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ancêtres. Cependant, en comparant la chambre de Karnac avec d'autres séries de noms royaux et surtout avec le précieux papyrus de Turin, qui contient un grand nombre de noms de rois antérieurs à la 18 dynastie, on commence à voir se dessiner les linéamens de cette ancienne histoire.

Il y a trente ans, ces masses étaient muettes ; maintenant, elles ont une voix, et elles racontent plus de vingt siècles de l'histoire d'Egypte. Rien ici ne remonte à l'antiquité primordiale de l'âge des pyramides. On trouve même très-peu de textes datant de l'ancien royaume et antérieurs à l'invasion de ces barbares qu'on appelle les Pasteurs; mais à peine, après 500 ans d'une domination toujours contestée sur quelques points de l'Egypte, les barbares ont-ils été expulsés par la vaillance persévérante des premiers rois de la 18o dynastie; que dis-je ? pendant que la lutte dure encore aux extrémités septentrionales de l'empire, sous ces rois de l'Egypte délivrée, s'élève, non loin du lieu où était l'ancien sanctuaire détruit durant l'invasion, ce palais de Thoutmosis III qui existe encore, les obélisques, enfin tout ce qui subsiste de la partie la plus ancienne des édifices de Karnac. Les dimensions de ces édifices ne sont point gigantesques; les hiéroglyphes et les bas reliefs offrent la perfection qui caractérise l'époque brillante des Thoutmosis. A côté de ces monumens d'un goût pur et de dimensions moins considérables, la famille conquérante des Ramsès vint élever un édifice immense, dont les nombreuses et formidables colonnes reproduisent partout leur image et leurs noms, dont les

D'après les travaux de MM. de Bunsen, Lepsius, Prisse et de Rougé, il semble que la partie gauche contient des noms de rois antérieurs à la 12 dynastie, et que sur la partie droite on lit des noms qui appartiennent aux dynasties intermédiaires entre les 12 et 18, aux dynasties qui régnèrent sur une partie de l'Égypte pendant que les pasteurs occupaient la plus grande portion du pays. Ce chapitre obscur de l'histoire d'Egypte a été surtout éclairé par les recherches très-solides ct neuves en grande partie de M. de Rougé, Voyez les Annales de philosophie chrelienne, tome xiv, 3a série. Voyez aussi deux savans mémoires de M. Barucchi. (Note de M. BURNOUF).- Nos lecteurs savent que dans ces articles de M. de Rougé, nous avons publié un fac simile du côté gauche de cette chambre de Karnac, plus exact que celui donné A. B. par M. Prisse.

murs sont couverts par les reproductions épiques de leurs guerres et de leurs triomphes. Plus tard, cette splendeur décline, les derniers des Ramsès ne méritent plus d'être confondus avec Sésostris : on dirait les pâles descendans de Charlemagne. Alors, une famille de prêtres thébains se glisse sur le trône des Pharaons. Le titre royal, clandestinement usurpé sur les murs du temple de Khons, révèle les progrès tortueux de cette dynastie sacerdotale; mais elle dure peu, le génie guerrier se ranime dans une famille de conquérans qui lutte avec l'empire d'Assyrie. Un roi d'Égypte emmène captif un roi de Juda, et cette page historique de la Bible se retrouve écrite sur un mur de Karnac. La suite des événemens ultérieurs de l'histoire d'Egypte est représentée à Karnac au moins par quelques vestiges. On y a trouvé le nom d'Amyrtée, qui défendit son royaume contre les Perses; le nom de Nectanebo, qu'une légende, enfantée par l'orgueil égyptien, faisait père d'Alexandre, comme une légende née de la vanité persane faisait d'Alexandre un frère de Darius; enfin, le frère d'Alexandre a gravé son nom, qu'un autre a fait si grand, sur le granit des antiques constructions qui datent des premiers Thoutmosis; puis sont venus les Ptolémées, et si l'on reconnaît comme toujours, au goût de la sculpture et au dessin des hiéroglyphes, une époque de décadence, l'architecture a un air de grandeur digne des Pharaons. C'est par un pylône élevé sous Épiphane qu'on entre dans la salle aux colonnes, et cette entrée ne la dépare point. Ce sont les Ptolémées qui ont dressé les trois grands pylônes du nord, du sud et de l'est. Le nom de Tibère, accolé à celui de Ramsès-leGrand, complète cette série de siècles, représentés par les différens monumens dont se compose ce monde de ruines et de souvenirs, que, du nom d'un humble village situé à son ombre, on appelle Karnac. Enfin, ce sont ces magnifiques débris que nos soldats, qui étaient des héros, mais point des antiquaires, ont salués de leurs applaudissemens. Le canon y a retenti dans une fête nationale célébrée par le général Béliard en l'honneur de la république française, cette dernière puissance qui vient clore la liste de toutes les puissances tombées dont ce lieu retrace le souvenir, et qui, elle aussi, fait partie de leur glorieux passé.

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J.-J. AMPERE.

Polémique Philosophique,

NOUVELLE EXPLICATION

DE L'ORAISON DOMINICALE

PAR LES FOURIÈRISTES.

Nous ne cessons de répéter dans nos Annales que la grande hérésie de l'époque actuelle, hérésie qui fait tous les jours plus de progrès et qui menace d'engloutir la Révélation divine, réelle, traditionnelle, extérieure, historique, c'est un Christianisme humain, c'est-à-dire un christianisme nouveau provenant d'une révélation prétendue directe de Dieu à l'homme, révélation intérieure, particulière, livrée à l'interprétation humaine. Or, voici que les principaux organes du Christianisme commencent à s'appercevoir de cette tendance, mais malheureusement aucun, ou peu, savent voir le mal dans ses principes et y appliquer le remède propice. Bien plus, la plupart ne s'apperçoivent pas que ces contrefacteurs audacieux du Christianisme ne font qu'appliquer les principes posés par les maladroits défenseurs du Christianisme véritable. Nous allons voir ce spectacle renouvelé par un journal protestant de réputation, le Semeur. Voici son article que nous approuvons pour le fond mais que nous faisons suivre de quelques observations :

<< Il existe de nos jours une manie fort étrange et en même tems fort répandue: c'est de vouloir à toute force, quoi qu'il en coûte au bon sens, et peut-être à la bonne foi, porter le nom de chrétien.

» Les pantheistes les plus déterminés, les sceptiques les plus complets ne s'en font pas faute. Après avoir exposé des opinions absolument contraires aux principes du Christianisme, ils invoquent l'autorité du Christ. A les entendre, jamais Pères de l'Église, jamais docteurs de Sorbonne ou pasteurs de Genève n'ont compris l'Evangile comme eux. Cela est vrai, effectivement, mais dans un tout autre sens que celui qu'ils imaginent.

» Si quelque pamphlétaire invente une politique monstrueuse, et s'emporte jusqu'à demander de sanglantes hécatombes, c'est le Christ qu'il rend responsable de ses cruelles utopies.

>> Si quelque ouvrier mal guidé par son esprit, et plus mal dirigé par sa conscience, rêve le partage des biens, et au besoin le vol à main armée, c'est encore sur la parole du Christ qu'il prétend appuyer ses abjectes passions.

>> Qui est-ce qui n'est pas chrétien, dans ce tems-ci? Vous verrez qu'on finira par n'en refuser le nom qu'à ceux qui en acceptent les données fondamentales. Les véritables chrétiens, ceux qui cherchent leur foi dans les Écritures, et qui reçoivent humblement la doctrine révélée, seront qualifiés de païens ou de quelque titre analogue, et le certificat de chrétien sera réservé aux hommes qui font du Christianisme la plus indigne parodie.

>> Tout le monde ne sait pas quelle est l'intrépidité d'interprétation qui devient à la mode aujourd'hui. Sous les termes les plus clairs et les plus simples de l'Évangile on découvre les dernières profondeurs du Socialisme. Le Fils de l'homme, en parcourant les plaines et les montagnes de la Judée, annonçait aux Israélites tout ce qu'enseigne, à l'heure qu'il est, tel orateur de club ou tel faiseur de libelles communistes. En voici un spécimen que nous citons pour l'instruction de nos lecteurs : c'est l'explication la plus nouvelle de l'Oraison domininicale; on la trouve dans la Démocratie pacifique du 2 octobre.

>> Lorsque Jésus-Christ, sur la montagne, parla pour la première » fois au peuple assemblé, il enseigna aux prolétaires, à tous les op» primés, cette prière sublime: Notre Père, qui êtes aux cieux, » que votre règne arrive, — que votre volonté soit faite sur la terre » comme au ciel, ne nous laissez pas succomber à la tentation,

» mais délivrez-nous du mal.

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Que votre règne arrive! Ou cette phrase est menteuse comme tune Charte, ou elle veut dire : Vienne le règne de la vérité, de la » liberté et de la justice! Que votre volonté soit faite sur la terre! » c'est-à-dire : Périssent l'erreur, la misère, l'oppression, l'exploita» tion de l'homme par l'homme; viennent la fraternité, la solidarité, » l'association, l'harmonie ! Ne nous laissez pas succomber à la » tentation ! c'est à dire : Loin de nous l'indigence qui pousse au vol,

» à la prostitution, à la guerre civile ! Délivrez-nous du mal! » oui, délivrez-nous du travail répugnant, insalubre, mal rétribué, » mal garanti; aidez-nous à sortir des limbes sociales, pour entrer » dans une société plus conforme à la dignité humaine comme à la » bonté de la Providence!

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>> Respirons un peu après cette tirade. On s'est souvent moqué des. tours de force des commentateurs, mais ceci dépasse la mesure de ce qu'on peut permettre, même aux plus excentriques, et les bonnes intentions de l'interprète ne l'excusent nullement.

» Observez d'abord qu'il suppose, par une hypothèse gratuite, que Jésus-Christ ne s'adressait qu'à des prolétaires et à des opprimés. Le Sauveur du monde parlait à tous, grands et petits, prêtres et membres de la synagogue, docteurs de la loi et simples femmes. Et s'il dit quelque part que l'Evangile est annoncé aux pauvres, cette parole indiquait, non qu'il s'était exclusivement tourné vers eux, mais que les pauvres se montraient généralement plus attentifs à sa parole. Quant aux opprimés, il est remarquable que l'Evangile tout entier ne contient pas un seul mot qui provoque la résistance à l'oppression civile. On aura beau faire le Christianisme est en dehors et au-dessus des querelles politiques dont nous sommes agités.

» Il faut noter ensuite que le commentateur mutile la prière dominicale. Pourquoi supprimer la première demande : Que votre nom soit sanctifié! et celle-ci : Donnez-nous notre pain quotidien! et encore: Pardonnez-nous offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés ? Le docteur de la Démocratie pacifique a-t-il craint de ne pouvoir pas renfermer ces requêtes dans la théorie phalanstérienne? En vérité, il est trop modeste; avec son système d'interprétation, cette partie de l'Oraison dominicale ne devait pas l'embarrasser plus que le reste.

>> Nous n'avons aucune envie de réfuter point par point le commentaire que nous avons cité. Deux choses seulement y doivent être signalées.

» La première, c'est que l'auteur paraît être complètement étranger à la notion du mal, selon l'esprit de l'Evangile. Pour notre socialiste, le mal est synonyme de misère matérielle, de travail répugnant et incertain, d'indigence ou d'infériorité sociale, et le bien n'est autre

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