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L'ÉDUCATION DES FILLES.

CHAPITRE PREMIER.

De l'importance de l'éducation des filles.

Rien n'est plus négligé que l'éducation des filles. La coutume et le caprice des mères y décident souvent de tout: on suppose qu'on doit donner à ce sexe peu d'instruction. L'éducation des garçons passe pour une des principales affaires par rapport au bien public; et quoiqu'on n'y fasse guère moins de fautes que dans celle des filles, du moins on est persuadé qu'il faut beaucoup de lumières pour y réussir. Les plus habiles gens se sont appliqués à donner des règles dans cette matière. Combien voit-on de maîtres et de colléges! combien de dépenses pour des impressions de livres, pour des recherches de sciences, pour des méthodes d'apprendre les langues, pour le choix des professeurs! Tous ces grands préparatifs ont souvent plus d'apparence que de solidité; mais enfin ils marquent la haute idée qu'on a de l'éducation des garçons. Pour les filles, dit-on, il ne faut pas qu'elles soient savantes, la curiosité les rend vaines et précieuses; il suffit qu'elles sachent gouverner un jour leurs ménages, et obéir à leurs maris sans raisonner. On ne manque pas de se servir de l'expérience qu'on a de beaucoup de femmes que la science a rendues ridicules : après quoi on se croit en droit d'abandonner aveuglément les filles à la conduite des mères ignorantes et indiscrètes. Il est vrai qu'il faut craindre de faire des savantes ridicules. Les femmes ont d'ordinaire l'esprit encore plus foible et plus curieux que les hommes; aussi n'est-il point à propos de les engager dans des études dont elles pourroient s'entêter. Elles ne doivent ni gouverner l'état, ni faire la guerre, ni entrer dans le ministère des choses sacrées; ainsi elles peuvent se passer de certaines connoissances étendues, qui appartiennent à la politique, à l'art militaire, à la jurisprudence, à la philosophie et à la théologie. La plupart même des arts mécaniques ne leur conviennent pas : elles sont faites pour des exercices modérés. Leur corps, aussi bien que leur

esprit, est moins fort et moins robuste que celui des hommes; en revanche, la nature leur a donné en partage l'industrie, la propreté et l'économie, pour les occuper tranquillement dans leurs mai

sons.

Mais que s'ensuit-il de la foiblesse naturelle des femmes ? Plus elles sont foibles, plus il est important de les fortifier. N'ont-elles pas des devoirs à remplir, mais des devoirs qui sont les fondements de toute la vie humaine? Ne sont-ce pas les femmes qui ruinent et qui soutiennent les maisons, qui règlent tout le détail des choses domestiques, et qui, par conséquent, décident de ce qui touche de plus près à tout le genre humain? Par-là, elles ont la principale part aux bonnes ou aux mauvaises mœurs de presque tout le monde. Une femme judicieuse, appliquée, et pleine de religion, est l'ame de toute une grande maison; elle y met l'ordre pour les biens temporels et pour le salut. Les hommes mêmes, qui ont toute l'autorité en public, ne peuvent par leurs délibérations établir aucun bien effectif, si les femmes ne leur aident à l'exécuter.

Le monde n'est point un fantôme; c'est l'assemblage de toutes les familles : et qui est-ce qui peut les policer avec un soin plus exact que les femmes, qui, outre leur autorité naturelle et leur assiduité dans leur maison, ont encore l'avantage d'être nées soigneuses, attentives au détail, industrieuses, insinuantes et persuasives? Mais les hommes peuvent-ils espérer pour eux-mêmes quelque douceur dans la vie, si leur plus étroite société, qui est celle du mariage, se tourne en amertume? Mais les enfants, qui feront dans la suite tout le genre humain, que deviendront-ils, si les mères les gâtent dès leurs premières années?

Voilà donc les occupations des femmes, qui ne sont guère moins importantes au public que celles des hommes, puisqu'elles ont une maison à régler, un mari à rendre heureux, des enfants à bien élever. Ajoutez que la vertu n'est pas moins pour les femmes que pour les hommes: sans parler du bien ou

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sinuer par des complaisances basses et dangereuses, suivent toutes ses fantaisies, et l'entretiennent de tout ce qui peut la dégoûter du bien : la piété lui paroît une occupation languissante, et une règle ennemie de tous les plaisirs. A quoi donc s'occu

Enfin, il faut considérer, outre le bien que font les femmes quand elles sont bien élevées, le mal qu'elles causent dans le monde quand elles man-pera-t-elle ? à rien d'utile. Cette inapplication se quent d'une éducation qui leur inspire la vertu. tourne même en habitude incurable. Il est constant que la mauvaise éducation des femmes fait plus de mal que celle des hommes, puisque les désordres des hommes viennent souvent et de la mauvaise éducation qu'ils ont reçue de leurs mères, et des passions que d'autres femmes leur ont inspirées dans un âge plus avancé.

Quelles intrigues se présentent à nous dans les histoires, quel renversement des lois et des mœurs, quelles guerres sanglantes, quelles nouveautés contre la religion, quelles révolutions d'état, causés par le déréglement des femmes! Voilà ce qui prouve l'importance de bien élever les filles; cherchons-en les moyens.

CHAPITRE II.

Inconvénients des éducations ordinaires.

L'ignorance d'une fille est cause qu'elle s'ennuie, et qu'elle ne sait à quoi s'occuper innocemment. Quand elle est venue jusqu'à un certain âge sans s'appliquer aux choses solides, elle n'en peut avoir ni le goût ni l'estime; tout ce qui est sérieux lui paroît triste, tout ce qui demande une attention suivie la fatigue; la pente aux plaisirs, qui est forte pendant la jeunesse ; l'exemple des personnes du même âge qui sont plongées dans l'amusement; tout sert à lui faire craindre une vie réglée et laborieuse. Dans ce premier âge, elle manque d'expérience et d'autorité pour gouverner quelque chose dans la maison de ses parents; elle ne connoît pas même l'importance de s'y appliquer, à moins que sa mère n'ait pris soin de la lui faire remarquer en détail. Si elle est de condition, elle est exempte du travail des mains: elle ne travaillera donc que quelque heure du jour, parce qu'on dit, sans savoir pourquoi, qu'il est honnête aux femmes de travailler; mais souvent ce ne sera qu'une contenance, et elle ne s'accoutumera point à un travail suivi.

En cet état que fera-t-elle ? La compagnie d'une mère qui l'observe, qui la gronde, qui croit la bien élever en ne lui pardonnant rien, qui se compose avec elle, qui lui fait essuyer ses humeurs, qui lui paroît toujours chargée de tous les soucis domestiques, la gêne et la rebute; elle a autour d'elle des femmes flatteuses, qui, cherchant à s'in

Cependant voilà un grand vide, qu'on ne peut espérer de remplir de choses solides; il faut donc que les frivoles prennent la place. Dans cette oisiveté, une fille s'abandonne à sa paresse; et la paresse, qui est une langueur de l'ame, est une source inépuisable d'ennuis. Elle s'accoutume à dormir d'un tiers plus qu'il ne faudroit pour conserver une santé parfaite; ce long sommeil ne sert qu'à l'amollir, qu'à la rendre plus délicate, plus exposée aux révoltes du corps: au lieu qu'un sommeil médiocre, accompagné d'un exercice réglé, rend une personne gaie, vigoureuse et robuste; ce qui fait, sans doute, la véritable perfection du corps, sans parler des avantages que l'esprit en tire. Cette mollesse et cette oisiveté étant jointes à l'ignorance, il en naît une sensibilité pernicieuse pour les divertissements et pour les spectacles; c'est même ce qui existe une curiosité indiscrète et insatiable.

Les personnes instruites, et occupées à des choses sérieuses, n'ont d'ordinaire qu'une curiosité médiocre ce qu'elles savent leur donne du mépris pour beaucoup de choses qu'elles ignorent; elles voient l'utilité et le ridicule de la plupart des choses que les petits esprits qui ne savent rien, et qui n'ont rien à faire, sont empressés d'apprendre.

Au contraire, les filles mal instruites et inappliquées ont une imagination toujours errante. Faute d'aliment solide, leur curiosité se tourne en ardeur vers les objets vains et dangereux. Celles qui ont de l'esprit s'érigent souvent en précieuses, et lisent tous les livres qui peuvent nourrir leur vanité; elles se passionnent pour des romans, pour des comédies, pour des récits d'aventures chimériques, où l'amour profane est mêlé. Elles se rendent l'esprit visionnaire, en s'accoutumant au langage magnifique des héros de romans: elles se gâtent même par-là pour le monde; car tous ces beaux sentiments en l'air, toutes ces passions généreuses, toutes ces aventures que l'auteur du roman a inventées pour le plaisir, n'ont aucun rapport avec les vrais motifs qui font agir dans le monde, et qui décident des affaires, ni avec les mécomptes qu'on trouve dans tout ce qu'on entreprend.

Une pauvre fille, pleine du tendre et du merveilleux qui l'ont charmée dans ses lectures, est

étonnée de ne trouver point dans le monde de vrais personnages qui ressemblent à ces héros elle voudroit vivre comme ces princesses imaginaires, qui sont, dans les romans, toujours charmantes, toujours adorées, toujours au-dessus de tous les besoins. Quel dégoût pour elle de descendre de l'héroïsme jusqu'au plus bas détail du ménage!

Quelques unes poussent leur curiosité encore plus loin, et se mêlent de décider sur la religion, quoiqu'elles n'en soient point capables. Mais celles qui n'ont pas assez d'ouverture d'esprit pour ees curiosités en ont d'autres qui leur sont proportionnées elles veulent ardemment savoir ce qui se dit, ce qui se fait, une chanson, une nouvelle, une intrigue; recevoir des lettres, lire celles que les autres reçoivent; elles veulent qu'on leur dise tout, et elles veulent aussi tout dire; elles sont vaines, et la vanité fait parler beaucoup; elles sont légères, et la légèreté empêche les réflexions qui feroient souvent garder le silence.

CHAPITRE III.

Quels sont les premiers fondements de l'éducation. Pour remédier à tous ces maux, c'est un grand avantage que de pouvoir commencer l'éducation des filles dès leur plus tendre enfance. Ce premier âge, qu'on abandonne à des femmes indiscrètes et quelquefois déréglées, est pourtant celui où se font les impressions les plus profondes, et qui par conséquent a un grand rapport à tout le reste de la vie.

le même objet. Il est vrai que le tempérament du cerveau des enfants leur donne une admirable facilité pour l'impression de toutes ces images : mais quelle attention d'esprit ne faut-il pas pour les discerner, et pour les attacher chacune à son objet?

Considérez encore combien, dès cet âge, les enfants cherchent ceux qui les flattent, et fuient ceux qui les contraignent; combien ils savent crier ou se taire pour avoir ce qu'ils souhaitent; combien ils ont déja d'artifice et de jalousie. J'ai vu, dit saint Augustin', un enfant jaloux : il ne savoit pas encore parler; et déja, avec un visage pâle et des yeux irrités, il regardoit l'enfant qui tétoit avec lui.

On peut donc compter que les enfants connoissent dès-lors plus qu'on ne s'imagine d'ordinaire: ainsi vous pouvez leur donner, par des paroles qui seront aidées par des tons et des gestes, l'inclination d'être avec les personnes honnêtes et vertueuses qu'ils voient, plutôt qu'avec d'autres personnes déraisonnables qu'ils seroient en danger d'aimer ainsi vous pouvez encore, par les différents airs de votre visage, et par le ton de votre voix, leur représenter avec horreur les gens qu'ils ont vus en colère ou dans quelque autre déréglement, et prendre les tons les plus doux avec le visage le plus serein, pour leur représenter avec admiration ce qu'ils ont vu faire de sage et de modeste.

Je ne donne pas ces petites choses pour grandes; mais enfin ces dispositions éloignées sont des commencements qu'il ne faut pas négliger, et cette manière de prévenir de loin les enfants a des suites insensibles qui facilitent l'éducation.

Si on doute encore du pouvoir que ces premiers préjugés de l'enfance ont sur les hommes, on n'a qu'à voir combien le souvenir des choses qu'on a aimées dans l'enfance est encore vif et touchant dans un âge avancé. Si, au lieu de donner aux

Avant que les enfants sachent entièrement parler, on peut les préparer à l'instruction. On trouvera peut-être que j'en dis trop: mais on n'a qu'à considérer ce que fait l'enfant qui ne parle pas encore: il apprend une langue qu'il parlera bientôt plus exactement que les savants ne sauroient parler les langues mortes qu'ils ont étudiées avec tant de travail dans l'âge le plus mûr. Mais qu'est-enfants de vaines craintes des fantômes et des ce qu'apprendre une langue? Ce n'est pas seulement mettre dans sa mémoire un grand nombre de mots; c'est encore, dit saint Augustin', observer le sens de chacun de ces mots en particulier. L'enfant, dit-il, parmi ses cris et ses jeux, remarque de quel objet chaque parole est le signe : il le fait, tantôt en considérant les mouvements naturels des corps qui touchent ou qui montrent les objets dont on parle, tantôt étant frappé par la fréquente répétition du même mot pour signifier

Confess., lib. 1, cap. vnt, n. 43, tom. 1, pag. 74.

esprits, qui ne font qu'affoiblir, par de trop grands ébranlements, leur cerveau encore tendre; si, au lieu de les laisser suivre toutes les imaginations de leurs nourrices pour les choses qu'ils doivent aimer ou fuir, on s'attachoit à leur donner toujours une idée agréable du bien, et une idée affreuse du mal; cette prévention leur faciliteroit beaucoup dans la suite la pratique de toutes les vertus. Au contraire, on leur fait craindre un prêtre vêtu de noir, on ne leur parle de la mort que pour

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les effrayer, on leur raconte que les morts reviennent la nuit sous des figures hideuses: tout cela n'aboutit qu'à rendre une ame foible et timide, et qu'à la préoccuper contre les meilleures choses. Ce qui est le plus utile dans les premières années de l'enfance, c'est de ménager la santé de l'enfant, de tâcher de lui faire un sang doux par le choix des aliments, et par un régime de vie simple; c'est de régler ses repas, en sorte qu'il mange toujours à peu près aux mêmes heures; qu'il mange assez souvent à proportion de son besoin; qu'il ne mange point hors de son repas, parce que c'est surcharger l'estomac pendant que la digestion n'est pas finie; qu'il ne mange rien de haut goût, qui l'excite à manger au-delà de son besoin, et qui le dégoûte des aliments plus convenables à sa santé ; qu'enfin on ne lui serve pas trop de choses différentes, car la variété des viandes qui viennent l'une après l'autre soutient l'appétit après que le vrai besoin de manger est fini.

Ce qu'il y a encore de très important, c'est de laisser affermir les organes en ne pressant point l'instruction, d'éviter tout ce qui peut allumer les passions, d'accoutumer doucement l'enfant à être privé des choses pour lesquelles il a témoigné trop d'ardeur, afin qu'il n'espère jamais d'obtenir les choses qu'il desire.

Si peu que le naturel des enfants soit bon, on peut les rendre ainsi dociles, patients, fermes, gais et tranquilles : au lieu que, si on néglige ce premier âge, ils y deviennent ardents et inquiets pour toute leur vie; leur sang se brûle; les habitudes se forment; le corps, encore tendre, et l'ame, qui n'a encore aucune pente vers aucun objet, se plient vers le mal; il se fait en eux une espèce de second péché originel, qui est la source de mille désordres quand ils sont plus grands.

Dès qu'ils sont dans un âge plus avancé, où leur raison est toute développée, il faut que toutes les paroles qu'on leur dit servent à leur faire aimer la vérité, et à leur inspirer le mépris de toute dissimulation. Ainsi, on ne doit jamais se servir d'aucune feinte pour les apaiser, ou pour leur persuader ce qu'on veut par-là, on leur enseigne la finesse, qu'ils n'oublient jamais; il faut les mener par la raison autant qu'on peut.

Mais examinons de plus près l'état des enfants, pour voir plus en détail ce qui leur convient. La substance de leur cerveau est molle, et elle se durcit tous les jours; pour leur esprit, il ne sait rien, tout lui est nouveau. Cette mollesse du cerveau fait que tout s'y imprime facilement, et la surprise de la nouveauté fait qu'ils admirent aisé

ment, et qu'ils sont fort curieux. Il est vrai aussi que cette humidité et cette mollesse du cerveau, jointe à une grande chaleur, lui donne un mouvement facile et continuel. De là vient cette agitation des enfants, qui ne peuvent arrêter leur esprit à aucun objet, non plus que leur corps en aucun lieu.

D'un autre côté, les enfants nesachant encore rien penser ni faire d'eux-mêmes, ils remarquent tout, et ils parlent peu, si on ne les accoutume à parler beaucoup, et c'est de quoi il faut bien se garder. Souvent le plaisir qu'on veut tirer des jolis enfants les gâte; on les accoutume à hasarder tout ce qui leur vient dans l'esprit, et à parler des choses dont ils n'ont pas encore des connoissances distinctes: il leur en reste toute leur vie l'habitude de juger avec précipitation, et de dire des choses dont ils n'ont point d'idées claires; ce qui fait un très mauvais caractère d'esprit.

Ce plaisir qu'on veut tirer des enfants produit encore un effet pernicieux; ils aperçoivent qu'on les regarde avec complaisance, qu'on observe tout ce qu'ils font, qu'on les écoute avec plaisir; par-là ils s'accoutument à croire que le monde sera toujours occupé d'eux.

Pendant cet âge où l'on est applaudi, et où l'on n'a point encore éprouvé la contradiction, on conçoit des espérances chimériques qui préparent des mécomptes infinis pour toute la vie. J'ai vu des enfants qui croyoient qu'on parloit d'eux toutes les fois qu'on parloit en secret, parce qu'ils avoient remarqué qu'on l'avoit fait souvent; ils s'imaginoient n'avoir rien en eux que d'extraordinaire et d'admirable. Il faut donc prendre soin des enfants, sans leur laisser voir qu'on pense beaucoup à eux. Montrez-leur que c'est par amitié, et par le besoin où ils sont d'être redressés, que vous êtes attentifs à leur conduite, et non par l'admiration de leur esprit. Contentez-vous de les former peu à peu selon les occasions qui viennent naturellement: quand même vous pourriez avancer beaucoup l'esprit d'un enfant sans le presser, vous devriez craindre de le faire; car le danger de la vanité et de la présomption est toujours plus grand que le fruit de ces éducations prématurées qui font tant de bruit.

Il faut se contenter de suivre et d'aider la nature. Les enfants savent peu, il ne faut pas les exciter à parler mais comme ils ignorent beaucoup de choses, ils ont beaucoup de questions à faire ; aussi en font-ils beaucoup. Il suffit de leur répondre précisément, et d'ajouter quelquefois certaines petites comparaisons pour rendre plus sensi

bles les éclaircissements qu'on doit leur donner. S'ils jugent de quelque chose sans le bien savoir, il faut les embarrasser par quelque question nouvelle, pour leur faire sentir leur faute, sans les confondre rudement. En même temps il faut leur faire apercevoir, non par des louanges vagues, mais par quelque marque effective d'estime, qu'on les approuve bien plus quand ils doutent, et qu'ils demandent ce qu'ils ne savent pas, que quand ils décident le mieux. C'est le vrai moyen de mettre dans leur esprit, avec beaucoup de politesse, une modestie véritable, et un grand mépris pour les contestations qui sont si ordinaires aux jeunes personnes peu éclairées.

Dès qu'il paroît que leur raison a fait quelque progrès, il faut se servir de cette expérience pour les prémunir contre la présomption. Vous voyez, direz-vous, que vous êtes plus raisonnable maintenant que vous ne l'étiez l'année passée; dans un an vous verrez encore des choses que vous n'êtes pas capable de voir aujourd'hui. Si, l'année passée, vous aviez voulu juger des choses que vous savez maintenant, et que vous ignoriez alors, vous en auriez mal jugé. Vous auriez eu grand tort de prétendre savoir ce qui étoit au-delà de votre portée. Il en est de même aujourd'hui des choses qui vous restent à connoître : vous verrez un jour combien vos jugements présents sont imparfaits. Cependant fiez-vous aux conseils des personnes qui jugent comme vous jugerez vous-mêmes quand vous aurez leur âge et leur expérience.

La curiosité des enfants est un penchant de la nature, qui va comme au-devant de l'instruction; ne manquez pas d'en profiter. Par exemple, à la campagne ils voient un moulin, et ils veulent savoir ce que c'est; il faut leur montrer comment se prépare l'aliment qui nourrit l'homme. Ils aperçoivent des moissonneurs, et il faut leur expliquer ce qu'ils font, comment est-ce qu'on sème le blé, et comment il se multiplie dans la terre. A la ville, ils voient des boutiques où s'exercent plusieurs arts, et où l'on vend diverses marchandises. Il ne faut jamais être importuné de leurs demandes; ce sont des ouvertures que la nature vous offre pour faciliter l'instruction: témoignez y prendre plaisir ; par-là vous leur enseignerez insensiblement comment se font toutes les choses qui servent à l'homme, et sur lesquelles roule le commerce. Peu à peu, sans étude particulière, ils connoîtront la bonne manière de faire toutes ces choses qui sont de leur usage, et le juste prix de chacune, ce qui est le vrai fond de l'économie. Ces connoissances, qui ne doivent être méprisées de personne, puisque tout

le monde a besoin de ne se pas laisser tromper dans sa dépense, sont principalement nécessaires aux filles.

CHAPITRE IV.

Imitation à craindre.

L'ignorance des enfants, dans le cerveau desquels rien n'est encore imprimé, et qui n'ont aucune habitude, les rend souples et enclins à imiter tout ce qu'ils voient. C'est pourquoi il est capital de ne leur offrir que de bons modèles. Il ne faut laisser approcher d'eux que des gens dont les exemples soient utiles à suivre : mais comme il n'est pas possible qu'ils ne voient, malgré les précautions qu'on prend, beaucoup de choses irrégulières, il faut leur faire remarquer de bonne heure l'impertinence de certaines personnes vicieuses et déraisonnables, sur la réputation desquelles il n'y a rien à ménager il faut leur montrer combien on est méprisé et digne de l'être, combien on est misérable, quand on s'abandonne à ses passions, et qu'on ne cultive point sa raison. On peut ainsi, sans les accoutumer à la moquerie, leur former le goût, et les rendre sensibles aux vraies bienséances. Il ne faut pas même s'abstenir de les prévenir en général sur certains défauts, quoiqu'on puisse craindre de leur ouvrir par-là les yeux sur les foiblesses des gens qu'ils doivent respecter; car, outre qu'on ne doit pas espérer et qu'il n'est point juste de les entretenir dans l'ignorance des véritables règles là-dessus, d'ailleurs le plus sûr moyen de les tenir dans leurs devoirs. est de leur persuader qu'il faut supporter les défauts d'autrui, qu'on ne doit pas même en juger légèrement, qu'ils paroissent souvent plus grands. qu'ils ne sont, qu'ils sont réparés par des qualités avantageuses; et que, rien n'étant parfait sur la terre, on doit admirer ce qui a le moins d'imperfection; enfin, quoiqu'il faille réserver de telles instructions pour l'extrémité, il faut pourtant leur donner les vrais principes, et les préserver d'imiter tout le mal qu'ils ont devant les yeux.

Il faut aussi les empêcher de contrefaire les gens. ridicules; car ces manières moqueuses et comédiennes ont quelque chose de bas et de contraireaux sentiments honnêtes : il est à craindre que les enfants ne les prennent, parce que la chaleur de leur imagination et la souplesse de leur corps, jointes à leur enjouement, leur font aisément prendre toutes sortes de formes pour représenter ce qu'ils voient de ridicule.

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