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Le fond de la campagne diplomatique en faveur de la Pologne, en 1831 comme en 1863, consistait donc dans cette affirmation des puissances occidentales à savoir que la Russie avait contracté par le traité de 1815 l'obligation de posséder la Pologne comme État séparé et constitutionnel; que c'est seulement sous cette condition que ces puissances avaient consenti à la réunion de la plus grande partie du duché de Varsovie aux États de l'empereur de Russie, et que, par conséquent, les institutions dont la Pologne était dotée par suite de ces arrangements se trouvaient sous la garantie collective de ces puissances.

L'exposé que nous avons donné des négociations qui ont eu lieu en 1815 démontre clairement l'inexactitude de cette prétention. Il est vrai que la France et l'Angleterre avaient exprimé leurs sympathies pour la reconstitution de la Pologne, et que le prince de Metternich regrettait quelquefois à haute voix la faute politique commise par Joseph II et Kaunitz 40 ans auparavant. Mais tout cela se passait incidemment pour donner l'explication que l'opposition de ces Gouvernements aux projets de l'empereur Alexandre ne signifiait pas qu'ils étaient ennemis de la résurrection polonaise. Lord Castlereagh déclarait sans façon que l'empereur invoquait cette résurrection pour réaliser plus facilement ses projets ambitieux et que la Pologne, reconstituée sous l'autorité russe, était à ses yeux un danger permanent pour les voisins de la Russie. Les instructions de Louis XVIII déclaraient de leur côté que la France se désintéressait de la restauration polonaise, puisque la Russie poursuivait cette idée « non pas pour perdre ce qu'elle possédait déjà, mais pour acquérir ce qu'elle ne possédait pas ».

Les Notes diplomatiques anglaises et françaises de 1831 et de 1863 nous montrent le Congrès de Vienne poursuivant la réparation des injustices du passé, plein de respect pour la sainte cause des nationalités et n'ayant rien plus à cœur

que de satisfaire les aspirations patriotiques et les tendances libérales des Polonais. Les hommes d'État de l'époque, tels que nous les présentent ces notes, désiraient ardemment l'indépendance complète de la Pologne, seulement la dure nécessité les obligeait de transiger. Pour éviter une nouvelle crise après les grandes guerres qui venaient heureusement d'être terminées, ils durent se résigner à accepter une demi-mesure. Mais le Congrès de Vienne ne se piquait pas en général d'une grande estime ni pour les aspirations nationales, ni pour les idées libérales. Ce qui absorbait les pensées des diplomates qui le composaient, c'était l'établissement de l'équilibre, c'étaient les précautions à prendre contre toute possibilité de retour à la monarchie universelle. Le Congrès sacrifiait à cette idée l'Italie, morcelée en une foule de petits États placés sous la tutelle de l'Autriche; la Belgique, réunie sans son consentement à la Hollande. En Pologne, il ne s'agissait pas d'autre chose. La vérité est qu'on s'en occupait beaucoup à Vienne; mais ce n'était pas pour procéder à la réparation des iniquités commises envers la vaillante nation qui, deux siècles auparavant, avait sauvé la chrétienté. Le Congrès se préoccupait uniquement de la grande puissance de la Russie et des visées ambitieuses de l'empereur Alexandre. La constitution du royaume polonais uni à l'empire russe était considérée comme une arme dangereuse placée entre les mains de la Russie. C'est après de longues négociations que la Russie avait obtenu du Congrès le droit de rétablir le « royaume de Pologne et de le doter d'une constitution, en se faisant délier, sous ce rapport, de l'obligation contractée envers l'Autriche et la Prusse en 1797. C'est encore l'empereur Alexandre qui avait pris l'initiative de la stipulation des privilèges accordés aux Polonais dans toute l'étendue de leur ancien royaume.

En résumé, il résulte des négociations de 1815 que l'initiative des privilèges à accorder aux Polonais, ainsi que la

formation d'un royaume de Pologne uni à la Russie, appartient à l'empereur Alexandre; que ce projet de l'empereur a été vu dès le début avec une grande méfiance par l'Autriche, l'Angleterre et la France; que les discussions ont été entamées avec la Russie à la fois sur la question du partage territorial et sur la question de l'organisation politique du duché de Varsovie; que les trois puissances, suivant en cela l'avis donné par le prince de Hardenberg, se sont montrées plus coulantes sur la seconde question pour obtenir à leur tour des concessions sur la première, et que, finalement, elles ont laissé pleine liberté à l'empereur Alexandre d'appliquer en Pologne son programme politique, en échange de l'indépendance et de la neutralité de Cracovie, la cession du grandduché de Posen et de Thorn à la Prusse et la garantie mutuelle stipulée par les trois copartageants pour leurs provinces polonaises. Les puissances qui avaient dirigé le règlement de la question polonaise avec la Russie n'avaient nullement l'idée de demander un minimum de libertés et d'autonomie pour la Pologne; elles ne cherchaient qu'à prémunir les États voisins de la Russie contre la propagande russe dans les provinces polonaises qui leur appartenaient. L'intérêt supérieur de l'équilibre européen était seul en jeu. En supprimant la constitution de 1815, l'empereur Nicolas s'était conformé aux vœux exprimés par les plénipotentiaires réunis au Congrès de Vienne.

On s'était souvent efforcé de mettre en opposition la politique poursuivie à Vienne par l'empereur Alexandre avec celle de ses prédécesseurs, en particulier avec celle de Catherine II. On représentait le premier comme réparateur de l'injuste politique des partages inaugurée par la seconde. Mais le partage de la Pologne n'avait jamais été poursuivi par Catherine. L'impératrice n'y avait consenti qu'à regret, en présence de complications habilement exploitées par le Grand Frédéric. Elle et ses ministres allaient même jusqu'à considérer toute

partie de la Pologne acquise par une des puissances allemandes comme un sacrifice fait directement par la Russie. Plus favorisé par les événements, et en état de dicter sa volonté, Alexandre poursuivait le but constant de la politique russe l'union des deux peuples slaves, sous la haute direction de la Russie. Tout ce qu'il y avait de nouveau, d'original dans les idées d'Alexandre, c'était l'application du gouvernement constitutionnel en Pologne, ce qui s'explique par l'éducation libérale que ce monarque avait reçue. Sans les désenchantements ultérieurs, il aurait peut-être doté la Russie du même système gouvernemental.

Les horizons de la politique russe s'étendaient bien au delà de la Pologne. La Russie poursuivait le groupement de toutes les nationalités slaves sous son hégémonie. Catherine en posait déjà les bases dans le traité de Koutchouk-Kaïnardji (1774), et tous ses successeurs jusqu'à nos jours ont continué la même politique avec une persévérance et un esprit de suite dignes de l'ancienne Rome. Cette politique russe rencontrait dans toutes ces manifestations, soit une opposition armée, soit au moins une sourde inimitié des puissances européennes. Chaque fois que la Russie levait le bouclier pour assister une nationalité slave dans ses tentatives d'émancipation contre une domination étrangère, l'Europe n'hésitait pas à se mettre au travers de son action, sacrifiant la justice et l'humanité plutôt que de permettre une nouvelle extension de l'influence russe. Plus tard, lorsque ces mêmes nationalités slaves montrèrent qu'elles n'étaient pas du tout disposées à accepter toutes les prétentions que la Russie déduisait de son droit d'aînesse, l'Europe se prononçait en faveur de leur pleine indépendance. C'est là la raison de l'attitude des puissances en 1815 et de leur intervention dans le but opposé en 1863, comme c'est encore l'explication de leur conduite inégale de 1878 et de 1885 vis-à-vis de l'union bulgare.

L'intervention diplomatique de 1863, de même que celle de 1831, n'a rapporté aucun profit à la Pologne. Mais en revanche elle portait dans ses flancs les désastres de 1870 et les dures conditions des préliminaires de Versailles et du traité de Francfort. Le 24 février 1871, l'empereur d'Allemagne écrivait à l'empereur de Russie : « Jamais la Prusse n'oubliera que c'est à vous qu'elle doit que la guerre n'a pas pris des dimensions extrêmes. Que Dieu vous en bénisse. Pour la vie, votre ami reconnaissant, Guillaume. >>

Nous espérons avoir démontré que le traité de 1815 ne garantissait en aucune façon l'existence d'un gouvernement national et constitutionnel pour la Pologne russe, sans vouloir blâmer pour cela les aspirations légitimes des patriotes polonais. L'empereur Napoléon III disait, dans son discours d'ouverture du Corps législatif, qu'il était intervenu en faveur des droits de la Pologne, parce que ces droits étaient « inscrits dans l'histoire et dans les traités ». Nous ne nous inscrivons en faux contre cette assertion qu'en tant qu'elle se rapporte aux traités de 1815.

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Les États confédérés de l'Hélvétie firent, jusqu'aux traités de Westphalie, officiellement partie du saint-empire romain, et ce n'est qu'en 1648 que leur indépendance fut formellement reconnue. En fait, à partir du milieu du XIVme siècle, leur dépendance n'était plus que nominale.

Tout le monde connait le récit poétique de la fondation de la liberté suisse dans la vallée du Grütli, la nuit du 7 au 8 novembre 1307, récit traité aujourd'hui de légende par l'impitoyable critique historique. Ce qu'il y a de certain, c'est que la Confédération helvétique fut fondée dès le commence

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