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minables furent aplanies comme par enchantement. Il fallait à tout prix rétablir l'entente intime des monarques et stimuler de nouveau l'enthousiasme des peuples, qui commençaient à voir toute la fausseté des promesses qu'on leur avait faites la veille de la grande lutte de 1813. Les traités spéciaux entre l'Autriche, la Prusse et la Russie (3 mai 1815) réglèrent la question des duchés de Varsovie. Le roi de Saxe fut réinstallé sur son trône. Les États allemands, admis tous à discuter l'organisation fédérale de l'Allemagne, rédigèrent en quelques séances l'Acte fédéral (8 juin 1815), qui garantissait expressément les libertés fondamentales à tous les citoyens de la grande patrie allemande.

Tous les traités négociés et signés par les États directement intéressés, et tous les arrangements arrêtés par les différents comités du Congrès furent réunis en un traité général, Acte final du Congrès de Vienne, signé, le 9 juin 1815, par les puissances signataires du traité de Paris. (L'Espagne n'y avait accédé que le 7 mai 1817.)

Le préambule de ce traité est ainsi conçu : « Les puissances qui ont signé le traité conclu à Paris, le 30 mai 1814, s'étant réunies à Vienne, en conformité de l'art. 32 de cet acte, avec les princes des États leurs alliés pour compléter la disposition dudit traité et pour y ajouter les arrangements rendus nécessaires par l'état dans lequel l'Europe est restée à la suite de la dernière guerre, désirant maintenant comprendre dans une transaction commune les différents résultats de leurs négociations, afin de les revêtir de leurs ratifications réciproques, ont autorisé les plénipotentiaires à réunir dans un instrument général les dispositions d'un intérêt majeur et permanent, et à joindre à cet acte, comme parties intégrantes des arrangements du Congrès, les traités, conventions, déclarations, règlements et autres actes particuliers, tels qu'ils se trouvent cités dans le présent traité. »

Ce préambule établit clairement l'intérêt général attribué

à tous les arrangements négociés à Vienne, et il met toutes les stipulations sous la garantie des huit puissances signataires de l'acte final. On ne pouvait, par conséquent, y apporter légalement et juridiquement aucune modification sans le consentement de tous les signataires. Les huit puissances s'obligeaient, chacune envers toutes les autres, à respecter l'ordre international établi par le Congrès. C'était une organisation conventionnelle de l'Europe, dans laquelle chaque puissance pouvait prétendre, avec raison, que l'acceptation des clauses qui la concernaient directement était en partie motivée par les autres stipulations, qui en formaient un contrepoids. Lord Palmerston était dans le vrai lorsqu'il déclarait à la Chambre des communes, lors de l'incorporation de la république de Cracovie à l'Autriche : « Si les traités de Vienne ne sont pas bons sur la Vistule, ils ne sont pas meilleurs sur le Rhin et sur le Pô. »

Dans la déclaration rédigée le 20 février 1815, au nom du Congrès, par de Gentz, on lit le passage suivant, touchant la pensée qui avait inspiré les arrangements arrêtés par le Congrès « Les souverains sont plus que jamais convaincus que le vrai fondement de la sûreté et de la force des États se trouve dans la sagesse des gouvernements, dans la bonté des lois, dans l'amour et la fidélité des peuples; que les engagements les plus positifs, les traités les plus solennels, les combinaisons les plus savantes de l'art diplomatique ne sont que des ressources impuissantes si la justice et la modération ne dirigent pas les conseils des Cabinets; et que la meilleure garantie de la tranquillité générale est la volonté ferme de chaque puissance de respecter les droits de ses voisins et la résolution bien prononcée de toutes, de faire cause commune contre celle qui, méconnaissant ce principe, franchirait les bornes que lui prescrit un système politique revêtu de la sanction universelle.»>

Mais les hommes d'État du Congrès de Vienne ne tinrent

pas grand compte des principes exposés dans cette profession de foi. Égarés par l'idée fixe de l'établissement d'un équilibre qui empêcherait toute possibilité du retour de la domination française, et en même temps obéissant chacun aux étroits calculs de leurs ambitions égoïstes, ils se souciaient fort peu des sentiments, des sympathies et des intérêts des populations qu'ils attribuaient indistinctement à des États qu'ils jugeaient utile d'arrondir. « A Vienne, dit encore M. Capefigue (1), en pleine civilisation, la statistique en main, le Congrès procéda à une répartition des peuples comptés par tête, dans le troupeau un peu confus des nationalités perdues ou dédaignées. » C'est ainsi que la Belgique fut annexée à la Hollande, que l'Italie fut déchirée et soumise à l'Autriche, que les partages de la Pologne furent définitivement consacrés. Dans un autre écrit, que le même Frédéric de Gentz adressait, à la même époque (le 12 février 1815), à son correspondant, le hospodar de Valachie, et qui n'était pas destiné à la publicité, il déclarait que « les grandes phrases de « reconstrution de l'ordre social », de « régénération du système politique de l'Europe », de « paix durable fondée sur une juste répartition des forces », etc., etc., se débitaient pour tranquilliser les peuples, et pour donner à cette réunion solennelle un air de dignité et de grandeur; mais que le véritable but du Congrès était le partage, entre les vainqueurs, des dépouilles enlevées au vaincu. »

Les auteurs des traités de 1814 et 1815, connaissant bien la fragilité des combinaisons diplomatiques, cherchèrent à préserver celle qu'ils faisaient contre toute atteinte d'un nouveau bouleversement par l'établissement d'une étroite solidarité entre les puissances européennes. Cette idée était même bien antérieure au Congrès de Vienne. Lorsqu'après la campagne de 1813 les armées alliées entrèrent victorieu

(1) Angeberg, op. cit. Introduction, p. 68.

sement en France, les quatre puissances qui se trouvaient à la tête de la coalition (l'Autriche, la Grande-Bretagne, la Prusse et la Russie) contractèrent, le 1er mars 1814, à Chaumont, un traité d'alliance pour la durée de vingt ans. L'art. 5 de ce traité portait : « Les puissances contractantes se réservant de se concerter entre elles, au moment de la conclusion de la paix avec la France, sur les moyens les plus propres à garantir à l'Europe et à se garantir réciproquement le maintien de cette paix, n'en sont pas moins convenues d'entrer sans délai dans des engagements défensifs pour la protection de leurs États respectifs en Europe, contre toute atteinte que la France voudrait porter à l'ordre de choses résultant de cette pacification. >>

Ce traité avait été le point de départ de l'organisation du système de la Sainte-Alliance. La France ayant été la cause de tous les troubles et de tous les bouleversements qui s'étaient produits dans la dernière période de vingt années, il êtait naturel que les alliés fussent, en premier lieu, préoccupés de se mettre en garde contre un retour offensif de sa part. Mais (telle est la solidité des engagements internationaux!) une année ne s'était pas écoulée, que l'alliance du traité de Chaumont dirigée contre la France était dissoute et remplacée momentanément par le traité du 3 janvier 1815, formant une alliance entre l'Autriche, la France et la GrandeBretagne.

La rentrée de Napoléon en France coupa court aux dissentiments entre les alliés. La crainte qu'inspirait « l'homme fatal » rejeta au second plan toutes les difficultés soulevées depuis quelques mois, et la coalition se reforma, plus redoutable que jamais. Toutes les démarches de Napoléon pour la dissoudre restèrent infructueuses. Il déclarait en vain que son premier acte serait la reconnaissance formelle du traité de 30 mai et des actes du Congrès de Vienne, et que son avènement était une affaire d'ordre intérieur, qui ne modi

fiait en rien les rapports de l'Europe avec la France. On ne voulait même pas entendre ses propositions, et les courriers expédiés, soit par l'empereur personnellement, soit par son ministre, furent arrêtés à la frontière.

Le 13 mars, les puissances réunies en Congrès publièrent une déclaration annonçant que « Napoléon Bonaparte s'était placé hors des relations civiles et sociales, et que, comme ennemi et perturbateur du repos du monde, il s'était livré à la vindicte publique ». Elles déclarèrent en même temps que, fermement résolues à maintenir intact le traité de Paris du 30 mai 1814 et les dispositions sanctionnées par ce traité et celles qu'elles avaient arrêtées ou qu'elles arrêteraient encore pour le compléter et le consolider, elles emploieraient tous leurs moyens et réuniraient tous leurs efforts, pour que la paix générale, objet des vœux de l'Europe et but constant de leurs travaux, ne fût pas troublée de nouveau, et pour la garantir de tout attentat qui menacerait de replonger les peuples dans les désordres et les malheurs de révolution. >

Le 24 mars, l'Autriche, la Grande-Bretagne, la Prusse et la Russie signèrent un traité par lequel elles renouvelèrent l'alliance de Chaumont et s'engagèrent solennellement à maintenir dans toute leur intégrité les conditions du traité de paix conclu à Paris, le 30 mai 1814, ainsi que les stipulations arrêtées et signées au Congrès de Vienne dans le but de compléter les dispositions de ce traité, de les garantir contre toute atteinte et particulièrement contre les desseins de Napoléon Bonaparte ». Pour indiquer nettement que l'alliance se formait uniquement contre l'Empereur et non pas contre la France, qu'on se plaisait à considérer comme victime d'une tyrannie odieuse, l'art. 8 déclarait : « Le présent traité étant uniquement dirigé dans le but de soutenir la France ou tout autre pays envahi contre les entreprises de Bonaparte et de ses adhérents, S. M. Très

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