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Malgré les objections du prince Czartoryski, le cabinet russe adresse une note à Ratisbonne, pour réclamer

prévoir. On commettait enfin, en faisant cet éclat, la plus Avril 1804. grande des légèretés. Quatre ans à peine étaient écoulés, depuis qu'un crime, que des calomniateurs appelaient un parricide, avait ensanglanté Pétersbourg, et procuré la couronne au jeune monarque. Les assassins du père entouraient encore le fils, et aucun d'eux n'avait été puni. N'était-ce pas s'exposer, de la part du plus audacieux adversaire, à une réplique foudroyante? M. de Woronzoff, malade, avait été remplacé par le jeune prince Czartoryski, et il faut dire, à la louange de celui-ci, qu'il fit, tout jeune qu'il était, de fortes objections. Mais les hommes âgés du conseil ne montrèrent pas plus de sagesse en cette occasion, que le monarque adolescent luimême; çar les passions, en fait de prudence, égalisent tous du territoire les âges. En conséquence, le cabinet de Saint-Pétersbourg décida qu'il serait adressé à la Diète germanique une note, pour éveiller sa sollicitude, et provoquer ses délibérations sur la violation de territoire récemment commise dans le grandduché de Baden. Même note sur le même sujet dut être adressée au gouvernement français.

On ne borna pas là les manifestations inspirées par la circonstance. On voulut témoigner à la cour de Rome une désapprobation éclatante, pour la condescendance qu'elle venait de montrer à l'égard de la France, en livrant à celle-ci l'émigré Vernègues. Le ministre de Russie à Rome fut rappelé à l'instant même. Le nonce du pape fut renvoyé de SaintPétersbourg. On ne pouvait pas se permettre une censure plus déplacée, plus blessante, des actes d'une cour étrangère, ces actes fussent-ils blåmables. La Saxe, inquiète du déplaisir que causait au Premier Consul la présence de M. d'Entraigues à Dresde, avait prié la Russie de le rappeler. Le cabinet de Saint-Pétersbourg répondit que M. d'Entraigues resterait à Dresde, car on n'avait point à consulter les convenances des autres cours, dans le choix des agents de la Russie. Après ces démarches d'une haute imprudence, on s'occupa

TOM. V.

2

contre la violation

germanique.

Le cabinet russe renvoie le nonce

du pape, et rappelle son ministre de Rome, pour

exprimer son l'extradition Vernègues.

blame contre

de l'émigré

Il refuse de rappeler de Dresde l'émigré d'Entraigues.

Empressement de

pour la

Avril 1804. d'en prévenir les suites, en cherchant à nouer des alliances. On avait naturellement prêté une oreille complaisante et emla Russie pressée au nouveau langage de la Prusse, qui, après avoir Prusse. quitté la Russie pour la France, quittait maintenant la France pour la Russie, et tendait à s'unir avec le Nord. On aurait bien désiré entraîner Frédéric-Guillaume jusqu'à former une sorte de coalition continentale, indépendante de l'Angleterre, mais inclinant vers elle. Cependant on fut obligé de se contenter de ce qu'offrait le roi de Prusse. Ce prince, contraint de laisser le Hanovre aux Français, depuis qu'il avait renoncé à négocier avec eux, cherchait à se garantir des inconvénients attachés à leur présence, au moyen d'une entente avec la Russie. Il ne voulait que cela, et il était impossible de l'amener à vouloir davantage.

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En conséquence, après s'être efforcé, chacun de son côté, de faire aboutir le résultat aux fins qu'on préférait, on convint d'une espèce d'engagement, consistant dans une double déclaration de la Prusse à la Russie, de la Russie à la Prusse, rédigée dans des termes différents, et empreinte de l'esprit de chacune des deux cours. Voici le sens de cet engagement. Tant que les Français se borneraient à l'occupation du Hanovre, et ne dépasseraient pas le nombre de trente mille hommes dans cette partie de l'Allemagne, les deux cours devaient demeurer inactives, et s'en tenir au statu quo. Mais, si les troupes françaises étaient augmentées, et si d'autres États allemands étaient envahis, elles se concerteraient alors pour résister à cette nouvelle invasion; et, si leur résistance à ce progrès des Français vers le nord entraînait la guerre, elles devaient unir leurs forces, et soutenir en commun la lutte engagée. L'empereur, pour ce cas, mettait, sans aucune réserve, toutes les ressources de son empire à la disposition de la Prusse. Ce déplorable contrat, signé par la Prusse le 24 mai 1804, était toutefois accompagné de sa part d'une foule de restrictions. Le roi disait dans sa déclaration, qu'il n'entendait

Engagement

de

la Prusse

envers

la Russie.

signé le 24

mai 1804.

pas se laisser entraîner légèrement à la guerre, qu'ainsi ce Avril 1804. ne serait pas une augmentation de quelques centaines d'hommes dans l'armée qui occupait le Hanovre, envoyés pour le recrutement annuel et régulier de cette armée, que ce ne serait pas une collision accidentelle avec l'une des petites puissances allemandes, qui le porteraient à braver une rupture avec la France, mais bien l'intention formelle de s'étendre en Allemagne, manifestée par une augmentation réelle et considérable des forces françaises en Hanovre. Quant au jeune empereur, il n'apportait à son engagement aucune restriction de ce genre. Il s'obligeait purement et simplement à joindre ses armées à celles de la Prusse, en cas de guerre '.

1 Ce traité, sous forme de double déclaration, ne doit pas être confondu avec le traité secret de Potsdam, conclu le 3 novembre 1805 pendant que Napoléon marchait d'Ulm à Austerlitz, et qui fut arraché à la Prusse par suite de la violation du territoire d'Anspach et de Bareuth. Celui dont nous parlons ici n'a jamais été publié dans aucun recueil diplomatique; il est même resté inconnu à la France. Parvenu à le connaître, je le publie ici pour l'éclaircissement d'un fait important, l'abandon de l'alliance française par la Prusse.

Déclaration de la cour de Prusse.

Nous Frédéric-Guillaume III, etc., etc.

La guerre qui s'est rallumée entre l'Angleterre et la France ayant exposé le nord de l'Allemagne à une invasion étrangère, les suites qui dès à présent en sont résultées pour notre monarchie et pour nos voisins ont excité toutes nos sollicitudes; mais celles surtout qui pourraient en résulter encore ont exigé de nous de peser et de préparer à temps les moyens d'y porter remède.

Quelque pénible que soit l'occupation du Hanovre et son résultat indirect, la clôture des fleuves, après avoir épuisé, pour faire cesser cet état de choses, tout ce qui n'était pas la guerre, nous avons résolu de faire à la paix ce sacrifice de ne point revenir sur le passé, et de ne point procéder à des mesures actives tant que de nouvelles usurpations ne nous y auront pas forcé.

Mais si, malgré les promesses solennelles données par le gouvernement français, il étendait au delà du statu quo de ce moment-ci ses entreprises contre la sûreté de quelqu'un des États du Nord, nous sommes décidé à leur opposer les forces que la Providence a mises entre nos mains.

Nous en avons fait à la France la déclaration, et la France l'a acceptée; mais c'est surtout envers S. M. l'empereur de toutes les Russies que la confiance et l'amitié nous faisaient un devoir de nous en ouvrir, et nous avons eu la satisfaction de nous convaincre que nos résolutions étaient absolument

Avril 1804.

Ce traité, de forme si singulière, dut rester secret, et nous demeura, en effet, complétement inconnu. A peine était-il conclu, que le roi de Prusse, courant perpétuellement d'un côté à l'autre, pour prévenir tout danger de guerre, craignit, après s'être garanti du côté de la Russie, de s'être trop découvert du côté de la France. La manière brusque dont il avait cessé de parler d'alliance avec nous, le silence grave et sévère gardé sur l'affaire du duc d'Enghien, lui parurent un péril pour la paix. Il chargea donc M. d'Haugwitz de faire au ministre de France une déclaration solennelle de neutralité, neutralité absolue de la part de la Prusse, tant que les troupes françaises occupant le Hanovre ne seraient pas augmentées.

dans les principes de notre auguste allié, et que lui-même était décidé à les maintenir avec nous. En conséquence, nous sommes tombé d'accord avec S. M. Impériale des points suivants

1o On s'opposera de concert à tout nouvel empiétement du gouvernement français sur les États du Nord étrangers à sa querelle avec l'Angleterre.

2o Pour cet effet, on commencera à donner une attention suivie et sévère aux préparatifs de la République. On attachera un œil vigilant sur les corps de troupes qu'elle entretient en Allemagne; et, si le nombre en est augmenté, on se mettra, sans perte de temps, en posture de faire respecter la protection que l'on est intentionné d'accorder aux États faibles.

3o Si le cas d'une nouvelle usurpation existe en effet, nous sentons qu'avec un adversaire aussi dangereux les demi-moyens seraient funestes. Ce serait alors avec des forces proportionnées à la puissance immense de la République que nous marcherions contre elle. Ainsi, en acceptant avec reconnaissance l'offre de notre auguste allié, de faire joindre incessamment nos troupes par une armée de 40 ou de 50 mille hommes, nous n'en compterions pas moins sur les stipulations antérieures du traité d'alliance entre la Russie et la Prusse; stipulations qui lient tellement les destinées des deux empires, que, dès qu'il s'agit de l'existence de l'un, les devoirs de l'autre n'ont plus de bornes.

4o Pour déterminer le moment où le casus fœderis existera, il faut voir les choses en grand et dans leur esprit. Les petits États d'empire situés au delà du Weser peuvent offrir passagèrement des scènes qui répugnent aux principes, soit parce qu'ils sont le théâtre continuel du passage des troupes françaises, soit parce que leurs souverains sont ou vendus par l'intérêt à la France, comme le comte de Bentheim, ou dépendants d'elle sous d'autres rapports, comme le comte d'Aremberg. Là les déviations minutieuses qu'une représentation redresse, comme à Meppen, ou qui ne compromettent la sûreté de personne, sont étrangères à un concert dont la sûreté fut le motif. C'est sur les

Le roi de Prusse,

mettre en règle avec la France, lui fait une déclaration solennelle de neutralité, au moment

En conséquence, M. d'Haugwitz, sortant tout à coup avec Avril 1804. M. de Laforest d'un silence contraint, lui déclara que son roi engageait sa parole d'honneur de rester neutre, quoi qu'il cherchant à se arrivât, si le nombre de trente mille Français n'était pas dépassé en Hanovre. Il ajouta que cela valait presque l'alliance manquée, car l'immobilité de la Prusse, certaine aux conditions qu'il y mettait, assurait l'immobilité du continent. L'em- même où il se phase de cette déclaration, assez peu motivée dans le moment, surprit M. de Laforest, mais ne lui révéla rien. Néanmoins elle lui parut singulière. Frédéric-Guillaume avait cru, par là, se mettre en règle avec tout le monde. Il n'y a rien de plus triste à voir que la faiblesse malhabile, s'embarrassant dans le laby

bords du Weser que les intérêts deviennent essentiels, parce que de ce point-là il s'agit du Danemark, du Mecklembourg, des villes anséatiques, etc.; et le casus fœderis, par conséquent, aura lieu à la première entreprise des Français contre un État de l'empire situé sur la droite du Weser, et particulièrement contre les provinces danoises et le Mecklembourg, dans la juste attente où nous sommes que S. M. le roi de Danemark fera alors conjointement avec nous cause commune contre l'ennemi.

5o Les marches énormes que les troupes russes auraient à faire pour joindre les nôtres, et la difficulté d'arriver à temps pour prendre part aux coups décisifs, nous font juger qu'il serait convenable qu'on adoptât pour les différentes armes un mode de transport différent. Ainsi, tandis que la cavalerie russe et les chevaux d'artillerie défileront à travers nos provinces, il semblerait préférable que l'infanterie et le canon partissent par mer et fussent débarqués dans quelque port de la Poméranie, du Mecklembourg ou du Holstein, selon les opérations de l'ennemi.

6o Immédiatement après le commencement des hostilités, ou plus tôt si la convenance en est reconnue par les deux cours contractantes, le Danemark et la Saxe seront invités à adhérer à ce concert, et à y coopérer par des moyens proportionnés à leur puissance, ainsi que tous les autres princes et États du nord de l'Allemagne qui, par la proximité de leur pays, doivent participer aux bienfaits du présent arrangement.

7o Dès lors, nous nous obligeons à ne poser les armes et à n'entrer en accommodement avec l'ennemi que du consentement de S. M. Impériale, et après un accord préalable avec elle, plein de confiance dans notre auguste allié, qui a pris les mêmes engagements envers nous.

8° Après qu'on aura atteint le but qu'on s'y propose, nous nous réservons de nous entendre avec S. M. Impériale sur les mesures ultérieures à prendre, afin de purger entièrement le nord de l'Allemagne de la présence des troupes

lie avec la Russie.

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