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cevoir combien ce procédé assurait peu, en certains cas, leur indépendance.

C'est dans ces conditions que survint en 1807 la confection du code de commerce et l'insertion au livre II des dispositions sur le commerce maritime, généralement empruntées à l'ordonnance de 1681.

Il résulte des travaux préparatoires qu'on y entendit se placer exclusivement au point de vue des intérêts privés du commerce, « tout ce qui appartient à l'administration, à la police, au droit public n'a pas été jugé devoir faire partie du code de commerce. Ce sera l'objet d'un code particulier » (1).

En ce qui concerne la visite, il semble qu'il y ait eu hésitation à en parler dans le code. Mais la cour de Rouen fit observer (2) que « les règlements rendus à cet égard ont été négligés; il en est résulté nombre de naufrages; si l'on en fait un article dans le code, peut-être sera-t-il plus strictement observé ». Ainsi fut inséré l'article 225 (3), qui figure actuellement au code de commerce. A la différence des dispositions, ci-dessus rappelées, de l'ancienne ordonnance de Colbert, la loi édicta pour le capitaine l'obligation de faire procéder à la visite et non pas seulement de la « souffrir », et l'obligation d'y faire procéder avant de prendre charge et non au départ. Ces modifications, qui rappellent les dispositions de la déclaration précitée de 1779, ont été expliquées (4) en disant que « la disposition de l'ordonnance était mesurée sur l'objet que sous son empire avait la visite... Elle prescrivait la visite du bâtiment non seulement dans l'intérêt des chargeurs et afin qu'ils ne fussent pas trompés par un capitaine téméraire, mais encore sous des rapports d'ordre public... Toutes ces vérifications ne pouvaient être utilement faites qu'au moment du départ... Mais le code de commerce, qui ne concerne que les contrats maritimes, n'ordonne la visite que pour reconnaître si le vaisseau est en état de faire le voyage et alors il vaut mieux qu'elle soit faite avant le chargement... Les règles sur la visite, considérée comme précaution d'ordre public, seront établies par le code maritime. » Le conseil d'État renvoya purement et simplement aux formes prescrites par les règlements sur la question de savoir comment la visite serait faite c'était et c'est resté, jusqu'à la loi du 17 avril 1907, la loi des 9-13 août 1791, précitée. On sait que jamais le code maritime, dont parlaient en 1807 les rédacteurs du code de commerce, n'a été fait.

(1) Locré, Esprit du code de commerce (éd. 1811), t. III, p. 1; Exposé des motifs, de Bégouen, procès-verbal du 8 septembre 1807, n° 6.

(2) Observations des tribunaux de cassation et d'appel sur le projet de code de commerce (Paris, an XI), t. I, p. 271.

(3) Code de commerce, art. 225: « Le capitaine est tenu, avant de prendre charge, de faire visiter son navire, aux termes et dans les formes prescrites par les règlements. Le procès-verbal de visite est déposé au greffe du tribunal de commerce; il en est délivré extrait au capitaine. (4) Locré, op. cit., t. III, p. 91.

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En résumé, l'état de choses existant au moment de la loi nouvelle était le suivant les navires étaient soumis à une visite avant leur mise en armement et avant leur mise en charge, aucune visite n'était plus prescrite au moment même du départ, avant de prendre la mer (1), contrairement à ce qu'exigeait jadis l'ordonnance de Colbert. De là un grave défaut de surveillance de l'état de navigabilité du bâtiment. D'autre part, le caractère de droit privé poursuivi par le code de commerce et consacré d'ailleurs par les sanctions édictées, n'était pas sans · conséquences fâcheuses; on avait pu en conclure notamment qu'il n'y avait pas à cet égard de dispositions applicables aux navires étrangers, et cependant on aurait compris, disent MM. Lyon-Caen el Renault (2), que dans un intérêt de police le législateur eût posé une règle commune à tous les bâtiments quelle que fût leur nationalité; on trouve dans les législations étrangères des dispositions de ce genre ayant cette étendue. » Le législateur de 1907 n'a pas manqué de se préoccuper de cette question (3).

Si on considère, enfin, que légalement la visite ne devait s'appliquer qu'aux navires au long cours, qu'en fait cependant on appliquait encore (4) aux navires de pêche et de petit cabotage l'ancienne déclaration de 1779, quoique abrogée (5), que pour certains navires (navires à vapeur, grande pêche, paquebots subventionnés, navires à services réguliers, navires à émigrants) des dispositions spéciales étaient venues peu à peu se superposer à l'ancienne législation, que les experts visiteurs, choisis (malgré l'ancien nom conservé de « visite d'amirauté ») par le tribunal de commerce et non par l'État, ne présentaient pas de garanties suffisantes d'indépendance, qu'ils n'étaient soumis à aucun contrôle, qu'en fait les visites étaient souvent peu sérieuses (6), — on reconnaîtra que la nécessité d'une refonte législative était urgente dans une matière touchant d'aussi près à l'ordre public, à la sécurité des personnes et des intérêts commerciaux, à la prospérité même de notre pavillon.

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La seconde partie de la loi nouvelle sur la réglementation du travail à bord se rattache étroitement à la première, car c'est encore pourvoir à la sécurité de la navigation que d'assurer à bord un service régulier par un personnel suffisant et d'empêcher à cet égard des abus, causes trop fréquentes d'indiscipline des équipages, voire même de graves catastrophes.

(1) V. Lyon-Caen et Renault, Traité de droit commercial, t. V. p. 374, 378, no 542, 549.

(2) Lyon-Caen et Renault. op. cit., no 548, p. 377.

(3) V. ci-après les articles 3 et 7 de la loi.

(4) Règlement de 1866, art. 184-2°; Lyon-Caen et Renault, op. cil., no 544, p. 376.

(5) Cass. 10 mai 1847, Dall. 47.2.121; Cass. 19 février 1852, Dall. 52.5.376; Cresp et Laurin, Droit maritime, t. I, p. 581.

(6) Lyon-Caen et Renault, op. cit., t. V, p. 378, u° 549.

Jusqu'ici, cependant, le législateur français s'était peu préoccupé de ces questions. En ce qui concerne le personnel, la loi se bornait à imposer d'une façon générale l'obligation de confier le commandement à un capitaine dûment breveté, d'embarquer dans certains cas tel ou tel officier ou marin, et de confier la conduite des machines à des mécaniciens dûment brevetés (1). Si l'obligation d'embarquer un personnel suffisant existait, en fait, pour le capitaine, c'était seulement d'une façon indirecte et en raison de la responsabilité générale lui incombant dans l'exercice de ses fonctions et dans sa mission de former l'équipage (2). En droit, le capitaine pouvait embarquer aussi peu d'hommes qu'il lui plaisait; i agissait ainsi sous sa responsabilité; si l'insuffisance de l'équipage était cause d'un sinistre, le capitaine devait répondre de son imprudence selon le droit commun et l'on a pu juger qu'en l'absence de disposition légale, le fait d'envoyer à la mer un navire monté en officiers de telle sorte que le service de quart et par là même la direction d'un navire chargé de passagers soit confié à un simple matelot illettré, embarqué comme maître d'équipage, était chose parfaitement légale et licite, n'entraînant aucune responsabilité pour l'armement, quelque catastrophe qu'un tel acte ait entraîné (3).

La visite, comme on l'a vu, ne comportant à aucun titre le contrôle des effectifs, personne n'avait mission d'empêcher le départ d'un navire pourvu d'un équipage insuffisant et de forcer un capitaine à augmenter son personnel.

Est il besoin d'insister sur la gravité d'un pareil état de choses? Quant à la réglementation des heures de travail à bord, la législation ne présentait aucune disposition; la matière était, en droit, laissée à la liberté des conventions; en fait, elle était surtout réglée par les règlements intérieurs des entreprises d'armement, règlements souvent inspirés d'ailleurs par de très anciens usages des ports, usages plus ou moins modernisés soit spontanément, soit sous la pression de grèves.

Si, aux différents points de vue que nous venons d'examiner, on compare notre législation avec les législations étrangères, la France apparaissait comme se signalant entre toutes les puissances maritimes par son indifférence.

Dans la plupart des pays maritimes, en effet, en Angleterre et en Allemagne notamment, la loi a prescrit de rigoureuses mesures de sécu

(1) V. sur le personnel des machines le décret du 1er février 1893, art. 28; sur l'embarquement d'un médecin le décret du 17 septembre 1864; sur le personnel des bateaux destinés à la pêche à Terre-Neuve les décrets des 12 février 1892, 16 février et 29 avril 1899; sur l'embarquement obligatoire des mousses, le règlement de 1866, art. 24, al. 5; sur les navires à émigrants, le décret du 15 mars 1861, art. 15. Voir à cet égard le rapport de M. Chautemps, au Sénat, loc. cit., p. 39 et s.

(2) Code de commerce, art. 221, 223.

(3) V. trib. civ. Marseille, 29 mars 1906 (aff. de l'Insulaire et du Liban), dans Autran, t. XX, 1906, p. 48, 55.

rité et d'hygiène à bord et les moyens d'empêcher l'expédition des navires innavigables ou insuffisamment montés en hommes (1). Certains pays ont été jusqu'à adopter le principe d'une fixation des effectifs (2). La législation la plus récente sur les gens de mer, la Seemanns-ordnung allemande de 1902 (3) a, sinon directement imposé des effectifs, du moins réglementé dans la mesure du possible, le temps de travail à bord.

Dès 1901, à la suite des travaux d'une commission, dite « de la sécurité maritime » instituée en 1892 sous la présidence de M. Félix Faure, le département de la marine (ministère de M. de Lanessan) avait déposé un projet de loi sur les visites des navires, en vue de réformer et de compléter les dispositions antérieures. Postérieurement, en 1903, un autre projet fut déposé par le même département (ministère de M. Pelletan) dans le but de réglementer dorénavant les effectifs et les heures de travail à bord. Ce dernier projet fut à la Chambre l'objet d'une enquête approfondie; il fut voté par la Chambre sans discussion et renvoyé au Sénat. A la suite de diverses critiques, la commission de la marine du Sénat rédigea, d'accord avec le ministre de la marine, M. Thompson, un texte nouveau combinant et complétant l'ancien projet de M. de Lanessan et le projet voté par la Chambre. C'est ce texte qui est devenu la loi du 17 avril 1907.

La loi nouvelle prévoit désormais, en principe une visite des navires avant toute mise en service, une visite annuelle et enfin une visite de partance au moment du départ. Ces visites portent tout à la fois sur l'état de navigabilité et sur l'hygiène à bord. Elles sont désormais confiées à des commissions de visites, composées de façon à assurer l'impartialité et le contrôle supérieur des opérations.

Sans fixer de chiffres, quant aux hommes d'équipage, la loi prescrit, suivant le tonnage et le genre de navigation, les officiers à embarquer; elle détermine le nombre normal d'heures de travail et prévoit le réglement des heures supplémentaires, en distinguant d'ailleurs selon que le navire est en mer ou dans le port.

La loi prévoit un certain nombre de règlements d'administration publique, destinés à en assurer l'application pratique. Ces règlements sont actuellement en cours d'élaboration par les soins du département de la marine et du conseil supérieur de la navigation maritime.

Enfin, il importe de constater l'utilité particulière et le profit que le législateur a trouvé ici dans l'étude du droit comparé, tant pour profiter

(1) Voir notamment en Angleterre les Merchant Shipping Acts de 1894 et 1906 et les instructions du Board of Trade; en Allemagne, les arrêtés du Bundesrat des 1er, 2 et 3 juillet 1995, rendus en conformité de la Seemannsordnung de 1902.

(2) V. au Chili la Ley de navigacion du 24 juin 1878; en Nouvelle-Zélande la loi n° 62 de 1894; en Autriche-Hongrie, loi du 7 mai 1879 (Annuaire de législ. étrang., 1880. p. 301), art. 12; aux États-Uuis, Rev. Stat., sect. 4556 et s., loi du 21 décembre 1898; en Italie, Règlement de la marine marchande, art 437; Lois maritimes scandinaves, art. 26.

(3) Annuaire de législation étrangère, 1903, p. 79.

de l'expérience acquise que pour tenir compte des conditions faites aux armements maritimes dans les différentes marines concurrentes.

TITRE 1er.

DE LA SÉCURITÉ DE LA NAVIGATION MARITIME.

CHAPITRE 1.

Navires nouvellement construits et navires nouvellement acquis à l'étranger.

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Art. 1er. Aucun navire français à voiles, à vapeur ou à propulsion mécanique, de commerce ou de pêche ou de plaisance, de plus de 25 tonneaux de jauge brute, ne peut être mis en service sans un permis de navigation délivré par l'administrateur de l'inscription maritime après constatation, par la commission prévue à l'article 4 ci-après :

1° Que toutes les parties du navire sont dans de bonnes conditions de construction et de conservation, de navigabilité et de fonctionnement, ou que le navire est coté à la première cote d'un des registres de classification désignés par arrêté du ministre de la marine, après avis du conseil supérieur de la navigation maritime;

2o Qu'il a été satisfait au règlement d'administration publique prévu à l'article 53 ci-après, concernant l'aménagement, l'habitabilité et la salubrité des locaux de toute nature;

3o Que le navire est pourvu des instruments et documents nautiques, ainsi que des objets d'armement et de rechange énumérés dans le même règlement ;

4o Que l'installation à bord et le fonctionnement des embarcations et des appareils ou engins de sauvetage, ainsi que le matériel médical, sont conformes aux dispositions du même règlement ;

5° Que les prescriptions de ce règlement relatives au calcul du tirant d'eau maximum et aux marques indiquant ce maximum sur la coque du navire ont été observées. Le certificat de franc bord délivré par une société de classification reconnue par le ministre de la marine pourra tenir lieu de cette constatation;

6° S'il s'agit d'un bateau à vapeur, ou qui comporte des appareils à vapeur, que ces appareils satisfont aux conditions qui seront

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