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1815.

gage. La victoire se décide pour le peuple; point de droit des gens dans les victoires remportées par le peuple. Les campagnes, averties par le tocsin et par la genérale, amènent aux vainqueurs des auxiliaires, armés les uns de fourches, les autres de fusils. La multitude accable des militaires dispersés. Les Mameloucks, officiers et soldats, sont poursuivis dans les rues, sur les places, et jusque dans les maisons où ils cherchent un asile. Beaucoup d'autres militaires sont tués avec eux. Puis la rage se porte sur des citoyens accusés d'affection pour Bonaparte ou d'intimité avec le général Brune. Plusieurs maisons sont pillées. Le lendemain le massacre et le pillage recommencent et s'étendent dans les campagnes voisines. Le nombre des victimes pour les deux journées n'est point évalué avec certitude. Il y a lieu de penser qu'il ne fut pas au-dessous de cent personnes. Du moins ici une sorte de combat avait précédé tant de meurtres; l'ordre se rétablit après deux journées de sang. Il n'en fut pas ainsi à Nîmes, où le massacre s'organisa pendant plusieurs mois, et s'enflamma de fureurs contre-révolutionnaires qui contrefaisaient les fureurs religieuses; mais c'est un long ta

bleau dont j'ai cru devoir faire un chapitre séparé.

Le maréchal Brune avait appris à Toulon le fatal événement de Marseille. On lui reprocha d'avoir hésité à reconnaître le gouvernement du roi. Il le fit cependant malgré la vive effervescence des troupes qui paraissaient s'obstiner dans la rébellion. Par ses ordres, le drapeau blanc fut arboré à Toulon; puis il se démit du commandement; et, sûr de n'être point compris parmi ceux qui avaient pu exciter l'exilé de l'île d'Elbe à rompre son ban, il partit pour Paris, et ne sut point éviter la ville d'Avignon. Cette ville avait reçu les préventions de Marseille contre l'infortuné et illustre guerrier. Le bruit de son arrivée y est à peine répandu, qu'un horrible attroupement se forme; le maire et le préfet de Vaucluse, M. de Saint-Chamand, craignent tout d'un peuple furieux; ils se rendent dans l'hôtel garni où logeait le maréchal. Aidés de dix à douze gendarmes, ils se consument en efforts pour calmer ou dissiper des hommes qui ne respirent que l'assassinat. Ils ne reçoivent aucun secours des citoyens paisibles enchaînés la par peur. La porte de l'auberge où le maréchal Brune s'est bar

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Assassinat du maréchal Brune.

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Assassinat du

général Ramel.

ricadé est enfoncée un scélérat frappe un héros; les coups se succèdent et percent encore long-temps des restes inanimés; les cris de la calomnie insultent à une mémoire glorieuse. Des assassins l'appellent buveur de sang. Son corps est jeté dans le Rhône et repoussé par le courant sur la grève; il reste deux jours privé de sépulture. Le grand titre de maréchal de France, le premier de tous chez une nation belliqueuse, aggravait l'horreur d'un attentat si atroce et si prolongé, et ce nouveau crime venait se joindre dans la pensée aux horreurs dont cette ville avait été auparavant le théâtre, à la fatale glacière d'Avignon. Les magistrats voulurent le pallier, et publièrent, dans une relation officielle, que le maréchal s'était tué d'un coup de pistolet pour ne point tomber victime de l'émeute. Il fut même dressé un procès verbal qui constatait le suicide. Pas un homme en France n'y fut trompé, s'il ne voulut l'être. Trois ansaprès, la veuve de l'infortuné et illustre guerrier, aidée de M. Dupin l'aîné, sollicita et obtint du roi vengeance de ce meurtre. Il fut judiciairement reconnu. Un des assassins fut condamné à mort, mais par

contumace.

Quinze jours après ( le 17 août), ce n'était

plus un lieutenant de Bonaparte, c'était un lieutenant du roi lui-même, qui, dans une autre ville du Midi, expirait sous les coups d'une horde assassine. Les sinistres agitations de Marseille et de Nîmes commençaient à se faire sentir à Toulouse. Elles étaient exaltées

par des sociétés prétendues royalistes qui, secrètes pendant les cent jours, se décla raient après la victoire. Ces sociétés poursuivaient le général Ramel qui, déporté par le directoire à Synnamari, s'était enfui avec le plus illustre des compagnons de son malheur, Pichegru, et avait publié une relation pleine d'intérêt de sa captivité. Ce général avait contenu avec une juste sévérité les excès qui menaçaient Toulouse d'une sanguinaire anarchie. Mais la fureur populaire s'est portée contre lui; on a juré sa mort. Au milieu d'une émeute, on le cerne, on le sépare de sa troupe. Un seul factionnaire reste pour le défendre; ce factionnaire est tué en le couvrant de son corps. Les meurtriers osent imputer au général la mort de son brave défenseur; bientôt luimême tombe percé de coups. Il est porté dans un galetas voisin, où la foule homicide l'assiége encore. Le chirurgien qui le panse s'écrie en vain de la fenêtre que le

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Convocation d'une chambre vouvelle.

général est frappé à mort. La porte est bientôt enfoncée, et l'on achève la victime. On verra plus tard les inconcevables motifs de l'atroce absolution qui fut prononcée par un jugement en faveur des assassins du général Ramel.

Tandis que la France était frappée d'une morne consternation, une chambre nouvelle était convoquée. Les électeurs, pour se rendre à leur poste, avaient à traverser une voûte de glaives étrangers. Nous avons vu quel avait été l'esprit du Corps législatif créé par Bonaparte et maintenu par le roi en 1814. Le gouvernement était sûr de trouver ce corps docile à ses vues de conciliation; mais on croyait que le royalisme avait besoin de recevoir une flamme plus vive. On regardait cette chambre comme usée, et rien ne résiste en France à ce mot fatal. Le premier ministre, M. de Talleyrand, se détermina à la dangereuse expérience d'une chambre nouvelle. Pour la former on recourut à de vieilles listes électorales qui n'étaient plus guère qu'un cadre que les préfets remplissaient à volonté. On leur permettait de créer de leur chef de nouveaux électeurs, dans un nombre très-vaguement déterminé. Celui des députés était presque doublé, on ne leur de

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