Page images
PDF
EPUB

d'acquérir par succession un Etat faisant partie de l'Allemagne, la Prusse leur étant substituée par suite de l'annexion.

L'art. 2 stipule la neutralisation du grand-duché sous la garantie européenne en termes suivants : « Le grand-duché de Luxembourg, dans les limites déterminées par l'Acte annexé au traité du 19 avril 1839, sous la garantie des Cours. d'Autriche, de France, de la Grande-Bretagne, de Prusse et de Russie, formera désormais un État perpétuellement neutre. Il sera tenu d'observer cette même neutralisation envers tous les autres États. Les hautes parties contractantes s'engagent à respecter le principe de la neutralité stipulé par le présent article. Ce principe est et demeure placé sous la sanction collective des puissances signataires du présent traité, à l'exception de la Belgique, qui est elle-même un État neutre. >>

Les expressions qui stipulent la neutralité perpétuelle du Luxembourg sont identiques à celles employées pour la neutralisation de la Belgique dans l'art. 7 du traité de 1839. Les termes qui placent cette neutralité sous la garantie des puissances sont différents, le traité de 1839 portant simplement que «tous les articles de l'Acte annexé sont placés sous la garantie de Leurs Majestés ».

Nous avons vu que, se basant sur cette différence des termes, consistant uniquement dans la qualification « collective » donnée à la garantie concernant le Luxembourg, les ministres anglais, lord Stanley et lord Derby, avaient construit une théorie sur la distinction entre la garantie collective et la pluralité des garanties personnelles. Nous ne répéterons pas ici les considérations pour lesquelles nous trouvons cette distinction dénuée de fondement. Nous observerons seulement que les termes consacrant la garantie de la neutralité luxembourgeoise ont été conservés tels que le plénipotentiaire prussien les avait proposés. Or, ce plénipotentiaire déclarait formellement en faisant son amendement

qu'il désirait que la neutralité luxembourgeoise fût placée sous la même garantie que celle donnée à la neutralité belge. Il serait alors singulier de faire ressortir des expressions dans lesquelles il avait formulé sa proposition une différence caractéristique entre l'efficacité de ces deux garanties. Certes, ni le plénipotentiaire prussien, en faisant sa proposition, ni aucun des plénipotentiaires qui l'avaient adoptée ne se doutaient qu'on pût attribuer à l'expression << garantie collective » le sens qui lui fut donné devant le Parlement anglais.

L'art. 4 stipule l'évacuation de la forteresse par les troupes prussiennes. L'art. 3 décide son démantèlement et la défense d'y élever des fortifications à l'avenir. Il réduit encore la force armée du grand-duché à ce qui serait nécessaire pour maintenir l'ordre et la sécurité intérieure. L'art. 5 charge le roi grand-duc, en sa qualité de souverain du grandduché, d'exécuter le démantèlement.

La neutralisation du grand-duché est accompagnée des conditions spéciales auxquelles n'étaient soumises ni la Suisse ni la Belgique, et qui ne sont point des conséquences naturelles de la neutralisation. A cause de sa faiblesse, le grand-duché se serait trouvé dans l'impossibilité de protéger par ses propres forces sa neutralité et d'accomplir les devoirs qu'elle lui conférait vis-à-vis des belligérants. On avait préféré le désarmer complètement et rendre par suite la violation de son territoire moins utile et moins tentante. Une conséquence de ce désarmement est que, contrairement à la règle générale, on ne peut exiger du grand-duché la protection de sa neutralité. Tout ce qu'on pourra lui demander, c'est de ne pas être en connivence soit avec son agresseur soit avec un des belligérants.

Le 14 mai, le lendemain même du jour où le traité fut revêtu des signatures des puissances contractantes, le marquis de Moustier s'empressait d'en donner communication

au Sénat et au Corps législatif. « Ce traité, disait-il, répond pleinement aux vues du Gouvernement français. Il fait cesser une situation créée contre nous dans des mauvais jours et maintenue pendant cinquante ans ; il donne à notre frontière du Nord la garantie d'un nouvel État neutre. » Que les temps étaient changés! On voyait clairement maintenant combien les traités de 1815 étaient préférables pour la France au nouvel ordre de choses sorti des événements de 1866 En 1815, en 1831, on neutralisait les petits États voisins de la France, et on les mettait sous la garantie de l'Europe pour empêcher le débordement de la puissance française. En 1867, la France se réjouissait d'une pareille création, parce qu'elle fermait une partie de ses frontières. à l'envahissement de l'étranger!

[blocks in formation]

La question d'Orient, dans le sens qu'on attribue aujourd'hui à cette expression, date de la fin du XVIIIe siècle. Elle a ses origines dans les entreprises de la Russie et de l'Autriche réunies en vue du partage de l'Empire Ottoman, entreprises qui furent envisagées comme un grave danger pour l'équilibre européen. L'alliance faite dans ce but entre Catherine II et Joseph II rencontra une vive opposition de la part de la Prusse et de l'Angleterre, qui obligèrent les deux ailiés à conclure la paix avec la Turquie, sur la base du statu quo (l'Autriche par le traité de Svistova, et la Russie par le traité d'Iassy).

En 1774, lorsque la Russie signait avec la Turquie le fameux traité de Koutchouk-Kaïnardji qui, en proclamant l'indépendance des Tartares de Crimée, lui assurait la domination sur cette importante péninsule et par suite sur la

mer Noire, et qui plaçait sous sa protection les sujets chrétiens de la Porte, les puissances européennes ne manifestèrent pas encore un grand intérêt pour l'Empire Ottoman. La politique française, il est vrai, était généralement favorable à la Turquie à partir de François Ier; c'était pour elle une tradition. Mais, précisément pour la même raison, l'Angleterre, jalouse de l'influence prépondérante de la France, montrait pour l'Empire Ottoman une grande indifférence. Le mot de lord Chatam, qu'il ne pourrait pas discuter « avec un homme qui ne voyait pas les intérêts de l'Angleterre dans la conservation de l'Empire Ottoman », n'était pas encore devenu un axiome pour les hommes d'État anglais.

Les progrès énormes de la Russie sur la mer Noire et sur le Danube causèrent cependant, même dès cette époque, de vives inquiétudes aux hommes d'État soucieux de l'avenir. « C'est une puissance qui débordera le monde », écrivait Frédéric, et malgré ia grande intimité de ses relations avec Catherine, il s'appliquait sous main à entraver l'exécution. des visées ambitieuses de l'impératrice sur Constantinople. Le grand roi prussien désirait ajourner le procès de la succession ottomane, dans lequel il ne pouvait rien recueillir, en soulevant le débat sur la succession polonaise, dans laquelle il pouvait se tailler des lots à sa convenance. Le chancelier Herzberg se montra son digne successeur en poursuivant, quelques années plus tard, la même politique et en usant des mêmes procédés que son devancier. Il empêcha l'exécution du projet de partage de la Turquie entre la Russie et l'Autriche, tout en préparant en même temps le second partage de la Pologne entre la Prusse et la Russie.

A cette occasion, la question d'Orient fut nettement posée, et tous les bouleversements causés par les grandes guerres de la Révolution et de l'Empire ne détournèrent pas l'attention de ce côté. Napoléon y prenait un vif intérêt. A Tilsit,

pressé par la nécessité et par la passion d'humilier l'Angleterre, il consentait, au grand mécontement du prince de Talleyrand, à ce que la Russie allât jusqu'aux Balkans, mais refusa absolument de la laisser s'établir à Constantinople; il s'écria, lorsque son nouvel allié eût avancé cette proposition, que Constantinople était dans les mains de la Russie l'empire du monde. En 1810, dans une conversation avec le prince. de Metternich, alors ambassadeur autrichien à Paris, Napoléon déclarait, allant bien plus loin, cette fois-ci, qu'il ne permettrait jamais à la Russie de passer le Danube, mais que, fidèle à ses engagements contractés à Erfurth, il ne pouvait pas, à son grand regret, s'opposer à l'annexion par cette puissance de la Valachie et de la Moldavie. « Le Danube est un grand obstacle, ajoutait l'Empereur; le passage de ce fleuve avait arrêté jusqu'à présent le progrès des armées russes; mais un pouce de terrain sur la rive droite entre les mains des Russes serait, à mon avis, autant que la destruction consommée de l'Empire Ottoman (1). L'Empereur ne permettait pas non plus à son allié russe d'établir son protectorat sur un territoire quelconque au delà du Danube et surtout sur la Serbie.

Quoique la Russie, par suite des événements qui venaient rompre son alliance avec la France, n'eût pas le temps de prendre tout ce que lui abandonnait son puissant allié, les avantages conquis par elle sur la Turquie et confirmés par la traité de Bucarest, du 28 mai 1812, étaient énormes. La nouvelle frontière russe suivait le cours du Pruth à partir de son entrée en Moldavie jusqu'à son embouchure dans le Danube, et le cours de ce dernier fleuve jusqu'à la mer Noire. En même temps, la Russie inaugurait le système d'émancipation des chrétiens en Orient et de formation. d'États épsemi-indendants placés sous sa protection. L'art. 5

(1) Rapport de M. de Metternich à l'empereur François, du 28 juillet 1810. Mémoires, II, p. 369.

« PreviousContinue »