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plois, de sinécures, de croix d'honneur, de grands cordons, de titres, de sénatoreries, de majorats, de dotations à l'étranger, de principautés et de royaumes, il y eut un interrègne de cette opinion qui avait tout conduit ou tout réprimé depuis le XVIII. siècle,

Confédération des états du Rhin. Batailles d'Iéna, d'Eylau et de Friedland. Conférences de Tilsitt. Blocus continental. De 1806 à 1807.

C'était le moment pour le héros de clore ses destinées guerrières, et je ne sais qui eût osé troubler son repos. Plus d'alarmes du côté même de l'Angleterre. M. Pitt avait peu survécu à la bataille d'Austerlitz qui humiliait si cruellement les prévisions de son génie politique. C'était son rival, M. Fox, qui le remplaçait au ministère. Celui-ci avait détesté une guerre si longue, et il eût mis sa gloire à la terminer. Peut-être même, ce défenseur ardent et opiniâtre de la liberté ne désespérait-il pas de réconcilier Bonaparte avec la liberté monarchique. Mais l'empereur venait d'enfanter un projet nouveau, celui d'une confédération des états du Rhin dont

2 juillet

1806.

il se déclarait le protecteur. C'était renouveler ouvertement l'empire de Charlemagne : l'Autriche n'osait plus se plaindre. On vit même l'empereur François renoncer au titre d'empereur d'Allemagne, qui rappelait l'héritage fictif des Césars, pour se contenter du titre d'empereur d'Autriche.

Mais la Prusse s'indignait de subir un tel affront, lorsque ses forces et sa gloire même restaient intactes. Tout annonçait d'ailleurs à ce gouvernement que l'empereur des Français connaissait et ne pardonnait pas son adhésion clandestine à la troisième coalition. Le grave tort de la politique extérieure de Napoléon était de vouloir punir les intentions. Ni le cabinet prussien, ni le monarque luimême n'auraient pu résister à l'ardeur guerrière qui emportait alors son armée. Depuis le désastre d'Ulm, elle ne parlait plus qu'avec mépris de l'armée autrichienne. Le nom du grand Frédéric était dans toutes les bouches. Il semblait que l'on sortit des champs de bataille de Lissa et de Rosback. L'année précédente, l'empereur Alexandre avait visité le roi de Prusse, et c'était sur le tombeau du plus illustre guerrier du dix-huitième siècle que ces deux monarques s'étaient juré fraternité d'armes. La jeune reine, digne de

1806.

régner sur le cœur de son époux et sur le cœur des Prussiens, par sa beauté, ses grâces, son esprit, sa bienfaisance, partageait, propageait cette ardeur chevaleresque. Le prince Louis, d'un caractère brillant et aventureux, brûlait de commencer sa gloire, et le vieux duc de Brunswick de renouveler la sienne Cette armée s'est réunie avec une promptitude digne des jours de Frédéric; mais la promptitude de Bonaparte surpasse tout. A peine a-t-il paru, que les Prussiens n'ont plus à combattre que pour se faire jour. Féna 14 octobre est encore un plus grand coup de foudre qu'Austerlitz; le duc de Brunswick a été blessé mortellement dès le commencement de l'action; déjà le prince Louis de Prusse n'était plus, il avait péri dans un combat précédent. C'est un des lieutenans de l'empereur, Davoust, qui, à une assez longue distance de lui, a supporté le fort de la bataille, et Napoléon semble n'avoir joué que le rôle accessoire. Il est vrai que bientôt il se montre tout entier par les résultats inouïs qu'il obtient d'une victoire ardemment disputée; mais le désordre des vaincus est encore un plus grand sujet d'étonnement que l'habileté du vainqueur; le vertige est dans tous les corps prussiens, dans toutes les garni

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sons et les états majors des forteresses les plus renommées; nulle part on ne vit de telles capitulations. Ceux qui se nommaient les Macédoniens de l'Allemagne semblent ne plus rappeler que des peuples de l'Asie. Une gloire acquise pendant un siècle périt en quelques jours; mais elle ne renaîtra que trop tôt.

C'est ici que Napoléon perd l'art de rapporter ses victoires, art que nul capitaine n'avait possédé au même degré. Il poursuit d'outrages une reine fugitive et qui vient de signaler de nobles sentimens. Les femmes et tous les nobles cœurs en murmurent; rien n'est d'un plus triste présage qu'une victoire qui repousse la générosité.

La Russie est chargée, pour la seconde fois, de la tâche de relever un allié qui s'est laissé accabler et détruire en l'attendant. Point de repos pour Napoléon; il faut que dans un hiver du nord, il vole perpétuellement de la Silésie dans la Prusse, et de la Prusse dans la Pologne. Après des succès partiels, il connaît enfin non une défaite, mais une bataille indécise. Si jamais il y eut une relation faite pour glacer l'enthousiasme guerrier et faire maudire la gloire des conquérans, ce fut celle que Napoléon donna lui-même

1807.

de la bataille, de la boucherie d'Eylau. C'é- 8 février tait l'usage de lire au spectacle un bulletin sommaire des victoires les plus signalées; quand on lut celui d'Eylau, on entendit s'élever de profonds gémissemens qui semblèrent se terminer par le murmure de l'hor

reur.

La victoire de Friedland, beaucoup plus 14 juin 1807. complète, vint adoucir cette impression sinistre, parce qu'elle promettait la paix. Napoléon aimait à marquer des repos dans ses conquêtes.

La célèbre entrevue de Napoléon et d'Alexandre sur un radeau du Niémen, et les conférences de Tilsitt, offrent une diversion aux esprits fatigués de la contemplation de ces champs de bataille. Ce sont des scènes. d'illusion ménagées avec art. Il s'agit de séduire un jeune souverain et de remplir son âme du même enthousiasme dont son aïeul, l'infortuné Pierre III, avait été saisi pour Frédéric II. La victoire s'humanise; le roi de Prusse, réduit au seul district de Mémel, recouvre la moitié de ses états. Mais ses sujets, écrasés de contributions, soulevés par les grands souvenirs qu'ils opposent à leur humiliation actuelle, nourrissent une fureur qui saura se contenir, et que par degrés ils

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