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frent, et ils ne voient pas que ces maux sont l'ouvrage de leurs propres mains. Ils n'ont point à craindre d'autres ennemis qu'eux-mêmes, ou pour mieux dire que leurs péchés. Quoi ! ils se flattent jusqu'à espérer de se rendre heureux par les dons de Dieu, loin de lui, et malgré lui-même! Quoi! ils veulent obtenir de lui la paix pour violer sa loi plus impunément, et pour triompher avec plus de scandale dans l'ingratitude! Quel esprit de vertige! Dieu se doit à lui-même de les frapper et de les confondre.

Voici, dit Jérémie, comment le Seigneur parle: Est-ce que celui qui est tombé ne se relèvera point, et que celui qui est égaré ne reviendra jamais? Pourquoi donc ce peuple est-il loin de moi, au milieu même de Jérusalem, par un égarement contentieux? Ils ont couru après le mensonge, et ne veulent point revenir. J'ai été attentif; j'ai prêté l'oreille : aucun d'eux ne dit ce qui est bon; aucun ne se repent de son péché en disant : Qu'ai-je fait? Tous courent selon leurs passions, comme des chevaux poussés avec violence dans le combat.... Mon peuple n'a point connu le jugement du Seigneur; il n'a point senti la juste et puissante main qui le frappe par miséricorde. Pourquoi dites-vous: Nous sommes sages, et la loi de Dieu est au milieu de nous? La main trompeuse de vos écrivains a véritablement écrit le mensonge... Depuis le plus petit jusques au plus grand, tous suivent l'avarice. Depuis le prophète jusques au prêtre,tous sont coupables de mensonge. Ils se vantoient de guérir les plaies de la fille de mon peuple, et cette guérison s'est tournée en ignominie. Ils ont dit: Paix, paix; et la paix ne venoit point. Ces peuples idolâtres d'eux-mêmes sont confondus, ou plutôt ils sont sans confusion, et ils ne savent pas même rougir de ce qui devroit les humilier... Taisons-nous; car c'est le Seigneur notre Dieu qui nous fait taire, et qui nous présente à boire une eau pleine de fiel, parce que nous avons péché. Nous avons attendu la paix, et il n'est venu aucun bien. Nous avons cru que c'étoit le temps de la guérison, et voilà l'épou

vante.

En vain les princes sages, pieux et modérés veulent acheter chèrement la paix et épargner le sang humain. En vain les peuples de l'Europe entière, épuisés, accablés, déchirés les uns par les autres, cherchent à respirer. En vain les sages étudient tous les tempéraments convenables pour guérir les défiances et pour concilier les divers in

1 Jerem., VIII et seq.

térêts la paix est refusée d'en haut aux hommes, qui en sont encore indignes. C'est au ciel qu'elle se doit faire; c'est le ciel irrité qui en exclut la terre coupable.

Depuis que les hommes murmurent contre les maux innombrables que la guerre traîne après elle, en sont-ils moins fastueux dans leur dépense? y voit-on moins de mollesse et de vanité? Sont-ils moins jaloux, moins envieux, moins cruels dans leurs moqueries? Sont-ils plus sincères dans leurs discours, plus justes dans leur conduite, plus sages et plus sobres dans leurs mœurs? L'expérience de leurs propres maux les rend-elle moins durs pour ceux d'autrui? Sont-ils moins attachés à cette vie courte, fragile et misérable? Se tournent-ils avec plus de confiance vers Dieu pour desirer son royaume éternel? On demande la paix, est-ce pour essuyer les larmes de la veuve et de l'orphelin? Est-ce pour faire refleurir les lois et la piété ? Est-ce pour faire tarir tant de ruisseaux de sang? Est-ce pour donner un peu de pain à tant d'hommes qu'on voit périr par une misère plus meurtrière que le glaive même ? Non, c'est pour s'enivrer et pour s'empoisonner plus librement soi-même de mollesse et d'orgueil; c'est pour oublier Dieu, et pour faire de soi-même sa propre divinité dans une plus libre jouissance de tous les faux biens.

En ce temps, où la main de Dieu est appesantie sur tant de nations, il faudroit travailler tous ensemble à une réforme générale des mœurs. Nous devrions, pour apaiser Dieu, renouveler le jeûne

de Ninive dans le cilice et sur la cendre. Il faudroit demander la paix de Sion, et non celle de Babylone, la paix qui calme tout par l'amour de Dieu, et non celle qui flatte le délire de notre orgueil. «Si la piété et la charité manquent, dit saint Au» gustin', qu'est-ce que la tranquillité et que le » repos d'une vie où l'on est à l'abri de tant de mi» sères, sinon une source de dissolutions et d'éga>>rement qui nous invite à notre perte, et qui la >> facilite? »>

O Dieu, daignez regarder du haut de votre sanctuaire céleste le royaume de France, où votre nom est invoqué avec tant de foi depuis tant de siècles. Regardez même toutes les nations qui nous environnent, et qui composent l'héritage de votre Fils. Souvenez-vous de saint Louis et de ses vertus, qui ont fait de lui un modèle des rois. Conservez à jamais sa race. Bénissez les armes de cet autre Louis, qui veut marcher sur les traces de la foi de son

Epist. CCXXXI, n. 6, tom. II, pag. 842.

père, et qui ne continue malgré lui la guerre que | ches. Les ouvriers sont oisifs et libertins pendant pour assurer au monde une solide paix. Décon- six jours de la semaine. Le septième, qui doit être certez les nations qui veulent la guerre : Dissipa | le jour du Seigneur, est devenu celui du démon ; gentes quæ bella volunt. Déconcertez-les, non c'est le jour qu'on réserve aux plus honteux scanpour leur ruine, que nous n'avons garde de vous dales. Les gens d'une condition supérieure sont demander, mais pour leur réunion avec nous, qui encore plus sensuels, plus injustes, plus révoltés feroit la prospérité commune. Surtout, voyez les contre Dieu; ils ne disent la vérité que quand ils ne larmes de votre Église. Cette guerre divise ses en- trouvent aucune vanité à mentir, ni aucun plaisir fants, et rassemble ses ennemis; cette guerre la malin à calomnier. Ils se plaignent de la misère, menace de tous côtés, et nous craindrions tout et ils la redoublent par leurs excès. Ils sont impipour elle, si les portes de l'enfer pouvoient préva- toyables pour les pauvres, jaloux, envieux, incomloir. patibles, haïssants et haïssables' à l'égard des ri

A ces causes, etc. Donné à Cambrai, le 25 avril ches. Il ne leur faut que le bonheur d'autrui pour 1711.

XX.

MANDEMENT POUR LE CARÈME

DE L'ANNÉE 1712.

FRANÇOIS, etc., à tous les fidèles de notre diocèse, salut et bénédiction.

Nous voyons avec douleur, mes très chers frères, nos espérances s'éloigner chaque année pour le rétablissement de l'abstinence du carême. La guerre a altéré dans cette frontière une si sainte discipline, qui nous vient des apôtres mêmes, et dont vos pères furent si jaloux. La continuation de la guerre en retarde le rétablissement. Il est vrai que la guerre elle-même demanderoit le jeûne le plus rigoureux et l'abstinence la plus pénible. Quel | carême ne seroit pas dû à ces temps de nuage et de tempête, où Dieu est si justement irrité! Quelle pénitence austere chacun ne devroit-il pas s'imposer volontairement pour mériter une heureuse paix ! Qui seroit l'homme ennemi du genre humain et de lui-même jusqu'à refuser cette légère peine, pour procurer à lui-même et à sa patrie la fin de tant de maux, et le commencement de tant de biens? Nous devrions être dans le cilice et sur la cendre, pour affliger nos ames par le jeune, comme les habitants de Ninive. Ne cherchons point hors de nous-mêmes la cause des maux qui nous accablent. Vit-on jamais tant de fraude dans le commerce, tant d'orgueil dans les mœurs, tant d'irreligion au fond des consciences? Celui-ci préfère de sang-froid le plus vil profit au salut éternel: celui-là aime mieux le cabaret que le royaume de Dieu; il fait plus de cas d'une boisson superflue qui l'abrutit, qui ruine sa famille, qui détruit sa santé, que du torrent des délices éternelles, dont les bienheureux sont à jamais enivrés dans la Jérusalem d'en haut. Un autre craint moins les tourments de l'enfer que la fin de ses infames débau

les rendre malheureux. La religion n'est pour eux qu'une vaine cérémonie. Leur avarice est une véritable idolâtrie; ils n'ont point d'autre dieu que leur argent. Chacun raisonne, décide, sape les fondements de la plus sainte autorité. Ils se vantent de connoître Dieu, et ils le nient par leurs actions les plus sérieuses: factis autem negant2. Oserons-nous le dire avec l'Apôtre ? ils deviennent abominables, incrédules, réprouvés pour toute bonne œuvre. Ils sont chrétiens de nom, et impies de mœurs. Ils ne pensent pas même selon la foi; car ils méprisent tout ce qu'elle estime, et ils admirent tout ce qu'elle méprise. Ils vivent dans le sein de l'Église, non pour lui être dociles, mais pour sauver la bienséance et pour étouffer leurs remords. O têtes dures contre le joug du Seigneur; ô hommes incirconcis de cœur et d'oreille, vous résistez toujours au Saint-Esprit 3. Jusques à quand vivrez-vous sans Christ, loin de la société d'Israël, étrangers aux saintes alliances, sans espérance des promesses, et sans Dieu en ce monde ?

Quoi donc seroit-ce que nous approchons de ces derniers temps, dont il est dit: Croyez-vous que le Fils de l'Homme trouvera de la foi sur la terre3? En trouvera-t-il dans les places publiques, où le scandale est impuni? En trouvera-t-il dans le secret des familles, où l'avarice et l'envie rongent les cœurs, et où chacun vit comme s'il n'espéroit point une meilleure vie? En trouvera-t-il aux pieds des autels, où les pécheurs confessent sans se convertir, et où ils mangent avec une conscience impure le pain descendu du ciel pour donner la vie au monde? Ceux mêmes en qui il paroît rester quelque crainte de Dieu se bornent à vouloir mourir suivant le christianisme, après avoir vécu sans gêne selon le siècle corrompu. Ils veulent, dit

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saint Augustin', « croire en Jésus-Christ par un » raffinement d'amour-propre, pour trouver quel» que adoucissement jusque dans les horreurs de » la mort. Propter removendam mortis moles» tiam, delicatius crederetur in Christum. » Nous voyons ce déluge d'iniquités, et nous sentons notre impuissance pour changer les cœurs. Il y a déja près de dix-sept ans que nous parlons en vain à la pierre: il n'en coule aucune fontaine d'eau vive. Que n'avons-nous pas dit au peuple de Dieu en son nom? Hélas! nous ne remarquons aucun changement qui puisse nous consoler. Nous disons souvent au Seigneur, en secret et avec amertume: Malheur, malheur à nous! C'est nous qui affoiblissons votre parole toute puissante par notre indignité. Suscitez quelque autre pasteur plus digne de vous, qui vous fasse sentir à ce peuple.

Faut-il s'étonner si la paix, ce grand don du ciel, promis sur la terre aux hommes de bonne volonté, ne descend point sur les peuples ingrats, aveugles et endurcis? Ils ne la veulent que pour tourner les dons de Dieu contre Dieu même, et que pour s'enivrer des douceurs empoisonnées de leur exil, jusques à oublier la céleste patrie. Il faudroit que tout homme fidèle humiliât son esprit et affligeât son corps; que chacun sortît de sa maison et de son propre cœur, pour aller sur la sainte montagne; que tout homme frappât sa poitrine; que tous ensemble ne fissent qu'un seul cri qui montât jusqu'au ciel, pour attendrir de compassion le cœur de Dieu dans ces jours de juste colère; qu'enfin le carême fût le temps de conversion, de prière, de faim de la parole sacrée, d'abstinence de tous les aliments qui flattent la chair rebelle, pour nourrir l'esprit de toutes les vertus.

avant de mourir voir des jours de consolation pour les enfants de Dieu, où cette sainte loi refleurisse! C'est sur ces raisons qu'après avoir consulté les personnes les plus sages, les plus pieuses, et les plus expérimentées sur l'état des lieux, nous avons réglé les choses suivantes, etc. Donné à Cambrai, le 30 janvier 1742.

XXI.

MANDEMENT POUR DES PRIÈRES. 1714.

FRANÇOIS, etc., à tous les fidèles de notre diocèse qui sont sous la domination du roi, salut et bénédiction.

Nous voyons, mes très chers frères, dans les anciens monuments, que les chrétiens furent préservés des malheurs des Juifs dans la ruine de Jérusalem, et que la Providence les épargna encore dans la prise de Rome idolâtre. Tout au contraire nous voyons aujourd'hui la chrétienté tout entière qui est déchirée par de cruelles guerres, tandis que tant de nations infidèles jouissent d'une profonde paix. C'est que les enfants ingrats et indociles ont irrité leur père, et que le jugement commence par la maison de Dieu '. Qu'entendons-nous de tous côtés dans toute l'Europe? Combats et bruits des armes, nation contre nation, royaume contre royaume. Faut-il s'en étonner? L'iniquité abonde, la charité se refroidit 2. Le Seigneur a fait entendre ces paroles par la bouche d'un de ses prophètes: Voici le ravage, le renversement, la famine, le glaive. Quite consolera? Écoute, ô toi qui es si rabaissée, si appauvrie, et enivrée, mais non pas de vin 3 !

Mais les malheurs présents, qui demandent un Un autre prophète s'écrie : Écoutez, ô vieiltel remède, nous ôtent l'usage du remède même lards! et vous tous habitants de la terre, prêtez dont ils ont besoin. Ceux que la misère prive de l'oreille. Voyez s'il est arrivé rien de semblable presque tous les aliments sont réduits à user inen vos jours ou en ceux de vos pères. Racontez différemment de tous ceux que le hasard ou la ces prodiges à vos enfants. Que vos enfants les apcompassion pourront leur fournir. La rareté, la pennent aux leurs, et que les leurs les transmetcherté des aliments maigres, la misère qui mettent à une postérité encore plus reculée. Ce qui les peuples dans l'impuissance de les acheter, les échappe à un insecte est rongé par un autre. Les ravages soufferts qui ont affamé les villes, en dé- restes du second sont dévorés par le troisième. La solant toute la campagne, et qui vont recommen-nielle achève de détruire ce que les insectes ont cer sur cette frontière, tout nous réduit à souffrir laissé. Réveillez-vous, ô peuples enivrés; pleule relâchement dans cet extrême besoin de rigueur. rez, et poussez des cris douloureux! Une triste situation nous fait perdre encore pour cette année l'espérance de rétablir la discipline du carême. Trop heureux si nous pouvons au moins

De pecc. mer. et rem., lib. 11, cap. xxxi, n. 50, tom. x, pag. 66. * Luc., II, 14.

Bientôt il ne restera plus à nos campagnes désertes de quoi craindre ni la flamme ni le fer de l'ennemi. Ces terres, qui payoient le laboureur de

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demeurent

ses peines par de si riches moissons,
hérissées de ronces et d'épines. Les villages tom-
bent; les troupeaux périssent. Les familles errantes,
loin de leur ancien héritage, vont sans savoir où
elles pourront trouver un asile. Le Seigneur voit
ces choses, et il les souffre. Mais que dis-je ? C'est
lui qui les fait. Le glaive qui dévore tout est un
glaive, non de main d'homme; in gladio: non
viri. C'est le glaive du Seigneur, qui pend du
ciel sur la terre, pour frapper toutes les nations. Il
est juste; nous avons péché.

La paix est l'unique remède à tant de larmes et de douleurs; mais la paix, où habite-t-elle ? d'où peut-elle venir? qui nous la donnera? Princes sages, modérés, victorieux de vous-mêmes, supérieurs par votre sagesse à votre puissance et à votre gloire, compatissants pour les misères de vos peuples, en vain vous courez après cette paix qui vous fuit; en vain vous faites des assemblées pour éteindre le feu qui embrase l'Europe. La paix sera le fruit, non de vos négociations, mais de nos prières. C'est en frappant nos poitrines que nous la ferons. Elle viendra, non de la sagesse des profonds politiques, mais de la foi des simples et des petits. Elle est dans nos mains. Aimons le Seigneur comme il nous aime, et la voilà faite. Tous nos maux s'enfuiront dès que nous serons convertis. C'est Dieu, et non les princes de la terre, qu'il faut désarmer. C'est la colère du Seigneur, et non la jalousie des nations, que nous avons besoin d'apaiser.

« Si les hommes, dit saint Augustin 2, pensoient » sagement, ils attribueroient tout ce qu'ils ont » souffert de dur et d'affreux de la part de leurs » ennemis, à une providence qui a coutume de corriger et d'écraser les mœurs dépravées des » peuples. » Ce Père ajoute3: « Vous n'avez point » réprimé vos passions honteuses, lors même que >> vous étiez accablés par vos ennemis ; vous avez » perdu le fruit de votre calamité; vous êtes deve» nus plus malheureux, et vous n'en êtes pas de» meurés moins coupables: Vos nec contriti ab » hoste luxuriam repressistis. Perdidistis utilita» tem calamitatis ; et miserrimi facti estis, et pes» simipermansistis. » Vous avez enduré les maux sans mérite et sans consolation; vous avez souffert à pure perte, comme les démons, avec un cœur révolté et endurci. « C'est néanmoins, con» clut ce Père, un reste de miséricorde de ce

1 Is., XXXI, 8.

De Civ. Dei, lib. 1, cap. 1, tom. VII, pag. 3.

Ibid., cap. xxxшI, pag. 30.

4 Ibid., cap. XXXIV.

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» que vous vivez encore; Dieu vous épargne, pour
» vous avertir de vous corriger par la pénitence.
» Et tamen quod vivitis, Dei est, qui vobis par-
»cendo admonet, ut corrigamini pænitendo. »
Ce qui nous met en crainte pour la paix est
l'indignité avec laquelle les peuples la desirent.
Pendant qu'on lève les mains vers le ciel pour l'ob-
tenir, les hommes se ressouviennent-ils de la so-
briété et de la pudeur ? Les cabarets ne sont-ils
pas remplis de peuples, pendant que la maison du
Seigneur est abandonnée ? Les chansons impudi-
ques sont-elles moins en la place des cantiques sa-
crés? L'avarice et l'usure sont-elles moins cruelles
contre la veuve et contre l'orphelin? L'envie et la
médisance sont-elles moins envenimées ? Le luxe
est-il moins insolent? Les conditions sont-elles
moins confondues? La fraude règne-t-elle moins
dans le commerce? Pendant que chacun se plaint
de la misère, en est-on plus épargnant et plus la-
borieux ? La jeunesse est-elle moins oisive, moins
ignorante, moins indocile? Les personnes âgées
sont-elles plus détachées de la vie, pour se prépa-
rer à la mort ? Où trouverons-nous des hommes

qui veillent, qui prient, qui croient, qui espèrent,
qui aiment, qui vivent comme ne comptant point
sur une vie si courte et si fragile, qui usent de ce
monde comme n'en usant point, parce que ce n'est
qu'une figure qui passe au moment où l'on se flatte
d'en jouir?

Mais pourquoi soupirez-vous après la paix? Qu'en voulez-vous faire? « Vous ne cherchez point » dans cette sécurité, dit saint Augustin', une ré» publique vertueuse et tranquille, mais une dis» solution impunie; vous qui, ayant été corrompus » par la prospérité, n'avez pu être corrigés par » tant de malheurs. Neque enim in vestra securitate pacatam rempublicam, sed luxuriam quæritis impunitam; qui depravati rebus pro» speris, nec corrigi potuistis adversis. » C'est donc vous qui retardez la paix par vos mœurs. C'est vous qui êtes les auteurs des calamités publiques. C'est vous-mêmes qui forcez Dieu, malgré ses bontés paternelles, à vous faire souffrir tous les maux dont vous murmurez.

Mais que vois-je ? C'est un nouveau Josaphat, roi du peuple de Dieu, qui, à la vue de tant de maux, se tourne tout entier vers la prière : totum se contulit ad rogandum Dominum2. Voici les paroles qu'il prononcera en s'humiliant sous la puissante main de Dieu : Si tous les maux viennent ensemble fondre sur nous, LE GLAIVE DU JU

De Civ. Dei, lib. 1, cap. xxx, pag. 30.

2 II Paral. xx. 3, 9.

GEMENT, la peste et la famine, nous demeurerons | La vertu n'est plus qu'un beau langage que la vanité debout en votre présence devant cette maison, où | parle. La religion n'a plus aucune sérieuse autorité votre nom est invoqué. Là nous crierons vers vous dans nos tribulations; vous nous exaucerez, et nous serons sauvés.

Vous le voyez, mes très chers frères, le glaive que le Saint-Esprit nous représente comme n'étant pas de main d'homme (in gladio non viri) est le même qui est nommé ici le glaive du jugement, gladius judicii. Ce n'est point un glaive poussé au hasard par l'aveugle fureur du soldat: c'est la justice elle-même qui le conduit; c'est le jugement d'en haut qui en règle tous les coups ici-bas; c'est une main invisible, éternelle et toute puissante qui écrase notre foible orgueil. Que devons-nous en conclure? Faisons tout au plus tôt notre paix avec Dieu, et notre paix avec les hommes se trouvera d'abord toute faite. C'est pour seconder les sincères et pieux desirs d'un grand roi dans une si pressante nécessité, que nous voulons demander à Dieu qu'il dicte lui-même, de son trône céleste, une paix qui dissipe tout ombrage, qui calme toute jalousie, qui réunisse tous les cœurs, et qui fasse ressouvenir toutes les nations qu'elles ne sont que les branches d'une même famille. L'Église, dans ce temps de péché et de confusion, souffre des maux presque irréparables, et nous espérons que les larmes de l'épouse toucheront le cœur de l'Époux. A ces causes, nous ordonnons, etc. Donné à Cambrai, le 6 février 1712.

XXII.

MANDEMENT POUR LE CARÈME

DE L'ANNÉE 1715.

FRANÇOIS, etc., à tous les fidèles de notre diocèse, salut et bénédiction.

L'attente d'une prompte paix, mes très chers frères, nous faisoit espérer dès cette année le rétablissement de la discipline du carême. Mais les péchés des peuples retardent encore ces heureux jours. Le Seigneur, justement irrité, tient toujours sur nos têtes le glaive vengeur de son alliance violée . Faut-il s'en étonner? Nos peuples sont écrasés sans être convertis. On ne trouve dans les pauvres que lâcheté, découragement, murmure, corruption et fraude. On ne voit dans les riches que mollesse, faste et profusion pour le mal, avarice contre le bien; la société est un jeu ruineux; la conversation n'est que médisance; l'amitié n'est qu'un commerce flatteur et intéressé.

Levit., XXVI, 25.

dans le détail des mœurs. Nous ne pouvons que trop dire ce que saint Augustin disoit en son temps: « C'est par nos vices, et non par hasard, que nous » avons fait tant de pertes'. »

Nous avons vu à nos portes deux armées innombrables, qui, prêtes à répandre des ruisseaux de sang, ne paroissoient que comme un camp, tant elles étoient voisines. Nos campagnes ravagées sont encore incultes comme les plus sauvages déserts. Votre terre, ô mon peuple, dit le Seigneur 2, sera déserte, et vos villes tomberont en ruine. Vos champs pendant tous les jours de leur solitude se plairont à se reposer, et à ne produire aucune moisson, parce que vous ne les avez point laissé reposer au jour du saint repos. Hélas! nous avons vu les familles chassées de l'habitation de leurs ancêtres, errer sans ressource, et porter leurs enfants moribonds dans une terre étrangère. Qu'estce qui nous a fait tant de maux? c'est nous-mêmes. D'où nous sont-ils venus? de nos seuls péchés. Que n'avons-nous pas encore à craindre de nos mœurs! Dieu juste se doit des exemples. Quand l'apaiserons-nous? Ceux qui resteront, dit le Seigneur 3, sécheront de peine dans leurs iniquités... Je marcherai contre eux... jusqu'à ce que leur cœur incirconcis rougisse de leur ingratitude. Hâtons-nous donc, mes très chers frères, faire la paix de ce monde en faisant la nôtre avec Dieu et avec nous-mêmes. «O étonnante vanité! >> dit saint Augustin, les hommes veulent se ren>> dre heureux ici-bas, et faire ce bonheur de leurs >> propres mains; mais la vérité tourne en déri»sion leur folle espérance. » «La paix même d'ici» bas, dit encore ce Pères, tant celle des nations que » celle de chaque homme, est plutôt une consolation » qui adoucit nos misères, qu'une joie où nous goù» tions un vrai bonheur. » Les biens et les maux de

de

cette vie ne sont rien, par la brièveté et par l'in

certitude de cette vie même. Que peut-on penser

des faux biens, qui ne servent qu'à rendre les hommes méchants, et que Dieu méprise, jusqu'à les prodiguer à ses ennemis qu'il réprouve? Que peut-on croire des maux qui servent à nous rendre bons, et conformes à Jésus-Christ attaché sur la croix? Heureux celui qui souffre dans ce court pélerinage, et que la mort ne surprend point dans l'ivresse d'une trompeuse postérité !

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