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drir le caractère et la portée de nos efforts, nous les appliquons à un but général, afin d'avoir pour nous la logique et la franchise. Ce que nous défendons, en demandant le maintien du traité avec l'Angleterre, c'est bien plus que ce traité : c'est la cause même de la liberté du commerce et de l'industrie. Ainsi notre association renouvelée n'aura pas terminé sa tâche quand elle aura eu raison de l'agitation organisée à Rouen par les manufacturiers; elle continuera de vivre et de lutter jusqu'au moment où le libre-échange aura triomphé d'une façon complète et définitive. (Approbation unanime.)

Je voudrais aller droit à la discussion philosophi

que, à la question de principes; mais nos adversaires ne le permettent pas. Ils ont de grands intérêts à défendre, des intérêts qu'ils croient généraux, et qui sont plutôt, à mon sens, des intérêts particuliers. Plusieurs ont éprouvé des pertes, d'autres ont à se plaindre surtout d'un manque à gagner. Ils s'étaient accoutumés, par une pente naturelle, à considérer comme un droit les profits énormes et faciles du régime prohibitif. La diminution de leurs bénéfices, les efforts auxquels ils se voient condamnés, la crise qui ne manque pas de se manifester au début d'une organisation nouvelle, quelques désastres individuels dont nous avons à chercher les

causes, le déplacement de certaines industries, expliquent l'énergie et l'âpreté des récriminations qui ont retenti dans la presse et à la tribune. Les interpellations du mois de mai 1868 ont eu un tel éclat, elles ont été défendues par des orateurs si habiles, tant de chiffres lamentables ont été accumulés, qu'il en résulte, pour les esprits inattentifs, une sorte de prévention contre les traités qui auraient causé ces ruines. D'ici à très-peu de temps, nous verrons les mêmes plaintes se reproduire avec la même énergie. C'est donc là le premier ennemi que nous rencontrons, c'est notre premier objectif. Si nous ne déblayons pas le terrain de tout cet arsenal de bilans et de livres de comptes, nous aurons beau soutenir la question de principes, comme on le fait à la Société d'économie politique ou dans une académie, on nous jettera toujours à la tête le reproche de n'être que des théoriciens. Vos principes font bien dans un livre ou dans un discours, nous dira-t-on ; ils ressemblent à une thèse de l'Émile ou du Contrat social; mais pendant que vous pérorez et que vous philosophez, nos hauts-fourneaux s'éteignent, nos moteurs s'arrêtent, nos bancs-à-broches restent immobiles et dégarnis, nos concessions de mines deviennent caduques faute d'exploitation; en un mot, la France industrielle agonise, victime de votre

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inexpérience. Les ouvriers, dont vous vous dites les protecteurs, manquent d'ouvrage, et par conséquent de pain. Ce n'est pas avec des théories et des principes que vous les nourrirez. Voilà ce qu'on dirait, et ce qui nous oblige à faire passer la statistique avant la philosophie. (Très-bien ! C'est cela !)

M. Lalande, qui est assurément un théoricien, n'a pas fait autrement dans son rapport à votre Comité. Sa discussion est encore présente à tous les souvenirs. Les chiffres que je vais vous présenter ne sont pas, au premier coup d'oeil, identiques aux siens; mais vous vous rendrez compte des différences en songeant que M. Lalande a pris presque toujours la moyenne de deux années, tandis que je compare les chiffres d'une année à ceux d'une autre. Je vais au même but par une autre voie, pour que mes allégations servent de confirmation aux siennes.

Je compare d'abord nos exportations à celles de l'Angleterre, puisque le premier traité de commerce dont il s'agisse est le traité anglais.

L'Angleterre a importé en France, pour l'année 1868, une valeur de 659 millions; dans laquelle est comprise une valeur de 115 millions en produits manufacturés.

Les importations françaises en Angleterre ont été, pour la même année, de 1,153 millions, sur

lesquels 457 millions de produits manufacturés.

Par conséquent, l'importation française en Angleterre, soit qu'on la considère dans sa totalité, soit qu'on la prenne au point de vue restreint des produits manufacturés, est supérieure à l'importation que les Anglais font en France.

Si, au lieu de comparer seulement les rapports de l'Angleterre avec la France, on compare la totalité du commerce anglais en Europe avec là totalité du commerce français sur le même marché, on trouve que l'Angleterre exporte pour 1,600 millions, et la France pour 2,300 millions.

La France a encore là, sur l'Angleterre, une supériorité de 700 millions.

Le chiffre indiqué par M. Lalande, pour la France, est de 2,800 millions. Si je donne le chiffre de 2,300 millions seulement, c'est pour me conformer à l'appréciation de M. le Ministre d'État, dans la séance du 20 mai 1868. Je n'ai pas besoin d'écraser l'Angleterre sous un chiffre de 1,200 millions; une supériorité de 700 millions me suffit. Quant à la différence des chiffres, du moment que la conclusion est la même, elle ne vous étonnera pas plus que moi, Messieurs. L'un commence ses calculs en janvier, l'autre en octobre. Celui-ci tient compte d'un article que celui-là trouve plus juste de né

gliger. La statistique, en dépit de ses prétentions, diffère passablement de la géométrie. Il y a un proverbe qui dit: Rien n'est brutal comme un chiffre. Le chiffre est en effet brutal, non-seulement parce qu'il déconcerte quelquefois l'éloquence, mais aussi parce qu'il arrive à l'éloquence de se servir des chiffres comme il lui plaît... (Sourires approbatifs.) J'ai vu souvent un orateur, je parle des plus grands, dans un moment de verve financière, diminuer un budget de quelques millions sans qu'il en coûtât rien à sa bonne foi. (Nouveaux sourires.)

Si je prends le chiffre de M. le Ministre d'État, c'est précisément parce qu'il est inférieur à celui de M. Lalande. (Très-bien !) Je n'ai pas l'occasion, tous les matins, de m'appuyer sur l'autorité de M. Rouher. J'accepte son chiffre de 700 millions, qui ne peut être contesté, et qui prouve d'une façon irréfragable la supériorité de la France sur le marché européen. (Très-bien ! très-bien ! Marques

générales d'assentiment.)

Vous entendez bien, Messieurs, que ni M. Lalande, ni M. Rouher, ni moi, n'avons la prétention de dire que les manufactures françaises l'emportent d'une façon absolue sur celles de l'Angleterre. Notre infériorité est grande dans le Nouveau-Monde et sur les marchés de l'extrême Orient; mais en Europe

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