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DE

LA CHARITE

REVUE

DESTINÉE A LA DISCUSSION DES QUESTIONS ET A L'EXAMEN DES INSTITUTIONS
QUI INTÉRESSENt les pauvres.

NEUVIÈME ANNÉE. — 1853.

PARIS.

PARENT DESBARRES, LIBRAIRE-ÉDITEUR,

RUE CASSETTE, 28.

-

1853

1

DE LA CHARITÉ.

RAPPORT

A L'ASSEMBLÉE GÉNÉRALE

DE L'ŒUVRE DE LA MISERICORDE.

Le rapport annuel d'une œuvre est comme l'examen de sa conscience; il n'a pas seulement à signaler le bien qui a été fait, il doit surtout, pour être sincère et utile, dénoncer les torts, avertir des dangers, et préparer la réparation des fautes qui ont été commises.

De ce côté, la Miséricorde, d'après les chiffres accusateurs de son trésorier (1), a quelques reproches à recevoir et quelques aveux à faire. Elle a été prodigue et presque téméraire, et n'a pas défendu avec assez d'énergie sa caisse, où venaient puiser trop de mains; voilà qu'elle porte aujourd'hui la peine de la faute, c'est à son tour à crier misére! Mais, en avouant son imprudence, elle a bien quelques droits à votre indulgence et à votre merci ; son crime est d'avoir voulu trop bien répondre à son nom. Pressée de toutes parts par le flot de la misère, qui monte toujours

(1) M. Sylvain CAUBERT, trésorier de l'OEuvre, avait, en effet, dans son compte rendu, fait remarquer, par la comparaison des chif res des recettes et des dépenses des dernières années, que l'excédant des recettes tendait à diminuer, et les dépenses à augmenter chaque année, et il avait appelé l'attention de l'assemblée sur la nécessité ce pourvoir à cette situation menaçante pour l'avenir.

et menaçait d'engloutir tant de familles confiées à ses soins, elle n'a pas eu le courage de repousser une plainte, d'être insensible à une prière; elle a oublié que sa bourse n'était pas aussi inépuisable que sa charité; en un mot, elle s'est ruinée pour avoir voulu empêcher trop de ruines. Faut-il donc se montrer trop sévère pour le médecin qui, par excès de dévouement, a gagné la maladie qu'il était chargé de guérir?

Mais, en réclamant le pardon d'avoir été trop charitable, que vous êtes, j'en suis sûr, très-disposés à lui accorder, votre conseil d'administration prétend tirer profit de la leçon qu'il vient de recevoir; pour faire oublier sa faute, il vient vous proposer les moyens de la réparer.

Notre gêne momentanée sera facilement guérie, et nous aurons bien vite reconquis toute notre puissance de faire le bien, à deux conditions assez difficiles, je l'avoue, mais sans lesquelles les œuvres ne sauraient durer.

Il faut, avant tout, introduire dans nos dépenses la plus stricte, la plus sévère économie; c'est un devoir bien pénible que de se montrer rigoureux envers la misère et de chicaner avec le besoin. Le premier mouvement, quand on voit couler une larme, est de l'essuyer; quand on entend une plainte, de l'apaiser; quand une souffrance se révèle, de la secourir ; et l'inconvénient d'avoir été dupe quelquefois pèse bien peu, à côté du malheur d'avoir méconnu une douleur légitime, ou fermé l'oreille au cri de la faim. Mais ce premier mouvement, qui est une des libertés et un des plus grands charmes de la charité personnelle et particulière, n'est jamais permis aux œuvres. Les œuvres sont les dépositaires, et, en quelque sorte, les agents de la libéralité d'autrui; elles n'ont droit de demander qu'à la condition de veiller avec l'attention la plus scrupuleuse au bon emploi de ce qu'elles reçoivent, et la charité privée ne les prend pour intermédiaire que parce qu'elle croit trou

ver dans leur organisation ce qui lui manque : la certitude de n'être pas trompée, et de ne donner qu'à bon escient. Sollicitée sans cesse par des instances inconnues et des pétitions étrangères, accablée sous le poids de réclamations qu'elle ne saurait vérifier, elle s'adresse aux associations, parce qu'elle attend d'elles ces recherches, ces enquêtes, ces vérifications, impossibles à son isolement et à son inexpérience. Donner avec facilité, se livrer aux inspirations de son cœur, sans appeler à son aide les conseils de la raison et les lumières de l'expérience, tout cela peut être le droit de celui qui dispose de sa fortune et distribue son argent; mais, de la part d'une œuvre, ce serait manquer au premier de ses devoirs, et trahir la promesse de ses règlements.

Et quelle œuvre, plus que la nôtre, a besoin de se défendre du premier mouvement?

Les associations qui se vouent au service des pauvres ordinaires, de ceux qui vivent de la charité publique et privée, n'ont pas grande chance de se tromper: un peu de paille pour lit, des haillons pour vêtements, pour logement une mansarde sous les toits, ouverte à tous les vents et exposée à toutes les intempéries, sont des symptômes de misère et des certificats de souffrances que la fraude n'imite guère; et d'ailleurs l'assistance et la notoriété publiques ont sur la situation de ceux qui demandent ostensiblement des renseignements précieux, et qu'il ne faut pas dédaigner.

Mais le domaine de la Miséricorde est plein de piéges et d'obscurité; dans ses limites incertaines, viennent se réfugier tous ceux qui, après avoir mal vécu et épuisé tous les genres d'aventures, spéculent sur un passé imaginaire, vivent maintenant d'une fortune qu'ils n'ont jamais eue, exploitent les souvenirs d'une position qui n'a jamais été la leur, ou, après avoir dissipé l'héritage paternel, se font un titre de leurs propres fautes, et changent habilement leurs

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