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texte cité au cours de ce travail nous en fournissait l'occasion, indiquer les arguments qu'on en pouvait tirer pour la justifier.

Nous partirons, dans les explications qui vont suivre, de l'époque classique où la capacité contractuelle du filiusfamilias est reconnue et consacrée indubitablement pour tous.

Nous examinerons successivement cette capacité suivant que le fils de famille est en rapport avec des tiers ou avec des personnes qui sont unies à lui par un lien de puissance paternelle. Ce sera l'objet des trois premiers chapitres ci-après, où nous laisserons de côté la situation des impubères in potestate et celle des filles de famille pubères :

CHAPITRE I. De la capacité du fils de famille comme créancier des tiers

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CHAPITRE II. De la capacité du filiusfamilias comme débiteur des tiers

CHAPITRE III.— De la capacité du filiusfamilias qui contracte avec une autre personne soumise à la même puissance que lui ou avec le paterfamilias.

Dans un CHAPITRE IV et dernier nous considérerons les deux situations spéciales de l'impubère alieni juris et de la filiafamilias pubère in potestate. Nous nous demanderons si la capacité de l'impubère in potestate était aussi grande, au point de vue des obligations, que celle de l'impubère sui juris. Puis nous aborderons l'étude des textes qui supposent les uns l'incapacité, les autres la capacité de la filiafamilias pubère, et nous verrons comment le développement historique du droit romain permet de les concilier entre eux d'une manière tres plausible, les uns et les autres s'appliquant à des époques différentes du droit.

CHAPITRE PREMIER.

De la capacité du fils de famille comme créancier des tiers.

A l'époque classique le fils de famille était en principe aussi capable de contracter qu'un paterfamilias. Toutefois, comme le patrimoine de la famille se concentrait entre les mains du détenteur de la puissance paternelle, les acquisitions du fils profitaient au père, de sorte que tous les droits de créance nés en la personne du fils de famille passaient immédiatement sur la tête du père. Quodcunque stipulatur is, qui in alterius potestate est, pro eo habetur, ac si ipse esset stipulatus (L. 45 pr. De verb obl., XLVI, 1).

Mais cette règle perdit une partie de sa rigueur avec l'introduction et le développement des pécules castrense, quasi castrense ou adventice. Déjà le juriconsulte Paul semblerait faire allusion à la situation particulière du fils pourvu d'un pécule castrense quand, après avoir établi que le père stipulant pour son fils acquérait la créance pour son propre compte, il ajoutait ces mots: secundum quod leges permittunt (L. 39, De verb. oblig.) Peut-être aussi, les compilateurs du Digeste ont-ils inséré eux-mêmes ces mots pour mettre le texte de Paul en harmonie avec le droit de Justinien où existaient depuis longtemps les deux autres pécules quasi castrense et adventice, inconnus à l'époque classique. Toujours est-il que les Institutes peuvent, avec beaucoup plus de raison, rappeler d'abord le principe Vox tua tanquam filii est sicuti filii vox tanquam tua intelligitur, puis ajouter, à l'exemple de Paul: In iis rebus quæ tibi adquiri possunt (§ 4. De inut, stip., Inst. III, 19).

Nous allons examiner successivement la condition des fils de famille dépourvus de tout pécule et la situation de ceux qui avaient un pécule leur assurant des biens propres.

§ 1. Capacité du fils de famille dépourvu de pécule. - Le fils de famille acquérait pour son père: tous les droits de créance nés en la personne du premier passaient dans le patrimoine du second.

A.

Parfois pourtant le fils de famille acquérait la créance pour son compte exclusif, sans que son père en bénéficiât.

Ce résultat se produisait dans deux cas:

1° Si le fils avait stipulé un fait dont l'exécution ne présentait pour le père aucun intérêt pécuniaire, la créance provenant de la stipulation ne tombait pas dans le patrimoine paternel, elle appartenait en propre au fils. Ainsi le fils de famille avait-il stipulé ut sibi agere liceat, c'est lui qui passait et non son père.

2o De même le fils de famille adstipulator acquérait pour lui seulement la créance née de l'adstipulation. En effet, dans ses rapports avec le stipulant principal, l'adstipulator est un mandataire; or le mandat est un contrat passé essentiellement intuitu personæ ; la créance ne pouvait donc profiter au père. Toutefois et par application de la règle générale que les personnes alieni juris ne pouvaient agir en justice suo nomine, le fils de famille exerçait l'action résultant de l'adstipulation, seulement quand il était devenu sui juris sine capitis deminutione (Gaius III, § 114).

B. Il pouvait arriver aussi que l'on ne sût pas à qui devait profiter le droit de créance né en la personne du fils. Cela se produisait quand le fils stipulait pendant la captivité du père: le père mourraitil en captivité ou reviendrait-il? On l'ignorait, et l'état du fils restait incertain aussi longtemps que durait la captivité. La prudence conseillait donc au fils de famille de ne jamais alors stipuler nominatim patri, parce que si le père mourait apud hostes, le contrat aurait été réputé n'avoir jamais existé (L. 18 § 2, De stip. serv., XLV, 3).

C. Le fils de famille ne pouvait acquérir une créance à l'aide du contrat litteris. En effet le paterfamilias avait seul dans la famille les tabulæ ou codex sur lesquels étaient passées les écritures formant le contrat litteris. Les fils de famille ne pouvaient donc user de ce contrat, ni au profit d'eux-mêmes, ni à l'avantage de leur père. Cicéron rappelle cette incapacité dans les termes suivants : « Nam quod est alienum objectum est..... Tabule flagitata, videte quam hoc respondeam.Tabulas qui in potestate patris est nullius conficit. » (Pro Cœlio, 7.) Bien entendu le fils de famille pouvait comme l'esclave tenir le codex de son père; mais il ne figurait pas alors réellement au contrat ; il accomplissait un rôle purement matériel n'ayant d'effet que par la volonté du père (Cic., In Verr, 2o action, II, 77).

Droit d'action. - D'après la rigueur de l'ancien droit qui ne connaissait d'autres actions que celles qui tendaient à faire úéclarer hanc rem nostram esse ou dare oportere, le fils de famille, n'ayant rien en propre et étant dépourvu de la possibilité d'acquérir, ne pouvait agir en son nom personnel. Les actions nées de ses contrats n'appartenaient qu'à son père, comme le droit qu'elles mettaient en mouvement. Il en était de même des actions résultant des délits ou quasi-délits, dont il avait été la victime. Dans le cas particulier de l'action d'injures, le père avait même une double action, l'une de son chef, l'autre du chef de son fils, et la condamnation encourué était estimée suivant l'étendue du dommage causé à l'un et à l'autre (Gaius, III. § 224; § 2, De injur., Instit., IV, 4).

Telle était la règle générale; elle n'était pas sans inconvénients. Il pouvait se faire en effet que le paterfamilias fût dans l'impossibilité d'agir et n'eût pas laissé de procurator par suite soit d'absence, soit de maladie, soit de folie ou de toute autre cause. Le fils de famille restait donc hors d'état de défendre ses intérêts. On vint à son secours en écartant progressivement la règle primitive qu'on tourna sans la heurter directement. Nous trouvons le point de départ de l'innovation dans l'édit de injuriis. Le filiusfamilias injurié, dont le père était absent et n'avait pas laissé de procurator, fut en effet autorisé par le préteur à exercer lui-même l'action d'injures; et, comme le fou peut être à certains égards assimilé à l'absent, on accorda la même faveur au fils dont le père était atteint de folie L. 17, SS 10 et 11, De injur., XLVII, 10. Comp. L. 2 § 1, De procur., III, 3). Sabinus donna ensuite une décision semblable relativement à l'interdit quod vi aut clam (L. 19, Quod vi aut clam., XLIII, 24). Julien l'étendit ensuite aux délits et l'admit même en matière de dépôt et de commodat (L. 18§ 1, De jud., V, 1. — L. 19, Dep., XVI, 3. L. 9. De obl. et act, XLIV, 3). Enfin Ulpien supprima toute distinction en posant cette règle nouvelle: In factum actiones etiam filiifamiliarum possunt exercere. (L. 13, De obl. et act.) Désormais donc le fils de famille put intenter toute action née de son chef lorsque le père était dans l'impossibilité d'agir luimême et n'avait pas constitué de procurator (1).

1. Gaius, au § 47 du livre IV de ses Commentaires, nous dit: Sed ex quibusdam causis prætor et in jus et in factum conceptas formulas proponit, veluti depositi et commodati. Comment expliquer, en une même hypothèse, la coexistence de ces

§ II. Capacité du fils de famille pourvu d'un pécule lui assurant des biens propres. Les pécules castrense, quasi castrense et adventice assuraient aux fils de famille la possibilité d'avoir un patrimoine distinct de celui du détenteur de la puissance et leur appartenant en propre. Les droits de créance, acquis par les filifamilias pourvus de l'un de ces pécules, ne passaient donc pas tous indistinctement dans les biens paternels et certains de ces droits restaient propres aux fils de famille en la personne desquels ils étaient nés.

La capacité des filiifamilias s'est donc successivement étendue avec le développement progressif de l'institution des pécules. Nous ne parlons pas, bien entendu, du pécule profectice, puisque le père gardait la propriété des biens de ce pécule, et n'en confiait au fils que l'administration et la gestion révocables ad nutum.

Le plus ancien des pécules donnant aux fils de famille des biens propres, le pécule castrense, paraît remonter à Auguste (pr., Instit., Quib. non est permiss. fac. test., II, 12). Il comprenait tout ce que les filiifamilias acquéraient comme militaires et qu'ils n'auraient pas eu sans cette qualité (L. 11, De castr. pec., XLIX, 17). Ils avaient la pleine propriété de ce pécule et étaient réputés à son égard être pères de famille (L. 2, De s.-c. Maced., XIV, 6); ils pouvaient l'obliger,

deux actions? Parmi les solutions proposées, on a soutenu que le préteur avait introduit cette double formule, afin de permettre aux fils de famille d'agir in factum dans les cas de dépôt et de commodat. Assurément les fils de famille ont pu profiter de la manière dont était conçue une des formules; mais il ne résulte pas nécessairement de là que le préteur ait introduit la double formule pour eux. Pourquoi en effet aurait-il donné aux fils de famille, ex quibusdam causis seulement, une faculté si utile et ne l'aurait-il pas étendue à tous les autres cas où elle leur aurait été nécessaire? Ne l'eût-on même pas mieux comprise dans des hypothèses plus justifiées que celles du dépôt et du commodat? Ne semblait-il pas plus naturel, par exemple, de voir le fils de famille exercer, à l'occasion d'un louage de services, une action locati in factum qu'agir pour recouvrer an objet remis par lui à titre de dépôt ou de commodat et qui ne lui appartenait pas ? Evidemment si, et pourtant les textes ne parlent pas d'une telle application de la formule in factum. Il faut donc donner une autre explication du texte de Gaius. Nous n'avons pas à entrer ici dans l'examen des divers systèmes proposés. S'il nous fallait prendre parti, nous nous rallierions volontiers à l'opinion qui explique la coexistence des deux actions depositi et commodati in factum par le développement historique du droit romain. L'action depositi in factum et l'action commodati in factum auraient, dans ce système, précédé les actions in jus qui sanctionnaient le dépôt et le commodat. Les deux actions in factum auraient ensuite subsisté après l'apparition des deux actions in jus et concurremment avec elles (V. M. Alb. Desjardins. Les deux formules des actions depositi et commodati, Revue historique de droit français, mars-avri 18671).

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