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merce qui autorise les espérances les plus favorables. Cependant, cette crise qui, réduite à ces proportions, ne prouverait rien contre le traité de commerce, nous devons en rechercher la cause. Je prétends qu'elle est ailleurs que dans le traité, et c'est ce que je vais m'efforcer de démontrer.

La première raison qu'invoquent nos adversaires quand ils se plaignent du traité de commerce, est celle-ci le Gouvernement, suivant eux, avait fait, au moment où il passait ce traité, des promesses qu'il n'a pas tenues.

Nos adversaires disent cela, remarquez-le; et j'en conclus qu'il leur est assez difficile de se tenir dans la logique de la situation; car, si, comme ils le prétendent, le traité de commerce les ruine, ils doivent démontrer: 1° qu'ils sont ruinés; 2° qu'ils le sont par le traité de commerce. Ils essaient la première démonstration, c'est-à-dire qu'ils se déclarent ruinés, et ils y succombent, comme je viens de le faire voir. Puis, au lieu d'ajouter, comme ils le doivent c'est par la faute du traité de commerce, ils disent, prenant notre rôle : c'est par la faute du Gouvernement, qui n'a pas fait ce qu'il avait promis de faire.

Mais plus ils disent cela, plus ils prouvent en faveur de notre cause; car si, en effet, les résul

tats de la crise tiennent à ce que le Gouvernement n'a pas rempli ses promesses, ils ne tiennent pas à la nature du traité de commerce.

Il me semble que cela est parfaitement clair. (Oui! oui !)

Nos adversaires ont commis cette faute de logique, ou, si vous le voulez, ils ont donné cette preuve de bonne foi, j'aime mieux m'exprimer de cette

façon, et aussi le croire. Ils ont donc essayé d'établir que le Gouvernement n'avait tenu aucune des promesses qu'il avait faites en 1860.

Vous vous rappelez deux de ces promesses. Le Gouvernement disait, que pour parfaire l'outillage de la France et la mettre en mesure de lutter avec l'Angleterre, j'ajoute contre la Prusse, la Belgique et la Suisse, — il fallait faire une dépense de 326 millions, dont 160 millions étaient urgents; il disait, en outre, qu'il fallait diminuer les tarifs de nos messageries: c'étaient là les deux promesses capitales contenues dans la lettre du mois de janvier.

M. le Ministre d'État, dans le discours qu'il a prononcé au Corps législatif le 19 mai 1868, a cru répondre à ces deux objections en démontrant que, pour les travaux extraordinaires des ponts et chaussées, la France avait fait de 1852 à 1857, une

dépense totale de 222,139,993 fr., et que, de 1860 à 1867, elle avait dépensé, pour le même ordre de travaux, 401,167,438 fr. Cette dépense pour travaux extraordinaires, disait M. le Ministre, est supérieure aux 326 millions qui avaient été promis; donc la promesse a été tenue et dépassée.

De même, pour la diminution des tarifs, il déclarait que si, en 1867, on avait appliqué les tarifs qui avaient cours en 1859, la perception sur les canaux au profit du Trésor aurait été de 12,327,000 fr., tandis qu'elle n'a été, par suite de la réduction opérée, que de 3,848,000 fr.

Telle a été la réponse.

Je me permets de la trouver insuffisante. Non pas que je conteste les chiffres, puisqu'ils sont officiels, ni que je prétende, par conséquent, qu'on n'a pas touché aux tarifs et qu'on n'a pas fait les travaux promis. Mais je crois qu'il fallait pousser la réforme des tarifs plus loin, et dépasser les promesses faites en matière de travaux.

Je n'insiste pas, comme je pourrais peut-être le faire, sur ce que les 326 millions promis devaient être ajoutés à la somme des dépenses extraordinaires telle qu'elle aurait ressorti au budget si les errements de la période précédente avaient été suivis. Je dis que l'erreur du Gouvernement est

moins de ne pas avoir fait ce qu'il avait promis,

que de ne pas avoir assez promis. Il n'avait pas mesuré toute l'étendue de la révolution qu'il faisait

dans l'industrie; il n'avait pas suffisamment calculé l'essor que le traité allait donner à notre commerce. Je suis convaincu, que lorsque le Ministre d'État est venu, dans les séances des 19 et 20 mai 1868, faire connaître les résultats de ces dix années d'épreuve, il a été étonné lui-même d'avoir raison à ce point. Le progrès, vu les circonstances qui se sont produites, devait être plus lent, et la crise, qui est réelle, devait être plus grave. Ni notre foi, ni nos espérances n'en auraient été ébranlées. (Applaudissements.)

En général, mes chers concitoyens, aucun de ceux qui produisent les grands mouvements du monde n'en mesure exactement la portée, et il arrive que ceux qui mettent en branle cette redoutable machine, ou reçoivent des éloges supérieurs à leur mérite, ou sont voués à une exécration qu'ils n'avaient pas suffisamment encourue. (Approbation.)

Nous ne pouvons guère juger de l'avenir que par le passé c'est la marque de la faiblesse humaine; et le passé ne nous donne pas toujours, pour nous guider, des situations pareilles à celles que nous

traversons, ou des révolutions analogues à celles que nous tentons. Quand, en présence de M. Cobden, on signait ce traité de commerce qui a fait pousser tant de cris de joie et tant de cris de terreur, ni ceux qui tremblaient ni ceux qui se réjouissaient ne savaient à quel point la situation, — je ne dirai pas de mon pays, mais du monde entier, allait être changée par cette émancipation de l'activité humaine. Au lieu d'avoir à lutter contre des obstacles inventés tout exprès pour accabler notre faiblesse, et de nous mouvoir péniblement dans uné enceinte toute fictive, où la nature des choses et le géne humain sont également contrariés, nous n'avons plus désormais dans l'industrie d'autres ennemis que l'erreur et le préjugé, ni d'autres difficultés que celles qui naissent du fond même des choses, ou des limites imposées par le Créateur à notre activité physique et intellectuelle. (Marques d'approbation.)

Prenant donc pour exacte la déclaration du Ministre, disant qu'on avait fait tous les travaux promis, je me borne à dire simplement qu'on n'avait pas assez promis.

Quant aux tarifs, c'est autre chose. Oui, on a diminué les tarifs sur les canaux, et l'on s'en vante. Oui, on nous parle de tirants d'eau, fixés d'abord

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