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» qu'ils fassent. » Il envoie à son choix dans les plus puissantes armées, ou le courage et la victoire, ou la peur et la fuite. Les hommes combattent, mais c'est lui qui décide. C'est lui qui donne ou l'esprit de sagesse et de force, ou celui d'ivresse et de vertige. Les nations, dit le roi-prophète, ont été troublées, et les royaumes ont penché vers leur ruine. Dieu a fait entendre sa voix. La terre a été ébranlée; mais le Seigneur des armées est avec nous. Le Dieu de Jacob nous soutient. Venez, et voyez les œuvres du Seigneur, et les prodiges qu'il fait sur la terre: il fait cesser la guerre jusqu'aux extrémités du pays; il brise l'arc, il rompt les armes, il fond les boucliers. Écoutez encore le Saint-Esprit 2: Dieu dessèche les racines des nations superbes, et il en plante d'autres qui sont humbles. Cessons donc de chercher dans les hommes les véritables causes de ce qui leur arrive; remontons plus haut. Leur sagesse et leur puissance ne sont qu'empruntées. Dieu commande aux passions, comme aux vents et aux tempêtes. Tu viendras, dit-il à la mer jusqu'ici; tu n'iras pas plus loin, et tu briseras ici l'orgueil de tes flots. Ou, si nous voulons entrer en nous-mêmes, ne cherchons que dans nos péchés les sources de nos malheurs. Effaçons l'iniquité par la pénitence, et tous nos maux disparoîtront. Prévenons Dieu, humilions-nous, et il ne nous humiliera point. Mettons notre confiance, non dans nos armes, mais dans nos prières. Aimons Dieu en sorte qu'il nous aime, et nous n'aurons plus d'ennemis. La douleur, dit-il, et le gémissement s'enfuiront. C'est moi, c'est moi qui vous consolerai. Eh! qui êtes-vous pour craindre quelque chose d'un homme mortel, du fils d'un homme, qui sèche comme l'herbe des champs? Vous avez oublié le Seigneur votre créateur, qui a tendu les cieux, et qui a fondé la terre. Vous avez craint sans cesse à la vue de la colère de celui qui vous accabloit, et qui se préparoit à vous perdre. Et maintenant qu'estelle devenue cette colère....? Dieu ne vous exterminera point, et son pain ne vous manquera pas. Craignons Dieu, et nous serons délivrés de toute autre crainte.... Le Seigneur, disoit un saint roi, est mon salut? qui craindrai-je: Le Seigneur protège ma vie: qui m'intimidera? Pendant que mes ennemis m'environnent pour me nuire et pour me dévorer, ceux mêmes qui viennent pour m'accabler s'affoiblissent et tombent.

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Si les ennemis ont leur camp autour de moi, mon cœur ne craindrarien; et si le combat commence, alors j'espérerai.

C'est avec cette humble confiance, mes très chers frères, que nous devons demander à Dieu qu'il bénisse les armes du roi. Il est moins jaloux de sa gloire et de ses conquêtes que du soulagement de ses peuples. Prier pour le succès de ses desirs dans cette guerre, c'est prier pour une heureuse et constante paix. Demandons pour lui, comme il fut demandé pour David, que la paix vienne de Dieu sur lui, sur sa postérité, sur sa maison et sur son trône à jamais. Demandons que, comme Salomon', il soit environné de paix. Qu'il dise comme Ézéchias: Que la paix et la vérité règnent en mes jours 2! Que Dieu dise pour lui avec complaisance : Je donnerai en Israël la paix et la tranquillité pendant tous ses jours 3. Demandons que Jérusalem loue le Seigneur, parce qu'il affermira ses portes, qu'il bénira les enfants nourris dans son sein, que la paix sera comme la garde de ses frontièrcs, et qu'elle sera rassasiée des fruits de la terre. Mais, en demandant le soulagement des peuples, demandons aussi leur conversion. Demandons encore plus ardemment la fin de nos péchés que celle de nos peines. La paix qui ne serviroit qu'à nous amollir, qu'à nous enivrer d'orgueil, qu'à nous faire oublier Dieu, seroit un don funeste.

A ces causes, nous ordonnons, etc. Donné à Cambrai, le 18 juin 4709.

XVI.

MANDEMENT POUR LE CARÊME

DE L'ANNÉE 1710.

FRANÇOIS, etc., à tous les fidèles de notre diocèse, salut et bénédiction.

Il faudroit sans doute, mes très chers frères, renouveler en nos jours la plus rigoureuse discipline de l'ancienne Église sur le carême, pour la proportionner aux péchés des peuples. Toute chair a corrompu sa voie, ceux qu'on nomme chrétiens semblent n'en porter le nom que pour l'avilir: l'esprit qui devroit réprimer les passions ne sert qu'à les flatter; on joint un orgueil de démon à la sensualité des bêtes; le faste croît avec la misère. L'un, malgré sa basse condition, dépense à proportion de ses biens mal acquis. L'autre, enivré de sa condition, dépense, non son propre bien,

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mais celui d'autrui qu'il emprunte. Tous vivent
d'injustice; tous veulent paroître ce qu'ils ne sont
pas. Le commerce est plein de fraude, les procès
de chicanes, la conversation de médisances et de
moqueries. Les hommes ne disent vrai que quand
il n'y a ni commodité ni vanité à mentir. La so-
ciété cache sous une politesse flatteuse une jalou-
sie, une envie et une critique envenimée. Les hom-
mes ne peuvent ni se passer les uns des autres, ni
se supporter. Les riches ne comptent pour rien les
pauvres, quoiqu'ils soient hommes autant qu'eux.
Les pauvres semblent avoir oublié qu'ils sont hom-
mes autant que les riches. Ils se dégradent, et ne
cherchent que
la vie animale; encore n'ont-ils pas
le courage de la chercher, tant ils sont lâches et pa-
resseux. Ils aiment mieux devoir leur nourriture
à la mendicité ou au larcin, qu'à un travail hon-
nête. Ils ne travaillent qu'à demi pendant six jours
de la semaine; et le septième, que Dieu réserve
au saint repos pour son culte, ils font un travail
que Dieu ne peut bénir, et qui n'est digne de leur
rapporter que des ronces et des épines. Le jour du
Seigneur est devenu celui du démon; c'est celui
qu'on réserve au péché et au scandale. On n'a point
de honte d'y préférer le cabaret à la maison de
Dieu, les chansons impudiques aux cantiques sa-
crés, et les excès les plus brutaux à la pure joie de
se nourrir du pain des anges. L'ignorance résiste
à toute instruction. Un pasteur dénonce-t-il aux
peuples la vengeance divine prête à éclater sur
leurs têtes sa parole ne leur semble qu'un jeu,
et visus est eis quasi ludens loqui '. Pendant l'il-
lusion de la vie, la religion n'est pour eux qu'une
belle cérémonie, qu'un grand spectacle : à la mort
elle devient tout-à-coup, et trop tard, un objet
affreux. Il semble que voici le temps réservé au
feu vengeur pour la fin des siècles. Dieu cherche
dix justes, en faveur desquels il puisse épargner
toute la multitude innombrable. Oui, dix justes
lui suffiroient pour pardonner à tous, et ces dix
justes lui manquent pour arrêter son bras. Faut-il
donc s'étonner s'il frappe ces grands coups qui
brisent les nations superbes? C'est lui qui envoie
le glaive pour l'enivrer de sang; au glaive se joint
la famine, à la famine se joint la maladie, qui de-
vient contagieuse. Que mes yeux, dit Jérémie 2,
pleurent nuit et jour, et que ma douleur ne se
laise point; car la fille de mon peuple est écrasée
et couverte d'une horrible plaie. Si je vais dans
la campagne, voilà les cadavres des hommes tués;
si je rentre dans la ville, voilà les vivants exté-

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ni

nués par la faim. Le prophète et le prêtre s'en sont enfuis en terre inconnue. O Dieu, est-ce que vous avez rejeté sans retour votre peuple? Votre ame a-t-elle abandonné Sion avec horreur? Pourquoi donc nous frappez-vous encore, après dix ans de tribulation qui ont abattu la chrétienté? N'y a-t-il plus de santé pour nous? Nous avons attendu la paix, et aucun bien n'arrive; nous avons espéré le temps de la guérison, et voici le trouble. Ce n'est ni dans le conseil des sages, dans la force des courageux guerriers que les nations doivent mettre leur confiance; c'est le Seigneur seul qu'il faut désarmer. C'est dans le cilice et sur la cendre qu'il faut lui demander la paix. Que chacun frappe sa poitrine, plutôt que l'ennemi. C'est en nous réconciliant avec Dieu que nous réconcilierons toutes les nations entre elles. L'Europe entière devroit être, comme Ninive, dans la prière, dans les jeûnes et dans les larmes pour apaiser Dieu.

Mais la juste main qui nous frappe nous a ôté jusqu'aux moyens d'observer religieusement les lois de la pénitence. La terre, pour venger Dieu, refuse aux hommes pécheurs ses fruits, dont ils sont indignes de se nourrir. A peine les peuples trouveront-ils pendant ce carême de quoi soutenir leur vie languissante, en ramassant sans distinction tous les aliments gras et maigres qu'ils pourront trouver. Le prix le plus modique des aliments est devenu une cherté pour les familles épuisées. Dans cette déplorable extrémité, la misère de notre pays ne nous répond que trop de l'abstinence et du jeûne forcé des peuples. Heureux, s'ils tournent par amour en pénitence volontaire cette dure et accablante nécessité! Heureux, si la même main qui les afflige les console et essuie leurs larmes ! «Tout ce que l'homme souffre ici-bas, dit saint

Augustin, s'il sert à le convertir, n'est qu'une » correction salutaire... C'est une épreuve plutôt » qu'une condamnation... C'est moins le signe de » la colère que de la miséricorde de Dieu... Eh! » quel seroit l'exercice de notre patience, si nous » n'avions pas des maux à souffrir! Pourquoi donc >> refuser à souffrir en ce monde? Est-ce que nous » craignons d'y être perfectionnés par la croix? »

Il est juste néanmoins d'avoir égard à ce pressant besoin des peuples. C'est ce qui nous fait encore retarder le rétablissement de la discipline du carême, et qui nous réduit à permettre les choses suivantes, etc. Donné à Cambrai, le 24 février

1710.

* De Urb. excid., cap. vi et viti, tom. vi. pag. 627, 628.

XVII.

MANDEMENT POUR DES PRIÈRES.

1710.

FRANÇOIS, etc., à tous les fidèles de notre diocèse qui sont sous la domination du roi, salut et bénédiction.

ritage: J'établirai la paix pour vous visiter, et la justice pour présider au milieu de vous. La voix de l'iniquité ne se fera plus entendre dans votre terre. Le ravage et la ruine disparoîtront de vos frontières. Le salut gardera vos murs, et ma louange défendra vos portes... Le Seigneur sera lui-même votre jour éternel, et votre Dieu sera votre gloire... Les temps de votre deuil seront Dieu, terrible dans ses conseils sur les enfants écoulés... Le moindre homme sera comme mille, des hommes, n'est point apaisé, mes très chers et le petit enfant comme la plus forte nation. frères. La maladie se joint à la famine et au glaive C'est moi, c'est le Seigneur, qui ferai ceci tout-àpour nous punir. Ceux qui ravagent le pays, dit coup en son temps 3. Cependant la colère du SeiJérémie, couvrent nos campagnes désertes. Le gneur demeure sur nous. Nos peuples perdent ce glaive du Seigneur dévore tout d'un bout à l'au- qu'ils possèdent2 : mais que dis-je? « Ont-ils pertre, et nulle chair n'est en repos. Écoutez encore » du la foi? ont-ils perdu les biens de l'homme le Seigneur ; voici ses paroles, à mon peuple! Si» intérieur, qui est riche devant Dieu? Voilà les vous dites: Pourquoi tant de maux viennent-ils >> véritables richesses des chrétiens, qui rendoient sur moi? C'est pour la multitude de vos péchés... » l'apôtre opulent, quand il disoit : La piété est Voilà ton sort, voilà ton partage, selon ta mesure, » un grand profit, etc. » Et qu'importe que les parce que tu m'as oublié, et que tu as mis ta faux biens nous quittent, puisque nous les devons confiance dans le mensonge..... Malheur à toi, Jé- quitter par une prompte mort? Hélas! où en somrusalem! Est-ce que tu ne seras point purifiée mes-nous? Les nations ne peuvent ni se passer de après tant d'épreuves? Jusques à quand faudra-t- la paix, ni se la donner. Dieu se joue de la plus il encore que je te frappe 2. profonde sagesse des hommes; il prend plaisir à nous faire sentir qu'il n'y a que lui de sage. Il a formé un nœud que nulle main d'homme ne peut défaire; le dénouement ne peut plus venir que d'en haut.

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Comme toutes les nations ont péché, toutes boivent dans le calice de la colère du Seigneur; aussitôt elles se tournent les unes contre les autres, et s'entre-déchirent pour venger Dieu de leurs iniquités communes. Nous avons espéré la paix, et elle semble s'enfuir devant nous. Le monde ne peut nous la donner, et nous ne paroissons point encore dignes de la faire descendre du ciel sur nous. Nous disons en vain à Dieu : Dissipez les conseils des nations qui veulent la guerre : Dissipa gentes quæ bella volunt 3. En vain nous lui rappelons ces aimables paroles: Paix sur la terre aux hommes de bonne volonté ! Il a mis entre lui et nous un nuage, afin que notre prière ne passe point 5. Les moments qu'il tient en sa puissance ne sont pas venus. Nous ne le voyons point encore chassant la guerre jusqu'aux extrémités du monde, brisant l'arc, rompant les armes, el fondant les boucliers 6. Quand sera-ce que le maître des cœurs guérira les jalousies et les défiances des princes et des peuples, pour préparer au monde cette beauté de la paix, ces tabernacles où habite la confiance, cette paix opulente, qui est une image de la félicité céleste? Quand est-ce que Dieu fera entendre ces paroles de consolation à son hé

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O Dieu, vous voyez un royaume qui, malgré ses péchés, vous donne encore des adorateurs en esprit et en vérité. Souvenez-vous de saint Louis, que vous avez formé sur le trône selon votre cœur. Soutenez un autre Louis, qui n'est pas moins béritier de sa foi que de sa couronne. Après lui avoir donné tant de fois les victoires de David, donnezlui la paix de Salomon, pour faire fleurir votre Église. Daignez bénir ses armes, puisqu'il ne veut combattre que pour faire cesser les combats, et pour réunir vos enfants. « Prions, mes très chers » frères, gémissons, répandons des larmes devant » le Seigneur, afin que cette parole de l'Apôtre » s'accomplisse: Dieu est fidèle ; il ne permettra point que vous soyez tenté au-dessus de vos for»ces; mais il donnera une borne à la tentation, » afin que vous puissiez la soutenir 3 ̧

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A ces causes, nous ordonnons, etc. Donné à Cambrai, le 28 avril 1740.

Is., LX, 17 et seq.

2 S. AUG., de Civ. Dei, lib. 1, cap. x,n. 1, tom. vii, p. 10.
3 S. AUG., de Urb. excid., cap. vi, n. 9, tom. vi, pag. 628.

7 Is., XXXII. 18.

XVIII.

MANDEMENT POUR LE CARÊME

DE L'ANNÉE 1714.

tout l'univers, dit saint Augustin', c'est-à-dire toute l'Église, épouse qui suit pas à pas l'Époux, a observé ce jeûne depuis les apôtres jusqu'à notre temps. Voilà le précieux héritage de pénitence que nous avons reçu des saints de tous les siècles. Tous

FRANÇOIS, etc., à tous les fidèles de notre dio- les péchés sont entrés dans le monde par l'intemcèse, salut et bénédiction.

L'Église gémit, mes très chers frères, de ce qu'elle ne peut parvenir ni à nourrir suffisamment les pauvres, ni à modérer les riches dans leur nourriture. Les uns périssent faute du nécessaire, et les autres se détruisent eux-mêmes par un usage avide du superflu. La nature, comme dit saint Augustin, se suffit à elle-même. La terre, cultivée par des hommes sobres et laborieux, produiroit assez d'aliments pour nourrir sans peine tout le genre humain. La Providence ne manque à personne; mais l'homme se manque à soi-même. Rendez tous les hommes tempérants, modérés, ennemis du faste et de la mollesse, humains et charitables, vous les ferez tous riches sans leur rien donner; vous changerez en un moment cette vallée de larmes en une espèce de paradis ter

restre.

C'est pour donner au monde un essai de cet heureux état, que l'Église veut que les riches imitent les pauvres pour leur nourriture, au moins pendant les jours d'humilité. In diebus humilitatis, dit saint Augustin', quando pauperum vic

tus omnibus imitandus est. Telle étoit l'idée du jeûne et de l'abstinence dans ces beaux jours où la religion étoit encore écoutée et crue par la multitude docile; l'Église vouloit enrichir les pauvres, en appauvrissant les riches pendant le carême. Elle vouloit changer en pain, pour ceux que la faim consume, les mets qui corrompent les mœurs, qui altèrent la santé, et qui abrègent la vie des autres. «Que Jésus-Christ qui souffre la faim en » la personne de votre frère, disoit saint Augus» tin 2, se nourrisse de ce que le chrétien qui » jeûne retranche sur sa nourriture, et que la » pénitence volontaire du riche fasse le soulage

>> ment du pauvre. »

Cette discipline est aussi ancienne que sainte, mes très chers frères. Moïse et le prophète Élie, par leur jeûne de quarante jours, annoncèrent de loin celui de Jésus-Christ, dont il n'étoit qu'une figure. C'est par le jeûne dans le désert que le Sauveur, notre modèle, se prépara à vaincre toute tentation. Le corps entier de Jésus-Christ répandu dans

Serm. ccx, in Quadrag, v1, n. 41, tom, v, pag. 932.
Ibid., tom. v. pag. 932.

pérance. C'est l'abstinence qui y ramène toutes les vertus. Elle facilite le recueillement et la prière; elle accoutume l'homme à la pauvreté et au détachement; elle dompte la chair rebelle; elle nous détrompe des nécessités imaginaires, et nous en délivre. Elle met dans les mains de la charité tout ce qu'elle épargne. Comme l'amour-propre prend tout, et craint de donner, l'amour de Dieu ne heureux de donner que de recevoir2. L'opulence craint que de prendre, et s'écrie: On est plus des impies est toujours pauvre, avide, insatiable, et même mendiante: Non sunt ergo illæ divitiæ, sed mendicitas, quid quanto magis abundant, tanto crescit et inopia. Au contraire, la pauvreté des enfants de Dieu est noble et simple, sobre et frugale; elle jeûne de tout pour soi, afin d'être riche, libérale et inépuisable pour nourrir le prochain.

Mais, hélas ! qu'est devenue cette sobriété? Nous ne voyons plus qu'une intempérance toujours nécessiteuse. Les pauvres se plaignent de ce qu'ils n'ont pas de quoi observer l'abstinence commandée, et ils trouvent néanmoins, jusque dans leur misère, de quoi violer les règles de la sobriété par les excès les plus honteux. Les riches tournent sans pudeur la pénitence en volupté, et le carême en raffinement pour la table. Les pécheurs nous allèguent pendant le carême les infirmités qui les mettent dans l'impuissance d'observer cette loi pour leur salut, eux qui pendant les jours de scandale ont montré tant de ressources de santé pour pécher et pour se perdre. Le carême, presque anéanti par les relâchements qu'on y a introduits, est néanmoins encore un joug insupportable à la délicatesse et à la sensualité inouïe de notre siècle. Ceux qui affectent le plus de hauteur et de force d'esprit sont les plus foibles et les moins courageux contre les passions grossières de la chair. Ils ne veulent point se soumettre à Dieu; mais ils sont esclaves de leur goût, et ils n'ont point de honte de se faire un dieu de leur ventre: quorum deus venter est, dit l'Apôtre. Jamais les hommes n'ont eu un si pressant besoin de pénitence qu'en nos

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jours. L'iniquité abonde, la charité est refroidie. A peine peut-on croire que le Fils de l'Homme, revenant pour juger le monde, trouvera quelque reste de foi sur la terre. Les hommes manquent autant à eux-mêmes qu'à Dieu. Leur vie n'est pas moins indigne de leur raison que de leur foi. Le faste et l'ambition rendent les riches inhumains et sans pitié. La misère et le désespoir réduisent les pauvres au larcin et à l'infamie. Nul bien ne peut plus suffire aux riches, sans emprunter des pauvres artisans. Le luxe ne se soutient qu'aux dépens de la veuve et de l'orphelin. Les fausses commodités qu'on a inventées contre la simplicité de nos pères incommodent ceux mêmes qui ne peuvent plus s'en passer, et ruinent toutes les familles. Le commerce ne roule plus que sur la fraude. La société est pleine de soupçons, de critique envenimée, de moquerie cruelle, de jalousie, de médisance déguisée, et de trahison. Plus les besoins croissent, plus on voit croître avec eux l'avidité, l'envie, et l'art de nuire pour exclure ses concurrents.

Mais voici une autre espèce de maux réservée à ces derniers temps. La multitude ne sait rien, et décide de tout. Elle refuse de croire l'Église, et n'a point de honte de se croire elle-même. Au-dehors, nos frères séparés de nous tombent dans une tolérance inconnue à toute la sainte antiquité, qui est une indifférence de religion, et qui aboutit à une irreligion véritable. Au-dedans, les novateurs, qui veulent paroître catholiques, ne demeurent unis à l'Église que pour éluder ses décrets, et pour l'entraîner dans leurs préjugés.

Faut-il donc s'étonner si Dieu irrité frappe d'un seul coup toutes les nations chrétiennes, et s'il permet dans sa colère qu'elles s'entre-déchirent depuis plus de dix ans? L'Europe entière, pour venger Dieu, se détruit de ses propres mains; elle se consume par toutes sortes de misères, elle verse de tous côtés le sang humain ; et ce sont des chrétiens qui donnent cet horrible spectacle aux nations infidèles.

« C'est dans cette nuit si périlleuse et si remplie » de tentations, comme parle saint Augustin, » qu'il faut jeûner. » Voici un temps où il nous faudroit des prophètes envoyés miraculeusement pour nous dénoncer les châtiments pendants sur nos têtes. Nous devrions renouveler le grand jeûne de Ninive, pendant lequel tous les hommes, dans le cilice et sur la cendre', se privoient même du pain et de l'eau, pour détourner la vengeance du ciel prête à éclater.

Jon., til.

Mais qu'est-ce que nous voyons encore? La main de Dieu appesantie sur les peuples leur ôte jusqu'aux moyens de faire une pénitence régulière. Ceux que la misère réduit à un jeûne forcé n'ont pas de quoi garder l'abstinence. La rareté, la cherté des aliments maigres, la misère qui met les peuples dans l'impuissance de les acheter, les ravages soufferts qui ont affamé les villes, en désolant toutes les campagnes, et qui vont recommencer sur cette frontière, tout nous réduit à souffrir le relâchement dans cet extrême besoin de rigueur. Une si triste situation nous fait perdre pour cette année l'espérance de rétablir la discipline du carême. Trop heureux si nous pouvons au moins, avant mourir voir des jours de consolation pour les enfants de Dieu, où cette sainte loi refleurisse.

C'est sur ces raisons qu'après avoir consulté les personnes les plus sages, les plus pieuses, et les plus expérimentées sur l'état des lieux, nous avons réglé les choses suivantes, etc. Donné à Cambrai, le 9 février 4711.

XIX.

MANDEMENT POUR DES PRIÈRES.

1711.

FRANÇOIS, etc., à tous les fidèles de notre diocèse qui sont sous la domination du roi, salut et bénédiction.

frères, que nous soupirons en vain après une heuIl y a déja plus de dix ans, mes très chers devant nous, et elle échappe à nos desirs les plus reuse paix. Elle s'enfuit toujours, pour ainsi dire, empressés. Il semble que nous soyons au temps marqué par ces terribles paroles : It lui fut donné d'enlever la paix de la terre, afin qu'ils s'entretuent'. Hélas! où la trouvera-t-on cette paix que le monde ne peut donner? Elle n'habite plus en aucune terre connue. La guerre est comme une flamme que le vent pousse rapidement de peuple en peuple jusqu'aux extrémités de l'Europe, et l'Asie même va s'en ressentir.

Approchez, nations, dit le Dieu des armées 2, écoutez. O peuples, soyez attentifs; que la terre avec tout ce qu'elle contient, que l'univers avec tout ce qu'il produit, m'écoutent; car l'indignation du Seigneur est sur tous les peuples, et sa fureur sur tant d'hommes armés.... Mon glaive, qui pend du ciel sur la terre, est enivré de sang ; voilà qu'il va descendre sur l'Idumée.

Les hommes sont étonnés des maux qu'ils souf-
Apoc., VI. 4.
* Lai., XXIV, 1 et seq.

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