Page images
PDF
EPUB

le Code, aucune Cour n'avait moins de cinq juges; le prévenu avait donc les garanties exigées par le droit public. La loi du 4 mars 1831 réduit à trois juges les magistrats qui siégent aux Cours d'assises; peut-on leur donner le pouvoir de prononcer des condamnations définitives? Mais c'est violer à la fois le droit public et le Code lui-même.

En second lieu, disaient les demandeurs sur ce moyen, la loi fondamentale a garanti aux citoyens accusés de certains délits le jugement par jurės; or, les deux espèces de condamnations prononcées rentraient dans la classe de ceux auxquels la Charte et la loi du 8 octobre 1830 ont accordé cette garantie, puisqu'on a appliqué aux délits d'outrages l'art. 6 de la loi du 25 mars 1822, et aux délits relatifs aux discours prononcés pour la défense, les art. 4 et 10 de la même loi et celle de 1819. Sur ce premier point, les demandeurs étaient dans une évidente erreur; mais cette erreur était appuyée sur celle commise par la Cour d'assises elle-même, qui avait appliqué à un outrage commis en vers des magistrats dans l'exercice de leurs fonctions, à leur audience, puni par l'art. 222 du Code pén. de 2 à 5 ans d'emprisonnement, l'art. 6 de la loi du 25 mars, relatif aux outrages commis envers les fonctionnaires à l'occasion de l'exercice de leurs fonctions, délit bien moins grave. L'art. 6 de la loi du 25 mars 1822 n'a pas plus dérogé aux dispositions du Code pén. sur les outrages commis à l'audience, que ne l'avaient fait les art. 15 et 18 de la loi du 17 mai 1819, ainsi que la Cour de cassation l'a jugé par un arrêt du 17 mars 1820. L'art. 222 du Code pén. n'appartient pas à une section de ce Code qui a été rangée parmi les délits politiques par la

loi du 8 octobre 1830.

Mais le moyen proposé devenait plus sérieux relativement aux condamnations prononcées, à l'occasion des paroles proférées par les prévenus dans le cours de leurs défenses, en vertu des dispositions des lois des 17 mai 1819 et 25 mars 1822, classées parmi les délits dont la Charte a renvoyé la connaissance au jury. On pouvait s'appuyer à cet égard des principes reconnus par la Cour de cassation elle-même dans l'affaire du président Fourdinier (1), et duquel il résulte que la Charte et la loi du 8 octobre 1830 ont dérogé d'une manière absolue à toutes dispositions antérieures, même aux art. 479 et 480 du Code d'instr. crim., relatifs au privilége de juridiction accordé aux magistrats de ce que les délits ont été commis à l'audience, leur nature ne change pas. Si les magistrats sont compétens ratione loci et ratione personarum, ils ne le sont évidemment plus ratione materiæ; et c'est ce que M. Carnot avait pressenti (no 14 de son Comment. sur l'art. 222 du Code pénal), à l'occasion des lois de 1819, qui déjà avaient étendu à ces délits les attributions du jury.

M. le procureur-général Dupin a répondu à ces différens moyens. Voici en substance les motifs de son réquisitoire : « Le régime de la liberté n'est pas celui de la licence; il se fonde avant tout sur le respect de la loi. Chacun peut user de son droit, mais en respectant celui d'autrui, et, avant tout, le droit public, qui est le patrimoine commun de tous les citoyens. La justice est donnée pour garantie à tous, mais à la charge par tous de la respecter dans l'intérêt de tous. Car si les magistrats, sur leur siége, peuvent im

(1) Voy. Arrêt du 14 avril 1831, art. 615.

punément être outragés, la violence usurpe la place du droit, il n'y a plus que désordre dans la société, et nous rétrogradons de l'état d'un peuple civilisé à l'état d'un peuple barbare. La défense d'un accusé doit être libre; et, toutefois, les excès qui la font dégénérer en agression ne la rendent pas inviolable; autrement, sous prétexte de se défendre, ce serait attaquer, attaquer avec impunité. L'accusé aurait des droits, et certes il en a de trèsgrands; mais le juge et le pays n'en auraient pas. Il faut cependant que la société puisse se défendre; car, pour elle aussi, la défense est de droit naturel. C'est un principe de toutes les législations que les juges ont le droit de connaître, sans jury, des délits d'outrage commis envers eux à l'audience. On objecte que les lois sur les délits de la presse ont porté atteinte à ce droit. Examinons ces lois. La loi du 17 mai 1819 n'a pas abrogé l'art. 222 du Code pén. En effet, l'art. 26 de cette loi énonce positivement les articles du Code pén. qu'elle a voulu abroger, et les art. 222 et suivans ne sont pas compris dans cette énumération. Et qu'on ne dise pas que ce n'est là qu'un argument négatif; car le rapporteur de la loi devant la Chambre des Députés a déclaré formellement que l'intention de cette loi n'était pas de rapporter les art. 222 et suivans, relatifs aux délits d'outrages commis contre les juges dans l'exercice de leurs fonctions. La loi du 25 mars 1822 n'a pas davantage abrogé l'art. 222 par son article 6; car ce dernier article ne prévoit que les outrages commis contre le juge à l'occasion de ses fonctions, et non pas dans leur exercice même, ce qui est fort différent. Or, si ces deux lois n'ont pas saisi le jury, la loi du 8 octobre ne l'a pas saisi non plus; car, notamment pour la loi de 1822, elle ne renvoie au jury que les délits prévus par l'art. 9. Ainsi la compétence des juges ordinaires demeure incontestable.- Une autre question non moins importante est celle de la compétence pour les délits commis dans l'enceinte des tribunaux. Là encore il faut reconnaître une juridiction toute spéciale, qui a aussi ses motifs particuliers. Ils sont tirés non-seulement de la nécessité pour les tribunaux de faire res pecter le sanctuaire de la justice souillé par le crime, mais surtont de ce que le crime est flagrant. En effet, la preuve est là toute acquise; toutes les impressions sont vivantes; jamais les témoins n'auront le fait plus présent. Voilà pourquoi la loi veut une répression immédiate par le juge qui est en fonction; elle le veut dans l'intérêt de la répression, qui n'est jamais plus rare qu'en pareil cas, et pour l'effet moral, qui a tant d'influence sur le public. Mais on répète la même objection : le délit est un de ceux que la loi de la presse attribue au jury. A cela il faut répondre que les délits de publication ne sont pas plus précisément attribués au jury que ne le sont les meurtres et les autres crimes, que les art. 507 et 508 autorisent cependant les Cours d'assises à juger sans le jury. A la vérité une difficulté réelle existe ici par suite de la réduction des Cours d'assises de cinq à trois; ce qui ne permet plus de juger à la majorité exigée de quatre sur cinq. Mais la loi ayant sans doute plutôt exigé une proportion dans la majorité qu'un nombre fixe, les art. 507 et suivans seraient encore applicables si la condamnation était prononcée à l'unanimité. Au surplus, on ne peut élever cette difficulté dans l'espèce, parce que la Cour d'assises 'n'avait pas à décider sur un crime, par application des art. 507 et 508, mais à prononcer sur un simple délit, en vertu de l'art. 181, qui n'exige pas d'autre majorité que la majorité simple. Quant à l'art. 23 de la loi du 17 mai 1819, cet article, qui

[ocr errors]

s'applique même aux plaidoyers civils, n'a pour but que de réserver aux juges de la cause l'appréciation des discours dans lesquels une partie prétendrait avoir été diffamée; ce qui dépend beaucoup de la connaissance du fond. Du reste, cet article réserve et l'action publique et l'action des tiers, et, à plus forte raison, toutes les actions pour crimes autres que la diffamation. Au surplus, l'adjonction instantanée du jury pour les délits d'audience est impossible; ce serait une bizarrerie que la loi n'a pas autorisée, et qui est inconciliable avec l'organisation du jury. Le jury n'a pas une juridiction qui puisse se proroger; il n'a à prononcer que sur une seule accusation ; hors de là il n'a plus de mission.»

ARRÊT.

LA COUR, - En ce qui touche François-Guillaume Gervais : —Attendu qu'il ne produit ni les quittances de la consignation, ni les pièces qui servent à en tenir lieu, ni la preuve qu'il est en état conformément aux articles 419, 420 et 421 du Code d'instr. crim. ; -Le déclare non recevable en son pourvoi et le condamne, etc.;

[ocr errors]

En ce qui touche le pourvoi formé par Henri Bonias contre l'arrêt du 10 janvier dernier : Attendu la connexité, la Cour joint ce pourvoi à celui qui a été déclaré par le même Henri Bonias, François-Vincent Raspail, Louis-Auguste Blanqui, et Vincent-Antony Thouret, contre l'arrêt du 12 du même mois, et statuant sur le tout :

Attendu, en fait, que la retraite des défenseurs a été volontaire, et n'est pas le fait de la Cour d'assises ni de son président; que la suspension de M. Allier, l'un d'eux, n'a été que l'application légale et légitime du pouvoir conféré à cette Cour par l'art. 23 de la loi du 17 mai 1819; que le prévenu Bonias a été défendu par Me Dupont, avocat, à l'audience du 10 janvier, jour auquel il a été une première fois condamné; que le même Bonias, Raspail, Blanqui et Thouret étaient également assistés de leurs défenseurs, lorsque les paroles incriminées ont été par eux proférées; que le président de la Cour d'assises, avant d'ouvrir le débat sur ces paroles, a nommé un avocat d'office pour défendre les demandeurs sur ces nouveaux délits; qu'ils ne se sont pas plaints de l'insuffisance de cette nomination ; qu'ils ont, au contraire, formellement repoussé ce défenseur, qui a été obligé de s'abstenir par suite de leur refus;

Attendu, en droit, que les art. 294 et 507 du Code d'instr. crim., qui prescrivent la nomination d'un défenseur d'office, ne sont applicables qu'aux accusés de crimes, et non aux prévenus de délits ou de contraventions (1);

Sur la deuxième branche du premier moyen : :- Attendu que le procèsverbal des débats constate que Raspail, Blanqui, Bonias et Thouret ont été mis à portée de rétracter les paroles par eux prononcées à l'occasion de leur défense, et qui ont été incriminées par le ministère public ; et qu'au lieu d'attribuer ces paroles à la chaleur de la défense, les prévenus y ont persisté; que notamment Raspail a déclaré que le ministère public les avait atténuées, et Blanqui, qu'il remerciait le ministère public d'avoir donné de la

(1) Voy. l'article précédent.

publicité à son système d'économie politique; qu'ainsi le droit de la défense n'a pas été méconnu ;

[ocr errors]

Sur la troisième branche du premier moyen, et la première branche du deuxième moyen: Attendu que les faits qui ont servi de base à la condamnation prononcée contre Thouret, et à une partie de celle prononcée contre Bonias, sont étrangers à leur défense; —Attendu, d'un autre côté, qu'il résulte suffisamment du procès-verbal des débats et de l'arrêt attaqué, que les faits dont Raspail, Blanqui et Bonias sont déclarés coupables à l'occasion de leur défense, n'étaient ni la reproduction ni le développement des mots incriminés ; que la Cour d'assises a donc pu les considérer comme constitutifs de délits nouveaux différens de ceux de la ponrsuite, bien qu'ils fussent de même nature; qu'en appliquant à ces faits la disposition des lois qui les ont prévus et punis, elle n'a violé ni la liberté de la défense, ni l'art. 23 de la loi du 17 mai 1819; que d'ailleurs cet article est inapplicable à l'espèce, puisqu'il ne concerne que la diffamation ou l'injure résultant envers les parties ou les tiers des discours prononcés ou des écrits respectivement produits devant les cours et tribunaux; Attendu que l'art. 15 de la même loi du 17 mai et l'art, 5 de celle du 25 mars 1822 ne s'appliquent qu'à la diffamation et à l'injure commises par la voie de la presse ou par tout autre moyen de publication contre des cours ou tribunaux, pour des faits relatifs à leurs fonctions, et nullement à l'outrage qui a eu lieu à l'audience d'une cour ou tribunal; - Attendu d'ailleurs que l'art. 4 de la loi du 26 mai 1819 n'est pas applicable au délit commis contre un tribunal à son audience; que dès-lors les arrêts attaqués ne contiennent aucune violation des dispositions précitées;

Sur la deuxième branche du deuxième moyen, et sur le troisième moyen: --Attendu que l'art. 181 du Code d'instr. crim. donne aux Cours en général, et conséquemment aux Cours d'assises, le droit de juger et punir les délits commis dans l'enceinte et pendant la durée de leurs audiences; Que, d'après l'art. 1er de la loi du 4 mars 1831, les Cours d'assises se composent de magistrats désignés pour en faire partie, du ministère public et du greffier; qu'elles existent indépendamment des jurés dont le concours n'a lieu que pour prononcer sur les faits qui leur ont été déférés dans les formes prescrites par la loi ; qu'elles prononcent sur les incidens de l'audience, appliquent la peine, statuent sur les dommages-intérêts, et jugent les contumaces; que les dispositions combinées des art. 507 et 508 dudit Code repoussent l'idée que l'intervention des jurés présens à la perpétration flagrante même d'un crime, soit nécessaire pour le constater; qu'en effet les jurés présens au délit ou au crime commis à l'audience, soit qu'il l'ait été à l'occasion des faits de l'accusation, soit qu'il provienne d'un fait entièrement étranger, n'en sont pas moins sans qualité et sans juridiction pour connaître, parce que leur pouvoir est circonscrit dans le fait unique pour lequel ils ont été désignés par le sort et acceptés par l'accusé comme juges; qu'obligés de procéder au jugement de suite et sans désemparer, en vertu de la disposition impérative dudit art. 181, la Cour d'assises doit donc constater seule et punir les délits flagrans qui sont commis à son audience; que la Charte de 1830, et la loi du 8 octobre de la même année, en ce qui concerne les délits correctionnels dont elles attribuent la connaissance au jury, n'ont nullement modifié la juridiction exceptionnelle et d'ordre public établie par ledit art. 181;

[ocr errors]

Attendu qu'il est inutile de rechercher quelle peut être, sur le jugement du crime commis à l'audience, l'influence de la loi du 4 mars 1831, qui réduit à trois le nombre des juges des Cours d'assises, puisqu'il ne s'agit dans la cause que des délits correctionnels, pour la répression desquels la simple majorité des juges suffit; D'où il suit que l'arrêt attaqué n'a commis ni l'excès de pouvoir ni la violation des lois qui lui sont reprochés;

En ce qui touche particulièrement Blanqui :-Attendu qu'exciter le mėpris ou la haine des citoyens contre une portion d'entre eux, en les désignant sous un nom générique, c'est chercher à troubler la paix publique dans le sens et le véritable esprit de l'art. 10 de la loi du 25 mars 1822; Que les faits dont l'arrêt attaqué déclare le demandeur coupable constituent donc un délit, et que dès-lors la disposition de cet article lui a été justement appliquée;

En ce qui concerne la condamnation prononcée contre Bonias et Thouret, pour délits d'outrage: - · Attendu, à la vérité, que les arrêts attaqués, au lieu de leur infliger les peines portées par l'art. 222 du Code pénal, ne leur ont appliqué que l'art. 6 de la loi du 25 mars 1822; mais que la peine prononcée par ce dernier article étant moins forte que celle de l'autre, il n'en est résulté pour eux aucun préjudice, et qu'ils ne peuvent dès lors, d'après l'art. 441 du Code d'instr. crim., être recevables à s'en plaindre ;· En ce qui concerne Raspail: - Attendu qu'aux faits déclarés constans à son égard par l'arrêt du 12 janvier, et d'après la qualification qui leur appartient, il a été fait une juste application des articles 1, 2 et 9 de la loi du 17 mai 1819, combinés avec l'art. 87 du Code pén.; Attendu, enfin, à l'égard de tous les demandeurs, que les deux arrêts attaqués ont été rendus publiquement après la constatation des faits, l'aveu et l'audition des prévenus, et les réquisitions du ministère public; que ces arrêts sont réguliers dans leurs formes :- Rejette le pourvoi.

[ocr errors]

—Du 27 février 1832. Cour de cass. M. Isambert, rapp. - M. Crémieux, av.

ART. 826.

SEPULTURES. DECRET. -PEINES.

Les infractions aux dispositions du décret du 4 thermidor an 13, relatif à la police des sépultures, doivent être punies par l'application des peines portées par les art. 600 et 606 du Code du 3 brumaire an 4 (1).

[ocr errors]

ARRÊT (Moussier).

LA COUR, Vu l'art. 1er du décret du 4 thermidor an 13, et l'art. 358 du Code pén. ; Attendu que le décret précité, qui prohibe à tous curés, desservans et pasteurs d'aller lever aucun corps ou de les accompagner hors des églises et temples, sans qu'il leur apparaisse de l'autorisation de l'officier de l'état civil, ne contient pas de sanction spéciale; que cette sanction ne peut se trouver dans l'art. 358 du Code pén., qui prévoit des faits différens,

(1) Voy. nos observations sur un arrêt du 22 août 1828, rendu dans une espèce analogue. (Art. 50, 1829, p. 84.)

« PreviousContinue »