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sont seulement indicatives quant aux espèces. Ainsi, l'art. 445 pose comme type ou genre le faux témoignage, dès-lors toutes les espèces de faux témoignages donnent ouverture à la révision; le type reste le même, la forme seule varie (1).»

Nous avons déjà fait la réponse en établissant que la révision n'était point un principe dans la loi, mais une exception; car il en résulte qu'elle n'a dû poser que des espèces, et non des genres, et que toutes ses dispositions sont essentiellement limitatives. Mais, en outre, est-il vrai de dire que le droit à la révision soit une sorte de droit naturel que la loi ne peut pas ravir? Admettons-le; que s'ensuit-il ? Qu'il faut fouler aux pieds les dispositions qui en restreignent l'exercice ; qu'elles sont vaines et comme non écrites; qu'elles sont nulles même, comme restreignant le droit sacré de la défense? Pourrait-on sérieusement soutenir une pareille thèse? La loi est mauvaise, soit; concluez-en qu'on doit l'améliorer, à la bonne heure; mais qu'il faut l'anéantir de notre autorité privée, et y substituer arbitrairement ce que vous appelez un droit naturel, c'est impossible. Et puis, si tout juge est faillible, tout jugement est attaquable, et toutes les condamnations doivent être frappées par la révision. On ajoute, il est vrai : L'utilité peut restreindre ce droit, mais non le détruire. Eh bien! qu'a fait le Code, sinon de le restreindre? Restons donc dans les limites qu'il a tracées. Tout membre de la société n'a droit qu'aux garanties générales posées par les lois pour tous les citoyens. Accusé, s'il a obtenu les juges que lui donnait la loi, si les formes destinées à le protéger ont été observées, il n'a plus rien à demander à l'ordre social; son droit est épuisé. On a invoqué Bentham et Rossi. Les paroles de Bentham ne s'appliquent qu'à l'irréparabilité de certaines peines; M. Rossi pense que les voies de recours et de grâce sont le complément de la justice humaine. Nous sommes de cet avis; mais la question n'est pas là; elle n'est pas même de savoir quelles sont celles que la loi a dû admettre, mais bien celles qu'elle a admises en effet.

On insiste, et on dit : « La lettre tue, l'esprit vivifie. Qu'importe qu'il y ait eu faux témoignage ou qu'un fait faux ait été affirmé, si la condamnation en a été la suite ? Ubi eadem ratio, idem jus. La révision est de droit (2). » Nous croyons qu'une telle interprétation tue et la lettre et l'esprit de la loi. Quant à son texte, vainement on s'efforce de l'éluder, et nous admettrions difficilement qu'en matière criminelle on puisse par analogie renverser des dispositions impératives et formelles. La déclaration d'un fait faux n'est pas, on le répète, un faux témoignage, si cette déclaration n'émane pas d'un témoin. Le faux témoignage ne suffit pas pour ouvrir la révision ; il faut condamnation du faux témoin; cette condamnation même est insuffisante, si ce témoin a cessé d'exister (3). Enfin, toutes ces circonstances fussent-elles réunies, le recours est encore fermé, si ce n'est pas la voix du condamné lui-même qui le réclame.

On a répondu : Si la personne qui se représente, dans le cas de l'art. 444, meurt subitement avant qu'elle ait été interrogée par la Cour royale, le condamné montera-t-il sur l'échafaud? Nul n'osera le prétendre; cependant

(1) Consultation de Me Marie, Gazette des Tribun. du 13 fév. 1832.

(2) Consultation de M• Crémieux, p. 8.

(3) Voy. Bourguignon. t. 2, p. 356; Legraverend .2 p. 734.

vous n'êtes plus dans les termes rigoureux, vous êtes dans l'esprit de la loi (1). » C'est là une erreur manifeste. L'art. 444 autorise la révision dès que l'apparition de la personne homicidée est constatée; l'interrogatoire de cette personne n'est point une condition essentielle de la révision. Nous sommes ici dans l'esprit, et aussi dans les termes de la loi.

Voilà pour le texte. Interrogeons l'esprit du législateur que l'on invoque avec tant d'assurance.

La commission du Corps législatif avait présenté les observations qui suivent sur le titre de la révision : « C'est sans doute avec raison que les auteurs du projet de loi ont organisé un mode de révision dans les cas énoncés aux art. 443, 444 et 445. Mais ces articles supposent que le particulier qui a été condamné par l'effet d'une erreur ou de la prévention des témoins est vivant lorsqu'il se présente des circonstances propres à justifier son innocence ; d'où l'on tirera la conséquence que, si le condamné est mort dans l'inter. valle de la condamnation à l'époque où les circonstances qui peuvent manifester son innocence se découvrent, la condamnation doit rester. Cepen. dant on sent combien, dans ce cas même, il est important que la loi détermine les moyens d'établir l'innocence de celui qui a subi une condamnation injuste; il devrait en résulter la réhabilitation de sa mémoire. Cet hommage rendu à son innocence intéresse toute la famille sous un rapport très-important. La commission n'a pas cru devoir présenter une rédaction d'articles qui tendissent à réparer cette lacune dans la loi; elle croit qu'il suffit de la faire remarquer, et d'inviter MM. les conseillers d'Etat qui composent la section de législation, à ajouter de nouveaux articles qui devraient remplir cet objet (2). »

Ce vœu ne fut point accueilli.« MM. les, membres de la commission du Corps législatif, dit M. Berlier à la séance du Conseil d'État du 3 novembre 1808 (3), auraient désiré que les dispositions relatives à la révision des condamnations s'appliquassent aux condamnés, décédés, comme aux condamnés vivans. La section eût, sans restriction, déféré à leur vœu si la chose eût été possible; mais des trois ouvertures de révision consacrées par le projet, il y en a deux qui supposent et nécessitent de nouveaux débats, qui ne peuvent avoir lieu hors la présence du condamné. Ce point a été reconnu, et la demande s'est réduite à la seule des trois ouvertures de révision qui fût praticable sans de nouveaux débats; c'est celle où, après une condamnation pour homicide, l'individu dont la mort supposée a été la base de la condamnation vient se représenter; il est, dans ce cas, d'une extrême justice que la mémoire du condamné soit déchargée de la condamnation, comme le condamné l'eût été en personne. »

On lit plus loin, dans le mêmê exposé des motifs : « Il n'était plus possible d'admettre hors la présence du condamné la révision, d'une condamnation portée sur faux témoignage; car si ce faux témoignage rend la condamnation suspecte, il ne lui imprime pas nécessairement le cachet de l'erreur; et, s'il suffit pour autoriser une nouvelle instruction et de nouveaux débats, il ne saurait suffire pour proclamer, sans autre formalité, l'in

(1) Consultation de Me Crémieux.

(2) Observations de la Comm. de législ.; Locré, t. 27, p. 58 et 59. (3) Locré, ibid., p. 60..

Justice de la condamnation; mais, puisque de nouveaux débats sont néces saires, pourrait-on donner ce nom à une instruction qui aurait lieu hors la présence du condamné (1)? »

Enfin l'orateur qui exposait les motifs du projet de loi s'exprimait en ces termes devant le Corps législatif : «On se demande avec inquiétude s'il ne serait pas possible de faire application, même après le décès du condamné, des art. 443 et 445? Les faux témoins dont les dépositions auraient déterminé la condamnation ne pourront-ils être reconnus, jugés, condamnés, après la mort de leur victime? Si, comme il n'est pas douteux, et comme la loi qui vous est proposée l'ordonne, de nouveaux débats sont nécessaires dans toutes ces circonstances, comment seraient-ils formés lorsque la partie principale, l'accusé, ne pourrait paraître, lorsqu'il ne pourrait être confronté aux témoins et à ses co-accusés, les interpeller, être interpellé luimême, et lorsque l'injonction orale et publique serait ainsi privée des principaux avantages qui la rendent préférable à l'instruction secrète et par écrit ? Il faut donc le dire avec douleur : il pourrait arriver que des condamnations prononcées contre des accusés présentassent, depuis qu'ils seraient morts, des inexactitudes; mais il serait impossible de les vérifier, parce que les débats seraient impraticables. Or, une révision opérée sans débats n'offrirait pour résultat que des doutes, et consacrerait l'instabilité des jugemens (2)? »

Ces paroles du législateur font disparaître tous les nuages dont on avait environné la question; elles proclament que les cas de révision admis dans le Code, exceptionnellement au droit commun, ne sont point des genres, comme on l'a soutenu, mais des espèces, dans lesquelles les tribunaux ne peu→ vent que se circonscrire. Un seul doute ne saurait plus s'élever sur ce point : on ne peut donc plus arguer de l'esprit de la loi. Le législateur a examiné la question, et c'est en connaissance de cause qu'il a repoussé la révision, lorsqu'elle serait privée des débats, lorsque le condamné n'existerait plus. Au surplus, tous les auteurs avaient émis sur ce point une unanime opinion (3).

Il est donc incontestable que l'art. 445 ne peut être invoqué par la famille du maréchal Ney; et, si nous émettions toute notre opinion, nous pourrions ajouter que la fausse déclaration relative à la Convention de Paris, et les entraves imposées par suite à la défense, auraient pu constituer un moyen dé cassation, mais ne peuvent jamais ouvrir un cas de révision, puisque la révision suppose l'innocence du condamné, tandis que ce moyen pris d'une fin de non-recevoir pouvait protéger la tête de l'accusé, mais seul ne pourrait laver sa mémoire.

Reste la révision gracieuse. Le droit de grâce que la Charte a conféré àu roi entraîne-t-il celui d'ordonner la révision? On n'a pas suffisamment éclairci cette question. Écartons d'abord les inductions tirées de l'affaire Ellenbergh. Le Conseil d'État avait exprimé l'avis que la législation ine permettait pas d'ordonner la révision par voie de grâce; mais cet avis n'arrêta

Locré, t. 27, p. 75.
Ibid.
p. 87.

(3) Voy. Bourguignon, sur l'art. 445, t. 2, p. 359 Legraverend, t. z, p. 748; Carnot, sur le même article, notes additionnelles.

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pas l'Empereur, qui saisit la Cour de cassation. Dans une autre occasion, dans l'affaire de l'octroi d'Anvers, il n'avait pas hésité de casser lui-même la déclaration d'un jury: le décret est au Bulletin (1). C'était la conséquence du même principe. Les volontés du despotisme peuvent faire fléchir les lois; mais comment, sous un régime constitutionnel, proclamer ces volontés en lois ? Autrefois le droit de grâce comprenait aussi le droit d'accorder ces lettres d'abolition qui paraiysaient la justice au moment même des poursuites. Ce droit de puissance absolue qui, suivant l'expression d'un ancien magistrat (2), faisait trembler les loiş, n'existe plus; la grâce¦ renfermée dans les limites de la Charte, est la remise que le souverain fait aa coupable de la peine prononcée par les tribunaux qui l'ont jugé (3). La grâce, ainsi définie, ne s'étend pas jusqu'au droit d'amnistie, car l'amnistié est une véritable abolition des délits, des poursuites et des condamnations. Le législateur de la Charte l'entendait ainsi, quand il fit porter aux Chambres la loi du 12 janvier 1816, qui proclamait une amnistie. En est-il de mêmè de la révision? Cela nous paraît hors de doute. « L'effet de la grâce est litmité à la remise de tout ou partie de la peine (4). » Tel n'est point le carac tère de la révision; elle n'agit pas seulement sur les effets du jugement, elle agit sur le jugement lui-même; elle fait œuvre de pouvoir judiciaire ; elle se place au-dessus des juges et juge leurs actes. Le droit de grâce renfermet-il un tel pouvoir? On dit : Il ne s'agit pas de casser un jugement, et assurément vous n'en auriez pas le droit ; mais seulement de saisir une juridiction nouvelle qui statuera comme elle l'entendra (5). Cette objection n'est pas même spécieuse. Cet arrêt, qu'on veut attaquer par la révision gracieuse, ne subsiste-t-il pas aujourd'hui d'une force inébranlable ? Qui pourrait y tou cher? Or, les lettres de révision ne conféreraient-elles pas ce droit? Elles auraient donc pour effet de l'ébranler, de le remettre en question, de lui ravir le caractère de chose jugée? L'indépendance du pouvoir judiciaire, du jury surtout, s'accommoderait-elle de cette prérogative que l'on veut donner à la couronne? Et comment, d'ailleurs, concilier ce droit de révision gracieuse avec la loi, qui, en créant la révision judiciaire, a cru appa remment abroger l'ancien mode de révision ? Comment la concilier avec les discussions du Code d'instr. crim. que nous révèlent les procès-verbaux du Conseil d'État, et qui l'ont passée sous silence, avec les discours des ora→ teurs du gouvernement qui n'en disent pas un mot?,,

Disons-le, la révision gracieuse n'a pas été invoquée sérieusement. Un troisième moyen de poser un terme à cette déplorable procédure s'offrait plus naturellement. Jusqu'ici nous avons suivi le Code d'instr. crim., les lois ordinaires. Mais le Code et les lois ont-elles été observées dans cette fatale affaire? Ce n'est pas un jury, c'est la Cour des pairs, qui a jugé, La question doit être envisagée sous ce nouveau point de vue.

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(1) « La déclaration donnée, le 24 juillet dernier, par le jury, en faveur des nommés Werbrouck, Lacoste, Biard et Petit, ainsi que l'ordonnance d'acquittement prononcée par suite de cette déclaration, sont annulées, » (Art.re du décret du 28 août 1813.)

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(2) Procès-verbal des conf. de l'ord. de 1670. - £ fute,,orpild (3) Legraverend, p. 748.

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(4) Arrêt de cass., du 11 juin 1825, ho

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(5) Réponse de Me Mario, Gazette du 29 fevrier 6 chap 1491

Nous croyons, d'abord, comme les jurisconsultes que nous avons combattus jusqu'ici, que la requête aurait pu être directement présentée à la Chambre des pairs. Et, en effet, la juridiction de cette Chambre est un droit constitutionnel; il ne peut donc être entravé par aucun pouvoir. Quel serait dès-lors le but d'une ordonnance royale de convocation? Si cette ordonnance est une formalité obligée, quelle est son utilité ? Si elle renferme une autorisation, elle est destructive du droit. Ce n'est que dans l'intervalle des sessions qu'une telle ordonnance est nécessaire, parce qu'il importe à la société, ainsi qu'on l'a remarqué, que l'un des pouvoirs politiques ne délibère pas en l'absence des autres. Au surplus, la Chambre des pairs a reconnu elle-même ce principe.

Mais, supposons la requête portée à la Chambre des pairs, en résulte-t-il que la révision puisse être admise? Il est difficile, en vérité, d'apercevoir quelles règles on peut invoquer en faveur de cette admission. Est-ce le Code d'instr. crim.? Mais le principe fondamental de la révision qu'il admet, et qui, à proprement parler, cesse par cela même d'être une révision, est qu'elle doit toujours être portée devant une autre Cour que celle qui a jugé; et toutes ses dispositions, on l'a précédemment établi, la repoussent à la fois dans le cas actuel. Est-ce le droit ancien et l'ordonnance de 1670? Mais ce droit a cessé d'exister; et si, d'après cette ordonnance, la même Cour devait prononcer une seconde fois, elle était investie de ce droit exorbitant par l'autorité souveraine, qui avait implicitement infirmé la première instance.

Il faut dire alors avec les avocats que nous avons cités : La Chambre des pairs est libre de toutes entraves. Règles anciennes, formes nouvelles, elle a tout admis, tout rejeté, selon qu'il lui a paru convenable de rejeter ou d'admettre. Législateur et juge, elle fait les règles et les applique à la fois. - A la bonne heure; mais qu'on y prenne garde ; c'est l'arbitraire que l'on constitue. A notre égard, nous l'avouerons, nous avons quelque peine à admettre une juridiction qui domine et foule aux pieds les principes et les lois, qui dispose de la vie et de l'honneur des hommes, et fait la peine en même temps que le jugement. Il nous répugne de penser qu'un pouvoir aussi monstrueux soit légal, et il nous paraît que cette juridiction élevée doit se soumettre aux règles du droit commun, tant qu'une loi de procédure particulière ne l'aura pas légalement investie du droit d'y déroger. Nous n'admettons donc pas que la Cour des pairs puisse statuer elle-même sur une requête proposée contre un de ses arrêts, et réviser cet arrêt; car les lois ne l'admettent pas.

Cette requête, à laquelle tant de sympathies se rattachent, restera-t-elle donc sans effet? Si les jugemens des hommes ne sont point infaillibles, doivent-ils être irréparables? Une mémoire sans tache n'est-elle pas un bien dont la société doive la restitution à celui qu'elle en a privé injustement, ou à sa famille quand il n'existe plus? Enfin un malheur public, tel qu'une injuste condamnation, doit-il rester sans une solennelle expiation? Non, et nous n'eussions peut-être pas eu le courage d'in voquer un droit rigoureux sur ce lamentable sujet, si nous l'eussions pensé. Il ne suffit pas que l'opinion publique, éclairée par la liberté de la presse, efface, dans l'intérêt des familles, une tache qui existe surtout dans l'opinion; la justice sociale a reçu une atteinte, elle appelle une grande réparation. Mais cette réparation, ce n'est pas aux tribunaux qu'il faut la demander. Dans un pays voisin, où le

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