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aveuglé jusqu'au point qu'elle t'engagea à faire périr Hippolyte, que tu avois eu de l'Amazone. Plusieurs autres ont possédé ton cœur, et ne l'ont pas possédé long-temps.

THES. Mais enfin je ne filois pas comme celui qui a porté le monde.

HER. Je t'abandonne ma vie lâche et efféminée en Lydie; mais tout le reste est au-dessus de l'homme.

THES.-Tant pis pour toi, que tout le reste étant au-dessus de l'homme, cet endroit soit si fort audessous. D'ailleurs, tes travaux que tu vantes tant, tu ne les as accomplis que pour obéir à Eurysthée.

pagnes, à trois têtes; les pommes d'or du jardin des Hespérides; enfin Cerbère, que je traînai hors des enfers, et que je contraignis de voir la lumière. THES. Et moi, n'ai-je pas vaincu tous les brigands de la Grèce, chassé Médée de ehez mon père, tué le Minotaure, et trouvé l'issue du Labyrinthe, ce qui fit établir les jeux Isthmiques? ils valent bien ceux de Némée. De plus, j'ai vaincu les Amazones qui vinrent assiéger Athènes. Ajoute à ces actions le combat des Lapithes le voyage de Jason pour la toison d'or, et la chasse du sanglier de Calydon, où j'ai eu tant de part. J'ai osé aussi bien que toi descendre aux enfers. HER. — Oui, mais tu fus puni de ta folle entreprise. Tu ne pris point Proserpine; Cerbère, que je traînai hors de son antre ténébreux, dévora à tes yeux ton ami, et tu demeuras captif. As-tu oublié que Castor et Pollux reprirent dans tes mains Hélène leur sœur, dans Aphidne? Tu leur laissas aussi enlever ta pauvre mère Ethra. Tout cela est d'un foible héros. Enfin tu fus chassé d'A- | thènes; et te retirant dans l'île de Scyros, Lyco- THES. Alors je délivrai Athènes du tribut de mède, qui savoit combien tu étois accoutumé à sept jeunes hommes et d'autant de filles, que Mifaire des entreprises injustes, pour te prévenir nos lui avoit imposé à cause de la mort de son fils te précipita du haut d'un rocher. Voilà une belle Androgée. Hélas! mon père Égée, qui m'attenfin! doit, ayant cru voir la voile noire au lieu de la blanche, se jeta dans la mer, et je le trouvai mort en arrivant. Dès lors je gouvernai sagement Athènes.

THÉS.

HER. Il est vrai que Junon m'avoit assujetti à toutes ses volontés. Mais c'est la destinée de la vertu d'être livrée à la persécution des lâches et des méchants: mais sa persécution n'a servi qu'à exercer ma patience et mon courage. Au contraire, tu as souvent fait des choses injustes. Heureux le monde, si tu ne fusses point sorti du Labyrinthe!

La tienne est-elle plus honorable? Devenir amoureux d'Omphale, chez qui tu filois; puis la quitter pour la jeune lole, au préjudice de la pauvre Déjanire, à qui tu avois donné ta foi; se laisser donner la tunique trempée dans le sang du centaure Nessus; devenir furieux jusqu'à précipiter des rochers du mont OEta dans la mer le pauvre Lichas, qui ne t'avoit rien fait, et prier Ne parlons plus d'amours: sur ce chaPhiloctète en mourant de cacher ton sépulcre, pitre honteux nous ne nous en devons rien l'un à

afin qu'on te crût un dieu; cela est-il plus beau que ma mort? Au moins, avant que d'être chassé par les Athéniens, je les avois tirés de leurs bourgs, où ils vivoient avec barbarie, pour les civiliser, et leur donner des lois dans l'enceinte d'une nouvelle ville. Pour toi, tu n'avois garde d'être législateur; tout ton mérite étoit dans tes bras nerveux et dans tes épaules larges.

HER. Mes épaules ont porté le monde pour soulager Atlas. De plus, mon courage étoit admiré. Il est vrai que j'ai été trop attaché aux femmes; mais c'est bien à toi à me le reprocher, toi qui abandonnas avec ingratitude Ariadne, qui t'avoit sauvé la vie en Crète! Penses-tu que je n'aie point entendu parler de l'amazone Antiope, à laquelle tu fus encore infidèle? Églé, qui lui succéda, ne fut pas plus heureuse. Tu avois enlevé Hélène; mais ses frères te surent bien punir. Phèdre t'avoit

HER. Comment l'aurois-tu gouvernée, puisque tu étois tous les jours dans de nouvelles expéditions de guerre, et que tu mis, par tes amours, le feu dans toute la Grèce?

THÉS.

l'autre.

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ACH. — Agamemnon m'enlever ma gloire ! moi demeurer dans un honteux oubli! Je ne puis le souffrir, et j'aimerois mieux périr encore une fois de la main du lâche Pâris.

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ACH. Eh bien! je ferai tout cela si tu peux obtenir de Jupiter qu'il me rappelle à la jeunesse florissante où je me suis vu. Fais qu'il te rende aussi la lumière, et qu'il m'assujettisse à tes volontés comme Hercule le fut à celles d'Eurysthée. CHIR. - J'y consens; je vais faire cette prière au père des dieux : je sais qu'il m'exaucera. Tu renaîtras, après une longue suite de siècles, avec du génie, de l'élévation, du courage, du goût

CHIR. Mes instructions sur la vertu ne sont pour les Muses, mais avec un naturel impatient et donc pas à mépriser.

ACH.

impétueux tu auras Chiron à tes côtés; nous

Je l'avoue; mais, pour on profiter, je verrons l'usage que tu en feras. voudrois retourner au monde.

CHIR. Qu'y ferois-tu cette seconde fois?

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ACH. Qu'est-ce que j'y ferois? j'éviterois la querelle que j'eus avec Agamemnon; par-là j'épargnerois la vie de mon ami Patrocle, et le sang de tant d'autres Grecs que je laissai périr sous le glaive cruel des Troyens, pendant que je me roulois de désespoir sur le sable du rivage, comme un insensé.

IV.

ACHILLE ET HOMÈRE.

Manière aimable de faire naître dans le cœur d'un jeune
prince l'amour des belles-lettres et de la gloire.
Асн.

Je suis ravi, grand poëte, d'avoir servi à t'immortaliser. Ma querelle contre Agamemnon, ma douleur de la mort de Patrocle, mes combats

CHIR. Mais ne t'avois-je pas prédit que ta co- contre les Troyens, la victoire que je remportai lère te feroit faire toutes ces folies? sur Hector, t'ont donné le plus beau sujet de poëme qu'on ait jamais vu.

ACH. Il est vrai, tu me l'avois dit cent fois; mais la jeunesse écoute-t-elle ce qu'on lui dit? Elle ne croit que ce qu'elle voit. O si je pouvois redevenir jeune !

Ном.

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J'avoue que le sujet est beau; mais j'en aurois bien pu trouver d'autres. Une preuve qu'il y en a d'autres, c'est que j'en ai trouvé effec

Tu redeviendrois emporté et indocile. tivement. Les aventures du sage et patient Ulysse
Non, je te le promets.
valent bien la colère de l'impétueux Achille.

CHIR.
ACH.
CHIR. Hé! ne m'avois-tu pas promis cent et
cent fois dans mon antre de Thessalie de te modé-
rer quand tu serois au siége de Troie ? L'as-tu fait?
ACH. J'avoue que non.

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ACH.Quoi! comparer le rusé et trompeur Ulysse au fils de Thétys, plus terrible que Mars! Va, poëte ingrat, tu sentiras....

Ном. Tu as oublié que les ombres ne doivent point se mettre en colère. Une colère d'ombre n'est guère à craindre. Tu n'as plus d'autres armes à employer que de bonnes raisons.

ACH. Pourquoi aussi viens-tu me désavouer que tu me dois la gloire de ton plus beau poëme? L'autre n'est qu'un amas de contes de vieilles ;

CHIR. Tu voudrois pourtant encore en être tout y languit; tout sent son vieillard dont la vimalade. vacité est éteinte, et qui ne sait point finir.

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HOM. - Tu ressembles à bien des gens, qui, faute de connoître les divers genres d'écrire, croient qu'un auteur ne se soutient pas quand il passe d'un genre vif et rapide à un autre plus doux et plus modéré. Ils devroient savoir que la perfection est d'observer toujours les divers caCHIR. Le remède est de se craindre soi- ractères, de varier son style suivant les sujets, de même, de croire les gens sages, de les appeler à s'élever ou de s'abaisser à propos, et de donner, son secours, de profiter de ses fautes passées pour par ce contraste, des caractères plus marqués et prévoir celles qu'il faut éviter à l'avenir, et d'in-plus agréables. Il faut savoir sonner de la trom

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pette, toucher la lyre, et jouer même de la flûte champêtre. Je crois que tu voudrois que je peiguisse Calypso avec ses nymphes dans sa grotte, ou Nausicaa sur le rivage de la mer, comme les héros et les dieux mêmes combattant aux portes de Troie. Parle de guerre, c'est ton fait ; et ne te mêle jamais de décider sur la poésie en ma pré

sence.

ACH.

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point un poète qui fit pour lui ce que j'ai fait pour toi ? c'est qu'il avoit le goût bon sur la gloire. Pour toi, tu me dois tout, et tu n'as point de honte de me traiter d'ingrat! Il n'est plus temps de s'emporter: ta colère devant Troie étoit bonne à me fournir le sujet d'un poëme; mais je ne puis plus chanter les emportements que tu aurois ici, et ils ne te feroient point d'honneur. Souviens-toi O que tu es fier, bon homme aveugle! seulement que la Parque t'ayant ôté tous les autres tu te prévaux de ma mort. avantages, il ne te reste plus que le grand nom que tu tiens de mes vers. Adieu. Quand tu seras de plus belle humeur, je viendrai te chanter dans ce bocage certains endroits de l'lliade; par exemple, la défaite des Grecs en ton absence, la consternation des Troyens dès qu'on te vit paroître pour venger Patrocle, les dieux mêmes étonnés de te voir comme Jupiter foudroyant. Après cela, dis, si tu l'oses, qu'Archille ne doit point sa gloire à Homère.

Ном.

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Je me prévaux aussi de la mienne. Tu n'es plus que l'ombre d'Achille, et moi je ne suis que l'ombre d'Homère.

ACH.

Ah! que ne puis-je faire sentir mon ancienne force à cette ombre ingrate!

HOм. — Puisque tu me presses tant sur l'ingratitude, je veux enfin te détromper. Tu ne m'as fourni qu'un sujet que je pouvois trouver ailleurs: mais moi je t'ai donné une gloire qu'un autre n'eût pu te donner, et qui ne s'effacera jamais. Асн. Comment! tu t'imagines que sans tes vers le grand Achille ne seroit pas admiré de toutes les nations et de tous les siècles?

Ном. Plaisante vanité! pour avoir répandu plus de sang qu'un autre au siége d'une ville qui n'a été prise qu'après ta mort ! Hé! combien y a-til de héros qui ont vaincu de grands peuples et conquis de grands royaumes! cependant ils sont dans les ténèbres de l'oubli; on ne sait pas même leurs noms. Les Muses seules peuvent immortaliser les grandes actions. Un roi qui aime la gloire la doit chercher dans ces deux choses: premièrement il faut la mériter par la vertu, ensuite se faire aimer par les nourrissons des Muses, qui peuvent les chanter à toute la postérité.

ACH. Mais il ne dépend pas toujours des princes d'avoir de grands poëtes : c'est par hasard que tu as conçu, long-temps après ma mort, le dessein de faire ton Iliade,

HOM. Il est vrai ; mais quand un prince aime les lettres, il se forme pendant son règne beaucoup de poëtes. Ses récompenses et son estime excitent entre eux une noble émulation; le goût se perfectionne. Il n'a qu'à aimer et qu'à favoriser les Muses, elles feront bientôt paroître des hommes inspirés pour louer tout ce qu'il y a de louable en lui. Quand un prince manque d'un Homère, c'est qu'il n'est pas digne d'en avoir un son défaut de goût attire l'ignorance, la grossièreté et la barbarie. La barbarie déshonore toute une nation, et ôte toute espérance de gloire durable au prince qui règue. Ne sais-tu pas qu'Alexandre, qui est depuis peu descendu ici-bas, pleuroit de n'avoir

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vie honteuse parmi les filles du roi Lycomède. Tu me dois toutes les belles actions que je t'ai contraint de faire.

vent Achille même? Sans noi, tu aurois passé une | animal, dont Circé l'avoit revêtu par l'enchantement de sa verge d'or *. Il n'y eut que Grillus, qui étoit devenu pourceau, qui ne put jamais se résoudre à redevenir homme. Ulysse employa inutilement toute son éloquence pour lui persuader qu'il devoit rentrer dans son premier état. Plutarque a parlé de cette fable; et j'ai cru que c'étoit un sujet propre à faire un dialogue, pour montrer que les hommes seroient pires que les bêtes, si la solide philosophie et la vraie religion ne les soutenoient.

ACH. - Mais enfin je les ai faites, et toi tu n'as rien fait que des tromperies. Pour moi, quand j'étois parmi les filles de Lycomède, c'est que ma mère Thétys, qui savoit que je devois périr au siége de Troic, m'avoit caché pour sauver ma vie. Mais toi, qui ne devois point mourir, pourquoi faisois-tu le fou avec ta charrue quand Palamède découvrit si bien ta ruse? O qu'il y a de plaisir de voir tromper un trompeur! Il mit (t'en souvienstu?) Télémaque dans le champ, pour voir si tu ferois passer la charrue sur ton propre fils.

UL. Je m'en souviens; mais j'aimois Pénélope, que je ne voulois pas quitter. N'as-tu pas fait de plus grandes folies pour Briséis, quand tu quittas le camp des Grecs, et fus cause de la mort de ton ami Patrocle?

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UL. Et les amants de Pénélope, et le cyclope Polypheme?

ACH. - Tu as pris les amants en trahison : c'étoient des hommes amollis par les plaisirs, et presque toujours ivres. Pour Polyphême, tu n'en devrois jamais parler. Si tu eusses osé l'attendre, il t'auroit fait payer bien chèrement l'œil que tu lui crevas pendant son sommeil.

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UL. Mais enfin j'ai essuyé pendant vingt ans, au siége de Troie et dans mes voyages, tous les dangers et tous les malheurs qui peuvent exercer le courage et la sagesse d'un homme. Mais qu'astu jamais eu à conduire? Il n'y avoit en toi qu'une impétuosité folle, et une fureur que les hommes grossiers ont nommée courage. La main du lâche Pâris en est venue à bout.

ACH. — Mais toi, qui te vantes de ta prudence, ne t'es-tu pas fait tuer sottement par ton propre fils Télégone qui te naquit de Circé? Tu n'eus pas la précaution de te faire reconnoître par lui. Voilà un plaisant sage, pour me traiter de fou!

UL. Va, je te laisse avec l'ombre d'Ajax, aussi brutal que toi, et aussi jaloux de ma gloire.

VI.

ULYSSE ET GRILLUS. Lorsqu'Ulysse délivra ses compagnons, et qu'il contraignit Circé de leur rendre leur première forme, chacun d'eux fut dépouillé de la figure d'un

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UL. N'êtes-vous pas bien aise, mon cher Grillus, de me revoir, et d'être en état de reprendre votre ancienne forme?

GRILL. Je suis bien aise de vous voir, favori de Minerve; mais, pour le changement de forme, vous m'en dispenserez, s'il vous plaît.

UL. Hélas! mon pauvre enfant, savez-vous bien comment vous êtes fait? Assurément vous n'avez point la taille belle; un gros corps courbé vers la terre, de longues oreilles pendantes, de petits yeux à peine entr'ouverts, un groin horrible, une physionomie très désavantageuse, un vilain poil grossier et hérissé. Enfin vous êtes une hideuse personne; je vous l'apprends, si vous ne le savez pas. Si peu que vous ayez de cœur, vous vous trouverez trop heureux de redevenir homme. GRILL. Vous avez beau dire, je n'en ferai rien le métier de cochon est bien plus joli. Il est vrai que ma figure n'est pas fort élégante, mais j'en serai quitte pour ne me regarder jamais au miroir. Aussi bien, de l'humeur dont je suis depuis quelque temps, je n'ai guère à craindre de me mirer dans l'eau, et de m'y reprocher ma laideur : j'aime mieux un bourbier qu'une claire fontaine.

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`besoin d'habits; et vous seriez plus heureux dans | dignes du trône quand ils veulent régner comme moi, sans se mettre à la gêne, et sans tourmenter tout le genre humain.

vos tristes aventures, si vous aviez le corps aussi velu que moi, pour vous passer de vêtements. Je trouve partout ma nourriture, jusque dans les lieux les moins enviés. Les procès et les guerres, et tous les autres embarras de la vie, ne sont plus rien pour moi. Il ne me faut ni cuisinier, ni barbier, ni tailleur, ni architecte. Me voilà libre et content à peu de frais. Pourquoi me rengager dans les besoins des hommes?

UL. Il est vrai que l'homme a de grands besoins; mais les arts qu'il a inventés pour satisfaire à ses besoins se tournent à sa gloire et font ses délices.

GRILL..

Il est plus simple et plus sûr d'être exempt de tous ces besoins, que d'avoir les moyens les plus merveilleux d'y remédier. Il vaut mieux jouir d'une santé parfaite sans aucune science de la médecine, que d'être toujours malade avec d'excellents remèdes pour se guérir.

UL. Mais, mon cher Grillus, vous ne comptez donc plus pour rien l'éloquence, la poésie, la mu

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UL. Vous ne songez pas qu'un cochon est à la merci des hommes, et qu'on ne l'engraisse que pour l'égorger. Avec ce beau raisonnement, vous finirez bientôt votre destinée. Les hommes, au rang desquels vous ne voulez pas être, mangeront votre lard, vos boudins et vos jambons. GRILL. Il est vrai que c'est le danger de ma profession; mais la vôtre n'a-t-elle pas aussi ses périls et ses alarmes? Je m'expose à la mort par une vie douce dont la volupté est réelle et présente; vous vous exposez de même à une mort prompte par une vie malheureuse, et pour une gloire chimérique. Je conclus qu'il vaut mieux être cochon que héros. Apollon lui-même, dût-il chanter un jour vos victoires, son chant ne vous guériroit point de vos peines, et ne vous garantiroit point de la mort. Le régime d'un cochon vaut mieux.

UL.

les hommes aux dieux?

Vous êtes donc assez insensé et assez sique, la science des astres et du monde entier, abruti pour mépriser la sagesse, qui égale presque celle des figures et des nombres? Avez-vous renoncé à notre chère patrie, aux sacrifices, aux festins, aux jeux, aux danses, aux combats, et aux couronnes qui servent de prix aux vainqueurs? Répondez.

GRILL. Mon tempérament de cochon est si heureux, qu'il me met au-dessus de toutes ces belles choses. J'aime mieux grognoner, que d'être aussi éloquent que vous. Ce qui me dégoûte de l'éloquence, c'est que la vôtre même, qui égale celle de Mercure, ne me persuade ni ne me touche. Je ne veux persuader personne; je n'ai que faire d'être persuadé. Je suis aussi peu curieux de vers que de prose; tout cela est devenu viande creuse pour moi. Pour les combats du ceste, de la lutte et des chariots, je les laisse volontiers à ceux qui sont passionnés pour une couronne, comme les enfants pour leurs jouets je ne suis plus assez dispos pour remporter le prix; et je ne l'envierai point à un autre moins chargé de lard et de graisse. Pour la musique, j'en ai perdu le goût, et le goût seul décide de tout; le goût qui vous y attache m'en a détaché ; n'en parlons plus. Retournez à Ithaque; la patrie d'un cochon se trouve partout où il y a du gland. Allez, régnez, revoyez Pénélope, punissez ses amants pour moi, ma Pénélope est la truie qui est ici près; je règne dans mon étable, et rien ne trouble mon empire. Beaucoup de rois dans des palais dorés ne peuvent atteindre mon bonheur; on les nomine fainéants et in

GRILL. - Au contraire, c'est par sagesse que je méprise les hommes. C'est une impiété de croire qu'ils ressemblent aux dieux, puisqu'ils sont aveugles, injustes, trompeurs, malfaisants, malheureux et dignes de l'être, armés cruellement les uns contre les autres, et autant ennemis d'eux-mêmes que de leurs voisins. A quoi aboutit cette sagesse que l'on vante tant? elle ne redresse point les mœurs des hommes; elle ne se tourne qu'à flatter et à contenter leurs passions. Ne vaudroit-il pas mieux n'avoir point de raison, que d'en avoir pour exécuter et pour autoriser les choses les plus déraisonnables? Ah! ne me parlez plus de l'homme : c'est le plus injuste, et par conséquent le plus déraisonnable de tous les animaux. Sans flatter notre espèce, un cochon est une assez bonne personne : il ne fait ni fausse monnoie ni faux contrats; il ne se parjure jamais; il n'a ni avarice ni ambition; la gloire ne lui fait point faire de conquête injuste; il est ingénu et sans malice; sa vie se passe à boire, manger et dormir. Si tout le monde lui ressembloit, tout le monde dormiroit aussi dans un profond repos, et vous ne seriez pas ici; Påris n'auroit jamais enlevé Hélène; les Grecs n'auroient point renversé la superbe ville de Troie après un siége de dix ans ; vous n'auriez point erré sur mer et sur terre au gré de la fortune, et vous n'auriez pas besoin de conquérir votre propre royaume. Ne me parlez done plus de raison; car

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