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Chambre des députés fut saisie de nouvelles propositions. Elles émanaient de MM. Dejeante (27 juin 1902); Ernest Roche (20 octobre 1902); de Pressensé (7 avril 1903); Hubbard (26 mai 1903); Flourens (7 juin 1903); Réveillaud (25 juin 1903); Grosjean et Berthoulat (27 juin 1903); Sénac (31 janvier 1904). Ces propositions tendaient à la rupture du pacte concordataire. Plusieurs (celles de M. Flourens, de MM. Grosjean et Berthoulat notamment) entendaient ménager les transitions et contenaient des dispositions favorables à la liberté du culte. Le 11 juin 1903 MM. Boissy-d'Anglas, Clemenceau et plusieurs autres proposèrent au Sénat la dénonciation du Concordat et la séparation des Églises et de l'État.

Les diverses propositions soumises à la Chambre furent, à la suite de l'adoption d'une motion de M. Réveillaud, renvoyées à une commission de 33 membres. Nommée le 18 juin 1903, elle choisit pour président M. Brisson, pour rapporteur M. Aristide Briand. Cependant ni le pays ni le Parlement n'étaient encore très disposés, semble-t-il, à faire passer dans la pratique immédiate les théories anticoncordataires contre lesquelles le Gouvernement s'était prononcé; « nous avons déclaré, disait le 27 novembre 1903, à la tribune de la Chambre des députés, M. Combes, président du conseil, que nous nous tiendrions sur le terrain du concordat. Pourquoi? parce que nous considérons en ce moment les idées morales telles que les Eglises les donnent, et elles sont les seules à les donner en dehors de l'école primaire, comme des idées nécessaires ». Moins d'un an après, le même ministre dans un discours public à Auxerre, se proclamait partisan de la rupture sans délai du lien concordataire et déposait, le 10 novembre, un projet de loi de séparation. La commission de la Chambre avait du reste hâté ses travaux et adopté, en juillet 1904, un avant-projet rédigé par son rapporteur M. Briand. On a présenté diverses circonstances comme pouvant expliquer ce mouvement assez im prévu des idées vers une solution rapide. Les difficultés avec le Saint-Siège au sujet de l'institution canonique de quelques évêques, la protestation du secrétaire d'Etat de Pie X contre les conditions où s'était fait le voyage du Président de la République à Rome, protestation à la suite desquelles l'ambassadeur de France auprès du Vatican avait été rappelé, enfin la comparution de deux évêques mandés par le Pape et ayant répondu à son appel malgré le ministre des Cultes; tels sont les faits qui ont été invoqués. Ils auraient motivé les décisions favorables à la séparation; il a même été allégué qu'ils auraient constitué de la part du Gouvernement pontifical une violation du concordat (1). Etaient-ce là des provocations du Vatican rendant la séparation inévitable? le soutenir, M. Ribot a appelé cela « un mensonge historique ». Du reste la discussion à la Chambre des députés (2) et au Sénat (3) et la publication du Livre blanc

(1) Rapport de M. Briand, p. 95.

(2) Séances du 3 avril 1905, déb. parl., p. 1187.

(3) Séance des 10 et 16 novembre, déb. parl. pp. 1303 et 1337.

du Saint-Siège ont fait la lumière complète sur ces incidents et la portée qu'ils ont pu avoir.

Le projet du gouvernement et celui de la commission différaient sur certains points. Un accord se négociait entre la commission et M. Combes lorsque celui-ci quitta le ministère. Son successeur à la présidence du conseil, M. Rouvier, ne tarda pas à présenter un projet se rapprochant de celui de la commission, dont il s'écartait seulement sur la question des pensions aux ecclésiastiques et la disposition des évêchés, presbytères et séminaires; mais l'accord se fit rapidement avec le ministre des Cultes, M. Bienvenu Martin; le 4 mars, M. Briand déposait un rapport, très développé (1), et le projet définitif de la commission était soumis à la Chambre.

Ouverts le 21 mars 1905, les débats durèrent jusqu'au 3 juillet. Huit séances furent consacrées à la discussion générale. La déclaration d'urgence fut votée le 8 avril, et la discussion des articles commença le 11 pour se continuer pendant trois mois environ. La Chambre avait eu d'abord à se prononcer sur diverses motions préjudicielles tendant à l'ajournement du projet, soit après les élections, soit après consultation des conseils généraux et municipaux. Sur le fond de la question les opinions soutenues peuvent se ramener à trois ordres généraux de considérations. Les adversaires de la dénonciation du concordat soutenaient que ce pacte avait assuré la paix religieuse pendant un siècle, que sa rupture par une simple loi, sans convention diplomatique, diminuerait notre situation au regard de l'étranger, que le projet méconnaissait les droits de l'Église catholique. Au nom des partisans de la séparation immédiate on donnait à l'appui du projet les motifs suivants: il reconnaît toute la liberté à laquelle l'Eglise a droit, ses représentants ne sont pas propriétaires des biens dont ils jouissent, le budget des cultes n'a pas le caractère d'une dette, le concordat n'a pas été respecté par l'Église qui en a abusé. Une opinion intermédiaire s'est produite admettant que le concordat ne répondait peut-être plus aux nécessités du moment, que le régime de liberté et d'indépendance mutuelle des deux pouvoirs civil et religieux était plus conforme à l'esprit des sociétés modernes, qu'il est pratiqué avec d'heureux résultats aux Etats-Unis notamment; mais que les dispositions de la loi qui l'établira doivent être libérales.

Le projet voté par la Chambre par 341 voix contre 233 fut transmis au Sénat qui nomma immédiatement une commission avec M. Maxime Lecomte comme rapporteur. Celui-ci déposait, le 20 octobre 1905, un rapport (2) concluant à l'adoption sans changements du texte voté par la Chambre. La discussion commencée le 9 novembre se termina le 30; elle avait occupé dix-huit séances. Les mêmes courants d'opinions qu'à la Chambre se manifestèrent, se traduisant par les mêmes arguments. Tous les amendements proposés furent rejetés, le Sénat vota sans aucune

(1) Annexe, n° 2302. (2) Annere, no 260.

modification le projet venu de la Chambre. Le 9 décembre 1905 la loi était promulguée.

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IDÉE GÉNÉRALE ET ANALYSE DES DISPOSITIONS PRINCIPALES DE LA LOI.

Le principe qui domine la législation nouvelle c'est la liberté de conscience, se manifestant par le libre exercice des cultes, mais avec les limitations qui peuvent y être apportées dans l'intérêt de l'ordre public.

L'utilité de placer au frontispice de la loi une déclaration de principes a été expliquée ainsi par le rapporteur à la Chambre: « Si minutieusement rédigée que soit une loi aussi considérable, elle contient des lacunes et soulève des difficultés nombreuses d'interprétation. Le juge saura, grâce à l'article placé en vedette de la réforme, dans quel esprit tous les autres ont été conçus et adoptés. Toutes les fois que l'intérêt de l'ordre public ne pourra pas être invoqué, dans le silence des textes ou doute sur leur exacte application, c'est la solution libérale qui sera la plus conforme à la pensée du législateur » (1).

A côté du principe de la liberté, la loi pose celui de la neutralité de l'Étal, de la séparation et, par là, détruit radicalement le système suivi jusque-là. C'est un régime tout nouveau; l'organisation officielle de l'Église catholique et des autres cultes reconnus résultant d'une longue série de textes législatifs, de décrets et d'ordonnances est abolie. Cette réforme aura une longue répercussion dans toute notre législation et soulèvera des questions très nombreuses.

La loi tire immédiatement les conséquences du principe posé en déclarant que la République ne salarie, ne subventionne aucun culte et que les dépenses ayant le culte pour objet seront supprimées des budgets de l'Etat, des départements et des communes. Mais cette logique, encore que poussée très loin et très rigoureusement, a dû céder devant des droits acquis, des considérations d'équité, de respect de la liberté (2). Dès le début, le texte de l'article 2 admet la possibilité de rétributions pour les services d'aumônerie dans certains établissements publics: lycées, collèges, asiles, hospices, prisons. Nous retrouverons d'autres atténuations imposées par les circonstances où s'accomplissait l'œuvre du législateur substituant un système nouveau à un régime très anciennement établi. Pour analyser cette œuvre, dans ses dispositions les plus importantes, nous nous proposons d'examiner les solutions adoptées quant aux biens, à la situation des ministres des religions, à la police des. cultes.

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1. Biens. Les auteurs de la loi se trouvaient en face d'une nécessité, celle de liquider un passé dont ils ne pouvaient pas ne pas tenir compte. Après avoir détruit (art. 2) tous les établissements ecclésias

(1) Rapport de M. Briand, p. 183.

(2) Rapport de M. Briand, p. 246; Rapport de M. M. Lecomte, p. 187.

tiques que les lois antérieures avaient institués propriétaires de certains biens mobiliers ou immobiliers, ou qui avaient la jouissance de ceux dont les communes ou l'Etat étaient regardés comme propriétaires, la loi a assuré la survie de ces établissements pendant un délai qu'elle détermine, afin d'organiser la transition au régime nouveau (art. 3). Elle a dû aussi prendre une série de mesures relatives à l'usage des édifices religieux, à l'attribution de biens à des associations qu'elle invite les fidèles à former. Les ministres du culte recevaient une dotation constituée dans les conditions qui ont été expliquées. Le législateur de 1905 l'a supprimée; mais la suppression ne pouvait être sans exceptions, ni compensations. On l'a vu déjà, les traitements des aumôniers pourront être maintenus; en outre des pensions et des indemnités sont assurées dans certaines conditions aux intéressés. Nous résumerons ces dispositions en étudiant la situation faite aux ministres des cultes. Nous n'examinons en ce moment que celles concernant le sort des biens.

Pendant la période où les choses sont laissées en l'état, un inventaire de tous les meubles et immeubles appartenant aux établissements supprimés ou appartenant à l'État et aux communes et dont ces établissements avaient la jouissance doit être dressé. La procédure de cet inventaire a fait l'objet d'un règlement d'administration publique du 29 décem bre 1905.

Pour déterminer ce que deviennent ces biens, il y a plusieurs dislinctions à faire suivant leur origine ou leur affectation. On peut établir quatre catégories A. Biens pouvant être dévolus aux associations cultuelles; B. Biens faisant retour à l'Etat; C. Biens grevés d'une destination étrangère à l'exercice du culte et attribués à des établissements · publics ou d'utilité publique; D. Biens appartenant à l'Etat, aux départements, aux communes, dont la jouissance est laissée à terme ou sans terme, aux associations remplaçant les établissements publics du culte.

A.

- La loi du 1er juillet 1901 a reconnu la liberté d'association et doté d'une certaine capacité civile celles des associations qui se soumettent à la formalité d'une déclaration. Le culte, par suite de la séparation, n'étant plus au rang des services publics, les établissements publics du culte disparaissant, il était tout naturel de former des associations privées qui puissent posséder ce qui sera nécessaire à l'exercice du culte. La loi de 1905, par une innovation qui est un des points les plus importants qu'elle ait tranchés, a décidé d'attribuer les biens des établissements supprimés aux associations privées qui pourraient ainsi les remplacer. Mais, malgré la généralité des termes de l'article 4, qui pose le principe de cette attribution, la transmission n'est pas intégrale, et les distinctions établies montrent bien qu'une catégorie de biens seulement conserve sa destination. L'élaboration du texte et la discussion n'ont pas été sans difficultés. Ce n'est qu'après un débat sérieux que l'attribution a été décidée sans limitation de durée et avec cette

addition faite au cours de la discussion, que les associations culquelles se conformeraient aux règles générales d'organisation du culte. En dehors de cette condition générale, la loi trace les règles d'existence et de fonctionnement de ces associations (art. 18, 19, 20, 21, 22). Elles doivent se conformer aux prescriptions de la loi du 1er juillet 1901, mais en outre sont soumises à des conditions spéciales, quant à leur objet, strictement limité à l'entretien et à l'exercice du culte, quant à la circonscription où elles doivent borner leur action, quant au nombre des membres qui est déterminé, quant au contrôle de leur administration. La capacité de ces associations, d'une part, excède le droit commun des associations déclarées, tel qu'il résulte de la loi de 1901, et, d'autre part, subit des restrictions. En effet, elles peuvent recevoir, même par fondation, en outre des cotisations (art. 19). Mais aussi toute subvendion de l'État, des départements ou des communes leur est interdite (id.) et la comptabilité et la gestion sont réglementées et surveillées (art. 21 et 22). Diverses causes de dissolution ont été prévues par le législateur. Limitée dans ses ressources, l'association cultuelle a un lourd passif à supporter et doit faire face à des charges nombreuses. Enfin, si le droit que les associations cultuelles auront sur les biens attribués est bien un droit de propriété et non un simple droit d'administration, comme il avait été proposé, cette propriété est subordonnée à la continuation de l'association cultuelle, dont la durée, en outre des causes de dissolution assez nombreuses, dépend de la persistance de la volonté des membres qui la composent.

Si l'attribution n'est pas faite par l'établissement supprimé dans le délai d'un an, il y sera pourvu par décret. Au cas où des contestations se produiraient entre plusieurs associations, il est attribué compétence au conseil d'État pour trancher le différend (art. 8).

Le mode d'attribution par les établissements supprimés aux nouveaux organes est réglé, dans ses détails, par le décret du 16 mars 1906.

B. — Ce n'est qu'une partie des biens ecclésiastiques, on l'a dit, que pourront recueillir les associations cultuelles. L'article 5 de la loi distingue, en effet, une catégorie qui doit faire retour à l'État. Ce sont ceux provenant de l'Etat et non grevés d'une fondation pieuse postérieure à la loi du 18 germinal an X. Pour ceux-là, c'est-à-dire les rentes ou biens, qui, non aliénés, avaient été restitués aux établissements publics du culte, ils leur sont retirés. Les services publics auxquels ils avaient été affectés n'existent plus, a-t-on dit, l'affectation doit cesser. Mais on a répondu, non sans s'appuyer sur de fortes raisons tirées de l'origine des biens, que cette affectation avait eu un caractère de restitution plutôt que de concession.

C. - Une autre catégorie encore ne passera point aux associations qui se constitueraient en vue du culte. Les biens donnés par des particuliers sous une condition d'affectation scolaire ou charitable seront transférés à des établissements publics ou d'utilité publique, ayant une

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