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danger d'une telle extension, et l'année suivante il le fit disparaître dans une nouvelle loi restrictive d'une liberté si chère. L'autorité royale se réservait, en outre, le droit de mettre en surveillance, et de transférer des Français d'un département dans un autre. Les deux chambres adoptèrent cette loi; mais, dans celle des pairs, le maréchal Marmont combattit, avec un talent remarquable, l'extension dont je viens de parler; elle fut, pour cette année, fatale à plus de deux cents individus. Il est à présumer que les ministres eussent respecté la liberté du plus grand nombre, s'ils avaient été seuls arbitres de leur sort.

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de la liberté de la

Une ordonnance du roi, rendue sous le Suspension ministère précédent, avait rapporté la loi presse périodique. qui rétablissait la censure pour tout écrit au-dessus de vingt feuilles d'impression; mais, par cette même ordonnance, la liberté de la presse continuait à être suspendue pour les écrits périodiques. Alors la majorité ne voyait qu'avec alarme, qu'avec une sorte d'horreur, la liberté de tout genre d'écrits et surtout des journaux. Aussi elle ne réclama point contre cette suspension, peut-être même regrettait-elle de ne pouvoir l'étendre plus loin. Mais lorsqu'elle vit les jour

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Etablissement des cours prévôtales.

naux sous l'empire du ministère, elle imputa à la censure qui pesait sur eux, le discrédit où des actes immodérés la précipitèrent bientôt. Elle prétendit que ses défenseurs seuls étaient bâillonnés, et parut soupirer pour une liberté fort incompatible avec sa marche violente et ses principes théocratiques.

Vint ensuite l'établissement des cours pré5 décembre. vôtales, sinistre cortège de ces lois rigoureuses. La majorité montrait de l'affection et presque de l'enthousiasme pour ce débris honteux et décrié de l'ancien régime. Dans toutes les discussions on appelait les cours prévôtales au soutien de la monarchie, comme s'il se fût encore agi de la monarchie de Louis XI. Le ministère se crut obligé de condescendre à un vou exprimé avec une chaleur toujours croissante; mais il se flatta de les modifier de manière à ne plus rappeler d'affreux souvenirs. Le grand prévôt, choisi parmi les militaires, devait être assisté de cinq juges civils. Mais ces magistrats conservaient l'odieux privilége de juger sur l'heure et sans appel les séditions flagrantes. Nous verrons que cet établissement surpassa, dans ses rigueurs, tout ce qu'une juste défiance en avait pu craindre.

Débats sur l'inamovibilité

des juges.

Les cours royales et les tribunaux, qui s'é

taient ressentis de la secousse de l'interrè-
gne,
furent soumis à des épurations sévères.
La chambre des députés voulait plus. Même
après cette reconstruction des cours et des
tribunaux, elle craignait de leur accorder,
du moins immédiatement, le privilége de
l'inamovibilité. C'était déclarer que l'on met-
tait à prix leur docilité à entrer dans un sys-
tème absolutiste ou privilégiaire. Il s'agis-
sait d'un grand danger pour la monarchie
et pour la liberté MM. Royer-Collard, de
Serre, Pasquier, le comprirent dans toute
sa force. Sans heurter de front des esprits
ombrageux, ils recoururent à la sévérité
des principes. M. Royer-Collard prononça
à cette occasion un des plus beaux discours
dont s'honore la tribune française. La marche
que je suis me condamne à n'en citer qu'un
fragment:

:

« Considérez, messieurs, la société en elle» même, le but pour lequel elle existe, la » nature et la diversité des pouvoirs qu'elle >> institue pour l'atteindre; vous reconnaîtrez » que l'action de tous ces pouvoirs vient se >> résoudre et se confondre dans l'action du pouvoir judiciaire. Les lois civiles et crimi» nelles ne sont que la règle des jugemens. » Le pouvoir, qui veille sans cesse à la sûreté

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» de tous et de chacun, ne déploie la force » de la société, dont il est dépositaire, que » pour amener ceux qui la troublent devant les tribunaux; et dans ce combat de la so» ciété tout entière contre quelques-uns de >> ses membres, les victoires de la société sont » des jugemens. Ce sont encore des jugemens >> qui règlent les droits incertains, qui com>> mandent l'exécution des promesses, qui

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répriment les aggressions de la cupidité et » de la mauvaise foi. En un mot, tous les >> droits naturels et civils de l'homme en so» ciété sont sous la sauve-garde des tribu»naux, et reposent uniquement sur l'inté

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grité des juges qui les composent. En vain >> le pouvoir législatif promulguerait des lois, » si les lois ne dictaient pas les jugemens; » en vain le pouvoir exécutif instituerait des >> tribunaux, en vain il les armerait du glaive, » s'ils n'en faisaient pas l'usage indiqué par » les lois, ou s'ils le tournaient contre l'in

» nocence.

>> Puisqu'on peut dire avec vérité que la >> société existe ou n'existe pas, selon que la justice est bien ou mal administrée, il n'y

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» a pour elle aucun intérêt aussi grand que l'équité et l'impartialité des jugemens; et, >> par cette raison, il n'y a pas de ministère

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» aussi important que celui du juge. Lorsque » le pouvoir, chargé d'instituer le juge au » nom de la société, appelle un citoyen à >> cette éminente fonction, il lui dit: Organe » de la loi, soyez impassible comme elle. >> Toutes les passions frémiront autour de » vous qu'elles ne troublent jamais votre » âme. Si mes propres erreurs, si les influen» ces qui m'assiégent, et dont il m'est si mal >> aisé de me garantir entièrement, m'arra>> chent des commandemens injustes, déso»béissez à ces commandemens; résistez à » mes séductions, résistez à mies menaces. Quand vous monterez au tribunal, qu'au >> fond de votre cœur il ne reste ni une crainte >> ni une espérance; soyez impassible comme >> la loi. Le citoyen répond: Je ne suis qu'un >> homme, et ce que vous me demandez est » au-dessus de l'humanité. Vous êtes trop » fort et je suis trop faible: je succomberai » dans cette lutte inégale. Vous méconnaî>>trez les motifs de la résistance que vous >> me prescrivez aujourd'hui, et vous la pu» nirez. Je ne puis m'élever toujours au-des» sus de moi-même, si vous ne me protégez à >> la fois et contre moi et contre vous. Secou» rez donc ma faiblesse; affranchissez-moi >> de la crainte et de l'espérance; promettez

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