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CORPS LÉGISLATIF

DISCUSSION

DES INTERPELLATIONS

SUR LA

MARINE MARCHANDE

Séance du 4 Février 1870

M. Jules SIMON. Messieurs, je voudrais ne pas faire un long discours, et je ferai tous mes efforts pour être bref.

Je pense que notre marine marchande traverse, en ce moment, une crise. Je crois qu'il y a lieu de recourir à un certain nombre de mesures qui peuvent diminuer les rigueurs de cette crise et peut-être y mettre un terme. Je crois néanmoins que ces me

sures ne sont pas ce qu'on appelle un remède héroïque. Je crois enfin, comme plusieurs orateurs qui ont été entendus, soit dans la présente discussion, soit dans une discussion antérieure, que le vrai point de la question, c'est le fret de sortie.

Et, suivant moi, le moyen de remédier à l'insuffisance actuelle du fret de sortie, si elle existe, ce n'est pas de revenir à la protection, qui en élèverait le taux, c'est de recourir à notre doctrine libérale, qui augmenterait le fret de sortie et par conséquent le trafic! (Très-bien !)

M. HAENTJENS. C'est très-exact!

M. Jules SIMON. Voilà quelles sont les idées que je viens vous présenter, et, je le répète, en aussi peu de mots que possible.

J'ai un préjugé, Messieurs, contre le discours que je vais faire, et ce n'est pas seulement contre mon discours, c'est contre les discours qu'on fera peutêtre après celui-ci, et contre ceux qui ont été faits auparavant. Ces discours viennent à la veille d'une enquête.

M. ESTANCELIN. L'enquête est parfaitement inutile; la question est assez claire pour moi.

M. Jules SIMON. Si l'interruption de l'honorable

M. Estancelin a pour objet de m'inviter à renoncer à la parole... (Non! non!)

M. ESTANCELIN. Vous vous méprenez sur ma pensée.

M. Jules SIMON. Je n'y renoncerai pas sur son invitation, mais je suis parfaitement prêt...

M. HAENTJENS. M. Estancelin dit que c'est l'enquête qui est inutile.

M. Jules SIMON. Laissez-moi répondre à l'interruption et ne m'empêchez pas de le faire par une autre interruption, qui ne ferait pas avancer le débat.

Je disais que si l'interruption de l'honorable M. Estancelin avait pour but de m'engager à renoncer à la parole, je n'y renoncerais pas, mais que si la Chambre jugeait à propos de clore la discussion, je ne dirais pas un mot pour l'en empêcher. (Non! non!)

M. ESTANCELIN. Du tout!

Voix nombreuses. Parlez! Parlez !

M. Jules SIMON. Je disais que les discours que nous faisons à présent ont le malheur de venir à la

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veille de l'enquête, et ce malheur est aggravé par une circonstance que nous ne pouvons pas nous dissimuler.

Pendant que nous discutions sur le traité de commerce, chaque orateur qui montait à la tribune contredisait celui qui l'avait précédé, et autant il y aurait eu d'orateurs nouveaux, autant de fois la contradiction se serait reproduite.

Mais cette contradiction est, pour ainsi dire, plus frappante à ce moment où nous parlons de la marine marchande; et la contradiction ne se montre pas seulement dans nos paroles, elle éclate dans tout ce qui a précédé cette discussion.

Nous sommes en présence de trois intérêts, qui se croient opposés sans l'être : celui des constructeurs de navires, celui des armateurs, celui du commerce maritime.

Ainsi, les constructeurs sont très-charmés qu'une loi leur permette d'acheter leurs matériaux en franchise ou en quasi-franchise, et ils sont très-mécontents qu'une loi permette aux armateurs d'aller acheter des navires tout faits en Angleterre.

Les armateurs sont ravis de pouvoir acheter leurs navires à Glasgow, mais ils sont désolés d'un article de loi qui supprime les surtaxes de pavillon.

Quant au commerce maritime, il est content de

tout cela, et la suppression de la surtaxe de pavillon lui fait évidemment un sensible plaisir.

De sorte que trois industries, qui vivent l'une de l'autre, et qui, si elles entendaient bien leurs intérêts, comprendraient qu'elles sont nécessairement solidaires, nous apportent le spectacle d'une contradiction perpétuelle. Mais ce qui est beaucoup plus frappant encore, c'est lorsque la même industrie se contredit dans le même port, et nous' en avons de nombreux exemples; je ne prendrai que le port que je représente. Tous les jours, je reçois de mes amis et de mes commettants des lettres, des notices, des déclarations imprimées, qui sont la réfutation l'une de l'autre.

Vous avez présente à la pensée la discussion de la loi de 1866; je crois encore voir le rapporteur qui siégeait là, et qui était M. Arman, un des constructeurs les plus connus de France. A chaque instant, quand il émettait une opinion, on voyait les membres de la commission se lever pour protester contre l'opinion du rapporteur; non-seulement la commission avait été divisée par quatre et cinq, la plus grande division qui puisse se rencontrer dans une de vos commissions, mais, sur chaque poiut de détail, elle avait changé de majorité et de minorité. Évidemment, tous les

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