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Les moyens employés pour le maintien de l'équilibre peuvent se ramener à deux ordres d'idées : 1o la conservation de l'état de choses existant, et particulièrement de l'indépendance et de l'intégrité des États qui n'ont pas la force suffisante pour se défendre eux-mêmes; 2° le système des partages ou des acquisitions compensatoires. Le premier système, le système de conservation, est le moyen normal, car il y a rarement dans un partage des lots pour tous, et puis surtout chacun des copartageants demande pour soi la part du lion et doit attendre pour la prendre des circonstances exceptionnelles. Les traités de garantie ne sont qu'une des formes sous lesquelles se manifeste cette tendance de conservation.

Ces traités remplissent ainsi souvent le même rôle que les traités d'alliance défensive. Bien des traités d'alliance stipulent même expressément la garantie mutuelle de l'intégrité et de l'indépendance, et le plus grand nombre d'auteurs rangent ces traités parmi les traités de garantie. On pourrait même dire que tous les traités d'alliance contiennent implicitement la clause de garantie, et l'on devrait alors, pour être logique, confondre, comme le fait Heffter, les deux espèces de traités. Mais, tout en reconnaissant qu'on pouvait à la rigueur distinguer dans la personne de chaque allié le garant et le garanti et leur attribuer à chacun les droits et les devoirs résultant de ces deux situations, nous croyons qu'on doit séparer nettement ces deux espèces de traités. Même lorsque les traités d'alliance sont uniquement inspirés par l'idée de la conservation, malgré toute l'analogie que leur but présente avec la tendance réelle ou supposée des traités de garantie, ils gardent toujours leur caractère particulier. Le traité d'alliance est inspiré par l'idée de la conservation propre menacée directement par certaines éventualités, tandis que la conservation propre apparait plus éloignée dans les traités de garantie: le garant respecte et protège le ga

ranti pour ne pas être atteint plus tard lui-même. La position réciproque de deux alliés est égale, et les services qu'ils se rendent mutuellement sont les mêmes, tandis que les rôles de garant et de garanti, les droits et les devoirs qu'ils contractent diffèrent profondément.

Le garant et le garanti ne se rendent pas les mêmes services, et même les obligations du garanti envers le garant ne sont, en règle générale, que passives. Elles ne consistent qu'à se maintenir dans une attitude qui soit de nature à faciliter au garant l'accomplissement de sa mission. Le garant seul s'engage à agir pour assurer la souveraineté ou l'exercice de certains droits au garanti.

Le garant apparaît en quelque sorte comme protecteur des droits du garanti. Ce qui sépare cependant la garantie d'un véritable protectorat, c'est que ce dernier constitue nécessairement une tutelle, tandis que le rôle de garant ressemble plutôt à celui de mandataire. L'État garanti reste, au moins en droit, absolument indépendant de ses garants. Sa personnalité internationale ne se trouve point diminuée par le fait de la garantie. Une conséquence pratique qui en dérive est que, tandis que le protectorat se prête difficilement à un exercice collectif, la garantie supporte très bien la collectivité et se trouve même généralement stipulée collectivement par plusieurs puissances. Dans certains cas, cependant, notamment lorsque la garantie se rapporte à la constitution intérieure d'un pays ou lorsqu'elle est accordée à une dynastie régnante, la différence qui la sépare du protectorat devient bien moins sensible.

On rencontre, dans les traités et autres actes internationaux, les stipulations qui garantissent les différentes applications des principes déjà universellement reconnus ou qui viennent seulement d'être introduits dans le Droit positif. Tels sont, par exemple, la suppression de la traite des noirs, les mesures communes prises contre la piraterie, et la pro

clamation de la liberté de navigation sur les fleuves internationaux admises par le Congrès de Vienne; tels sont encore les applications de ce dernier principe par la Conférence de Londres, à l'Escaut, et par le Congrès de Paris, au Danube. Ce ne sont pas là des traités de garantie. De pareilles stipulations ne sont point destinées à affecter particulièrement la condition d'un État déterminé, et il n'y a point là de droits et de devoirs différents qui mettraient un État dans la situation de garanti et l'autre dans celle de garant. On pourrait prétendre que tous les États contractants sont les garants des principes qu'ils viennent de proclamer, mais si on voulait donner ce sens à la garantie, il n'y aurait pas de raison pour s'arrêter, puisque, en effet, tout le Droit international se trouve sous la garantie des différents États qui le pratiquent, soit en vertu de leurs engagements contractuels, soit par suite des anciens usages.

Ce qu'il y a donc d'essentiel dans les traités de garantie, ce qui constitue leur individualité distinctive parmi les traités internationaux, c'est le fait de placer les personnes internationales qui les contractent dans deux situations différentes celle du garant et celle du garanti. Ils créent pour chacune d'elles des droits et des devoirs spéciaux, plus ou moins étendus. Quels sont ces droits et ces devoirs? Cela dépend de l'objet du traité et de l'intention des parties manifestée explicitement ou implicitement par les stipulations ou modalités qui y sont contenues.

2. OBJET DES TRAITÉS DE GARANTIE.

On peut diviser les traités de garantie existants, d'après l'objet auquel ils se rapportent, en quatre classes:

a. Garantie de l'indépendance et de l'intégrité territoriales;

b. Garantie de la neutralité perpétuelle ;

c. Garantie pour le maintien d'un gouvernement;

d. Garantie de certains droits publics, politiques ou civils en faveur des citoyens ou d'une catégorie de citoyens dans un État indépendant.

A. Garantie de l'indépendance et de l'intégrité territoriale. --Les traités qui garantissent l'intégrité territoriale et l'indépendance des États qui n'ont pas la force de se défendre eux-mêmes tendent incontestablement au maintien de l'équilibre existant. Tels sont le traité du 13 février 1832, confirmé par celui du 13 juillet 1863, par lequel la France, la Grande-Bretagne et la Russie garantissent l'indépendance et l'intégrité territoriale de la Grèce; le traité du 8 mai 1852, par lequel l'Autriche, la France, la Grande-Bretagne, la Prusse, la Russie et la Suède garantissaient l'intégrité de la monarchie danoise; les deux traités, du 30 mars 1856, entre l'Autriche, la France, la Grande-Bretagne, la Prusse, la Russie, la Turquie et la Sardaigne, et du 15 avril de la même année,entre les trois premières puissances, qui garantissaient l'intégrité et l'indépendance de l'empire ottoman; telle était enfin la garantie européenne accordée par l'Acte final de Vienne (9 juin 1815), à l'intégrité territoriale et à l'indépendance intérieure des États qui composaient la Confédération germanique.

Tous ces traités imposent toujours au garant, qu'il n'y en ait qu'un seul ou qu'il y en ait plusieurs, l'obligation de s'abstenir de tout acte attentatoire à l'indépendance et à l'intégrité qu'il a garanties. Mais cette obligation purement passive n'est pas suffisante pour constituer une véritable garantie; elle ne serait, en somme, que la consécration du Droit commun. Si la garantie est donnée sans aucune restriction, si par conséquent elle oblige le garant non seulement à respecter mais aussi à faire respecter, il est de toute évidence que le garant serait tenu de prêter au garanti

son concours moral et matériel pour empêcher ou pour repousser toute agression. Une puissance étrangère prétend-elle qu'il y a eu provocation de la part de l'État garanti, elle doit, pour éviter une intervention ultérieure, s'adresser aux puissances garantes avant de confier la solution du litige au sort des armes. C'est seulement lorsque tous les moyens pour aplanir le différend ont été épuisés que le garant a le droit de se désintéresser et que la puissance provoquée peut demander sa satisfaction par les moyens coercitifs. En un mot, toutes les contestations entre l'État garanti et une tierce puissance impliquent l'intervention du garant et deviennent en quelque sorte leur question propre. L'art. 7 du traité du 30 mars 1856, après avoir stipulé la garantie de l'intégrité et de l'indépendance de l'empire ottoman, déclare que les puissances garantes << considèreront en conséquence tout acte de nature à y porter atteinte comme une question d'intérêt général »; et l'art. 8 ajoute cette autre disposition: « S'il survenait entre la Sublime Porte et l'une ou plusieurs des autres puissances signataires un dissentiment qui menaçât le maintien de leurs relations, la Sublime Porte et chacune de ces puissances, avant de recourir à l'emploi de la force, mettront les autres puissances contractantes en mesure de prévenir cette extrémité par leur action médiatrice. »

Mais les puissances garantes ne sont pas toujours disposées à assumer cette responsabilité qui les exposerait, le cas échéant, à la dure nécessité de soutenir une guerre, au moment peut-être où leur état intérieur leur imposerait le repos, alors que leurs intérêts vitaux ne se trouvent pas engagés. Nous ne doutons pas qu'en pareil cas les engagements les plus positifs et les plus solennels ne soient violés; nous en fournirons la preuve suffisante dans cette Étude. Vaut-il mieux, écrivait le Grand Frédéric, que le peuple périsse ou que le prince rompe son traité ? Quel serait

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