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RÉUNION

Tenue à Paris, aux Champs-Élysées

POUR LA DÉFENSE DES DOCTRINES

DU

LIBRE-ÉCHANGE

Le 6 Février 1870 (1)

M. JULES SIMON :

Messieurs,

Je répète, après M. Léon Say, que la réunion de ce jour n'est qu'une conférence. Nous y prenons seuls la parole, lui et moi. Nous jouissons, pour une heure ou deux, du plaisir d'échapper à la contradiction. Nos adversaires, si nous en avons ici, et'

(1) La séance était présidée par M. Léon Say, ayant près de lui comme assesseurs, les deux présidents de la Société d'économie politique de Paris, MM. Hipp. Passy, membre de l'Institut, ancien ministre des finances, et Renouard, membre de l'Institut, ancien conseiller à la Cour de cassation.

don, je ne doute pas, prendront leur revanche dans les conversations et les journaux. Il feront à leur tour des conférences où nous serons attaqués sans avoir le droit de nous défendre.

Ce n'est pas que je sois ennemi de la discussion. J'ose même dire, pour l'avoir quelquefois prouvé, que je n'en ai pas peur. Peut-être aurons-nous, en dehors même des chambres où la contradiction est de plein droit, des réunions libres ouvertes à la polémique. Je le désire pour ma part. J'aimerais à lutter contre les défenseurs de la prohibition et de la protection, à prendre corps à corps leurs arguments au moment même où ils les auraient produits, à scruter la valeur de leurs chiffres, à refaire leurs calculs, à leur opposer les inflexibles principes de la science. Si, comme je l'espère, la bataille ne se livre pas entre les seuls intéressés, si le pays entier y prend part, la controverse deviendra vivante et pressante, et nos discours d'aujourd'hui n'en seront que la préface. Mais il faut faire chaque chose à son heure exposer d'abord sa doctrine, c'est ce que nous faisons ; la défendre ensuite contre ceux qui l'attaquent, et porter la guerre dans le camp ennemi, c'est ce que nous ferons demain. La question, je le dis à regret, n'est pas assez universellement comprise pour qu'il ne soit pas nécessaire de

faire passer l'enseignement avant la discussion. Messieurs, je suis libre échangiste, et je le suis dans toute la force du terme; c'est-à-dire que je voudrais voir disparaître toutes les entraves, grandes ou petites, que la loi et le fisc imposent au travail; et non-seulement au travail de la main, mais à celui de la pensée; en un mot, je voudrais émanciper l'activité humaine depuis la théologie jusqu'à la mécanique. Se posséder pleinement, se manifester librement; voilà la loi de la vie humaine, également nécessaire pour chaque citoyen et pour le peuple tout entier. Si j'avais à donner aux diverses formes de la liberté un ordre de préséance, j'appellerais d'abord la liberté scientifique; mais je prends l'émancipation de l'humanité par où elle s'offre, par le commerce et l'industrie, puisque nous marchons à grands pas vers leur affranchissement; et je reste persuadé que la liberté est contagieuse, que l'atelier libre appelle l'école libre, et que si nous détruisons aujourd'hui le fise, nous détruirons la censure demain. (Bravos et applaudissements.)

Avant d'avoir des convictions raisonnées sur la liberté du commerce et de l'industrie, j'en avais l'amour par instinct; vous en êtes tous là, et si vous l'ignorez, je vous le prouve.

Autrefois, personne ne voyageait ; c'était un luxe réservé aux grands; à présent, les chemins de fer nous livrent le monde. Les anglais ont passé les premiers; mais le goût de la locomotion nous est enfin venu; et l'on trouve des français partout, depuis le Spitzberg, jusqu'au Cap, et depuis les Cordilières jusqu'à Saigon.

Pour moi, c'est ma grande passion, survivante aux autres. J'aime jusqu'à la fatigue que les voyages nous imposent, car c'est une bonne fatigue qui repose du travail. Il n'y a qu'une chose dans les voyages à laquelle je n'ai encore pu m'habituer et la voici vous montez en chemin de fer, vous y restez, un jour, deux jours, autant de nuits, puis votre guide vous apprend que vous n'êtes plus qu'à un quart d'heure du musée ou du volcan que vous allez chercher au delà des Alpes. Vite, vous rassemblez autour de vous votre bagage, vous effacez sur votre personne les traces de la nuit. Déjà même, à travers les larges fenêtres de la gare, vous apercevez les grands aspects de la nature, les chefs-d'œuvre de l'art, la foule curieuse qui vous attend, les amis, les parents dont l'étreinte vous sera si douce. C'est à ce moment-là que le fisc vous fait prisonnier ; qu'il vous pousse, avec tous vos complices, dans des salles ouvertes à tous les vents, malpropres,

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