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minuscule de la compagnie qui remplaçait l'armée habituelle, l'éminent capellmeister nous offrit le régal d'une audition intime ordonnée et réglée à souhait, quelque chose d'analogue à ce qu'était la musique des Soupers du Roi, au temps où les rois daignaient écouter les violons... Hélas! leur voix est couverte aujourd'hui par le tintamarre des automobiles !

On écouta avec plaisir, sous la direction rythmique et souple du maître, des fragments des Fêtes d'Hébé et le rigodon de Dardanus, la jolie Nachtmusik, spirituelle et délicate, de Mozart, et, du même, un aimable concerto de flûte, délicieusement phrasé par M. Anthony, dont seules les cadences parurent désuètes. Des pastiches de danses anciennes, par Saint-Saëns, de courtes pièces symphoniques extraites de Manfred, le Chant du soir, agréablement orchestré par Saint-Saëns, déjà nommé, valurent tour à tour à M. Mottl et à ses interprètes d'unanimes applaudissements. Le succès prit même des proportions glorieuses après l'exécution de l'exquise Habanera de Chabrier, la perle de ce précieux écrin. Il fallut bisser le morceau... qu'un critique bien informé confond avec le Rigodon de Saint-Saëns « dont la verve spirituelle a, dit-il, obtenu les honneurs du bis ». Mais non, cher confrère ! N'attribuons pas à Camille ce qui revient à Emmanuel, et constatons que le dit Rigodon parut même légèrement anémique à côté de l'œuvre exubérante de Chabrier.

Les félicitations que recueillit, ponctuées d'énergiques poignées de mains, l'illustre chef d'orchestre au foyer, tombèrent en rosée bienfaisante sur les membres du comité, un peu inquiets, au début, du résultat de leur initiative.

Guillaume II et l'Art.

0. M.

S'il est en Allemagne des gens assez naïfs pour croire le triomphe des idées artistiques nouvelles définitivement acquis, le discours de l'empereur à une réception semi officielle de sculpteurs ébranlera singulièrement leur optimisme.

Ce souverain a le don d'étonner, et étonner quand même, encore et toujours, le siècle que rien n'étonne plus. Le toast porté par Guillaume II aux artistes qui viennent d'achever l'énorme amas de statues de la Siegesallee, irrévérencieusement surnommée Puppenallee par les Berlinois, est désormais fameux.

Après avoir affirmé à ses invités que l'école berlinoise a une floraison qu'on ne pourrait s'imaginer plus belle au temps de la Renaissance (italienne, probablement, car habituellement les Allemands désignent par Renaissance le xve et le XVIe siècle), le monarque déclare que seul celui qui tient compte des lois de la beauté, de l'harmonie et de l'esthétique (sic), dont tout homme porte en soi la loi immuable, peut prétendre au titre «< d'artiste ». Il félicite ensuite les sculpteurs de s'être jusqu'ici tenus à l'écart des courants et des directions modernes, d'avoir gardé leur art altier et haut!

Rien n'est plus vrai; toutes leurs statues sont plus grandes que naturelles et le récent Bismarck de Begas mesure au moins 6 mètres de haut!

Quelques citations textuelles de cette extraordinainaire allocution :

« Une œuvre d'art renferme toujours un atome (sic) de la personnalité de l'artiste. » — « Les arts doivent contribuer à exercer une action éducatrice sur le peuple, donner aux classes inférieures, quand celles-ci ont durement peiné, la possibilité de se retremper dans l'idéal. » « A nous, peuple allemand, les grands idéaux sont restés en partage, alors que les autres peuples les ont plus ou moins perdus. >> - «Le peuple allemand doit donner aux classes laborieuses la possibilité de se régénérer par la beauté. Si l'art, comme cela arrive maintenant, ne fait que peindre la misère plus atroce qu'elle ne l'est déjà, il commet un crime envers le peuple allemand. >>

Ailleurs il est question « d'un art qui descend à l'égoût ». L'empereur déclare d'ailleurs «< que la Siegesallee SUBJUGUE les étrangers qui arrivent à Berlin, et que la sculpture allemande est universellement réputée !!! »

Pauvres prolétaires allemands, les voici contraints de se

« régénérer moralement » par la vue des vingt ou trente ancêtres de la maison de Hohenzollern, figés sur deux lignes parallèles dans des costumes rigoureusement historiques et des attitudes tout aussi scrupuleusement académiques. Chacun se trouve posé sur un socle, au centre d'un hémicycle que décorent les bustes des deux personnalités les plus considérables de son règne (en général, d'illustres inconnus).

Les statues sont agrémentées des attributs les plus banals, les plus ressassés, les plus carton-peint qu'on puisse exhumer du magasin d'accessoires d'un théâtre de drames patriotiques. Elles sont à peu près également insignifiantes, mornes, impersonnelles et ressemblent à un musée Castan pour l'étude du « costume à travers les âges ».

Généraux, hommes d'État et souverains, tout ce peuple de marbre et de bronze dont fourmille Berlin, échappe au rayon visuel des pauvres diables. Pour entrer dans les vues de l'empereur, ne serait-il pas plus utile de statufier les millionnaires? Cet «< idéal » proposé aux prolétaires serait pratique et plus accessible que tout autre. Si chacun peut devenir capitaliste, qui peut rêver d'être un jour chef d'État?

L'apothéose du banquier bien nourri, pilier solide de la société, serait une meilleure barrière aux idées socialistes que la glorification de tisserands affamés en révolte ou de pétroleuses dansant autour de la guillotine!

Reinhold Begas, qui n'a pas toujours été un officiel, n'a-t-il pas éprouvé quelque gêne à s'entendre ainsi louer en opposition avec les Böcklin, les Klinger, les Uhde, les Liebermann et même avec Menzel qui, lui aussi, a peint la détresse et la misère? Et que penserait Meunier de pareille incartade?

L'incident a plus qu'un intérêt national et théorique. C'est l'empereur qui, en dernière instance, commande les monuments dont les prix se chiffrent par millions; son discours a eu un retentissement universel; de grands journaux étrangers le citent avec éloge. Ce qui prouve, une fois de plus, que la lutte de l'art jeune et vivant contre les fameuses (formules mortes est toujours ardente et que jamais la victoire n'est définitivement affirmée! A.-M. DE SAINT-HUBERT

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PETITE CHRONIQUE

L'État vient d'acquérir, pour le Musée de Bruxelles, la Fantaisie en blanc, noir et or de Fernand Khnopff récemment exposée au Salon des Aquarellistes, et la Mer démontée de Willem Delsaux, l'une des meilleures toiles que l'artiste exhiba en décembre dans la salle de corporation de la Louve.

La section des beaux-arts du Conseil communal de Bruxelles vient d'approuver définitivement, dit la Chronique, le projet de monument à élever à la mémoire de Pierre Vanhumbeeck. Ce monument, en petit granit, qui doit être édifié à l'angle des rues Rempart-des-Moines et de l'Education, est composé de deux figu

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res en haut-relief : une femme qui représente l'instruction, et un adolescent, surmontées du médaillon du premier et unique ministre de l'instruction publique.

Architecte, M. Jules Barbier; sculpteur, M. Ch. Samuel. Inauguration en juillet prochain.

Notre collaborateur M. Fierens-Gevaert a été chargé par M. Albert Carré d'organiser à l'Opéra-Comique sous le titre général La Littérature et la Musique, une série de conférencesauditions dans lesquelles sera passée en revue toute l'histoire du drame lyrique en France depuis sa création jusqu'au commencement du XIXe siècle.

Les conférenciers étudieront les rapports qui existaient, aux périodes classiques de l'art français, entre le musicien et le librettiste; quelle fut, aux XVIIe et XVIIIe siècles, l'influence de certains grands écrivains sur l'évolution du drame lyrique et de la comédic musicale.

M. Vincent d'Indy parlera des « Sujets d'opéras chez Lulli, Destouches et Rameau »; M. André Hallays, de «< Beaumarchais >>; M. Chantavoine, de « Sedaine »; M. L. de Fourcaud, de «< JeanJacques Rousseau et des Bouffons >>.

La série a été inaugurée hier par M. Fierens-Gevaert qui a parlé des «< Librettistes de Gluck »>.

Les meilleurs artistes de l'Opéra-Comique se feront entendre au cours de ces séances, dont la première a eu lieu avec le concours de Mmes J. Raunay et Thiéry et de M. Dufranne.

Le Cercle Pour l'Art ouvrira samedi prochain 18 janvier, à 2 heures, son Xe Salon annuel de peintures, sculptures et d'art appliqué.

Parmi les exposants signalons: MM. Ciamberlani, Rousseau, Alfred Verhaeren, Emile Fabry, Omer Coppens, Eugène Laermans, René Janssens, feu Alex. Hannotiau, Henri Ottevaere, M. et Mme Isidore De Rudder, Mme Lacroix-Fichefet, MM Firmin Baes, Van den Eeckhoudt, Amédée Lynen, Henri Boncquet, Pierre Braecke, Philippe Wolfers, Amédée Lynen, Hector Thys, H. Smits, Vierni, De Haspe, Colmant, Léon Dardenne.

La Société royale de la Table-Ronde de Louvain ouvrira dimanche prochain son troisième Salon quatriennal par invitations. La liste des exposants ne comprend que les noms de nos meilleurs artistes belges, peintres, sculpteurs, graveurs et aquarellistes, sans mélange aucun d'« amateurisme » ni de « couleurisme ». C'est un exemple à suivre ailleurs.

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Mercredi prochain 15 janvier, à la Grande-Harmonie, à 8 h. 1/2 du soir, M. Van Winckel donnera une séance musicale avec le concours de Mlle Strasy, de la Monnaie, et de M. Stevens, pianiste. Au programme: Mendelssohn, Weber, Glazounow, Wagner, Schubert, Chopin, etc.

M. L. Maeterlinck étudie dans la Flandre libérale le diptyque du xve siècle récemment offert à la ville de Gand par les «< Amis du Musée» et qui représente la Descente de croix et la Résurrection. L'auteur attribue l'oeuvre soit à un maitre allemand influencé par nos artistes, soit à un peintre flamand qui séjourna longtemps en Allemagne et l'exécuta peut-être dans l'Italie septentrionale.

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L'ART MODERNE est envoyé à l'essai, pendant un mois, aux personnes qui nous en font la demande ou qui nous sont indiquées par nos abonnés.

On est prié de renvoyer la revue à l'Administration si l'on ne désire pas s'y abouner.

L'ART MODERNE est en vente, à Paris, à la librairie H. Floury, 1, boulevard des Capucines.

SOMMAIRE

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Steinlen (suite et fin) (HENRY DETOUCHE). Gustave Kahn. L'Esthétique de la Rue (EvGÈNE DEMOLDER). Traits caractérisLes tiques du génie de J.-S. Bach (CHARLES VAN DEN BORREN). Expositions. Musées français. Léon Frédéric (0. M.). Iphigénie en Tauride (O. M.). La Musique à Paris. Premier Concert de la Société nationale (M-D CALVOCORESSI). A Verviers (J. S.). Nécrologie. Julien Leclercq. E. Onslow Ford. Accusés de réception. La Semaine artistique. Petite Chronique.

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STEINLEN (1)

Steinlen n'aurait pas été complet s'il n'avait accentué son œuvre par quelques dessins affirmant des convictions ou des idées de combat. Son amour des humbles, des déshérités l'a porté un moment à l'agression contre les satisfaits du jour. Son crayon avait tant butiné dans les carrefours, dans les marchés, sur les places publiques, sur les bancs des boulevards extérieurs, que le miel apporté en lui l'aurait rendu bon s'il ne l'avait pas été naturellement. En tous cas, cette compassion pour le prolétaire le porta à faire une suite de dessins véhéments de caricatures sociales, et c'est dans le Chambard qu'il publia une série de compositions (1) Suite et fin. Voir notre dernier numéro.

d'une allure farouche, vigoureusement accusés, où les coups de crayons s'affirment comme des coups de bâton. Il en est de mémorables, entre autres celui de la République-Marianne, jeune fille de faubourg au bras d'un gros financier qui l'entretient; un groupe d'ouvriers passe :

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Cache-toi; tu nous fais honte!" — Steinlen était devenu assez agressif, il y a plusieurs années de cela, pour qu'on lui fit entendre officieusement qu'il eût à mettre une sourdine à son instrument, car il ne devait pas oublier que si rien dans l'humanité ne devait lui être étranger comme artiste, il n'en était pas moins demeuré étranger comme homme et qu'il devait montrer plus de réserve en présence des événements politiques dont il était témoin chez nous. Steinlen observa plus de discrétion, en apparence du moins, car il y eut un arrêt dans sa collaboration aux journaux politiques.

Quel que soit le tempérament d'un artiste, quelles que soient ses qualités innées, il est bien rare qu'il ne subisse pas les influences du milieu dans lequel il vit. En art, la formule est une terrible chose. Ressentir est beaucoup, certes, mais fixer l'impression est la chose essentielle. Savoir de quelle façon il faut préciser cette impression pour qu'elle prenne corps, quel procédé employer pour lui donner la réalisation définitive.... Il y a des dessinateurs qui trouvèrent de suite une facture personnelle, il y en eut d'autres qui la cherchèrent longtemps, la découvrirent tard, certains disparurent sans avoir eu la chance de saisir le procédé qui devait les individualiser. Steinlen, au début, dans le cénacle où il vécut, subit incontestablement l'influence de Willette, amoureux comme lui des humbles et des simples; aussi

ses dessins de cette première période dénotent-ils l'ingénuité et la joyeuse gaminerie. Mais plus tard, dans ce milieu de Paris où une transformation continue se produit, l'artiste observa davantage, délaissa la fantaisie pour la notation exacte, précisa son trait, économisa les lignes pour synthétiser la forme, et son style, bref et concis, se rapprocha, inconsciemment ou non, de celui de Forain.

De Groux, le visionnaire, se révéla peu après dans le Christ aux outrages, dans le Chambardement, dans la Horde errante. Steinlen, impressionné peut-être par cette audacieuse façon de piétiner toutes les règles de perspective aérienne, tous les principes scholastiques élémentaires, ne put se défendre contre l'obsession de ces compositions véhémentes où la turbulence individuelle des personnages obéit toujours à une poussée immaîtrisable de la masse. Cette représentation excessive des énergies de foule eut très probablement une influence sur son œil, et ses doigts toujours aux aguets, fidèles exécuteurs de sa volonté, trahirent, involontairement, une fois de plus, le fécond artiste. (Voir certains dessins des Feuilles volantes de Zo d'Axa.)

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Dans le charmant immeuble qu'il habite sur le versant oriental de la Butte, il y a du chalet suisse et un peu du cottage anglais. La vue, merveilleuse, embrasse un panorama très étendu. Le soir où je le contemplai pour la dernière fois, les myriades de lumières qui pointaient à perte de vue finissaient par fusionner avec les étoiles. On ne savait si c'était une descente du ciel sur la terre ou si la ville de Paris faisait une assomption inattendue. Le barde breton Yann Nibor avait été frappé de cet aspect grandiose. « On se croirait devant la rade de Brest, la nuit! » disait-il. Et comme je m'extasiais à mon tour, Steinlen ajouta : "Comme c'est dommage que vous ne soyez pas venu hier soir; il y avait un si bel incendie là-bas, c'était merveilleux; tout l'horizon était éclairé. Il y a dans tout homme un Néron qui sommeille. Steinlen a illustré les Femmes d'amis de Courteline et les Gaietés bourgeoises de Jules Moinaux. Mais les Chansons de Bruant demeureront son œuvre typique. Toute sa documentation populaire y a été mise à contribution. Quel pittoresque dans la répartition imprévue des dessins! Quelle fantaisie dans le jet! Et comme le dessinateur s'est montré tour à tour tendre, idyllique, violent, crapuleux à souhait, suivant parallèlement le texte et daignant se mettre parfois au niveau de la bassesse!

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Après le succès qui accueillit ce recueil, une édition de luxe de la Chanson des Gueux de Jean Richepin était indiquée. Steinlen s'est mis aussitôt à l'œuvre pour l'éditeur Pelletan. Il connait le volume par cœur, il l'a dans la tête depuis des années et les illustrations en sont déjà faites, cérébralement du moins.

Comme j'étais sur le point de le quitter, l'artiste voulut me montrer encore une importante toile représentant Le 14 juillet à Paris. Aucun personnage n'y domine les autres. Aucun groupe n'attire sur lui-même l'attention. Steinlen n'a pas eu la préoccupation d'établir des plans, il a voulu rendre la joie collective dans toute son exubérance; la vision en est essentiellement démocratique. C'est la fête du peuple, et la foule seule est visible, sans qu'aucune individualité apparaisse ; c'est le jour de la sainte Cohue. Voilà une œuvre que l'artiste voudrait faire pour lui-même, mais comme c'est celle qu'il a le plus en lui, peut-être ne la verra-t-il jamais définitivement achevée. Dans ses courts moments de loisir il va fumer devant, et le grouillement des masses s'ennoblit pour lui du tumulte de ses rêves.....

Steinlen, quoique Suisse, était déjà naturalisé par le fait de son admiration pour Anatole France, dont l'esprit fait de raison et d'ironie est si profondément français. Une simple formalité restait à remplir; elle s'est faite il y a quelques mois. Le séjour de Paris avait développé en lui l'artiste ; l'amour du vrai et du juste l'a fait notre compatriote. HENRY DETOUCHE

GUSTAVE KAHN

L'Esthétique de la Rue (1).

Ce livre est comme un album d'images pittoresques; et l'on sait combien Gustave Kahn excelle à trouver les images lyriques et coloriées. C'est l'histoire de la Rue à travers les âges: si Kabn s'avère poète exceptionnel, on le sait aussi érudit très documenté et critique sagace. Aussi l'Esthétique de la Rue est-il un livre curieux et parfait.

On y trouve la Rue de Jadis et la Rue d'Aujourd'hui.

Dans la Rue de Jadis, s'ouvre d'abord la « rue morte » : Pompéi. Gustave Kahn reconstruit les maisons, recolore les décorations murales, repeuple la ville de piétons vêtus de la toge blanche et du pallium; il remet en marche les molles litières portées par des esclaves et fait briller l'or stellaire des cheveux des belles Romaines. Il ramène la clientèle chez les marchands de vin, ravive les libations à Bacchus, rouvre les piscines, rappelle les parasites, soulève les rideaux des riches et assied un peu de peuple autour des fontaines où l'eau gicle d'une tête de lion ou de taureau là où les rhéteurs sans place étanchaient leur soif et les gladiateurs novices contaient leurs fanfaronnades.

Puis c'est la «< rue immobile », la rue orientale, celle des Mille et une nuits, celle des souks, celle que dominent les massifs carrés des kasbahs. Gustave Kahn la décrit avec une rare et subtile richesse de palette, et elle s'anime d'une vie intense, forte, où les tons des burnous s'enlèvent en blanc sur la féerie multicolore des bazars, des boutiques de barbiers, de fruitiers, de bouchers, de bourreliers, de bijoutiers! On dirait une étude de Delacroix.

La «< rue qui marche » est délicieuse. La «< rue qui marche », (1) Paris, bibliothèque Charpentier.

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