tente d'oublier l'humanité, et vous élever au-dessus d'elle, souvenez-vous que Dieu peut tout sur vous, et que vous ne pouvez rien contre lui. Troubler l'Église dans ses fonctions, c'est attaquer le Très-Haut dans ce qu'il a de plus cher, qui est son épouse; c'est blasphemer contre les promesses; c'est oser l'impossible; c'est vouloir renverser le règne éternel. Rois de la terre, vous vous ligueriez en vain contre le Seigneur et contre son Christ; en vain vous renouvelleriez les persécutions, en les renouvelant; vous ne feriez que purifier l'Église, et que ramener pour elle la beauté de ses anciens jours. En vain vous diriez Rompons ses liens, et rejetons son joug; celui qui habite dans les cieux riroit de vos desseins. Le Seigneur a donné à son Fils toutes les nations comme son héritage, et les extrémités de la terre comme ce qu'il doit posséder en propre 2. Si vous ne vous humiliez sous sa puissante main, il vous brisera comme des vases d'argile. La puissance sera enlevée à quiconque osera s'élever contre l'Église. Ce n'est pas elle qui l'enlèvera, car elle ne fait que souffrir et prier. Si les princes vouloient l'asservir, elle ouvriroit son sein; elle diroit: Frappez; elle ajouteroit, comme les apôtres Jugez vous-mêmes devant Dieu s'il est juste de vous obéir plutôt qu'à lui 3. Ici ce n'est pas moi qui parle, c'est le Saint-Esprit. Si les rois manquoient à la servir et à lui obéir, la puissance leur seroit enlevée. Le Dieu des armées, sans qui on garderoit en vain les villes, ne combattroit plus avec eux.

Non-seulement les princes ne peuvent rien contre l'Église, mais encore ils ne peuvent rien pour elle touchant le spirituel, qu'en lui obéissant. Il est vrai que le prince pieux et zélé est nommé l'évêque du dehors, et le protecteur des canons 5; expressions que nous répéterons sans cesse avec joie, dans le sens modéré des anciens qui s'en sont

. Ps. 11, 2,

a Ibid., 3, 4, 8, 9.

3 Act., IV, 19.

4 Is., LX. 12.

5 EUSEB., de Vita Constantini, lib. 1v, cap. xXXIV.

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