Page images
PDF
EPUB
[blocks in formation]

caractère de l'amour de Dieu; non-seulement il | ornements qu'on estimoit alors. Peut-être même

que ces grands hommes, qui avoient des vues plus hautes que les règles communes de l'éloquence, se conformoient au goût du temps pour faire écouter avec plaisir la parole de Dieu, et pour insinuer les vérités de la religion. Mais, après tout, ne voyons-nous pas saint Ambroise, nonobstant quel ques jeux de mots, écrire à Théodose avec une force et une persuasion inimitable? Quelle tendresse n'exprime-t-il pas quand il parle de la mort de son frère Satyre! Nous avons même, dans le Bréviaire romain, un discours de lui sur la tête de saint Jean ', qu'Hérode respecte et craint encore après sa mort: prenez-y garde, vous en trouverez la fin sublime. Saint Léon est enflé, mais il est grand. Saint Grégoire pape étoit encore dans un siècle pire; il a pourtant écrit plusieurs choses avec beaucoup de force et de dignité. Il faut savoir distinguer ce que le malheur du temps a mis dans ces grands hommes, comme dans tous les autres écrivains de leurs siècles, d'avec ce que leur génie et leurs sentiments leur fournissoient pour persuader leurs auditeurs.

C. Mais quoi! tout étoit donc gâté, selon vous, pour l'éloquence dans ces siècles si heureux pour la religion?

le sentoit, mais il savoit merveilleusement exprimer au-dehors les sentiments qu'il en avoit. Voilà la tendresse qui fait une partie de l'éloquence. D'ailleurs, nous voyons que saint Augustin connoissoit bien le fond des véritables règles. Il dit qu'un discours, pour être persuasif, doit être simple, naturel; que l'art y doit être caché, et qu'un discours qui paroît trop beau met l'auditeur en défiance. Il y applique ces paroles que vous connoissez Qui sophistice loquitur odibilis est'. Il traite aussi avec beaucoup de science l'arrangement des choses, le mélange des divers styles, les moyens de faire toujours croître le discours, la nécessité d'être simple et familier, même pour les tons de la voix, et pour l'action en certains endroits, quoique tout ce qu'on dit soit grand quand on prêche la religion; enfin, la manière de surprendre et de toucher. Voilà les idées de saint Augustin sur l'éloquence. Mais voulez-vous voir combien dans la pratique il avoit l'art d'entrer dans les esprits, et combien il cherchoit à émouvoir les passions, selon le vrai but de la rhétorique, lisez ce qu'il rapporte lui-même 2 d'un discours qu'il fit au peuple, à Césarée de Mauritanie, pour faire abolir une coutume barbare. Il s'agissoit d'une coutume ancienne qu'on avoit poussée jusqu'à une cruauté monstrueuse, c'est tout dire. Il s'agissoit d'ôter au peuple un spectacle dont il étoit charmé; jugez vous-même de la difficulté de cette entreprise. Saint Augustin dit qu'après avoir parlé quelque temps, ses auditeurs s'écrièrent, et lui applaudirent mais il jugea que son discours ne persuaderoit point tandis qu'on s'amuseroit à lui donner des louanges. Il ne compta donc pour rien le plaisir et l'admiration de l'auditeur, et il ne commença à espérer que quand il vit couler des larmes. En effet, ajoute-t-il, le peuple renonça à ce spectacle, et il y a huit ans qu'il n'a point été renou-si velé. N'est-ce pas là un vrai orateur? Avons-nous des prédicateurs qui soient en état d'en faire autant? Saint Jérôme a encore ses défauts pour le style; mais ses expressions sont mâles et grandes. Il n'est pas régulier; mais il est bien plus éloquent que la plupart des gens qui se piquent de l'être. Ce seroit juger en petit grammairien, que de n'examiner les Pères que par la langue et le style. (Vous savez bien qu'il ne faut pas confondre l'éloquence avec l'élégance et la pureté de la diction.) Saint Ambroise suit aussi quelquefois la mode de son temps: il donne à son discours les

:

De Doct. christ., lib. 11, n. 48, pag. 38. a Ibid., lib. iv. n. 52. pag. 87.

A. Sans doute peu de temps après l'empire d'Auguste, l'éloquence et la langue latine même n'avoient fait que se corrompre. Les Pères ne sont venus qu'après ce déclin : ainsi il ne faut pas les preudre pour des modèles sûrs en tout; il faut même avouer que la plupart des sermons que nous avons d'eux sont leurs moins forts ouvrages. Quand je vous montrois tantôt, par le témoignage des Pères, que l'Écriture est éloquente, je songeois en moi-même que c'étoient des témoins dont l'éloquence est bien inférieure à celle que vous n'avez crue que sur leur parole. Il y a des gens d'un goût

dépravé, qu'ils ne sentiront pas les beautés d'Isaïe, et qu'ils admireront saint Pierre Chrysologue, en qui, nonobstant le beau nom qu'on lui a donné, il ne faut chercher que le fond de la piété évangélique, sous une infinité de mauvaises pointes. Dans l'Orient, la bonne manière de parler et d'écrire se soutint davantage la langue grecque s'y conserva presque dans sa pureté. Saint Chrysostome la parloit fort bien. Son style, comme vous savez, est diffus: mais il ne cherche point de faux ornements, tout tend à la persuasion; il place chaque chose avec dessein, il connoît bien l'Écriture sainte et les mœurs des hommes, il en

1 De Virginib., lib. ш, cap. vi, tom. 11, pag. 181, 182.

tre dans les cœurs, il rend les choses sensibles, il | cation exacte de toutes les parties de l'Évangile, il

a des pensées hautes et solides, et il n'est pas sans mouvements dans son tout, on peut dire que c'est un grand orateur. Saint Grégoire de Nazianze est plus concis et plus poétique, mais un peu moins appliqué à la persuasion. Il a néanmoins des endroits fort touchants; par exemple, son adieu à Constantinople, et l'éloge funèbre de saint Basile. Celui-ci est grave, sentencieux, austère même dans la diction. Il avoit profondément médité tout le détail de l'Évangile; il connoissoit à fond les maladies de l'homme, et c'est un grand maître pour le régime des ames. On ne peut rien voir de plus éloquent que son Épître à une vierge qui étoit tombée : à mon sens, c'est un chef-d'œuvre. Si on n'a un goût formé sur tout cela, on court risque de prendre dans les Pères ce qu'il y a de moins bon, et de ramasser leurs défauts dans les sermons que l'on compose.

C. Mais combien a duré cette fausse éloquence que vous dites qui succéda à la bonne?

A. Jusqu'à nous.

C. Quoi! jusqu'à nous?

A. Oui, jusqu'à nous et nous n'en sommes pas encore autant sortis que nous le croyons; vous en comprendrez bientôt la raison. Les Barbares qui inondèrent l'empire romain mirent partout l'ignorance et le mauvais goût. Nous venons d'eux; et quoique les lettres aient commencé à se rétablir dans le quinzième siècle, cette résurrection a été lente. On a eu de la peine à revenir à la bonne voie; et il y a encore bien des gens fort éloignés de la connoître. Il ne faut pas laisser de respecter nonseulement les Pères, mais encore les auteurs pieux qui ont écrit dans ce long intervalle : on y apprend la tradition de leur temps, et on y trouve plusieurs autres instructions très utiles. Je suis tout honteux de décider ici; mais souvenez-vous, messieurs, que vous l'avez voulu, et que je suis tout prêt à me dédire, si on me fait apercevoir que je me suis trompé. Il est temps de finir cette con

versation.

C. Nous ne vous mettons point en liberté que vous n'ayez dit votre sentiment sur la manière de choisir un texte.

A. Vous comprenez bien que les textes viennent de ce que les pasteurs ne parloient jamais autrefois au peuple de leur propre fonds; ils ne faisoient qu'expliquer les paroles du texte de l'Écriture. Insensiblement on a pris la coutume de ne plus suivre toutes les paroles de l'Évangile : on n'en explique plus qu'un seul endroit, qu'on nomme le texte du sermon. Si donc on ne fai pas une expli

faut au moins en choisir les paroles qui contiennent les vérités les plus importantes et les plus proportionnées au besoin du peuple. Il faut les bien expliquer ; et d'ordinaire, pour bien faire entendre la force d'une parole, il faut en expliquer beaucoup d'autres qui la précèdent et qui la suivent; il n'y faut chercher rien de subtil. Qu'un homme a mauvaise grace de vouloir faire l'inventif et l'ingénieux, lorsqu'il devroit parler avec toute la gravité et l'autorité du Saint-Esprit, dont il emprunte les paroles !

C. Je vous avoue que les textes forcés m'ont toujours déplu. N'avez-vous pas remarqué qu'un prédicateur tire d'un texte tous les sermons qu'il lui plaît? Il détourne insensiblement la matière pour ajuster son texte avec le sermon qu'il a besoin de débiter; cela se fait surtout dans les Carêmes. Je ne puis l'approuver.

B. Vous ne finirez pas, s'il vous plaît, sans m'avoir encore expliqué une chose qui me fait de la peine. Après cela je vous laisse aller.

A. Eh bien! voyons si je pourrai vous contenter: j'en ai grande envie, car je souhaite fort que vous employiez votre talent à faire des sermons simples et persuasifs.

B. Vous voulez qu'un prédicateur explique de suite et littéralement l'Écriture sainte.

A. Oui, cela seroit admirable.

B. Mais d'où vient donc que les Pères ont fait autrement? Ils sont toujours, ce me semble, dans les sens spirituels. Voyez saint Augustin, saint Grégoire, saint Bernard : ils trouvent des mystères sur tout, ils n'expliquent guère que la lettre.

A. Les Juifs du temps de Jésus-Christ étoient devenus fertiles en sens mystérieux et allégoriques. II paroît que les thérapeutes, qui demeuroient principalement à Alexandrie, et que Philon dépeint comme des Juifs philosophes, mais qu'Eusèbe prétend être les premiers chrétiens, étoient tout adonnés à ces explications de l'Écriture. C'est dans la même ville d'Alexandrie que les allégories ont commencé à avoir quelque éclat parmi les chrétiens. Le premier des Pères qui s'est écarté de la lettre a été Origène : vous savez le bruit qu'il a fait dans l'Église. La piété inspire d'abord ces interprétations; elles ont quelque chose d'ingénieux, d'agréable et édifiant. La plupart des Pères, suivant le goût des peuples de ce temps, et apparemment le leur propre, s'en sont beaucoup servis; mais ils recouroient toujours fidèlement au sens littéral, et au prophétique, qui est littéral en sa manière, dans toutes les choses où il s'agis

B. Ha! monsieur, j'oubliois un article important: attendez, je vous prie; je ne vous demande plus qu'un mot.

A. Faut-il censurer encore quelqu'un?

B. Oui, les panégyristes. Ne croyez-vous pas que quand on fait l'éloge d'un saint, il faut peindre son caractère, et réduire toutes ses actions et toutes ses vertus à un point?

A. Cela sert à montrer l'invention et la subti

lité de l'orateur.

B. Je vous entends; vous ne goûtez pas cette méthode.

soit de montrer les fondements de la doctrine. | l'être dans des hommes qui ne sont point miracuQuand les peuples étoient parfaitement instruits leusement inspirés d'en haut. de ce que la lettre leur devoit apprendre, les Pères leur donnoient ces interprétations spirituelles pour les édifier et pour les consoler. Ces explications étoient fort au goût surtout des Orientaux, chez qui elles ont commencé; car ils sont naturellement passionnés pour le langage mystérieux et allégorique. Cette variété de sens leur faisoit un plaisir sensible, à cause des fréquents sermons et des lectures presque continuelles de l'Écriture qui étoient en usage dans l'Église. Mais parmi nous, où les peuples sont infiniment moins instruits, il faut courir au plus pressé, et commencer par le littéral, sans manquer de respect pour les sens pieux qui ont été donnés par les Pères : il faut avoir du pain avant que de chercher des ragoûts. Sur l'explication de l'Écriture, on ne peut mieux faire que d'imiter la solidité de saint Chrysostome. La plupart des gens de notre temps ne cherchent point les sens allégoriques, parce qu'ils ont déja assez expliqué tout le littéral; mais ils abandonnent le littéral parce qu'ils n'en conçoivent pas la grandeur, et qu'ils le trouvent sec et stérile par rapport à leur manière de prêcher. On trouve toutes les vérités et tout le détail des mœurs dans la lettre de l'Écriture sainte ; et on l'y trouve, non-seulement avec une autorité et une beauté merveilleuse, mais encore avec une abondance inépuisable. en s'y attachant, un prédicateur auroit toujours sans peine un grand nombre de choses nouvelles et grandes à dire. C'est un mal déplorable de voir combien ce trésor est négligé par ceux même qui l'ont tous les jours entre les mains. Si on s'attachoit à cette méthode ancienne de faire des homélies, il y auroit deux sortes de prédicateurs. Les uns, n'ayant ni la vivacité ni le génie poétique, expliqueroient simplement l'Écriture sans en prendre le tour noble et vif: pourvu qu'ils le fissent d'une manière solide et exemplaire, ils ne laisseroient pas d'être d'excellents prédicateurs ; ils auroient ce que demande saint Ambroise, une diction pure, simple, claire, pleine de poids et de gravité, sans y affecter l'élégance, ni mépriser la douceur et l'agrément. Les autres, ayant le génie poétique, expliqueroient l'Écriture avec le style et les figures de l'Écriture même, et ils seroient par-là des prédicateurs achevés. Les uns instruiroient d'une manière forte et vénérable; les autres ajouteroient à la force de l'instruction la sublimité, l'enthousiasme et la véhémence de l'Écriture; en sorte qu'elle seroit, pour ainsi dire, tout entière et vivante en eux, autant qu'elle peut

A. Elle me paroît fausse pour la plupart des sujets. C'est forcer les matières, que de les vouloir toutes réduire à un seul point. Il y a un grand nombre d'actions dans la vie d'un homme qui viennent de divers principes, et qui marquent des qualités très différentes. C'est une subtilité scolastique, et qui marque un orateur très éloigné de bien connoître la nature, que de vouloir rapporter tout à une seule cause. Le vrai moyen de faire un portrait bien ressemblant est de peindre un homme tout entier; il faut le mettre devant les yeux des auditeurs, parlant et agissant. En décrivant le cours de sa vie, il faut appuyer principalement sur les endroits où son naturel et sa grace paroissent davantage; mais il faut un peu laisser remarquer ces choses à l'auditeur. Le meilleur moyen de louer le saint, c'est de raconter ses actions louables. Voilà ce qui donne du corps et de la force à un éloge; voilà ce qui instruit; voilà ce qui touche. Souvent les auditeurs s'en retournent sans savoir la vie du saint, dont ils ont entendu parler une heure : tout au plus ils ont entendu beaucoup de pensées sur un petit nombre de faits détachés et marqués sans suite. Il faudroit au contraire peindre le saint au naturel, le montrer tel qu'il a été dans tous les âges, dans toutes les conditions et dans les principales conjonctures où il a passé. Cela n'empêcheroit point qu'on ne remarquât son caractère; on le feroit même bien mieux remarquer par ses actions et par ses paroles, que par des pensées et des desseins d'imagination.

B. Vous voudriez donc faire l'histoire de la vie du saint, et non pas son panégyrique?

A. Pardonnez-moi, je ne ferois point une narration simple. Je me contenterois de faire un tissu des faits principaux : mais je voudrois que ce fût un récit concis, pressé, vif, plein de mouvements; je voudrois que chaque mot donnât une haute idée des saints, et fût une instruction pour l'auditeur,

A cela j'ajouterois toutes les réflexions morales que je croirois les plus convenables. Ne croyezvous pas qu'un discours fait de cette manière auroit une noble et aimable simplicité? Ne croyezvous pas que les vies des saints en seroient mieux connues, et les peuples plus édifiés? Ne croyezvous pas même, selon les règles de l'éloquence que nous avons posées, qu'un tel discours seroit plus éloquent que tous ces panégyriques guindés qu'on voit d'ordinaire?

B. Je vois bien maintenant que ces sermons-là ne seroient ni moins instructifs, ni moins touchants, ni moins agréables que les autres. Je suis content, monsieur, en voilà assez; il est juste que vous alliez vous délasser. Pour moi, j'espère que votre peine ne sera pas inutile; car je suis résolu

de quitter tous les recueils modernes et tous les pensieri italiens. Je veux étudier fort sérieusement toute la suite et tous les principes de la religion dans ses sources.

C. Adieu, monsieur pour tout remercîment, je vous assure que je vous croirai.

A. Bonsoir, messieurs : je vous quitte avec ces paroles de saint Jérôme à Népotien ' : « Quand >> vous enseignerez dans l'église, 'n'excitez point les » applaudissements, mais les gémissements du » peuple. Que les larmes de vos auditeurs soient » vos louanges. Il faut que les discours d'un prê>> tre soient pleins de l'Écriture sainte. Ne soyez » pas un déclamateur, mais un vrai docteur des » mystères de Dieu. »>

Ep. XXXIV, tom. iv, part. 2, pag 262.

FIN DU SECOND VOLUME.

« PreviousContinue »