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§ V. De quelle manière pouvait être invoqué le sénatus-consulte Macédonien?

A s'en tenir aux termes mêmes du sénatus-consulte, la prohibition du prêt d'argent semblait constituer une défense au fond qui permettait au magistrat de refuser purement et simplement l'action (neque actio petitioque daretur) (L. 1, pr. De s.-c Maced.). Mais d'un autre côté les commentaires et décisions des jurisconsultes nous parlent d'une exception opposée à l'action du créancier (L. 7 §§ 4, 7, 8, 10, 14; L. 9, pr.; L. 11, L. 19, De s. c. Maced. - L. 1 (Ad. s.-c Maced.).

Cette différence entre les textes n'est pas une contradiction: elle montre que le sénatus-consulte s'appliquait de deux manières, soit par refus d'action, soit par voie d'exception.

La violation du sénatus-consulte était-elle constante aux yeux du magistrat, il refusait l'action et tout se bornait, au temps de la procédure formulaire, à la procédure in jure. Au contraire la contravention au sénatus-consulte était-elle douteuse pour le magistrat, comme dans les hypothèses où l'on se demandait si le père avait donné son adhésion au prêt, si le fils avait employé certaines manœuvres qui donnassent au prêteur un motif plausible de croire que l'emprunteur était sui juris, etc., le magistrat délivrait la formule en y insérant l'exceptio senatusconsulti Macedoniani. Le juge examinait ensuite les circonstances de la cause et décidait s'il y avait eu, oui ou non, violation des dispositions du sénatus-consulte.

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L'exception du sénatus-consulte Macédonien était fondée sur un intérêt d'ordre public et non sur l'équité. De là, dans la procédure formulaire, une double conséquence d'une part, si l'on déguisait le prêt d'argent sous l'apparence d'un contrat donnant lieu à une action de bonne foi, l'exception du sénatus-consulte n'était pas sous entendue elle devait être insérée dans la formule. En second lieu, elle n'était pas non plus susceptible d'être transformée en exception de dol, et, si le défendeur entendait invoquer aussi subsidiairement un fait de dol, l'exception doli devait être insérée dans la formule à côté de l'exception du séna!us-consulte. D'autre part, elle ne pouvait pas être paralysée par une replicatio doli mali, parce que, comme le fait observer Savigny : « elle reposait sur des règles de droit positives dont l'esprit conduit directement à admettre que l'action doit être et restera en fait paralysée par l'exception » (1).

1. Savigny. Le droit des obligations, t. I, chap. 1, § 13, p. 131. Traduction de MM. Gérardin et Jozon.

L'exception du sénatus-consulte résultait d'un certain état de choses et procédait d'une vue défavorable au demandeur. Elle était donc au nombre des exceptions rei cohærentes, et nous verrons que les coobligés du fils: fidéjusseurs, mandatores pecuniæ credendæ, cautions réelles, pouvaient l'invoquer (L. 9 § 3, De s.-c. Maced. ; L. 2, Quæ res pign., XX, 4).

Elle était perpétuelle et péremptoire : perpétuelle, il semble qu'elle aurait permis de répéter ce qui avait été payé par erreur, mais cette règle ne concernait que les exceptions établies en faveur du débiteur, celle du sénatus-consulte Vellien par exemple; elle ne s'appliquait pas aux exceptions perpétuelles introduites in odium creditoris au nombre desquelles était précisément rangée l'exception du sénatus-consulte Macédonien (L. 40, De cond. indeb., XII, 6).

En sa qualité d'exception péremptoire elle était susceptible d'être recouvrée au moyen d'une restitutio in integrum, qui pouvait être accordée à celui qui avait négligé de l'invoquer avant la délivrance de la formule, et tant que la sentence n'avait pas été rendue; le magistrat remaniait alors la formule, et y insérait l'exception omise (Gaius, IV, § 125).

Sous la procédure extraordinaire, le juge n'étant plus lié pour statuer,par les termes d'une formule, la restitutio in integrum devenait inutile. Tandis en effet qu'autrefois, l'exception péremptoire, qui n'avait été ni inscrite ni restituée dans la formule, ne pouvait être invoquée en appel, désormais, le juge d'appel possédant, sous la procédure extraordinaire, la même compétence que le juge de première instance, l'exception péremptoire pouvait être opposée en appel sans l'avoir été devant le premier juge (L. 2, C, Sent. resc., VII, 50).

L'exception du sénatus-consulte Macédonien présentait, comme celle du sénatus-consulte Velléien, cette particularité, qu'elle pouvait être opposée même à l'action judicati. Ulpien nous le dit expressément pour le fils de famille et les fidéjusseurs auxquels sont assimilés les autres obligés accessoires du fils: Tamen, si (fidejussores et mandatores) non opposita exceptione condemnati sunt, utentur senatusconsulti exceptione. Et ita Julianus scribit in ipso filiofamilias, exemplo mulieris intercedentis (L. 11, De s.-c.Maced.).

Enfin l'exception du sénatus-consulte Macédonien était opposable par les ayants droit et leurs héritiers au prêteur et à ses successeurs.

Ulpien nous le dit formellement: Quanquam autem non declaret senatusconsultum cui exceptionem det, tamen sciendum est et heredem filii,si paterfamilias decesserit et patrem ejus si filiusfamilias decesserit exceptione uti posse. Non solum ei, qui mutuam dedisset, sed et successoribus ejus deneganda est actio (L 7 §§ 10 et 6, De s.-c. Maced.). Cette double règle était nécessaire pour donner au père de l'emprunteur une protection suffisante contre les dangers auxquels on avait voulu le soustraire.

§ VI. — Effets généraux du prêt consenti au fils de famille en fraude du sénatus-consulte Macédonien.

I. Effets à l'égard du père. En dehors des cas exceptionnels que nous venons d'étudier, le père de l'emprunteur n'était tenu en aucune manière de la dette contractée par le fils de famille : Si filius tuus in potestate tua agens contra senatusconsultum Macedonianum mutuam sumpsit pecuniam: actio de peculio adversus te eo nomine efficaciter dirigi nequaquam potest (L. 6, C, Ad s.-c. Maced.) (1). Le père qu'on avait voulu protéger devait l'être efficacement.

II. Effets à l'égard du fils de famille emprunteur. Le fils de famille emprunteur affranchi envers le prêteur de toute obligation civile restait lié par une obligation naturelle naturalis obligatio manet (L. 10, De s.-c. Maced.).

1. Cette solution, conforme à la logique, paraît au premier abord contredite par la constitution suivante de Gordien : Neque ex ejus filii persona, qui cum sui juris esset, mutuam pecuniam accepit, pater ejus, si non filem suam obstrinxit, conveniri, potest: neque ex ejus, quam in potestate habet, si sine jussu contractum est: neque si contra senatusconsultum Macedonianum mutua pecunia data est, amplius quam de peculio actionem sustinere cogitur (L. 1, C.,Ne fil. pro patr.,IV.13). Mais on s'accorde générale.nent à dire que la particule si (neque si contra senatusconsullum), doit être supprimée. Cette suppression est faite couramment dans les éditions allemandes des Codes et, ainsi que l'affirment entre autres Russardt et Charondas, la particule ne figure pas dans les anciens manuscrits. Cette correction faite, le texte prévoit deux hypothèses: d'abord celle où un fils emprunte lorsqu'il est devenu sui juris, alors le père n'est pas tenu s'il n'a pas accédé à la dette. La seconde hypothèse est celle d'un filiusfamilias qui emprunte in potestate sans le jussus du père mais sans violer le sénatus-consulte Macédonien, dans ce cas le père peut être tenu de peculio. Réduite à ces données, la constitution de Gordien est d'accord avec la loi 6 et avec les principes exposés plus haut.

Nous allons examiner la portée de cette obligation tant que le fils demeurait soumis à la puissance paternelle et ses effets quand il devenait sui juris. Premier cas. Effets de l'obligation naturelle à l'égard du fils emprunteur tant qu'il restait soumis à la puissance paternelle. — Tout acte par lequel le fils emprunteur cherchait à ratifier, pendant qu'il était in potestate, l'engagement contracté contrairement aux dispositions du sénatus-consulte n'avait pas plus de résultat que le contrat primitif : le prêteur n'acquérait jamais en principe qu'une créance naturelle.

Dans certains cas pourtant, l'acte postérieur du fils emprunteur produisait des effets civils.

1° Ainsi, et c'est la conséquence de l'obligation naturelle, le paiement,que le fils in potestate aurait effectué même par erreur, formait obstacle à la répétition des sommes remboursées: le fils de famille ne pouvait rentrer en possession des deniers ni lorsqu'il devenait sui juris (L. 26 § 9, De cond. indeb. XII, 6), ni tant qu'il restait in potestate (L. 9 § 4, De s.-c. Maced.) (1).

1. Le paterfamilias, étranger à la dette et propriétaire des deniers payés par le fils, ne pouvait-il pas réclamer la somme remboursée au créancier ? Oui, et il n'y avait à cet égard aucun doute possible, si les deniers n'avaient pas encore été consommés: Si filiusfamilias contra senatusconsultum mutuatus pecuniam solverit, patri nummos vindicanti nulla exceptio objicietur (L. 14, De reb cred. XII. 1). Mais que se passait-il en cas de consommation? Les interprètes ne sont pas d'accord, et leur dissentiment à ce sujet provient de deux textes contraires de Julien et de Marcellus. D'après Julien (L. 9 § 1, De s.-c Maced.): Si ab alio donatam sibi pecuniam creditori solverit, an pater vindicare vel repetere possit? Et ait Julianus, si quidem hac conditione ei donata sit pecunia, ut creditori solvat, videri a donatore profectam protinus ad creditorem, et fieri nummos accipientis: si vero simpliciter ei donavit, alienationem eorum filium non habuisse, et ideo, si solverit, condictionem patri ex omni eventu competere. Marcellus au contraire, (L. 14 De reb cred.), après avoir adinis la revendication du père dans le cas où les deniers existaient encore, s'exprime en ces termes : Sed si fuerint consumpti a creditore nummi, Marcellus ait, cessare condictionem: quoniam totiens condictio datur, quotiens ex causa numerati sunt, ex qua actio esse potuisset, si dominium ad accipientem transisset: in proposito autem non esset. Denique per errorem soluti contra senatusconsultum crediti magis est cessare repetitionem. Ainsi le paterfamilias pouvait recourir contre le prêteur remboursé par le fils de famille, dans tous les cas (ex omni eventu) d'après Julien; suivant Marcellus, le paterfamilias n'avait droit à un recours que dans le cas où les deniers n'avaient pas été consommés.

Ces deux textes sont rapportés par une loi d'Ulpien que les compilateurs du Digeste ont évidemment coupée en deux. Dans quel sens Ulpien se prononçait-il, nous l'ignorons, mais il est impossible de l'accuser de contradiction.

On peut mettre d'abord hors de discussion le cas prévu au commencement de la

2o Si le fils in potestate donnait en gage et comme garantie de son emprunt un bien appartenant au paterfamilias, la constitution de gage était opposable au fils devenu plus tard héritier du père et sui juris.

Le cas est prévu par Ulpien qui suppose que le fils a contracté un emprunt pour doter sa sœur en l'absence de son père: Sed etsi filius

loi 9 § 1, c'est-à-dire, celui où le fils de famille avait payé avec une somme qui lui avait été donnée sous cette condition, car, alors les deniers étaient censés être passés directement du donateur au prêteur : toute revendication on toute condictio était impossible.

Mais comment concilier les deux textes en dehors de cette hypothèse spéciale? Sans entrer dans la discussion des opinions formulées à l'égard de cette question qui ne concerne pas à proprement parler la capacité du fils de famille, nous croyons devoir pourtant mentionner rapidement les explications proposées sur ce point. Suivant les uns, et tel est l'avis de Doneau (Comment. du titre De reb. cred., t. 10, p. 244) et de Pothier (Pandect., Just., eod. tit. n° 15), Marcellus statuerait pour l'hypothèse où le prêteur remboursé avait consommé les écus de bonne foi, et Julien, pour le cas de mauvaise foi. Mais on peut répondre que si le créancier avait consommé de mauvaise foi, il eût été soumis, en vertu des principes généraux, à la rei vindicatio et à l'action ad exhibendum; en outre Julien refuse très nettement la condictio ex omni eventu, c'est-à-dire même si le créancier était de bonne foi. On a dit encore que Marcellus supposait un paiement fait par le fils proprio nomine, et Julien, un paiement effectué au nom du père de famille. Mais Cujas objecte à cela que, dans les deux cas, le fils payait bien pour lui-même puisqu'il acquittait une dette contractée dans son propre intérêt.—Cujas (Observation XIV, 35) et Noodt (Comment. du titre De s.-c. Maced.), estiment qu'il existe entre les deux textes une contradiction qu'il est inutile de chercher à faire disparaître, et ils inclinent l'un et l'autre vers l'opinion de Marcellus. Le fait est qu'une solution satisfaisante est difficile à trouver. Cependant, puisque la manière dont Ulpien rapporte les appréciations opposées des deux jurisconsultes prouve qu'elles coexistaient sans se contredire, peutêtre pourrait-on appliquer la solution de Marcellus au cas où le fils de famille aurait payé avec des sommes provenant de son pécule, et l'opinion de Julien, aux hypothèses particulières où le remboursement aurait été effectué par le fils avec de l'argent acquis par lui à titre gratuit. La solution de Marcellus se justifierait en vertu de cette règle générale que la condictio n'était donnée après la consommation des denrées que si elle existait déjà à la suite de la datio des espèces, Julien dérogerait au princi pe par des considérations spéciales aux cas particuliers qu'il visait. La concession d'un pécule, par le père de famille à son fils, pouvait en effet donner lieu de croire au prêteur remboursé au moyen des valeurs du pécule, que le fils avait effectué le rembourse nent avec le consentement de son père; et si le prêteur était de mauvaise foi, on pouvait dire qu'il y avait de la part du père une sorte d'impru lence à n'avoir pas défendu au fils de payer le prêteur ou à ne lui avoir pas retiré la concession du pécule. Au contraire quand le fils de famille payait avec de l'argent provenant de donation ou legs, le père n'était pas en faute si le fils avait eu entre les mains des valeurs qui tout en devant profiter au chef de famille devaient pourtant être livrées au fils donataire. Il n'aurait pas été juste que le père souffrit d'un fait qu'il ne lui était pas loisible d'empêcher,

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