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O combien d'hommes s'imaginent, par une erreur grossière, qu'ils sauroient mieux mourir que vivre pour Jésus-Christ! Ils feroient l'un aussi mal que l'autre. Ils sont lâches dans les petites tentations; ils sont mous dans les plaisirs: comment pourroient-ils être constants et invincibles dans les douleurs? Ils ne peuvent sacrifier à Dieu un plaisir honteux d'un moment, un vil intérêt qu'ils n'oseroient nommer, une ombre, une fu

souffert. Il a compté toutes ses douleurs, et maintenant il le couronne. Pour nous, mes frères, il nous suffit de savoir que c'est un de ces généreux fidèles qui ont livré leur ame pour le nom du Seigneur Jésus-Christ. Fiole pleine du sang qu'il a répandu, et vous palmes qu'il a méritées par son martyre, vous serez à jamais, dans les assemblées des justes, la marque de sa gloire et du triomphe de la vérité. Parlez-moi d'un docteur qui a éclairé toute l'É-mée de réputation qui s'évanouit; et ils lui donneglise par la science des Écritures; je demanderai: A-t-il été humble? Racontez-moi les austérités d'un anachorète qui a vécu dans les déserts comme un ange dans un corps mortel; je demanderai encore: A-t-il persévéré? Mais quand on parle d'un martyr qui, dans la vraie Église, a répandu son sang, il ne reste plus de demande à faire. Le martyre est l'abrégé de toutes les vertus: qui dit martyr dit tout; et qui a donné sa vie a consommé le sacrifice d'holocauste dont la bonne odeur monte jusqu'à Dieu.

roient leur sang, leur vie, et tout avec elle? O hommes lâches, taisez-vous; la foi ne peut attendre rien de vous. Une froide raillerie vous fait rougir de l'Évangile, et vous seriez victorieux des opprobres et des tourments? Non, non; taisezvous, encore une fois ; la foi ne peut attendre rien de vous qui soit digne d'elle. Vos mœurs et vos sentiments ne promettent que l'apostasie; et, sans attendre la persécution, ne démentez-vous pas déja votre foi?

Et vous, ô chrétiens indignes de ce nom, qui dites que les martyrs étoient des hommes extraordinaires qu'on ne doit pas prétendre d'imiter, sachez qu'ils devoient à Jésus-Christ tout leur sang qu'ils lui ont donné; sachez que dans les mêmes circonstances vous n'en pourriez moins faire, sans renoncer à votre salut. C'est pourquoi

Gardez-vous bien, mes frères, de regarder avec indifférence ce pieux spectacle. Rien ne doit tant consoler la foi, que la vue d'un martyr: mais rien ne doit tant faire frémir la chair et le sang, rien ne doit tant consterner la nature. Un martyr est un homme foible et sensible comme nous, dont le courage vient faire rougir notre là-l'Apôtre disoit: Je ne préfère point ma vie à mon cheté. Loin donc, loin du martyr et de ses reliques, celui qui aime encore la vie, et qui n'oseroit mourir pour la foi !

Je vous entends, mes frères. Vous dites: Il est plus facile de mourir que de vivre pour JésusChrist. Le combat du martyre est court, au lieu que la pénitence chrétienne est un combat dont les peines et les dangers se renouvellent tous les jours; un combat où l'on est sans cesse aux prises avec le monde et avec soi-même. Vous vous trompez, mes frères. Ces martyrs, qui viennent vous confondre, mouroient tous les jours par leur détachement et par leurs souffrances, avant que d'expirer dans les supplices. Ils n'étoient même préparés au martyre qu'autant qu'ils mouroient par avance à tout. Faut-il s'étonner, disoit Tertullien, s'ils sont prêts à quitter la terre, puisqu'ils ont déja rompu tous leurs liens? Il ne faut pas être surpris, disoit saint Cyprien, si ceux qui achetoient et qui goûtoient encore les douceurs de la vie pendant la paix sont tombés pendant la persécution. Vous le voyez, mes frères, c'est en vain que vous voudriez mourir pour Jésus-Christ sans vivre pour lui le sacrifice du martyre est le fruit d'une vie où l'on a déja sacrifié sans réserve ses passions.

ame'. Mais, sans attendre les occasions du martyre, souvenez-vous que le même esprit qui a fait les martyrs doit vous animer dans les tentations les plus communes de la vie.

Est-il question d'étouffer un ressentiment, de sacrifier un intérêt injuste, de fouler aux pieds les grandeurs mondaines, d'abhorrer un plaisir impur, pour observer la loi de Dieu; ô martyr de la vérité et de la justice, armez-vous de courage. Plutôt répandre votre sang jusqu'à la dernière goutte, en combattant contre le péché!

Le péché de l'idolâtrie n'est pas le seul contre lequel il faut combattre jusqu'à livrer sa vie. Tout ce que préfère la créature au Créateur est abomination: tout ce qui nous tente contre la loi est l'idole qu'il faut briser. Mourons, mes frères, mourons pour la loi de notre Dieu, et pour le testament de notre père. Où êtes-vous, ô martyrs de la chasteté, ô martyrs de la charité, ô martyrs de la justice, ô martyrs de la pénitence, qui devez succéder aux martyrs de la foi? Revenez, je ne craindrai point de le dire, revenez, bienheureux temps des persécutions. Une longue paix a amolli

1 Act.. xx, 24.

les cœurs. O paix, ô longue paix, que vous êtes amère, vous dont la douceur a été si long-temps desirée ! C'est vous qui ravagez l'Église plus que la persécution des tyrans; c'est vous qui nous coûtez tant de relâchements et de scandales. Mais la persécution ébranleroit les foibles, il est vrai; n'importe : du moins elle réveilleroit la foi; le Sei-être admirable dans ses saints, et les faire régner, gneur éprouveroit ceux qui sont à lui; la tempête, qui enlèveroit la paille, laisseroit le pur grain; l'Église seroit purgée des faux chrétiens; les ames fragiles s'humilieroient, et les forts seroient couronnés.

| faits; nous les tirons même de la bouche de nos frères errants. L'Église, dès ces premiers jours si voisins des apôtres, regardoit les cendres des martyrs comme étant pleines de la vertu de Dieu. Étoit-ce trop donner aux martyrs? Non, non, mes frères; c'étoit donner tout à Dieu, qui veut

O Dieu, à quoi sommes-nous donc réduits? A vous demander que le glaive revienne sur nous. Frappez, Seigneur, et guérissez. Que votre sanctuaire soit désolé, pourvu que les cœurs, vrais sanctuaires, soient purs. Plutôt tout voir, Seigneur, que de voir encore tout ce que nous voyons! Heureux vous et moi, mes frères, si nous pouvions être comme ce martyr! Je vous ai montré ce que son exemple nous doit inspirer; hâtonsnous de voir encore le fruit qu'il faut tirer du culte de ses reliques.

SECOND POINT.

Voulez-vous savoir, mes Frères, la date précise du culte des reliques des martyrs? il est aussi ancien que le martyre même. Nous en avons des preuves qui sont de quarante ans presque immédiatement après la mort des apôtres. Il n'y avoit rien que les tyrans ne fissent pour dissiper leurs cendres et pour les dérober à l'empressement des fidèles ; ils les faisoient jeter au vent ou dans la rivière. Les fidèles s'exposoient souvent aux supplices pour les recueillir, et ils alloient quelquefois jusqu'aux extrémités de l'empire pour les acheter chèrement. C'étoit sur leurs monuments ou tombeaux que l'on célébroit les mystères. De là s'est conservé l'usage de renfermer des reliques dans nos autels quand on les consacre. Et en effet, qu'y a-t-il de plus convenable que d'offrir le sang de Jésus-Christ sur le corps de ses disciples qui ont répandu le leur pour lui? Sans doute Jésus-Christ se plaît à mêler ainsi son sacrifice avec celui de ses martyrs, qui ne sont avec lui qu'une même victime. Au lieu qu'on prioit pour les autres morts, ceux-ci étoient priés, comme le remarque saint Augustin. Saint Jérôme, parlant au nom de tous les chrétiens contre l'impie Vigilance, nous dépeint les honneurs qu'on rendoit alors aux reliques, si semblables à ceux qu'on leur rend en nos jours, qu'en les lisant on croit voir nos chàsses et nos processions. Il n'est pas nécessaire de prouver ces

même d'un règne temporel, dans son Église, avec son Fils Jésus, dont ils sont les membres, comme saint Jean nous l'a appris. Celui qui donna aux os d'un prophète la vertu de rappeler un mort à la vie; celui par qui le linge et la ceinture de Paul, l'ombre même de Pierre, guérissoient les malades, ne peut-il pas encore attacher sa vertu à ces membres déchirés et épars, sur lesquels reluit à jamais la grace du martyre? O hommes de peu de foi, pourquoi doutez-vous? Le bras du ToutPuissant est-il raccourci ?

Raconterai-je, mes frères, les miracles faits à Milan en faveur des corps de saint Gervais et de saint Protais, rapportés par saint Ambroise et par saint Augustin? Ajouterai-je ceux que les reliques de saint Étienne répandoient dans la côte d'Afrique, et que saint Augustin a décrits pour faire taire l'infidélité? Mais l'univers entier a retenti du bruit de ces merveilles, et c'est à force de les voir que le monde entier a enfin ployé sous le joug de la religion. Ainsi, après que les martyrs ont vaincu le monde par la constance de leur foi, ils l'ont encore vaincu, pour lui inspirer la foi même, par la vertu miraculeuse que Dieu a attachée à leurs saintes reliques. Les martyrs qui ont hai leur chair pendant qu'elle étoit encore ici-bas le corps du péché, aiment maintenant cette chair, qui est devenue l'instrument de leur gloire. C'est elle qui a souffert, c'est elle qui portera à jamais dans le ciel les stigmates de Jésus-Christ; c'est elle qui paroîtra lavée et blanchie dans le sang de l'Agneau: autant, autant donc qu'ils l'ont haie et persécutée ici-bas, autant l'aiment-ils dans le ciel, autant desirent-ils de la glorifier.

Mais remarquez, mes frères, quelle est leur puissance. Il leur est donné de régner sur la terre avec le Sauveur. J'ai vu, dit saint Jean', des trônes, et ils s'y sont assis. Le jugement leur a été donné. Je les ai vues, ces ames de ceux qui ont été tués, décollés pour le témoignage de Jésus-Christ. Voilà, mes frères, un règne sensible sur la terre, sans attendre le dernier jour, un règne qui viendra avec la paix, quand le dragon sera enchaîné; et ce règne temporel s'appelle la

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première résurrection. Ne le voyez-vous pas ce triomphe des martyrs réservé à la paix de l'Église? C'est alors que, régnant avec Jésus-Christ, ils mettent sous leurs pieds tous ses ennemis, et répandent sur les fidèles les bienfaits du Père céleste. Et en effet, saint Augustin assure que les miracles des temps apostoliques se renouveloient à la face de toutes les nations, en faveur des corps des martyrs, dans le commencement de la paix de l'Église, où les peuples barbares venoient comme au-devant de l'Évangile. Voilà la douce vengeance que les saints martyrs avoient demandée de leur sang; voilà le règne sensible qui leur étoit promis. Ils avoient rendu témoignage à Dieu par leur propre sang; et Dicu à son tour leur rendoit témoignage par ses miracles. Ce témoignage réciproque étoit le triomphe de la vérité; c'étoit le règne des martyrs et de Jésus-Christ tout ensemble.

Faut-il donc s'étonner si les Basile, les Grégoire et les Chrysostome ont appelé les corps des martyrs des forteresses qui protégeoient les villes assez heureuses pour les posséder? O ville de Rome, s'écrie saint Chrysostome, c'est la présence de Paul qui fait que je vous aime. Quel présent fercz-vous au Sauveur, lorsqu'on verra l'Apôtre sortir du sacré monument pour être enlevé dans les airs au-devant du Sauveur même ! Mais maintenant qui me donnera la consolation d'aller me prosterner aux pieds de Paul, et de demeurer attaché auprès de son tombeau? Serai-je assez heureux pour voir les cendres de ce corps qui accomplit en lui ce qui manquoit aux souffrances de Jésus-Christ?

O ville de Paris, dirons-nous aujourd'hui, que tu es heureuse et enrichie par la présence de ce nouveau martyr! Qui me donnera de baiser ses sacrées dépouilles qu'il a laissées sur la terre, après l'avoir vaincue par la sublimité de sa foi? Enfants de Dieu, écoutez les paroles que Dieu prononce par ma bouche, et votre ame vivra. Vous n'ignorez pas maintenant quelle est la puissance des saints martyrs, dont Dieu veut glorifier la chair pour en tirer sa propre gloire. Vous avez entendu les paroles de l'Écriture, et le pieux usage de l'Église naissante. De plus, vous trouvez audedans de vous-mêmes le germe de piété qui porte naturellement l'Église à un culte si édifiant..Ici la grace et la nature sont d'accord. La nature demande ce qui frappe les sens, pour affermir sa foi; et voici à quoi sert la présence des corps des martyrs. Ils réalisent tout ce que l'histoire ne fait que raconter; ils mettent devant nos yeux les choses mêmes que nous révérons.

Hélas! si les enfants qui n'ont pas dégénéré ne peuvent voir le tombeau de leur père sans verser des larmes, sans être attendris, et sans rappeler les plus purs sentiments de vertu que ce père leur a laissés comme en héritage; nous, enfants de ces premiers chrétiens qui nous montrent la voie du ciel teinte de leur sang, pourrions-nous venir sur leurs cendres bénites et révérées de tous les siècles, sans verser des larmes, non sur eux, mais sur nous-mêmes, sans frapper nos lâches poitrines, sans ranimer notre foi et notre espérance par le souvenir de leurs combats et de leurs victoires?

O si jamais ces spectacles capables de percer nos cœurs furent nécessaires, c'est maintenant; ils l'étoient bien moins dans les temps où c'étoit presque la même chose d'être fidèle et d'être martyr. Maintenant que le sang chrétien, refroidi dans nos veines, a oublié de couler pour la cause de l'Évangile, ne faut-il pas le réchauffer par la vue de celui des anciens martyrs? Mais voici d'autres fruits, mes frères, que nous pouvons tirer tous les jours du culte des corps des saints. Ces corps, comme nous l'avons vu, ont été persécutés par le martyre même avant que de l'être par les tyrans. C'est le cilice, c'est le jeûne, c'est le travail des mains, et une longue suite de veilles, de sueurs, de larmes, qui les a préparés à vaincre les chevalets, les croix, les chaudières bouillantes, les roues armées de rasoirs. La vue de ces corps si mortifiés avant que de mourir ne pourra-t-elle point vous confondre, vous qui par une vie toute sensuelle vous préparez une mort lâche et impénitente? Souvenez-vous de la célèbre Aglée, qui, faisant partir de Rome Boniface, son domestique, pour aller en Asie chercher des corps des martyrs, lui dit : Sachez, ô Boniface, que les corps des fidèles qui vont recueillir ceux des martyrs doivent être purs et sans tache. Ce ne seroit plus un honneur que vous viendriez ici rendre au martyr; ce seroit une insulte, une dérision sacrilége, un triomphe impie de la chair et du sang contre le martyr; tout au moins, ce seroit une superstition. Car qu'y a-t-il de plus superstitieux que d'honorer les martyrs, et d'attendre qu'ils nous seront propices, sans desirer de les imiter?

Les corps que la cruauté des tyrans et la corruption ont réduits en cendres se ranimeront au jour de Jésus-Christ; et de là vient que ces corps si défigurés, qui nous saisiroient de frayeur et d'horreur s'ils avoient souffert tant de supplices pour quelques crimes, ou même s'ils étoient morts d'une mort naturelle après une vie commune, ne nous

inspirent que tendresse, vénération, joie et confiance. C'est que nous savons que celui pour qui ils sont morts tient dans ses mains les clefs du tombeau, et qu'il est lui-même la résurrection et la vie. Ainsi cette cendre, toute cendre qu'elle est, quoiqu'on n'y voie plus que de tristes débris foudroyés par la mort, exhale encore une odeur de vie, et nourrit dans nos cœurs une espérance pleine d'immortalité.

vers le triomphe de la céleste Jérusalem, où tous ceux qui, suivant l'Agneau, sont venus de la grande tribulation, verront la main de Dieu qui essuiera leurs larmes, et chanteront éternellement le cantique de leur victoire?

Mais que vois-je, mes Frères ? Quelle foule de chrétiens qui approchent du martyr, non pas avec un cœur plein du desir du martyre, mais avec une conscience aussi corrompue que celle des persécuteurs! O chrétiens mes frères, voulez-vous encore affliger cette cendre, qui n'est pas insensible à ce que la foi souffre, et à l'opprobre que vous faites à l'Évangile? N'entendez-vous pas cette voix secrète du martyr, qui vous dit intérieurement : Qu'êtes-vous venus faire ici? Osez-vous apporter une foi vaine et superstitieuse aux pieds de ces ossements? Ils sont inanimés, ils n'ont aucune vertu pour vous, ils n'ont plus aucun sentiment que pour vous abhorrer. Allez, allez loin de ces lieux où la foi seule doit entrer. Si vous cherchez des cendres, honorez celles des grands pécheurs que vous imitez; honorez ces affreux cadavres que l'ambition, l'impureté, la vengeance et l'avarice ont agités pendant leur vie, et qui sont vos modèles. Allez sur ces corps malheureux, dévoués à l'étang de soufre et de feu dont la fumée monte jusqu'aux siècles des siècles; allez y recueillir jusqu'aux der

Voilà, disons-nous, ces membres qui paroissoient morts, mais qui sont encore vivants dans la main de Dieu. Voilà ces os brisés et humiliés, qui tressailliront de joie quand la trompette sonnera pour rassembler toute chair aux pieds de JésusChrist. Voilà ces pieds et ces mains qui ont été dans les chaînes; ces pieds qui n'ont point fui lorsqu'il a fallu confesser Jésus-Christ; ces mains pleines de bonnes œuvres. Voilà ces yeux qui ont regardé la terre entière avec mépris, et qui n'ont daigné s'ouvrir à la vanité. Voilà ces oreilles qui ont moins écouté les menaces des tyrans que les promesses de Jésus-Christ. La voilà cette bouche qui a béni les persécuteurs; qui, confessant Jésus-Christ, a fait taire l'iniquité païenne, et par qui Jésus-Christ même a parlé. Le voilà ce cœur plus grand que tout le monde, et qui n'a pu être rempli que par l'amour de Dieu. Pourquoi donc, mes frères, craindre la mort ernières étincelles d'une flamme impure dont votre marchant sur les pas de celui qui est si heureux de l'avoir soufferte? O hommes aveugles, vous regardez la mort comme si elle étoit éternelle ! C'est la vie qui est éternelle; la mort n'est qu'un court sommeil. Bientôt il n'y aura plus de mort pour ceux qui n'auront pas craint de mourir. Trop heureux d'aller au-devant de la mort, et de mêler nos cendres avec celle du saint martyr de ces lieux ! car jamais ce précieux dépôt ne nous sera ravi. De ces lieux, son corps, suivi des nôtres, s'élèvera au milieu des nuées vers Jésus-Christ, qui descendra à nous. O mort, ô impuissante mort! ta victoire est détruite, grace à Jésus-Christ; ses vrais enfants ne te craignent plus.

Enfin, mes frères, ces corps des saints martyrs reçoivent parmi nous un culte qui est l'image de la gloire dont ils jouiront: foible image, à la vérité, mais néanmoins digne de leur complaisance, et qui leur établit un règne sensible sur les cœurs, selon la promesse de Jésus-Christ. O cendres des martyrs, vous voilà donc déja glorifiées ici-bas, en attendant une autre gloire que Dieu seul peut donner! Qui pourroit donc, mes Frères, en considérant aujourd'hui cette pieuse pompe et cette douce joie de toute l'Église, n'élever pas son cœur

cœur cherche à s'embraser; allez dans cette poussière des tombeaux des pécheurs, où leurs vices, qui ont pénétré jusqu'à la moelle de leurs os, dorment avec eux: mais laissez reposer en paix, parmi les vœux des fidèles et des ames saintes, les cendres de celui qui n'est mort dans les tourments que pour ne vivre pas comme vous vivez.

O vous qui nous entendez du haut de ce trône où vous êtes assis avec Jésus-Christ', bienheureux martyr, vous nous aimerez désormais, et vous nous avez même déja aimés, puisque vous n'avez pas dédaigné de nous confier ce précieux dépôt. Nous vous conjurons par vos chaînes, par vos tourments, par votre mort, enfin par vos cendres ici présentes, de demander à Dieu qu'il ressuscite notre foi: je dis qu'illa ressuscite, car elle est morte, et tout s'éteint en nous pour la vie chrétienne. Elles seront, ces cendres; notre trésor et notre joie; il en sortira, par la grace de Jésus-Christ, un esprit de martyre qui nous endurcira contre nous-mêmes, contre le monde tyrannique, et contre tous les traits enflammés de Satan. Ainsi, ô homme de Dieu par qui la vertu de l'Évangile se fait sentir, nous participerons à votre victoire et à votre couronne dans le règne de l'Agneau vainqueur. Ainsi soit-il.

SERMON

POUR

LA PROFESSION RELIGIEUSE

D'UNE NOUVELLE CONVERTIE.

Venite, audite, et narrabo, omnes qui timetis Deum, quanta fecit animæ meæ.

O vous tous qui craignez le Seigneur, venez, écoutez, et je

raconterai tout ce qu'il a fait à mon ame. Ps. LXV, 16.

L'eussiez-vous cru, ma chère sœur, quel'Époux des vierges vous attendoit dans cette solitude dès les jours de l'éternité? C'étoit donc là ce qu'il vouloit de vous, lorsqu'il tiroit tant de profonds gémissements de votre cœur, et que vous ne saviez pas encore vous-même pourquoi vous gémissiez! O mystère de grace! ô voies de Dieu dans le cœur de l'homme, inconnues à l'homme même! ô Dieu, abîme de sagesse et d'amour !

Fille chrétienne, élevez votre voix; appelez à ce spectacle les hommes et les anges. Dites dans un humble transport: O vous tous qui craignez le Seigneur, hâtez-vous de venir : vous me verrez, et vous verrez la grace en moi. Peuples, assemblezvous, accourez en foule; que les extrémités de la terre l'entendent, que toute chair admire et tressaille car il a regardé la bassesse de sa servante, et il a fait en moi de grandes choses, celui qui est puissant. Enfants de Dieu, rendez gloire à son œuvre. Que la terre et les cieux soient pleins de son nom; que tout en retentisse jusqu'au fond de l'abîme; que tout s'unisse à moi pour chanter le tendre cantique, le cantique toujours nouveau des éternelles miséricordes: Venite, audite, etc.

Découvrons donc, ma chère sœur, dans les deux parties de ce discours, non à votre gloire, mais à celle de Jésus-Christ, ce qu'il a opéré dans votre conversion, et ce qu'il a préparé dans votre sacrifice. Par l'un, vous instruirez le monde des richesses de la grace; par l'autre, vous serez instruite vous-même de ce que la grace doit achever en vous dans la solitude. Voilà tout le sujet de ce

discours.

O Esprit, ô flamme céleste, qui allez embraser la victime, soyez vous-même dans ma bouche une langue de feu. Que toutes mes paroles, comme autant de flèches ardentes, percent et enflamment les cœurs. Donnez, donnez, Seigneur; c'est ici la louange de votre grace. Marie, mère des vierges, priez pour nous. Ave, Maria.

J'adore souvent en tremblant, mes frères, ce

jugement qui est un abîme, ce profond conseil par lequel Dieu permet que tant d'enfants soient livrés à l'erreur. Quoi! cet âge si tendre, si simple, si innocent, suce avec le lait le poison; et les parents que Dieu lui choisit, par leur tendresse aveugle causent son malheur ! Faut-il que sa docilité même le rende coupable! O Dieu! vous êtes pourtant juste. Nous savons par vous-même que vous ne haïssez rien de tout ce que vous avez fait; que vous êtes le Sauveur de tous; que toutes vos voies sont vérité et miséricorde : à vous seul louange dans votre secret; à nous le silence, le tremblement et l'adoration. Mais, sans pénétrer trop avant, mes frères, concluons avec saint Augustin que Dieu voit dans un cœur une malignité subtile que nos yeux, trop accoutumés à une corruption plus grossière, souvent ne découvrent pas. Il voit l'orgueil naissant qui abuse déja des prémices de la raison, et qui mérite qu'un tourbillon de ténèbres vienne la confondre; l'abus des richesses, des plaisirs, des honneurs, de la santé, des graces du corps, et même de l'esprit. C'est la vanité qui abuse des choses presque aussi vaines qu'elle. Mais abuser de la raison dans le point essentiel de la religion, c'est résister au Saint-Esprit, c'est l'éteindre, c'est lui faire injure, c'est tourner le plus grand don de Dieu contre Dieu même.

Jeune créature, flattée et éblouie de vos propres rayons, ce que le monde admire en vous est ce que Dieu déteste. Sous ces jeux innocents de l'enfance se déploie déja un sérieux funeste, une raison foible qui se croit forte; une présomption que rien n'arrête, et qui s'élève au-dessus de tout; un amour forcené de soi-même, qui va jusqu'à l'idolâtrie. Voilà ce que Dieu juste frappe d'aveuglement.

Erreur d'une ame enivrée d'elle-même, bientôt punie par mille autres erreurs! La voyez-vous qui court après les idoles de son invention? Ne croyez pas qu'elle soit docile; du moins elle ne l'est qu'à la flatterie. On lui dit: Lisez les Écritures, jugez par vous-même, préférez votre persuasion à toute autorité visible; vous entendrez mieux le texte que l'Église entière, de qui vous tenez et les sacrements et l'Écriture même; le Saint-Esprit ne manquera pas de vous inspirer par son témoignage intérieur; vos yeux s'ouvriront; et en lisant avec cet esprit la parole divine, vous serez comme une divinité. On le lui dit, et elle ne rougit point de le croire. Prêter l'oreille à ces paroles empoisonnées du serpent, est-ce docilité? Non, c'est présomption; car ce n'est pas déférer à l'autorité, c'est au contraire fouler aux pieds la plus grande autorité que la Providence ait mise sous le ciel, pour s'ériger dans

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