Page images
PDF
EPUB

DES RÉQUISITIONS MILITAIRES

ÉTUDE D'ADMINISTRATION MILITAIRE

AU POINT DE VUE DU DROIT DES GENS ET DU DROIT PUBLIC FRANÇAIS

DES RÉQUISITIONS MILITAIRES

INTRODUCTION

Quand deux États ne parviennent pas à s'entendre pour concilier entre eux ce qu'ils croient être leurs devoirs, leurs droits et leurs intérêts, ils recourent à la lutte armée, à la guerre, pour décider lequel d'entre eux étant le plus fort imposera à l'autre sa volonté. Les forces matérielles, la violence, sont mises au service des deux pays, déchaînant avec elles le cortège de misères et de douleurs inséparables de ce redoutable événement.

Au milieu de ces luttes sanglantes, le droit international est venu pourtant peu à peu produire ses heureux effets: « On a réussi à civiliser les lois de la guerre et à renverser en grande partie les usages barbares admis jadis pendant les hostilités. Les guerres sont devenues plus humaines, on les a régularisées; on en a diminué les horreurs, et cela non seulement par des perfectionnements de fait dans la manière de faire la guerre, mais encore par le développement de principes internationaux sur la matière... En sorte que c'est sur un terrain où il semblait pouvoir le moins être question de droit, que l'esprit d'humanité, dont le droit international moderne est pénétré, a obtenu ses plus grandes victoires (1). »

C'est ainsi qu'il est communément admis aujourd'hui, comme le disait déjà Portalis, que « la guerre est une relation d'État à État et non d'individu à individu, » (2) « relation dans laquelle les particu

1. Bluntschli, le Droit international codifié, Introduction. Traduction de M. Lardy 4e édition, p. 33.

2. Portalis, Discours d'inauguration au Conseil des prises du 14 floréal an VIII.

liers ne sont ennemis qu'accidentellement non point comme hommes, non pas même comme membres ou sujets de l'État, mais uniquement comme ses défenseurs : le droit des gens ne permet pas que le droit de guerre et le droit de conquête qui en dérive s'étendent aux citoyens paisibles et sans armes, aux habitations et aux propriétés privées, aux marchandises du commerce, aux magasins qui les renferment, aux chariots qui les transportent, en un mot à la personne et aux biens des particuliers (1). »

Cette double règle du respect de la personne des citoyens paisibles et de la propriété des particuliers entraîne de nombreuses conséquences auxquelles nous ne pouvons nous arrêter, et dont quelquesunes sont d'ailleurs contestées comme une application trop large du principe.

Mais la règle générale elle-même est du moins reconnue par tous les publicistes, par tous les États civilisés. Elle est consacrée par les Instructions de 1863 pour les armées en campagne des États-Unis d'Amérique (2); par le projet de Déclaration internationale discuté à la conférence réunie à Bruxelles en 1874, sur l'initiative de l'empereur de Russie Alexandre II, pour réglementer les lois de la guerre ; par le Manuel de droit international à l'usage des officiers de l'armée de terre publié en France, sous les auspices du Ministre de la guerre, par le Manuel des lois de la guerre sur terre, élaboré en 1880 par l'Institut de droit international, etc.

L'armée, aussi bien quand elle envahit le territoire de son adversaire que lorsque son autorité s'établit suffisamment pour suspendre en fait l'autorité nationale, est tenue de respecter le double principe rappelé plus haut. L'occupation, qui lui crée des droits. déterminés, lui impose étroitement ce devoir. Est-ce à dire qu'en toute circonstance aucun service personnel ne pourra être exigé des habitants, que l'inviolabilité de la propriété privée sera toujours respectée? Non, des exceptions s'imposent à ce sujet, et nous allons voir comment le droit de réquisition vient particulièrement déroger à la règle générale sur ce point.

1. Talleyrand, Lettre du 20 novembre 1806 à l'empereur Napoléon, Moniteur universel du 5 décembre 1806.

2. Ces instructions sont pour ainsi dire la première codification des lois de la guerre continentale. Le projet fut élaboré par le professeur Lieber, un des jurisconsultes les plus honorés d'Amérique, revu par une commission d'officiers, et ratifié par le président Lincoln.

« PreviousContinue »