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Ces dispositions hostiles, que la Prusse rencontrait non seulement dans les États du Midi, mais aussi chez ses confédérés et parmi les populations récemment annexées, ainsi que le ressentiment de l'Autriche, qui poussait activement sa transformation intérieure et sa réorganisation militaire, me-naçaient d'ajourner indéfiniment l'achèvement de l'unité allemande. Mais l'homme providentiel de M. de Bismarck, Napoléon III, tira encore une fois la Prusse de l'embarras, et cette fois-ci aux dépens de la France. L'empire allemand fut proclamé à Versailles, le 15 novembre 1870. Le 16 avril 1871, fut promulguée la nouvelle constitution de l'Empire, qui est presqu'une reproduction littérale de celle de la Confédération du Nord. Les mêmes pouvoirs centraux furent maintenus, sauf que le président de la Confédération était devenu l'empereur d'Allemagne. La position des États composant l'empire restait identique à celle qu'avaient les membres de la Confédération du Nord, sauf quelques privilèges spéciaux réservés à la Bavière.

La disparition de la Confédération germanique et la transformation de l'Allemagne en un empire unitaire et militaire portaient un coup décisif à l'oeuvre du Congrès de Vienne. Les conditions vitales, non seulement de l'Allemagne, mais de l'Europe entière, furent par là modifiées. En 1863, lorsque Napoléon III proposait la réunion du Congrès général européen pour la revision de la constitution territoriale du continent, lord Russell pouvait encore répondre au réquisitoire que le Gouvernement français faisait contre les traités de 1815, que les transformations qui s'étaient opérées dans l'espace d'un demi-siècle n'avaient pas dépassé ce que l'on était en droit d'attendre «de la suite du temps, des progrès de l'opinion, de la politique mobile des Gouvernements et des besoins variables des peuples ». Et en effet tous les coups de canif qui égratignaient le traité de Vienne ne touchaient en rien les conditions d'existence des grandes puissances.

Après 1866 et 1870, il ne restait plus rien du système artificiel de 1815.

Le temps avait fait son œuvre malgré les combinaisons diplomatiques. L'Allemagne accomplissait son unification, de même que la France l'avait faite trois siècles auparavant, en renversant l'édifice si savamment construit par les hommes d'État du Congrès de Vienne. Le principe des nationalités défini et proclamé par la Grande Révolution, qui avait commencé à labourer l'Allemagne au moment même où elle contribuait si puissamment à la restauration de l'ancien ordre en France, et qui l'avait conquise définitivement en 1848, s'était montré de taille à lutter victorieusement contre les stipulations des traités les plus solennels.

L'idée de l'unité de la patrie allemande a bien pris possession des esprits en Allemagne, et les faibles velléités séparatistes disparaissent avec une rapidité surprenante. Leipsig est peut-être aujourd'hui la ville allemande la plus impérialiste; le Hanovre est en quelque sorte le quartier général des nationaux-libéraux, et ce même parti unitaire prend aujourd'hui possession de Munich, capitale de l'État allemand le plus particulariste. « Le peuple allemand ne regrette pas l'œuvre du Congrès de Vienne, ni cette Confédération. qui était faite pour assurer le repos de l'Europe, mais ne répondait en aucune manière aux aspirations les plus légitimes des Allemands. Une nation qui a conscience de sa force ne peut se résigner à toujours accommoder ses destinées aux convenances d'autrui. Deux fois, au milieu du XVIIe siècle et au commencement de celui-ci, l'Allemagne a reçu sa constitution des mains de la diplomatie européenne. L'Europe lui déniait la personnalité; c'est pour devenir une personne que la vieille Germanie aspirait à l'unité. Si cette unité incommode l'Europe, tant pis pour l'Europe! L'Allemagne ouverte à toutes les ambitions étrangères a été, pendant trois cents ans, le champ de bataille des puissan

ces elle a tremblé aux moindres bruits de guerre. Aujourd'hui elle est fermée; ses ponts-levis sont relevés, et c'est l'Europe qui s'inquiète, c'est la France qui se trouble, lorsqu'elles croient entendre le grincement des chaines du pontlevis qui s'abaisse (1).»

Et cependant, on ne peut pas le nier, l'œuvre politique de M. de Bismarck souffre d'un certain malaise. L'Allemagne n'a pas l'air d'être tout à fait satisfaite de ses nouvelles destinées et l'histoire du Reichstag n'est qu'un long procès entre le Gouvernement impérial et la nation allemande. Nous le répétons encore, il n'y a pas là une maladie particulariste. Les souvenirs de la Diète de Francfort ne réveillent pas des regrets dans le Parlement de l'empire. La nation allemande était prête pour son unité, mais elle entendait l'accomplir par d'autres procédés. Comme toutes les solutions tranchées par un coup d'épée, la solution de la question allemande porte en soi une marque de précipitation. « En Allemagne, dit encore M. Lavisse, les esprits étaient préparés à l'unité par l'histoire et par les lettres, par la politique et par la poésie, par des raisons et par des chansons, mais cette unité a été improvisée. Elle est l'œuvre des siècles et l'oeuvre d'un jour, une conséquence et un accident (2). »

Le mécontentement en Allemagne a encore une autre raison. Dès 1815, le mouvement unitaire se confondait avec le mouvement libéral. Pendant longtemps, les unionistes en Allemagne hésitaient à placer leur confiance dans la Prusse, précisément parce que le Gouvernement prussien ne donnait aucune garantie pour les institutions libérales. Le mot d'ordre qui retentissait d'un bout de l'Allemagne à l'autre était : unité et liberté ; et la liberté était même placée avant l'unité. En 1848, le Parlement avait voté les droits du peuple allemand avant la constitution unitaire. Après 1848, les libé

(1 et 2) M. E. Lavisse, L'État politique de l'Allemagne actuelle. (Revue des Deux-Mondes du 1er juillet 1887.)

raux se flattaient de conquérir la Prusse à la liberté et d'arriver ensuite à l'unité de la patrie en fusionnant la Prusse dans l'Allemagne libérale. M. de Bismarck poursuivait de son côté l'œuvre de l'unité par l'annexion de l'Allemagne à la Prusse. C'est M. de Bismarck qui a eu gain de cause. L'Allemagne, en quelque sorte la conquête de la Prusse, a dû subir ses lois et accepter son système de gouvernement. Or, déjà en 1864, lors de la réunion du Congrès des députés allemands à Francfort, le député libéral prussien, M. Frese, s'écriait : « La Prusse ne sera libre que si elle est absorbée par l'Allemagne; mais si l'Allemagne est absorbée par la Prusse, que Dieu fasse miséricorde à ceux qui viendront après nous!» Depuis 1870, l'Allemagne lutte toujours contre le système gouvernemental prussien qui menace de l'absorber, mais l'unité de la patrie allemande n'est plus en question.

6.- LUXEMBOURG.

En 1814, lors de la chute de l'Empire français, le grandduché de Luxembourg, après avoir été démembré au profit. de la France et de la Prusse, fut, avec les provinces belges, réuni au nouveau royaume des Pays-Bas et rattaché en même temps à la Confédération germanique. L'art. 3 du traité du 31 mai 1815 passé entre le roi des Pays-Bas et les quatre Cours alliées stipulait ainsi cette cession : « Le grand-duché de Luxembourg, servant de compensation pour les principautés de Nassau-Dillenbourg, Siegen, Hadamar et Dietz, formera un des États de la Confédération germanique, et le prince-roi des Pays-Bas entrera dans le système de cette Confédération, comme le grand-duc de Luxembourg, avec toutes les prérogatives et privilèges dont jouiront les autres princes allemands. La ville de Luxembourg

sera considéré, sous le rapport militaire, comme forteresse de la Confédération. » Cette décision fut confirmée dans les protocoles de la Conférence des quatre plénipotentiaires du 3 et du 21 novembre 1815, par lesquels la Grande-Bretagne, la Russie et l'Autriche s'engagèrent à employer leurs bons offices dans le but d'obtenir pour la Prusse le droit de tenir garnison dans la forteresse.

Le traité du 8 novembre 1816, entre les Pays-Bas et la Prusse, décida que les deux États tiendraient en commun la garnison dans la forteresse de Luxembourg, «sans que cet arrangement, fait uniquement sous le rapport militaire, pút altérer en rien le droit de souveraineté de S. M. le roi des Pays-Bas, grand-duc de Luxembourg, sur la ville et la forteresse.» La garnison devait être composée, pour les trois quarts, de troupes prussiennes et, pour un quart, de troupes du royaume des Pays-Bas. Le roi des Pays-Bas cédait au roi de Prusse le droit de nommer le gouverneur et le commandant de la forteresse.

En 1830, le grand-duché tout entier, à l'exception de la ville, fit cause commune avec la révolution belge. Par suite de l'inacceptation du traité du 15 novembre de la part du roi des Pays-Bas, il resta de fait, jusqu'en 1839, partie intégrante de la Belgique. Le traité du 19 avril 1839, en démembrant encore une fois le grand-duché, attribua une moitié de son territoire à la Belgique. L'autre moitié, avec la ville et la forteresse, fut restituée à la maison d'Orange. Le reste du grand-duché conservé au roi de Hollande fut gouverné désormais comme un État à part, ayant ses institutions et ses lois particulières. La séparation devint encore plus complète lorsqu'on créa en faveur d'un prince du sang la charge de << lieutenant du roi grand-duc pour les affaires luxembourgeoises >>.

Les liens qui rattachient le grand-duché à la Confédération furent renforcés par son entrée dans le Zollverein (traité du

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