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prévoit. Malgré tout le talent déployé par son auteur, cette proposition ne put cependant recueillir que 79 voix. Ce fut également sans plus de succès que M. de Pontbriand, reprenant les amendements qui avaient été présentés à la Chambre, demanda pour les sociétés de secours mutuels et les syndicats professionnels le droit de se substituer aux communes pour l'assistance des vieillards.

Enfin, après avoir, dans sa séance du 16 juin, décidé qu'il passerait à une seconde lecture, le Sénat votait, à une forte majorité, dans celle du 7 juillet suivant, le texte définitif qui lui était proposé par sa commission.

Ce dernier differe assez sensiblement de celui qui avait été voté par la Chambre, et si les modifications ne portent en somme que sur des points de détail, certaines d'entre elles présentent cependant une importance qui mérite d'être signalée. C'est ainsi que les deux derniers paragraphes de l'article 1er, relatifs aux étrangers et à une réduction d'âge pour les mères de famille justifiant qu'elles ont supporté les charges de l'entretien de leurs enfants jusqu'au moment où ils ont pu subvenir à leurs besoins, ont été supprimés; que de plus, à la condition d'âge (70 ans) exigée pour avoir droit à l'assistance a été ajoutée celle de l'invalidité.

Le taux minimum de l'allocation mensuelle aux assistés a été abaissé de 8 à 5 francs; enfin au barême kilométrique de la loi de 1893 sur lequel devait être calculée la subvention de l'Etat on a substitué celui plus rationnel du centime démographique.

Par contre, la part accordée aux sociétés de secours mutuels dans les commissions cantonales (art. 11) a été réduite, elles n'y seront plus représentées que par un délégué au lieu de deux.

Renvoyé devant la Chambre, le projet du Sénat fut adopté sans modification le 13 juillet.

Coût de la loi. La loi nouvelle ne devant recevoir son application qu'en 1907, et d'autre part, les conseils généraux ne pouvant être saisis des questions relatives à la création des nouveaux services qu'elle nécessitera que dans leur session du mois d'août prochain, il est impossible d'apprécier dès à présent les conséquences financières de cette réforme. Il est même difficile, en présence des écarts considérables que présentent les évaluations formulées au cours des débats, de faire à cet égard une approximation quelconque. La commission avait à la Chambre fixé la dépense totale à 12 millions tandis que l'office du travail l'évaluait à 165 millions. Le Sénat a adopté le chiffre de 56 millions, non compris, bien entendu, les frais d'aménagement ou de construction des hospices. Mais ces évaluations ont été fortement contestées, notamment par M. le sénateur Guyot qui n'a pas hésité à soutenir que les prévisions de la commission devraient être au moins quadruplées. Quoiqu'il en soit, ce qui domine le débat, ce sont les déclarations mêmes de M. Monod, directeur de l'hygiène publique; « il est très diffi

cile, dit-il en effet, il parait même quasi impossible d'apprécier combien il existe en France de vieillards et d'incurables sans ressources. Le devoir social est de les secourir; la difficulté de chiffrer avec certitude la dépense qu'entraînera ce devoir ne doit pas en empêcher l'accomplissement »> (1).

En présence de cet aléa, on ne peut s'empêcher de regretter qu'emporté par un esprit de logique un peu absolue, le Parlement n'ait pas cru devoir faire appel au concours de la charité privée; le domaine de celle-ci restera cependant assez considérable outre en effet qu'elle pourra toujours compléter les secours parfois insuffisants de l'assistance obligatoire, les aspects de la pauvreté sont assez variables pour qu'elle trouve encore utilement à s'exercer. On peut espérer encore que la sélection étant ainsi faite entre les clients de l'assistance obligatoire et ceux de l'assistance facultative, cette dernière pourra consacrer la totalité de ses ressources au relèvement et au soulagement des nécessiteux temporaires.

Législation étrangère.

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On ne trouve à l'etranger aucun élément de comparaison avec notre loi nouvelle.

Le Danemark a bien par ses lois des 27 juin 1891, 7 avril 1899 et 22 mai 1902 (2) institué l'assistance obligatoire aux vieillards, mais il exclut de son bénéfice tous ceux qui ont été condamnés pour faits déshonorants, ont dissipé leur patrimoine par inconduite on ont été depuis moins de dix ans à la charge de l'assistance publique; il élimine ainsi dans sa majeure partie la clientèle des imprévoyants et des nécessiteux. Les pensions de vieillesse ainsi constituées sont supportées moitié par la commune où réside l'indigent et moitié par l'Etat.

La loi belge du 16 mai 1900 (3) qui organise les retraites pour la vieillesse prévoit également une allocation annuelle de 65 francs pour tous les ouvriers ou anciens ouvriers belges âgés de 65 ans au 1er janvier qui a suivi la promulgation de la loi et se trouvant dans le besoin, mais ce n'est qu'une disposition transitoire dont la durée ne doit pas dépasser dix ans.

Nous citerons encore les lois suivantes qui, sans consacrer le principe de l'assistance obligatoire, s'en rapprochent cependant dans une certaine mesure canton de Vaud, loi du 24 août 1898 (4); canton de Lucerne, loi du 21 novembre 1889 sur les indigents (5); canton du Valais, loi du 3 décembre 1898 sur l'assistance publique (6).

Notons enfin que l'on constate dans la plupart des pays civilisés un effort bien marqué pour la réforme des anciennes institutions

(1) Chambre : séance du 12 juillet 1905.

(2) V. Annuaire de législ. étrang. 1898, p. 788, id. 1903, p. 536.

(3) V. Annuaire de législ. etrang., 1901, p. 332. (4) V. Annuaire de législ. étrang., 1889, p. 738. (5) V. Annuaire de législ. etrang., 1891, p. 624. (6) V. Annuaire de législ. étrang., 1899, p. 562.

de secours pour la vieillesse; c'est ainsi que deux projets de loi instituant des pensions aux vieillards ont été soumis au Parlement anglais en 1899 (1).

TITRE Ier.

ORGANISATION DE L'ASSISTANCE.

Art. 1. Tout Français privé de ressources, incapable de subvenir par son travail aux difficultés de l'existence et, soit âgé plus de soixante-dix ans, soit atteint d'une infirmité ou d'une maladie reconnue incurable, reçoit, aux conditions ci-après, l'assistance instituée par la présente loi (2).

Art. 2. L'assistance est donnée par la commune où l'assisté a son domicile de secours; à défaut de domicile de secours communal, par le département où l'assisté a son domicile de secours départemental; à défaut de tout domicile de secours, par l'État.

La commune et le département reçoivent, pour le payement des dépenses mises à leur charge par la présente loi, les subventions prévues au titre IV.

Art. 3. Le domicile de secours, soit communal, soit départemental, s'acquiert et se perd dans les conditions prévues aux articles 6 et 7 de la loi du 15 juillet 1893; toutefois le temps requis pour l'acquisition et la perte de ce domicile est porté à cinq ans. A partir de soixante-cinq ans, nul ne peut acquérir un nouveau domicile de secours ni perdre celui qu'il possède.

Les enfants assistés, infirmes ou incurables, parvenus à la

(4) Bull. soc. lég. comp., 1900, p. 477.

(2) Le bénéfice de l'assistance est exclusivement réservé aux Français. La Chambre, suivant en cela le précédent de la loi de 1893 sur l'assistance médicale, avait admis les étrangers à y participer à titre de réciprocité. Le Sénat a repoussé cette disposition par crainte qu'elle n'augmentat les charges déjà si considérables que la loi nouvelle allait imposer aux contribuables. (J. Off., Sénat, séance du 9 juin 1905, p. 996, col. 2.)

Sur la demande de M. Mirman, l'expression « privé de ressources » fut substituée à celle d'indigent que portait le projet primitif. Il était à craindre, en effet, étant donné le sens très étroit de celle-ci, que l'assistance ne fut refusée au vieillard possédant déjà quelques revenus insignifiants; cette modification était d'ailleurs la conséquence nécessaire de la nouvelle rédaction de l'article 18, permettant sous certaines conditions le cumul de l'allocation mensuelle d'assistance avec les ressources provenant soit de l'épargne, soit de la charité privée. (J. Off., Chambre, séance du 8 juin 1903, p. 1867, col. 1.)

La loi n'a défini ni l'infirmité, ni la maladie incurable; il résulte cependant des explications fournies à la Chambre par le rapporteur (séance du 29 mai 1903, p. 1784, col. 1), qu'il ne suffira pas pour avoir droit à l'assistance d'une infirmité ou d'une maladie incurable quelconque, il faudra encore qu'elles soient de nature à entraîner l'incapacité de travailler.

majorité, ont leur domicile de secours dans le département au service duquel ils appartenaient, jusqu'à ce qu'ils aient acquis un autre domicile de secours.

Art. 4.— La commune, le département ou l'État, qui a secouru, par un des modes prévus au titre III de la présente loi, un vieillard, un infirme ou un incurable dont l'assistance ne lui incombait pas en vertu des dispositions qui précèdent, a droit au remboursement de ses avances, jusqu'à concurrence d'une année de

secours.

La répétition des sommes ainsi avancées peut s'exercer pendant cinq ans, mais la somme à rembourser ne pourra être supérieure au montant de la dépense qu'aurait nécessitée l'assistance si elle avait été donnée au domicile de secours prévu par les articles 2 et 3.

Art. 5. La commune, le département ou l'Etat peuvent toujours exercer leur recours s'il y a lieu, et avec le bénéfice, à leur profit, de la loi du 10 juillet 1901 (1), soit contre l'assisté, si on lui reconnaît ou s'il lui survient des ressources suffisantes, soit contre toutes personnes ou sociétés tenues de l'obligation d'assistance, notamment contre les membres de la famille de l'assisté désignés par les articles 205, 206, 207 et 212 du code civil et dans les termes de l'article 208 du même code.

Ce recours ne peut être exercé que jusqu'à concurrence de cinq années de secours.

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Art. 6. Le service de l'assistance aux vieillards, aux infirmes et aux incurables est organisé dans chaque département par le conseil général délibérant dans les conditions prévues à l'article 48 de la loi du 10 août 1871.

Si le conseil général refuse ou néglige de délibérer, ou si sa délibération est suspendue par application de l'article 49 de la loi du 10 août 1871, il peut être pourvu à l'organisation du service par un décret rendu dans la forme des réglements d'administration publique.

Art. 7.

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TITRE II.

ADMISSION A L'ASSISTANCE.

Chaque année, un mois avant la première session

1) Avec le bénéfice de la loi de 1901.

- Ces mots, ajoutés au cours de la discussion, à la demande de M. de Castelnau, signifient, malgré leur laconisme, que les commissions jouiront de droit du bénéfice de l'assistance judiciaire sans être obligées de le demander.

ordinaire du conseil municipal, le bureau d'assistance (1) dresse la liste des vieillards, des infirmes et des incurables qui, remplissant les conditions prescrites par l'article 1er et résidant dans la commune, ont fait valoir, dans leur demande écrite, leurs titres au service d'assistance institué par la présente loi. Il propose en même temps le mode d'assistance qui convient à chacun d'eux, et, si ce mode de secours est l'assistance à domicile, il indique la quotité de l'allocation mensuelle à leur accorder. La liste préparatoire ainsi dressée est divisée en deux parties: la première, comprenant les vieillards, les infirmes et les incurables qui ont leur domicile de secours dans la commune; la seconde, ceux qui ont leur domicile de secours dans une autre commune, ou qui n'ont que le domicile de secours départemental, ou qui n'ont aucun domicile de secours.

Une copie de cette liste, accompagnée de toutes les demandes d'admission à l'assistance, est adressée au conseil municipal; une autre est envoyée au préfet.

Il est procédé à la revision de la liste un mois avant chacune des trois autres sessions du conseil municipal, et en cas de besoin dans le cours de l'année.

A défaut par le bureau de dresser cette liste, elle est établie d'office par le conseil municipal.

Art. 8.

Le conseil municipal, délibérant en comité secret sur la totalité des demandes préalablement soumises au bureau d'assistance, qu'elles figurent ou non sur la liste préparatoire, prononce l'admission à l'assistance des personnes ayant leur domicile de secours dans la commune et règle les conditions dans lesquelles elles seront assistées soit à domicile soit dans un établissement hospitalier.

Art. 9. La liste ainsi arrêtée par le conseil municipal est déposée au secrétariat de la mairie, et avis de ce dépôt est donné par affiches aux lieux accoutumés.

Une copie de la liste est en même temps adressée au préfet du département.

Pendant un délai de vingt jours à compter du dépôt, tout vieillard, infirme ou incurable dont la demande a été rejetée par le conseil municipal peut présenter sa réclamation à la mairie; dans le même délai, tout habitant ou contribuable de la commune peut réclamer l'inscription ou la radiation des personnes omises ou indûment portées sur la liste.

(1) Le bureau d'assistance dont il est ici question est celui organisé par l'article 10 de la loi du 15 juillet 1893. (J. Off., séance du 30 mai 1903, p. 1813).

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