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par les moyens que le Droit international met à sa disposition.

4.

LA RUPTURE DES TRAITÉS DE GARANTIE.

Les traités de garantie, comme tous les autres traités, perdent leur validité, s'il se produit un fait qui, d'après les termes du traité, doit mettre fin à leur durée, ou si toutes les parties contractantes sont d'accord pour les dénoncer. En théorie, rien ne s'oppose à ce qu'on ajoute à de pareils traités soit un terme certain ou incertain, soit une condition suspensive ou résolutoire. Dans la pratique cependant, ils sont le plus souvent purs et simples et destinés à être perpétuels.

En règle générale, et à cette règle générale restent soumis les traités de garantie, l'inexécution des obligations de la part de l'un des contractants donne à l'autre le droit soit de le contraindre au respect du traité, soit de se considérer de son côté comme dégagé de toutes les obligations qu'il avait contractées par le même traité.

L'application de cette règle va de soi si la garantie est pure et simple. Le garant peut se refuser à fournir son assistance si la conduite du garanti est de nature à compliquer sa situation et à provoquer le juste mécontentement de ses voisins. Le garanti, de son côté, peut agir comme si le traité n'existait pas, au cas où le garant montrerait de la mauvaise volonté à lui fournir la protection promise. La bonne foi exigerait seulement de ne pas recourir à ces moyens extrêmes, avant d'avoir suffisamment prévenu son cocontractant.

Si la garantie est collective, chaque garant est engagé à la fois et envers le garanti et envers chacun de ses cogarants. Le traité ne peut pas alors être considéré comme non existant, ni par suite de l'inexécution des obligations de la part de l'État garanti, ni parce que le traité serait violé par une

puissance garante. Si un des garants portait atteinte au traité en violant le droit qu'il avait garanti, les autres garants, loin de pouvoir se considérer comme affranchis par ce fait de l'obligation de respecter ce même droit, devraient, au contraire, user de tous les moyens prévus par le traité pour faire cesser la violation. Au cas où la violation du traité proviendrait du fait de l'État garanti, il faudrait distinguer si les conséquences de cette violation retombent sur une puissance étrangère au traité, ou si c'est un garant qui en est la victime. Dans la première hypothèse, la puissance lésée n'a aucun engagement et elle n'a qu'à suivre ses intérêts. Mais les garants doivent examiner collectivement dans quelle mesure leurs obligations envers le garanti se trouvent annulées par le fait de ce dernier, et jusqu'à quel point le garanti s'est mis dans une situation incompatible avec les droits qui lui sont garantis. Les liens qui résultent entre les cogarants de la collectivité de la garantie font de la situation à laquelle cette garantie s'applique un intérêt commun, indivis, dont personne d'entre eux ne peut s'affranchir de sa propre autorité.

Si c'est une puissance garante qui a à se plaindre de la conduite de l'État garanti, elle est tenue en droit envers ses cogarants de ne rien entreprendre avant une entente préalable avec eux. Si ce traité impose au garanti l'accomplissement de certaines conditions intéressant spécialement un de ses garants, et que cette condition reste inaccomplie, ou si la conduite du garanti envers un de ses garants est de nature à amener une rupture entre eux, et même si la guerre éclate malgré tous les efforts des garants, le traité n'est pas rompu avant qu'une entente soit établie à ce sujet entre toutes les puissances garantes.

L'art. 8 du traité de 30 mars 1851 déclarait expressément : << S'il survenait entre la Sublime Porte et l'une ou plusieurs des puissances signataires un dissentiment qui menaçat le

maintien de leurs relations, la Sublime Porte et chacune de ces puissances, avant de recourir à l'emploi de la force, mettront les autres parties contractantes en mesure de prévenir cette extrémité par leur action médiatrice. » Cette action. médiatrice s'était exercée avant la dernière guerre turcorusse, par la Note Andrassy, par le Mémorandum de Berlin, et surtout par la Conférence de Constantinople et le Protocole de Londres. La guerre n'a pas pu être empêchée, parce que l'État garanti, l'empire ottoman, ne voulait tenir aucun compte des représentations des puissances garantes. Cette guerre aboutit au traité de San-Stéfano qui renversait toutes les dispositions du traité de Paris. L'Angleterre, soutenue ouvertement par l'Autriche, et, derrière la coulisse, par l'Allemagne, déclara que le traité de Paris gardait pour elle toute sa validité, tant que les puissances signataires n'auraient pas donné leur consentement aux modifications proposées. La Russie dut céder et présenter son traité au Congrès de Berlin. Tout se passa selon la stricte légalité, quoique en vérité la Russie n'eût pas cédé à la force des arguments anglais, mais au danger d'une nouvelle grande. guerre qu'elle ne se sentait pas en état de soutenir.

L'action médiatrice s'était exercée encore dans une certaine mesure, à l'occasion du conflit dano-allemand de 186364, par les puissances neutres, qui avaient, collectivement avec les deux grandes puissances allemandes, dans le traité du 8 mai 1852, garanti l'intégrité de la monarchie danoise. S'il est vrai que le Danemark se soit mis, au début, dans ses torts envers l'Allemagne, si, pendant la durée du ministère Hall, il se refusa à suivre les conseils des puissances garantes, son attitude devint très conciliante à la fin et il fit tout ce qu'un gouvernement indépendant peut dignement faire pour éviter le conflit. Et cependant, quoique les puissances fussent convaincues que l'Autriche et la Prusse rejeteraient toutes les ouvertures de conciliation, et qu'elles ne seraient

satisfaites que par le démembrement du Danemark, elles laissèrent faire cette guerre inégale et inique, en se contentant de la promesse austro-prussienne qu'aucune résolution définitive ne serait prise sans une délibération préalable entre les signataires du traité de 1852.

La France et l'Angleterre affirmèrent énergiquement que les faits qui se passaient entre l'Allemagne et le Danemark ne pouvaient en rien invalider, en ce qui les concernait, le traité qu'elles avaient signé. « Vous ferez observer en toute occasion convenable au comte de Rechberg (M. de Bismarck), écrivait lord Russell, le 20 juin 1864, aux ambassadeurs anglais de Vienne et de Berlin, que la guerre dans le Schlesvig n'affranchit pas l'Autriche et la Prusse des obligations qu'elles ont contractées par le traité de Londres envers l'Angleterre, la France, la Russie, la Suède et d'autres puissances de l'Europe. » Et M. Drouyn de Lhuys déclarait, dans la circulaire du 27 du même mois : « Les hostilités n'ont point invalidé des stipulations qui lient l'Autriche et la Prusse, non seulement avec le Danemark, mais avec plusieurs autres puissances. >

Lorsque la Conférence de Londres se réunit, le premier plénipotentiaire de la Prusse déclara « qu'il regardait le terrain de la discussion comme entièrement libre de toute restriction résultant d'engagements qui peuvent avoir existé avant la guerre ». Le comte Clarendon (second plénipotentiaire anglais) et le baron de Brunnow (premier plénipotentiaire russe) faisaient ressortir avec raison que si la guerre pouvait à la rigueur dissoudre le traité entre les belligérants, elle ne saurait en rien dégager ces mêmes belligérants des obligations qu'ils avaient contractées envers les autres puissances. Le plénipotentiaire prussien répondit à ces observations que le traité de 1852 « avait été conclu par le gouvernement Prussien avec le Danemark, et non avec d'autres puissances, et que ce n'est qu'entre Co

penhague et Berlin que les ratifications ont été échangées et non entre Berlin et Londres ou Saint-Pétersbourg, etc.»>

La théorie prussienne, qui manquait absolument d'arguments sérieux, fut détruite avec une telle vigueur par lord Clarendon que ceux même qui l'avaient formulée se virent obligés de déclarer qu'ils n'y ajoutaient pas grande importance. Le second plénipotentiaire anglais démontra que, dans les traités de garantie collective comme dans les autres traités analogues passés entre une puissance apparaissant comme le principal intéressé, et plusieurs autres agissant solidairement, il était d'une habitude constante de n'échanger les ratifications qu'avec la première. C'était notamment le cas pour le traité garantissant la neutralité de la Belgique. Le principe de l'existence des obligations entre les cogarants, indépendantes des obligations qui lient. les garants envers le garanti, sortit sain et sauf de cette discussion. Mais, hâtons-nous de l'ajouter, il n'avait pas pu empêcher la Prusse d'accomplir ses desseins et de terminer le litige en forçant le Danemark à accepter ses conditions, tout comme si les puissances garantes n'avaient pas existé.

Cette même question des obligations envers les puissances cogarantes en présence de la violation du traité par l'État garanti fut soulevée, encore par le gouvernement allemand, lors de la guerre de 1870. Le 3 décembre 1870, M. de Bismarck adressa une communication au gouvernement du grand-duché de Luxembourg. Rappelant que l'Allemagne avait déclaré vouloir respecter la neutralité luxembourgeoise, de même que celle de la Belgique, tant que la France en ferait autant, et que les États neutres ne feraient rien de compromettant pour leur neutralité, il se plaignit que ni la France, ni le grand-duché n'avaient rempli ce devoir. En présence de ces violations, le gouvernement allemand, disait M. de Bismarck, « ne se croyait plus obligé de prendre en considération dans les opérations des armées allemandes

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