Page images
PDF
EPUB

du Dieu, qui, selon le Semeur, EST dans sa conscience, il est destiné à faire revivre le sens vrai des Ecritures? N'est-ce pas là précisément la position que Luther a prise vis-à-vis de l'Eglise ? N'est-ce pas celle que conserve encore le Semeur? Que répondrait-il si nous-même lui disions : « Il est évident pour nous, que vous al» térez à dessein, sciemment les Ecritures, et que vous n'en cherchez » pas sincèrement le sens? » Ne dirait-il pas que c'est une injure que nous lui adressons, et non un raisonnement que nous faisons pour l'éclairer? Et certes, selon nous, il aurait raison.

[ocr errors]

Nous avons dit en second lieu que, dans le raisonnement du Semeur, il y avait pour principe, que lui seul recevait une révélation directe de Dieu, et que c'était sa pensée qu'il mettait à la place de la parole de Dieu. Le Semeur répond: « Qu'il n'est pas nécessaire de l'inspiration directe ni de la tradition extérieure, que l'Oraison dominicale est claire de sa propre clarté, et que pour l'entendre il suffit de fléchir les genoux devant Dieu. » — Dans cette réponse on suppose toujours ce qui est à prouver à savoir, qu'on ne peut pas trouver un sens nouveau aux Ecritures, ce qui est la négation du principe protestant même; et de plus, qui lui a dit que les fouriéristes n'ont jamais fléchi le genou devant Dieu? et s'ils l'ont fait, et avec sincérité, que devient la réponse du Semeur ?

Mais là où le Semeur se jette en plein dans toutes les erreurs de cette philosophie humanitaire et pantheiste, contre laquelle il combat cependant avec tant de courage, c'est quand il répond à l'observation que nous lui avons faite, qu'en définissant le mal : «Ce qui » est opposé à la conscience et à la volonté de Dieu,» il mettait la conscience avant la volonté de Dieu, c'est-à-dire la pensée humaine avant la parole de Dieu. Voici sa réponse : « En cela nous n'avons » fait que reconnaître un fait que personne ne nie savoir: que ceux qui ne connaissent pas, ou qui ne reconnaissent pas la loi de Dieu » révélée dans sa parole, n'échappent pas pour cela entièrement à » sa voix. La conscience rend son témoignage. »>

>>

On le voit, le Semeur est dans cette erreur répandue dans les écoles philosophiques que Dieu parle à l'homme de deux manières, par sa parole extérieure que nous appelons révélation, et par sa parole intérieure, qu'il appelle conscience. A la bonne heure.... Mais n'est-ce pas retomber dans la révélation directe et immédiate ? N'est-ce pas

là la réverbération de Dieu en nous ? Chaque homme n'a-t-il pas sa conscience? et cette conscience n'est-elle pas la voix de Dieu en chacun de nous? et si chacun de nous a la voix de Dieu en lui, qu'est-il besoin d'écouter la voix de Dieu hors de nous ? Mais le Semeur ne sait-il pas qu'il y a des personnes qui sont coupables tout en suivant cette voix intérieure? Le Christ ne dit-il pas qu'il y a des gens qui, en persécutant les disciples de Dieu, croiront exécuter les ordres de Dieu ? Comment donc savoir quand cette pensée intérieure, dite conscience, est vraiment la voix de Dieu ? N'est-ce pas quand elle est conforme aux règles données par la parole extérieure, positive et traditionnelle de Dieu ? Que le Semeur réponde à cette question, elle est encore la plus importante, la seule à examiner entre les panthéistes et les chrétiens.

D'ailleurs si le Semeur juge à propos de nous répondre, nous le prions instamment de ne pas dire que c'est là une querelle que nous lui faisons, comme il l'a dit. Non, si nous avons fait quelques observations sur l'article que nous lui avons emprunté, c'est que nous inettons le Semeur dans une place honorable parmi les revues philosophiques. Il y a sans doute bien des points qui nous séparent, mais nous estimons en lui les efforts qu'il ne manque jamais de faire pour s'opposer au panthéisme, au symbolisme qui menacent d'annihiler le Christ et sa religion historique. Suivant nous, le Christ et sa religion historique sont notre seule ressource, notre unique planche de salut; mais nous voudrions que, de même que le Semeur ne reconnaît que le Christ et sa parole historique, il ne reconnût aussi que Dieu et sa parole historique, et qu'il n'allât pas nous dire que Dieu s'incarne dans la conscience, pour y faire entendre sa voix intérieure; car suivant nous, c'est comme s'il disait que le Verbe s'est incarné dans la raison humaine.Le Semeur repousse ce blasphême, nous nous repoussons aussi le premier. Notre polémique est donc celle d'une personne qui, voyant un trésor commun en péril, avertit fraternellement du danger, et appelle à son aide tous les dévouemens, toutes les intelligences et toutes les bonnes volontés. A. B.

• Sed venit hora ut omnis qui interficit vos, arbitretur obsequium se præstare Deo. Joann., xvi, 2

Polémique Catholique.

S'IL EST VRAI

QUE L'HISTOIRE DE TOUS LES PEUPLES

AIT COMMENCE AR

LA COMMUNAUTÉ DES BIENS ET DES FEMMES

COMME LE DIT LE CORRESPONDANT.

Importance de la question. Texte du Correspondant.

La propriété a été constituée dès le commencement de la société par Dieu lui-même. Les femmes chez les Germains n'étaient pas communes. - De la propriété des terres chez ce peuple. Textes des auteurs sur la communauté des femmes. Ces textes sont erronés ou exagérés. -Les auteurs catholiques. ont tort de les prendre à la lettre.

[ocr errors]

Nous ne cesserons de le répéter, les plus grandes erreurs morales et religieuses actuelles, ont leur principale source dans une erreur historique. La philosophie tout entière du 18° siècle reposait sur cette assertion erronée, que l'état sauvage était l'état naturel. Cette erreur est encore répandue dans la plupart de nos livres philosophiques et même religieux. Les auteurs les plus orthodoxes ont encore des pensées bien peu justes sur l'état primitif de la société, sur l'état dans lequel Dieu a placé l'homme, sur les communications qu'il a encore avec lui. Les Annales croient rendre un vrai service à la cause qu'elles défendent en éclaircissant, autant qu'elles le peuvent, ces questions d'origine première.

C'est pour cela qu'elles croient de leur devoir d'appeler l'attention de leurs lecteurs, sur une théorie exposée dans un des derniers cahiers du Correspondant. C'est au reste à l'auteur même de l'article, M. de Courson, et au savant directeur du recueil, M. Lenormant, qu'elles adressent ces observations en les prenant eux-mêmes pour juges.

M. de Courson a publié, dans ce recueil, plusieurs lettres sur le socialisme moderne ; c'est dans la 5e de ces lettres qu'il se propose

de faire l'Histoire de la communauté telle qu'elle a existé chez les nations barbares de l'antiquité. Et c'est, ainsi qu'il commence son travail :

L'histoire nous révèle que, dans l'enfance des sociétés, avant que les peuplades nomades ne fussent descendues de leurs charriots de voyage, la terre élail commune entre les hommes; les femmes elles-mêmes, prises et délaissées comme la terre, étaient soumises à ce dégradant regime de la communauté. Ainsi chez les Scythes, au témoignage de Nicolas de Damas, les femmes et les biens étaient en commun'; le même usage était en vigueur chez les Bretons. Quant aux Germains, un texte de César nous apprend que la propriété fixe et limitée, à la manière romaine, leur était tout-à-fait inconnue ; c'étaient les magistrats et les princes de la nation, dit le grand historien, qui, sur l'autre rive du Rhin, assignaient chaque année aux familles et aux tribus la portion de terrain qu'elles devaient occuper dans telle ou telle localité. L'année suivante, ils les obligeaient à s'établir ailleurs 2.

Les mêmes faits se retrouvent au même degré de culture morale dans l'hisloire de lous les autres peuples3, et c'est ce qui explique les étranges systèmes de la République de Platon, souvenirs vivaces d'une époque toute barbare au sein d'une civilisation très-avancée.

Telle est la théorie exposée par M. de Courson et le Correspondant. Or, nous croyons que si cela était vrai, si les mêmes faits se retrouvaient chez tous les autres peuples, le COMMUNISME aurait raison. Heureusement qu'il n'en est rien. Il y a ici ou exagération donnée à quelques faits, ou erreur complète sur les autres; non, l'histoire ne nous révèle rien de semblable. Elle nous dit, au contraire, que dès le commencement les femmes n'ont pas été communes. Caïn avait SA femme qui n'était pas celle d'Abel, SES enfans qui n'étaient pas ceux d'Abel. Abel avait SES troupeaux, Caïn SES fruits qu'ils offraient au Seigneur; l'offrande de l'un n'était pas celle de l'autre. Ces idées, ces pensées de vraie propriété, ces paroles MA femme, MES enfans, MES troupeaux, MES fruits, ont été prononcées dès le commencement; elles représentaient l'ordre prescrit, enseigné, ordonné de Dieu, et les chefs des peuples enseignèrent et transmirent ces mêmes enseignemens et ces traditions à leurs enfans, et aux peu

Prodrom. de la Biblioth. grecque de Coray, p. 271, 272.

2 César, de Bello Gallico, v, 22.

Hérod., Melp., 180. Diod. de Sic., t. 1, p. 155.

Pomp. Mela, 1, 8.

ples et sociétés qui s'ensuivirent. La même chose advint sous Noé. Celui-ci avait ses enfans, qui connaissaient bien leur père; ils avaient eux leurs femmes qui n'étaient pas communes ; ils avaient aussi leurs troupeaux, leurs habits, leurs tentes, tout cela leur appartenait, et constituait une véritable propriété. Nous le répétons, cet ordre de la société avait été réglé de Dieu; ce n'est ni le travail, ni la première occupation qui faisaient le fond même, la sanction de la propriété, mais l'ordre établi de Dieu; pour rendre la société possible et durable, dès le premier jour où il y eut des familles, le précepte, tu ne voleras pas, fut promulgué et connu. Voilà le vrai fondement de la propriété, et non tous ceux que l'on cherche péniblement à établir et qui croulent aussi de toutes parts sous les coups du communisme. Il en arrivera ainsi de tout état, de tout ordre de société que l'on voudra établir sans tradition et sans Dieu.

Ainsi donc, il est faux que, dans l'enfance des sociétés, les terres et les femmes fussent communes.

Mais n'a-t-il pas pu arriver que quelques tribus, quelque portion de la grande famille humaine, détachées de la souche commune, ayant perdu la tradition, aient regardé les terres et les femmes comme communes? Ceci est une autre question qui n'infirme en rien la première; ce serait une anomalie, un oubli, un égarement, un abrutissement, et non un établissement primitif: mais encore examinons si cette dégradation est réelle.

Comme on vient de le voir, le Correspondant nous parle des Scythes, des Bretons, des Germains, et puis renvoie en note à Hérodote, à Diodore de Sicile, à Pomponius Mela, pour prouver que « les *» mêmes faits, c'est-à-dire la communauté des biens et des femmes, » se retrouvent au même degré de culture morale, dans l'histoire de » tous les autres peuples.

Or, nous allons voir, en citant les paroles mêmes qu'invoque le Correspondant, qu'on ne peut en conclure rien de semblable.

Et d'abord, il est assez étrange que l'on vienne citer les Germains dans un travail visant à prouver la communauté des femmes, tandis que l'histoire est là pour montrer que, chez aucune autre nation, ne s'était mieux conservé ce précepte primitif et traditionnel de la monogamie, ou de l'union unique d'un seul homme à une seule femme.

« PreviousContinue »