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JUST.

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Rome a produit de savants jurisconsultes Sparte n'avoit que des soldats ignorants. SOL. J'aurois cru que les bonnes lois sont celles qui font qu'on n'a pas besoin de jurisconsultes, et que tous les ignorants vivent en paix à l'abri de ces lois simples et claires, sans être réduits à consulter de vains sophistes sur le sens des divers textes, ou sur la manière de les concilier. Je conclurois que des lois ne sont guère bonnes quand il faut tant de savants pour les expliquer, et qu'ils ne sont jamais d'accord entre eux. JUST. Pour accorder tout, j'ai fait ma compilation.

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Tribonien me disoit hier que c'est lui

JUST. Il est vrai, mais il l'a faite par mes ordres. Un empereur ne fait pas lui-même un tel ou

Pourquoi m'auroit-on méprisé en votre vrage.

JUST. C'est que les Romains ont bien enchéri sur les Grecs pour le nombre des lois et pour leur perfection. SOL. JUST.

En quoi ont-ils donc enchéri?

Nous avons une infinité de lois merveilleuses qui ont été faites en divers temps. J'aurai, dans tous les siècles, la gloire d'avoir compilé dans mon Code tout ce grand corps de lois.

SOL.

SOL. Pour moi, qui ai régné, j'ai cru que la fonction principale de celui qui gouverne les peuples est de leur donner des lois qui règlent tout ensemble le roi et les peuples, pour les rendre bons et heureux. Commander des armées et remporter des victoires n'est rien en comparaison de la gloire d'un législateur. Mais pour revenir à votre Tribonien, il n'a fait qu'une compilation des lois de divers temps qui ont souvent varié, et vous n'avez jamais eu un vrai corps de lois faites ensemble par un même dessein, pour former les mœurs et le gouvernement entier d'une nation : c'est un re

- J'ai ouï dire souvent à Cicéron, ici-bas, que les lois des Douze Tables étoient les plus parfaites que les Romains aient eues. Vous trouverez bon que je remarque en passant que ces lois allè-cueil de lois particulières pour décider sur les prérent de Grèce à Rome, et qu'elles venoient principalement de Lacédémone.

JUST. Elles viendront d'où il vous plaira; mais elles étoient trop simples et trop courtes pour entrer en comparaison avec nos lois, qui ont tout prévu, tout décidé, tout mis en ordre avec un détail infini.

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tentions réciproques des particuliers. Mais les Grecs ont seuls la gloire d'avoir fait des lois fondamentales pour conduire un peuple sur des principes philosophiques, et pour régler toute sa politique et tout son gouvernement. Pour la multitude de vos lois que vous vantez tant, c'est ce qui me fait croire que vous n'en avez pas eu de bonnes, ou que vous n'avez pas su les conserver dans leur simplicité. Pour bien gouverner un peuple, il faut peu de juges et peu de lois. Il y a peu d'hommes capables d'être juges; la multitude des juges corrompt tout. La multitude des lois n'est pas moins pernicieuse; on ne les entend plus, on ne les garde plus. Dès qu'il y en a tant, on s'accoutume à les révérer en apparence, et à les violer sous de beaux prétextes. La vanité les fait faire avec faste; l'avarice et les autres passions les font mépriser. On s'en joue par la subtilité des sophistes, qui les expliquent comme chacun le demande pour son argent de là naît la chicane, qui est un monstre né pour dévorer le genre humain. Je juge des causes par leurs effets. Les lois ne me paroissent bon

nes que dans les pays où l'on ne plaide point, et où des lois simples et courtes ont évité toutes les questions. Je ne voudrois ni dispositions par testament, ni adoptions, ni exhérédations, ni substitutions, ni emprunts, ni ventes, ni échanges. Je ne voudrois qu'une étendue très bornée de terre dans chaque famille; que ce bien fût inaliénable, et que le magistrat le partageât également aux enfants selon la loi, après la mort du père. Quand les familles se multiplieroient trop à proportion de l'étendue des terres, j'enverrois une partie du peuple faire une colonie dans quelque île déserte. Moyennant cette règle courte et simple, je me passerois de tout votre fatras de lois, et je ne songerois qu'à régler les mœurs, qu'à élever la jeunesse à la sobriété, au travail, à la patience, au mépris de la mollesse, au courage contre les douleurs et contre la mort. Cela vaudroit mieux que de subtiliser sur les contrats ou sur les tutelles.

JUST.-Vous renverseriez par des lois si sèches et si austères tout ce qu'il y a de plus ingénieux dans la jurisprudence.

HÉRAC. - Ni moi d'une gaie. Quand on est sage, on ne voit rien dans le monde qui ne paroisse de travers et qui ne déplaise.

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Vous prenez les choses d'un trop grand sérieux; cela vous fera mal.

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Vous les prenez avec trop d'enjouement; votre air moqueur est plutôt celui d'un Satyre que d'un philosophe. N'êtes-vous point touché de voir le genre humain si aveugle, si corrompu, si égaré?

DÉM. Je suis bien plus touché de le voir si impertinent et si ridicule. HÉRAC.

Mais enfin ce genre humain dont vous riez, c'est le monde entier avec qui vous vivez, c'est la société de vos amis, c'est votre famille, c'est vous-même.

DÉM. Je ne me soucie guère de tous les fous que je vois, et je me crois sage en me moquant d'eux.

HÉRAC. S'ils sont fous, vous n'êtes guère sage ni bon, de ne les plaindre pas et d'insulter à leur folie. D'ailleurs, qui vous répond que vous ne soyez pas aussi extravagant qu'eux?

DÉM.

Je ne puis l'être, pensant en toutes

HÉRAC. Il y a des folies des diverse espèces. Peut-être qu'à force de contredire les folies des autres, vous vous jetez dans une extrémité contraire, qui n'est pas moins folle.

DÉM. Croyez-en ce qu'il vous plaira, et pleurez encore sur moi, si vous avez des larmes de reste; pour moi, je suis content de rire des fous. Tous les hommes ne le sont-ils pas? Répondez.

SOL. J'aime mieux des lois simples, dures et sauvages, qu'un art ingénieux de troubler le repos des hommes, et de corrompre le fond des choses le contraire de ce qu'ils pensent. mœurs. Jamais on n'a vu tant de lois que de votre temps; jamais on n'a vu votre empire si lâche, si efféminé, si abâtardi, si indigne des anciens Romains, qui ressembloient assez aux Spartiates. Vous même vous n'avez été qu'un fourbe, un impie, un scélérat, un destructeur des bonnes lois, un homme vain et faux en tout. Votre Tribonien a été aussi méchant, aussi double, et aussi dissolu. Procope vous a démasqué. Je reviens aux lois; elles ne sont lois qu'autant qu'elles sont facilement connues, aimées, suivies ; et elles ne crues, sont bonnes qu'autant que leur exécution rend les peuples bons et heureux. Vous n'avez fait personne bon et heureux par votre fastueuse compilation; d'où je conclus qu'elle mérite d'être brûlée. Mais je vois que vous vous fâchez. La majesté impériale se croit au-dessus de la vérité; mais son ombre n'est plus qu'une ombre à qui on dit la vérité impunément. Je me retire néanmoins, pour apaiser votre bile allumée.

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HÉRAC. Hélas! ils ne le sont que trop; c'est ce qui m'afflige: nous convenons vous et moi en ce point, que les hommes ne suivent point la raison. Mais moi, qui ne veux pas faire comme eux, je veux suivre la raison qui m'oblige de les aimer; et cette amitié me remplit de compassion pour leurs égarements. Ai-je tort d'avoir pitié de mes semblables, de mes frères, de ce qui est, pour ainsi dire, une partie de moi-même? Si vous cntriez dans un hôpital de blessés, ririez-vous de voir leurs blessures? Les plaies du corps ne sont rien en comparaison de celles de l'ame : vous auriez honte de votre cruauté, si vous aviez ri d'un malheureux qui a la jambe coupée; et vous avez l'inhumanité de vous moquer du monde entier qui a perdu la raison !

DÉM. - Celui qui a perdu une jambe est à plaindre, en ce qu'il ne s'est point ôté lui-même ce membre; mais celui qui perd la raison la perd par sa faute.

HERAC.-Hé! c'est en quoi il est plus à plaindre. Un insensé furieux, qui s'arracheroit luimême les yeux, seroit encore plus digne de compassion qu'un autre aveugle.

DÉM. Accommodons-nous ; il y a de quoi nous justifier tous deux. Il y a partout de quoi rire et de quoi pleurer. Le monde est ridicule, et j'en ris. Il est déplorable, et vous en pleurez. Chacun le regarde à sa mode, et suivant son tempérament. Ce qui est certain, c'est que le monde est de travers. Pour bien faire, pour bien penser, il faut faire, il faut penser autrement que le grand nombre: se régler par l'autorité et par l'exemple du commun des hommes, c'est le partage des sots. HÉRAC. Tout cela est vrai; mais vous n'aimez rien, et le mal d'autrui vous réjouit. C'est n'aimer ni les hommes, ni la vertu qu'ils abandonnent.

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HÉROD. Il est vrai, tu as bien parlé de la vertu, mais pour blâmer les vices de tout le genre humain c'étoit plutôt un goût de satire qu'un sentiment de solide philosophie. Tu louois même la vertu sans vouloir remonter jusqu'aux principes de religion et de philosophie, qui en sont les vrais fondements.

Luc. Tu raisonnes mieux ici-bas que tu ne faisois dans tes grands voyages. Mais accordonsnous. Eh bien! je n'étois pas assez crédule, et tu l'étois trop.

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Que voulois-tu donc que je fisse? que j'eusse vu ceux qui étoient morts plusieurs siècles avant ma naissance? Je ne me souvenois point d'avoir été au siége de Troie, comme Pythagore. Tout le monde ne peut pas avoir été Euphorbe.

HEROD. Impie! tu ne croyois pas la religion. Luc. Il falloit une religion plus pure et plus HÉROD. Autre moquerie. Et voilà tes réponsérieuse que celle de Jupiter et de Vénus, de ses aux plus solides raisonnements! Je souhaite, Mars, d'Apollon, et des autres dieux, pour per- pour ta punition, que les dieux, que tu n'as pas suader les gens de bon sens. Tant pis pour toi de voulu croire, t'envoient dans le corps de quelque l'avoir crue. voyageur qui aille dans tous les pays dont j'ai raHÉROD. Mais tu ne méprisois pas moins la conté des choses que tu traites de fabuleuses. philosophie. Rien n'étoit sacré pour toi.

Luc. Je méprisois les dieux, parce que les poëtes nous les dépeignoient comme les plus malhonnêtes gens du monde. Pour les philosophes, ils faisoient semblant de n'estimer que la vertu, et ils étoient pleins de vices. S'ils eussent été philosophes de bonne foi, je les aurois respectés.

LUC. Après cela, il ne me manqueroit plus que de passer de corps en corps dans toutes les sectes de philosophes que j'ai décriées par-là je serois tour à tour de toutes les opinions contraires dont je me suis moqué. Cela scroit bien joli. Mais tu as dit des choses à peu près aussi croyables.

HÉROD. Va, je t'abandonne; et je me con

sole quand je songe que je suis avec Homère, So- | reprocher est de t'avoir trop aimé, et de m'être

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ALCIB. - J'aime mieux mon personnage que le tien. J'ai été beau, magnifique, tout couvert de gloire, vivant dans les délices, la terreur des Lacédémoniens et des Perses. Les Athéniens n'ont pu sauver leur ville qu'en me rappelant. S'ils m'eussent cru, Lysander ne seroit jamais entré dans leur port. Pour toi, tu n'étois qu'un pauvre homme, laid, camus, chauve, qui passoit sa vie à discourir, pour blâmer les hommes dans tout ce qu'ils font. Aristophane t'a joué sur le théâtre; tu as passé pour un impie, et on t'a fait mourir.

Soc. Voilà bien des choses que tu mets ensemble: examinons-les en détail. Tu as été beau, mais décrié pour avoir fait de honteux usages de ta beauté. Les délices ont corrompu ton beau naturel. Tu as rendu de grands services à ta patrie, mais tu lui as fait de grands maux. Dans les biens et dans les maux que tu lui as faits, c'est une vaine ambition, et non l'amour de la vertu, qui t'a fait agir; par conséquent il ne t'en revient aucune gloire véritable. Les ennemis de la Grèce, auxquels tu t'étois livré, ne pouvoient se fier à toi, et tu ne pouvois te fier à eux. N'auroit-il pas été plus beau de vivre pauvre dans ta patrie, et d'y souffrir patiemment tout ce que les méchants font d'ordinaire pour opprimer la vertu? Il vaut mieux être laid et sage comme moi, que beau et dissolu comme tu l'étois. L'unique chose qu'on peut me

laissé éblouir par un naturel aussi léger que le tien. Tes vices ont déshonoré l'éducation philosophique que Socrate t'avoit donnée: voilà mon tort.

Mais ta mort montre que tu étois un

ALCIB. impie. Soc. Les impies sont ceux qui ont brisé les Hermès. J'aime mieux avoir avalé du poison pour avoir enseigné la vérité, et avoir irrité les hommes qui ne la peuvent souffrir, que de trouver la mort, comme toi, dans le sein d'une courtisane. ALCIB. Ta raillerie est toujours piquante. Soc. - Et quel moyen de souffrir un homme qui étoit propre à faire tant de biens, et qui a fait tant de maux? Tu viens encore insulter à la vertu. ALCIB. Quoi! l'ombre de Socrate et la vertu sont donc la même chose! Te voilà bien présomp

-

tueux. Soc. - Compte pour rien Socrate, si tu veux; j'y consens mais, après avoir trompé mes espérances sur la vertu que je tâchois de t'inspirer, ne viens point encore te moquer de la philosophie, et me vanter toutes tes actions; elles ont eu de l'éclat, mais point de règle. Tu n'as point de quoi rire; la mort t'a fait aussi laid et aussi camus que moi que te reste-t-il de tes plaisirs?

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Soc. Avec ces ames vaines et foibles dont la vie a été un mélange perpétuel de bien et de mal, et qui n'ont jamais aimé de suite la pure vertu. Tu étois né pour la suivre; tu lui as préféré tes passions. Maintenant elle te quitte à son tour, et tu la regretteras éternellement.

ALCIB. Hélas! mon cher Socrate, tu m'as tant aimé : ne veux-tu plus avoir jamais aucune pitié de moi? Tu ne saurois désavouer (car tu le sais mieux qu'un autre,) que le fond de mon naturel étoit bon.

Soc. C'est ce qui te rend plus inexcusable. Tu étois bien né, et tu as mal vécu. Mon amitié pour toi, non plus que ton beau naturel, ne sert qu'à ta condamnation. Je t'ai aimé pour la vertu, mais enfin je t'ai aimé jusqu'à hasarder ma répu

tation. J'ai souffert, pour l'amour de toi, qu'on m'ait soupçonné injustement de vices monstrueux que j'ai condamnés dans toute ma doctrine. Je t'ai sacrifié ma vie, aussi bien que mon honneur. As-tu oublié l'expédition de Potidé, où j'ai logé toujours avec toi? Un père ne sauroit être plus attaché à son fils que je l'étois à toi. Dans toutes les rencontres des guerres j'étois toujours à ton côté. Un jour, le combat étant douteux, tu fus blessé; aussitôt je me jetai au-devant de toi pour te couvrir de mon corps, comme d'un bouclier. Je sauvai ta vie, ta liberté, tes armes. La couronne m'étoit due par cette action : je priai les chefs de l'armée de te la donner. Je n'eus de passion que pour ta gloire. Je n'eusse jamais cru que tu eusses pu devenir la honte de ta patrie et la source de tous ses malheurs.

ALCIB. Je m'imagine, mon cher Socrate, que tu n'as pas oublié aussi cette autre occasion où, nos troupes ayant été défaites, tu te retirois à pied avec beaucoup de peine, et où, me trouvant à cheval, je m'arrêtai pour repousser les ennemis qui t'alloient accabler. Faisons compensation.

Soc. - Je le veux. Si je rappelle ce que j'ai fait pour toi, ce n'est point pour te le reprocher, ni pour me faire valoir; c'est pour montrer les soins que j'ai pris pour te rendre bon, et combien tu as mal répondu à toutes mes peines.

ALCIB. Tu n'as rien à dire contre ma première jeunesse. Souvent, en écoutant tes instructions, je m'attendrissois jusqu'à en pleurer. Si quelquefois je t'échappois étant entraîné, par les compagnies, tu courois après moi, comme un maître après son esclave fugitif. Jamais je n'ai osé te résister. Je n'écoutois que toi; je ne craignois que de te déplaire. Il est vrai que je fis une gageure, un jour, de donner un soufflet à Hipponicus. Je le lui donnai; ensuite j'allai lui demander pardon, et me dépouiller devant lui, afin qu'il me punît avec des verges : mais il me pardonna, voyant que je ne l'avois offensé que par la légèreté de mon naturel enjoué et folâtre.

Soc. Alors tu n'avois commis que la faute d'un jeune fou; mais dans la suite tu as fait les crimes d'un scélérat qui ne compte pour rien les dieux, qui se joue de la vertu et de la bonne foi, qui met sa patrie en cendres pour contenter son ambition, qui porte dans toutes les nations étrangères des mœurs dissolues. Va, tu me fais horreur et pitié. Tu étois fait pour être bon, et tu as voulu être méchant; je ne puis m'en consoler. Séparons-nous. Les trois juges décideront de ton sort; mais il ne peut plus y avoir ici-bas d'union entre nous deux,

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-

ALCIB.-Ce n'est pas l'expérience qui me manque, mais la sagesse; mais, quoique vous vous moquiez de moi, vous ne sauriez nier qu'un homme n'apprenne bien des choses quand il voyage, et qu'il étudie sérieusement les mœurs de tant de peuples. Soc. - Il est vrai que cette étude, si elle étoit bien faite, pourroit beaucoup agrandir l'esprit : mais il faudroit un vrai philosophe, un homme tranquille et appliqué, qui ne fût point dominé comme vous par l'ambition et par le plaisir; un homme sans passion et sans préjugé, qui chercheroit tout ce qu'il y auroit de bon en chaque peuple, et qui découvriroit ce que les lois de chaque pays lui ont apporté de bien et de mal. Au retour d'un tel voyage, ce philosophe seroit un excellent législateur. Mais vous n'avez jamais été l'homme qu'il falloit pour donner des lois; votre talent étoit pour les violer. A peine étiez-vous hors de l'enfance, que vous conseillâtes à votre oncle Périclès d'engager la guerre, pour éviter de rendre compte des deniers publics. Je crois même qu'après votre mort vous seriez encore un dangereux garde des lois.

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ALCIB. — Laissez-moi là, je vous prie; le fleuve d'oubli doit effacer toutes mes fautes: parlons des mœurs des peuples. Je n'ai trouvé partout que des coutumes, et fort peu de lois. Tous les barbares n'ont d'autres règles que l'habitude et l'exemple de leurs pères. Les Perses mêmes, dont on a tant vanté les mœurs du temps de Cyrus, n'ont aucune trace de cette vertu. Leur valeur et leur magnificence montrent un assez beau naturel; mais il est corrompu par la mollesse et par le faste le plus grossier. Leurs rois, encensés comme des idoles, ne sauroient être honnêtes gens, ni connoître la vérité; l'humanité ne peut soutenir avec modération une puissance aussi désordonnée que la leur. Ils s'imaginent que tout est fait pour eux; ils se jouent du bien, de l'honneur et de la vie des autres hommes. Rien ne marque tant de barbarie dans une nation, que cette forme de gouvernement; car il n'y a plus

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