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un détail dont le législateur ne pouvait s'occuper en raison des circonstances locales diverses qu'il ne serait le plus souvent possible de modifier qu'au prix de dépenses excessives et dans un temps très long.

Il est une autre circonstance, dépendant de vieilles habitudes locales, dont le législateur devait nécessairement tenir compte: nous voulons parler du temps consacré par l'ouvrier à manger les provisions qu'il a apportées du jour ou qu'à heure fixe lui envoie sa ménagère; ailleurs, dans le midi par exemple, l'ouvrier ne consentirait pas à reprendre son travail sans faire un somme d'une heure et quelquefois plus.

Dans l'impossibilité d'uniformiser ces habitudes locales, le législateur a dû se contenter de dire « la durée de présence fixée à l'article 1o << sera augmentée de la durée des repos » (art. 2).

Telle qu'elle est, la loi qui vient d'entrer en vigueur, dans les premiers jours de janvier 1906, place les houillères françaises sous un régime qui n'a été adopté dans aucun pays étranger. Partout ailleurs, le législateur n'a pas cru devoir intervenir pour limiter le droit d'un ouvrier majeur de travailler le temps qu'il croit possible pour ses forces et avantageux pour lui. Pratiquement, en limitant à 8 heures la durée pendant laquelle cesse le mouvement de va-et-vient des ouvriers dans le puits, et peut sans interruption se faire le service de montée du charbon, le législateur français n'a guère fait que sanctionner ce qui existe en temps normal dans la plupart des pays miniers de France et de l'étranger.

Nous disons «<< en temps normal » car des circonstances diverses peuvent et doivent, dans les mines où le travail est soumis à tant d'aléas, entraîner d'importantes variations dans la durée du trait et par suite de la présence au fond de l'ouvrier.

C'est ce que le législateur a reconnu et sanctionné en prévoyant aux articles 3 et 4 diverses dérogations, les unes permanentes ou tout au moins de longue durée (art. 3) à accorder à certaines mines qu'on a caractérisées au cours de l'enquête sous le nom de «houillères malades » qui luttent péniblement contre une situation économique difficile, soit que le gisement soit pauvre et irrégulier, soit que le combustible soit de mauvaise qualité, soit que les centres importants de consommation soient lointains et coûteux à atteindre, soit que les combustibles étrangers puissent à bas prix, par voie d'eau ou grâce à certaines combinaisons de tarifs, venir concurrencer ces mines.

Il était indispensable de ne pas priver de tout travail ces groupes ouvriers sous prétexte d'alléger leur labeur.

D'autres dérogations temporaires, mais renouvelables (art. 4), doivent répondre à des circonstances passagères mais souvent de toute urgence. Ici, la sécurité de la mine est en jeu; on peut craindre un incendie souterrain ou un éboulement; là, c'est la sécurité du personnel qu'il faut sauvegarder.

Il est aussi des circonstances où l'augmentation momentanée de la production est une nécessité; pour la défense nationale, pour l'ali

mentation de telles ou telles industries qui ont un surcroft momentané d'activité et de besoins (ce sont « les circonstances occasionnelles »).

Il est aussi des habitudes locales auxquelles les ouvriers les plus partisans de la réglementation la plus limitative du travail tiennent essentiellement; avant la fête de Sainte Barbe (la patronne des mineurs), ou avant la fête locale, ils veulent par un effort supplémentaire gagner une quinzaine exceptionnelle; c'est là le maintien des usages locaux qu'a prévu le législateur.

Cette loi est complétée par trois articles, qui chargent les ingénieurs et contrôleurs des mines de veiller à l'application de cette loi et qui établissent des pénalités importantes, particulièrement en cas de récidive (art. 5, 6 et 7).

Telle est, dans ses grandes lignes, cette loi qui, pour les mines prospères du Nord et du Pas-de-Calais, n'introduit que de faibles modifications à l'état actuel des choses, si toutefois, par une libérale application des dérogations, il n'est pas apporté de restrictions aux usages locaux qui permettent de répondre avec une souplesse suffisante aux nécessités économiques. L'effet de cette loi pourra au contraire être très onéreux même pour cette région houillère privilégiée de la France si une application limitative des articles 3 et 4 ne permet pas aux travailleurs de la mine de varier leur productivité suivant les circonstances. Pour les autres régions houillères françaises, dès la première période où est appliquée la durée de neuf heures, commencera à se faire sentir une réduction de production, qui s'aggravera de période en période et, par l'élévation consécutive du prix de revient, pourra entraîner l'arrêt de plus d'une exploitation jadis encore, sinon prospère, du moins à peu près rémunératrice.

Présentée et défendue par le représentant attitré d'une région houillère très prospère, cette loi a été votée avec confiance par le parlement qui ne s'est que très insuffisamment rendu compte de ses effets économiques probables sur d'autres parties du pays.

Cette loi est importante aussi comme un pas nouveau dans la voie de la réglementation législative du travail des adultes et de la limitation du droit individuel au travail.

Dans son rapport au Sénat, M. Boudenoot a fait une large place aux objections qui avaient été développées devant les commissions de la Chambre et du Sénat. Il a pris acte du fait « que sous l'influence combinée de l'initiative patronale, de l'organisation syndicale et de l'ac«tion de l'État, une heureuse transformation s'est produite depuis cent < ans dans la condition de l'ouvrier mineur ». Et que « le prix de < revient de la tonne est aujourd'hui sensiblement le même qu'il y a « un siècle, bien que le rendement de l'ouvrier ait au moins quadruplé, que le salaire de ce dernier ait quadruplé ou quintuplé et que la « durée du travail ait diminué d'un quart ».

Malgré tant de progrès réalisés par le libre jeu de l'initiative individuelle du patron et de l'ouvrier, le parlement s'est laissé entraîner au

vote de cette loi par « cette considération, que le projet de loi actuel « ne fait pour ainsi dire que consacrer légalement ce qui existe déjà « pratiquement dans un grand nombre d'exploitations houillères de France « et non des moins importantes >>.

Le rapporteur tient d'ailleurs en finissant à se défendre contre l'objection que « le projet est dangereux et fatal pour les mines qui n'ont « pas encore la journée de huit heures ».

Il insiste sur les atténuations apportées à la proposition de M. Basly, sur les deux stades transitoires qui ne doivent conduire à la durée de huit heures qu'au bout de quatre ans.

<«< En suivant, dit-il, la progression indiquée, et en admettant, comme le << prescrivent les articles 3 et 4, certaines dérogations, les conséquences « fàcheuses que la nouvelle réglementation aurait pu avoir pour les exploi«<tations houillères et pour les ouvriers seront sans doute atténuées ».

Une des conséquences de cette loi que ne met pas en évidence le rapporteur, mais qu'il convient de ne pas perdre de vue, c'est que le ministre des travaux publics, par le jeu des dérogations qu'il pourra accorder ou refuser sous des influences diverses, devient en fait l'arbitre de la production et de la prospérité des houillères françaises. La gravité de cette part faite à l'action administrative a passé trop inaperçue lors du vote de la loi.

Art. 1er. Six mois après la promulgation de la présente loi, la journée des ouvriers employés à l'abatage, dans les travaux souterrains des mines de combustibles, ne pourra excéder une 'durée de neuf heures, calculée depuis l'entrée dans le puits des derniers ouvriers descendant jusqu'à l'arrivée au jour des premiers ouvriers remontant; pour les mines où l'entrée a lieu par galeries, cette durée sera calculée depuis l'arrivée au fond de la galerie d'accès jusqu'au retour au même point.

Au bout de deux ans à partir de la date précitée, la durée de cette journée sera réduite à huit heures et demie et au bout d'une nouvelle période de deux années à huit heures.

Il n'est porté aucune atteinte aux conventions et aux usages équivalant à des conventions qui, dans certaines exploitations, ont fixé pour la journée normale une durée inférieure à celle fixée par les paragraphes précédents.

Art. 2. En cas de repos prévus par le règlement de la mine et pris soit au fond, soit au jour, la durée stipulée à l'article précédent sera augmentée de la durée de ces repos.

Art. 3. Des dérogations aux prescriptions de l'article 1 pourront être autorisées par le ministre des travaux publics, après avis du conseil général des mines, dans les mines où l'application

de ces prescriptions serait de nature à compromettre, pour des motifs techniques ou économiques, le maintien de l'exploitation. Le retrait de ces dérogations aura lieu dans la même forme.

Art. 4. Des dérogations temporaires, dont la durée ne devra pas excéder deux mois, mais qui seront renouvelables, pourront être accordées par l'ingénieur en chef de l'arrondissement minéralogique, soit à la suite d'accidents, soit pour des motifs de sécurité, soit pour des nécessités occasionnelles, soit, enfin, lorsqu'il y a accord entre les ouvriers et l'exploitant pour le maintien de certains usages locaux. Les délégués à la sécurité des ouvriers mineurs seront entendus, quand ces dérogations seront demandées à la suite d'accidents ou pour des motifs de sécurité.

L'exploitant pourra, sous sa responsabilité, en cas de danger imminent, prolonger la journée de travail en attendant l'autorisation qu'il sera tenu de demander immédiatement à l'ingénieur en chef. Art. 5. Les infractions à la présente loi seront constatées par procès-verbaux des ingénieurs et des contrôleurs du service des mines qui feront foi jusqu'à preuve contraire.

Ces procès-verbaux seront dressés en triple exemplaire: le premier sera envoyé au préfet du département, le second sera déposé au parquet et le troisième sera remis au contrevenant.

Art. 6. Les exploitants, directeurs, gérants ou préposés qui n'auront pas mis à la disposition des ouvriers les moyens de sortir de la mine dans les délais prévus par la présente loi, seront poursuivis devant le tribunal de simple police et punis d'une amende de cinq à quinze francs (5 à 15 fr.). L'amende sera appliquée autant de fois qu'il y aura de personnes employées dans les conditions contraires à la présente loi, sans toutefois que le chiffre total des amendes puisse excéder cinq cents francs (500 fr.).

Les chefs d'industrie seront civilement responsables des condamnations prononcées contre leurs directeurs, gérants ou préposés. Art. 7.- En cas de récidive, les contrevenants seront poursuivis devant le tribunal correctionnel et punis d'une amende de seize à cent francs (16 à 100 fr.) pour chaque personne employée dans les conditions contraires à la présente loi, sans toutefois que le chiffre total des amendes puisse excéder deux mille francs (2.000 fr.). Il y aura récidive lorsque, dans les douze mois antérieurs aux faits poursuivis, les contrevenants auront déjà subi une condamnation pour contravention identique.

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Art. 8.

L'article 463 du code pénal sera applicable aux condamnations prononcées en vertu de la présente loi.

XXI.

LOI DU 6 JUILLET 1905, COMPLÉTANT L'ARTICLE 17 DE LA LOI
DU 10 AOUT 1871 SUR LES CONSEILS GÉNÉRAUX. (1).

Notice par M. L. BOUCHON, docteur en droit, avocat à la cour d'appel.

L'article 17 de la loi du 10 août 1871 sur les conseils généraux est ainsi conçu:

«Le conseiller général élu dans plusieurs cantons est tenu de déclarer son option au président du conseil général, dans les trois jours qui suivront l'ouverture de la session, et en cas de contestation à partir du jour de la notification de la décision du conseil d'État ».

La loi ne se préoccupe pas du cas où un canton est divisé, par une loi nouvelle, en plusieurs circonscriptions électorales avant l'expiration normale du mandat de son conseiller général. Ce dernier restera-t-il à son choix le représentant d'une des circonscriptions ainsi formées, ou des élections nouvelles seront-elles nécessaires, dans toutes les circonscriptions?

En l'absence d'un texte formel, le conseil d'Etat n'a pas cru devoir donner à l'élu le droit d'option de l'article 17. Le 6 juillet 1886, l'avis suivant a été émis : « toute modification apportée par la loi à une circonscription électorale doit faire cesser le mandat de conseiller général et entraîne de nouvelles élections ».

A l'appui de cette opinion, la haute assemblée faisait valoir que le conseiller général pouvait n'avoir pas la majorité dans les deux fractions nouvelles de son ancien canton et qu'il ne serait pas admissible de lui voir conserver la représentation de la fraction où il aurait été mis en minorité.

Dans cette hypothèse, en effet, il ne pouvait être considéré comme l'élu des deux circonscriptions, et l'on conçoit que le droit d'option n'ait pas été applicable à son cas.

Toutefois cette opinion du conseil d'État n'était pas en parfaite harmonie avec les articles 18, 19 et 20 de la loi; ces articles énumèrent les causes qui font perdre à l'élu sa qualité de conseiller général, parmi lesquelles ne figure pas la division du canton en plusieurs circonscriptions.

Avec les anciens textes la question paraissait donc insoluble. Pour mettre fin à cette difficulté, M. Raiberti, député, a déposé un projet de

(1) J. Off. du 11 juillet 1905. TRAVAUX PRÉPARATOIRES.

:

Chambre proposition de loi de M. Raiberti, doc. 1905, p. 278; rapport, p. 532; déclaration de l'urgence, adoption de la proposition sans discussion, 19 mai 1905. Sénat rapport, doc. 1905, p. 518; déclaration de l'urgence; adoption sans discussion, 4 juillet 1905.

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